Évaluation critique de l’objectif politique « minimiser le coût social des drogues »,

version comptable du « limiter la casse »

 

(Groupe d’études des politiques publiques en matière de drogues)

École des Mines de Paris, 30 mars 2004

 

 

 

François Nicolas

 

 

 

 


I.               Trois rappels

I.1.      Premier rappel

Il s’agit pour nous de « métaévaluer » c’est-à-dire d’évaluer une évaluation.

Une politique, au demeurant, est une mise à l’œuvre de valeurs, donc déjà elle-même une évaluation (d’une situation, de la capacité des pouvoirs publics d’y intervenir, etc.). Une valeur constitue ce qu’on pourrait appeler un axiome de la politique.

Or on n’évalue pas plus une valeur qu’on ne démontre un axiome : il n’existe pas de valeur des valeurs.

Donc, à proprement parler, on n’évalue pas une évaluation, et il n’existe donc pas stricto sensu de métaévaluation pas plus qu’il n’existe de métalangage ou d’axiome des axiomes. Il n’existe que des valeurs contre d’autres valeurs, des évaluations contre d’autres évaluations, des axiomes contre d’autres axiomes. La politique est en effet dissensus : elle n’existe que là où il y a des décisions à prendre, des choix à poser, des volontés à engager, des projets à soutenir ; bref, la politique existe là où la gestion et ses calculs ne suffisent plus à trancher entre les différentes voies.

Pour nous, « évaluer » veut alors dire deux choses :

1) C’est d’abord caractériser la dynamique évaluante d’une politique (ou d’un discours : ce sera notre cas aujourd’hui) c’est-à-dire dégager ses valeurs à l’œuvre, ses axiomes organisateurs. Il s’agit là d’une investigation immanente au discours examiné, non d’une critique de l’extérieur.

2) C’est ensuite situer ces valeurs dans l’espace des valeurs possibles, dans le champ du « valeur contre valeur » c’est-à-dire dans le champ des autres politiques possibles au point des mêmes situations.

« Évaluer » un discours pour nous veut donc dire : répondre aux deux questions suivantes :

1) Quelles valeurs agissent ce discours et en rendent compte ?

2) Que tranchent ces valeurs qui, ipso facto, pourrait être autrement tranché ?

Aujourd’hui…

Il s’agit aujourd’hui d’évaluer la problématique constituée par Pierre Kopp en matière de politique publique au moyen de la technique du coût social.

Évaluer cette problématique passera par se demander s’il s’agit là d’une pure technique, indifférente aux valeurs, aux dissensus politiques, un outil neutre — et dans ce cas il n’y aurait pas vraiment lieu d’évaluer ce discours (au sens du moins où nous parlons ici d’évaluation) mais seulement de porter une appréciation d’ordre technique sur la validité analytico-comptable de ces techniques — ou s’il s’agit là d’un discours plus ambitieux, évaluateur et appelant alors notre propre « évaluation ».

La réponse, vous vous en doutez, conduit à cette seconde possibilité. Avant d’expliquer pourquoi il s’agit là d’un discours évaluateur et non pas simplement d’une technique neutre, rappelons un autre aspect de la méthode d’évaluation immanente que je tente ici de constituer.

I.2.      Deuxième rappel

Comment dégager les valeurs à l’œuvre dans un discours, dans une politique donnée ? Comment le faire de manière immanente ?

La méthode que je propose est celle de la dualité que résume le schéma suivant :


 

 


La méthode que je propose consiste à passer des « calculs » opérés par la politique ou le discours examiné (soit la face de gauche du schéma) à la « raison » enchaînant ces calculs (soit la face de droite) c’est-à-dire de remonter des problèmes à la problématisation, des objectifs à l’adaptation, des moyens à l’adéquation, des effets à l’efficience et à l’impact, et plus globalement à l’efficacité.

En quelque sorte, les « problèmes », « objectifs », « moyens » et « effets » constituent le matériau de la politique ou du discours examiné et leur évaluation passe par l’examen de la manière dont cette politique ou ce discours problématise, adapte, rend adéquat, conçoit une efficience et une efficacité.

Aujourd’hui…

Aujourd’hui il s’agira, pour évaluer les valeurs à l’œuvre dans la problématique de Pierre Kopp, de remonter du calcul du coût social (qu’on situera sur le versant gauche) aux raisons orientant ces calculs (versant droit). Comme on va le voir, ce parcours nous sera facilité par l’usage omniprésent dans ce discours de la catégorie d’efficacité, catégorie qui relève de la rationalité évaluante (face de droite) et non plus, comme la catégorie de coût social, du simple calcul évaluateur (face de gauche).

I.3.      Troisième rappel

Au regard de cette logique de l’évaluation, l’opposition science/idéologie est impertinente.

Dans sa version vulgaire, cette opposition consiste à poser que le socle d’un travail dit scientifique devrait être celui des nombres et du calcul et que toute incursion hors de ce positivisme (où l’objet porte pour index d’existence la quantité qui le mesure) ne serait que subjectivité idéologique… de la valeur.

Que cette vision ne soit elle-même qu’une idéologie — celle d’un certain positivisme dans sa version la plus grossière — est bien connu. Que la science n’ait pas pour essence ou noyau la mesure, la quantification, serait également facilement démontrable [1].

Mais laissons-là : il s’agit simplement ici d’indiquer que la dialectique de la rationalité évaluante et des calculs évaluateurs est indifférente à la distinction de la science et de l’idéologie, de même d’ailleurs qu’elle l’est à la polarité objectif/subjectif.

 

Ces trois rappels posés, venons-en à notre travail du jour : évaluer le discours déployé par Pierre Kopp au fil de divers textes.

II.             Une contradiction…

On peut aborder notre question à partir précisément de cette diversité en remarquant la coexistence sous la même plume d’énoncés de natures fort différentes et a priori incompatibles entre eux. Avant d’examiner comment rendre raison de cette apparente inconsistance, présentons les deux termes de l’opposition.

II.1.    Les énoncés techniques et comptables

Il y a d’abord les énoncés qu’on dira « techniques », énoncés prônant la méthode des coûts sociaux comme information à prendre avec précaution, à interpréter avec égards et seulement susceptible d’éclairer les choix politiques.

Je cite :

 

La méthode du coût social comme éclairage analytique

 

Rencontre de la MILDT du 3 octobre 2000 [2]

« Bien qu’elle soit très discutable, j’ai choisi de retenir cette méthodologie afin d’inscrire ce travail dans le champ des travaux actuels, en matière d’évaluation du coût des maladies et ainsi de permettre des comparaisons internationales des résultats de ces travaux. »

« Ce choix s’explique par la volonté de pouvoir procéder à des comparaisons internationales à partir de cette étude. »

« Cette étude propose, pour la première fois, une photographie de l’évaluation monétaire des dommages causés à la société française par les drogues licites et illicites. »

« La méthode retenue pour l’évaluation du coût social, la plus largement admise, doit permettre de comparer les résultats avec ceux publiés dans d’autres pays : nous ne prétendons pas à l’unicité des chiffres contenus dans l’étude. »

« La décision publique ne peut se satisfaire d’un seul type d’analyse pour la guider, a fortiori si cette analyse devait être l’analyse économique. Toutefois, dans la collectivité, certaines catégories d’acteurs doivent rendre compte aux décideurs publics et, in fine, aux Français. Il faut donc procéder à des arbitrages, sur les bases les plus lisibles possibles, ce qui suppose d’identifier clairement les coûts engendrés, sans que cela ne porte un jugement de valeur en soi. »

« Il convient, à mon avis, de ne pas confondre le coût social mesuré avec l’interprétation du résultat de ce calcul. L’économiste doit ainsi faire preuve de pédagogie pour que l’utilité du calcul ne soit pas remise en cause du fait des interprétations discutables auxquelles il peut donner lieu. »

 

Ici la notion de coût social est déclarée « très discutable ». Sa mise en œuvre passe par des hypothèses « très théoriques », « nécessaires à la réalisation des calculs », par un scénario « très hypothétique ». Son principal objet est « de permettre des comparaisons internationales » mais aussi des comparaisons entre tabac, alcool et drogues illégales. L’objectif de cette méthode est également de « permettre de modéliser les effets d’une politique publique sur le coût social »…

Disons que cette méthode est ici thématisée non comme une contribution directe au débat politique mais comme un éclairage analytique ouvrant à des comparaisons entre pays, entre produits, entre politiques.

Ce versant du discours admet par exemple qu’« il est impossible de prouver la supériorité de la prohibition sur la légalisation, ni d’ailleurs le contraire » [3].

II.2.    « Coût social » ?

Rappel : de quoi s’agit-il dans cette technique du coût social ?

Principe

Il s’agit de calculer les ressources qui seraient libérées s’il n’y avait pas de consommation de drogues, donc de quantifier le gaspillage des ressources sociales que la consommation de drogues génère.

Remarque : la technique utilise le principe dit du scénario « contre-factuel » [4] qui, somme toute, consiste à imaginer ce qui se passerait si, d’un coup de baguette magique, il n’y avait plus dans une société ni de drogues ni même de désir de drogues, ou, ce qui revient au même, si d’un coup toutes les drogues étaient devenues inoffensives.

Le calcul des coûts sociaux se fait ainsi par référence à une situation où il n’y aurait non seulement plus de consommation de drogues mais également plus nécessité de politiques anti-drogues : plus besoin donc de soins (puisqu’il n’y aurait plus de toxicomanes), mais pas non plus besoin de prévention (puisqu’il n’y aurait plus d’envie de drogues dangereuses), et plus besoin de répression (puisque les trafiquants se seraient tous convertis en épiciers).

Hypothèses

Les principales hypothèses de ce calcul des coûts sociaux sont :

— Plein emploi des facteurs de production et réallocation possible de l’intégralité des facteurs utilisés par la drogue. Cette hypothèse donne lieu à un certain nombre de discussions techniques. Elle revient malgré tout à considérer que la drogue serait un chancre greffé sur un corps économiquement sain qu’il parasiterait. Mais bien sûr, la comptabilité économique est impuissante à saisir l’enracinement social de la toxicomanie.

— Pas de prise en compte ici des coûts intangibles, difficiles à calculer, surtout en matière de drogues illicites. Or, comme on y reviendra, ces « coûts intangibles » s’avèrent déterminants en notre matière puisqu’ils indexent l’avantage accordé au fait d’être désintoxiqué, avantage (ou gain, ou bénéfice) qui ne se réduit nullement au fait de ne plus coûter à la Sécurité Sociale ou d’avoir réintégré la chaîne de production. Il est clair que la problématisation de la drogue (sa constitution ou non en « problème » et ce faisant en « problème » d’un certain type) est ici déterminante…

— Pas de prise en compte ici d’éventuels effets positifs de la consommation de drogues (du genre : la cocaïne stimule le travail des cadres stressés). D’où le calcul d’un coût social brut (et non pas net de ces « avantages »).

— Par ailleurs il n’y a pas ici prise en compte des effets positifs des différentes actions des pouvoirs publics : en effet la prévention est censée limiter le nombre de personnes intoxiquées, la répression décourager la consommation, et les soins désintoxiquer. Or les bénéfices de tout ceci (autres que de revenu, de production ou de dépenses) ne sont pas inclus dans le calcul ici constitué : on mesure les coûts d’une situation, non les gains d’une politique (on ne tient pas compte des effets positifs attendus d’une désintoxication qui ne soient pas simplement les économies de dépenses de santé et les gains de productivité obtenus…).

— La technique retenue pour mesurer les effets économiques des décès est celle dite du capital humain.

On sait qu’on peut calculer un « prix de la vie » selon trois techniques différentes :

1) une approche ex ante — celle du capital humain — qui attribue pour prix à la vie d’un homme sa capacité de production potentielle mesurée par la somme des revenus qu’il est susceptible de recevoir jusqu’à sa mort ;

2) la méthode dite du « consentement à payer » (ou willingness to pay) dont le nom suggère bien ce dont il s’agit là ;

3) l’approche ex post où la valeur se déduit des décisions prises pour éviter la perte de vies humaines.

Ici, c’est la première approche qui est utilisée. Remarquer que le toxicomane est évalué comme un individu lambda, doté des mêmes aptitudes professionnelles que n’importe quel autre. Pourtant les études basées sur le capital humain tendent plutôt à spécifier les différences et aboutissent ainsi à considérer que le prix de la vie d’un inactif ou d’un vieillard est bien moins grand que celui d’un cadre supérieur masculin de quarante ans [5]. Mais bien sûr, l’économiste calculateur du prix de la vie d’un toxicomane ne dispose pas des données suffisamment précises pour ajuster son calcul aux particularités de cette population.

— La technique du coût social inclut dans les externalités les pathologies qui découlent de la consommation de drogues et qui ne concernent pourtant que le consommateur, ceci en raison du fait que ces pathologies vont être prises en charge par la Sécurité sociale à l’égal des accidents du travail ou des effets de l’âge et vont donc coûter au contribuable plutôt qu’au toxicomane…

— Dernière remarque : les amendes payées par les toxicomanes se trouvent comptabilisées dans le total des coûts sociaux ce qui paraît étrange si l’on veut bien considérer qu’il ne s’agit là que de transfert entre agents. Mais le poste s’avère quantitativement marginal (5 millions de francs en 1997).

Résultats

Les résultats de cette technique sont en 1997 les suivants : le coût social des drogues illégales représente 0,16 % du PIB quand celui du tabac et de l’alcool cumulés représente dix fois plus.

 

Le coût social des drogues illégales peut se résumer dans le tableau suivant :


 

Dépenses imputables aux drogues illégales en 1997

(cf. rapport OFDT p. 267)

 

 

en millions de francs

‰ du PIB

% de l’ensemble

Dépenses de santé

Sida

Subutex

1 525

925

600

0,2 ‰

11 %

Dépenses des administrations

dont

Justice

Douanes, gendarmerie, police

4 855

 

1 558

2 283

0,6 ‰

36 %

 

12 %

17 %

Pertes :

de revenus

de production

6 099

1 775

4 324

0,75 ‰

46 %

13 %

33 %

Pertes de prélèvements obligatoires

866

0,1 ‰

7 %

Total

13 350

1,64 ‰

100 %

[ Consommation]

[ 14 à 25 000 ]

[ 2 à 3 ‰]

 

 

Si on répartit ces « coûts sociaux » selon les agents distingués dans le rapport OFDT page 15, on obtient le tableau suivant :

 

Répartition par types d’agents et types de coûts

(cf. rapport OFDT p. 15)

 

Coûts

« Consommateurs »

Entreprises

État et collectivités

Sécurité sociale

Total

Coûts directs

[consommation]

 

1 015 (prévention)

600 (Subutex)

1 615

Coûts des conséquences directes

5 (amendes)

 

3 840 (répression)

925 (Sida)

4 770

Coûts des conséquences indirectes

1 775 (revenus)

4 324 (production)

866 (prélèvements)

 

6 965

Total des coûts

1 780

4 324

5 721

1 525

13350

 

soit, en % du total :

 

Coûts

« Consommateurs »

Entreprises

État et collectivités

Sécurité sociale

Total

Coûts directs

 

 

7,6 %

4,5 %

12,1 %

Coûts des conséquences directes

e

 

28,8 %

6,9 %

35,7 %

Coûts des conséquences indirectes

13,3 %

32,4 %

6,5 %

 

52,2 %

Total des coûts

13,3 %

32,4 %

42,9 %

11,4 %

100 %

 


On pourrait ainsi dire que les toxicomanes « supportent » 13 % du total des coûts sociaux de leur initiative, le reste étant mis à la charge de la société.

Remarquons à nouveau que dans ce mode de calcul — qui ignore les bénéfices (ou effets positifs) des politiques encourageant la désintoxication ou prévenant l’intoxication — toute action politique contre la drogue ne peut apparaître que comme génératrice de coûts, nullement d’avantages. L’outil est ainsi d’ores et déjà construit et profilé en sorte de faire apparaître la dimension répressive de toute politique comme inutilement coûteuse puisque sans contreparties… [6]

Une récréation

La limite de cette position peut être illustrée de l’exemple suivant où l’on appliquerait ce mode de calcul du coût social à la pratique du vol dans une société donnée.

Le vol — on suppose ici qu’il serait sans dommages corporels — étant économiquement un simple transfert entre agents, les coûts sociaux du vol ne proviendraient que du coût des forces de répression et de la perte de production qu’entraînerait le fait de mettre les voleurs en prison — l’hypothèse purement économique de cette méthode étant ici que ces voleurs, s’ils n’étaient pas emprisonnés, pourraient sinon continuer un travail salarié… qu’ils n’ont sans doute plus depuis longtemps.

On comprend sur cet exemple que cette analytique comptable ne saurait orienter, par elle-même, aucune politique publique sauf à conseiller purement et simplement la suppression de la traque des voleurs par les forces de l’ordre, au motif que cette traque est la seule à coûter quelque chose…

 

Au total, on voit que la technique des coûts sociaux nous livre un ensemble de calculs assez hétéroclites, dont l’apparente homogénéité tient surtout à celle de l’unité monétaire de compte. Mais du prix à la valeur, un économiste sait qu’il y a un gouffre…

Disons que cette méthode a pour vertu analytique de fournir des ordres de grandeur monétaires permettant de comparer, toutes choses égales par ailleurs, ce qui par exemple se passe pour les drogues illégales par rapport au tabac ou l’alcool.

II.3.    Les énoncés évaluateurs et politiques

Or on se retrouve, dans d’autres textes de Pierre Kopp que celui de l’OFDT (rapport où les énoncés sont le plus souvent prudents et mesurés [7]) face à des déclarations d’une tout autre nature, énoncés qui élèvent cette fois cette méthode des coûts sociaux au rôle éminent de boussole pour toute politique publique en matière de drogues.

Dans ces autres textes, la méthode des coûts sociaux est en effet présentée comme devant fixer le cap des politiques publiques, comme boussole indiquant indéfectiblement le Nord grâce à cet objectif aussi simple que péremptoire : minimiser le coût social des drogues.

Voyons cette autre série d’énoncés.

 

La minimisation du coût social comme objectif indiscutable

 

L’économie de la drogue

(Éd. La Découverte, 1997)

« Il nous semble indiscutable que la réduction du coût social de la drogue devrait être l’objectif de la politique publique. » [8]

 

Drogues : Réduire le coût social

(Notes de la fondation Saint-Simon, décembre 1998)

« La réduction du coût social de la drogue, composé par la somme des dommages subis par les usagers (décès, maladies, etc.), des externalités qu’ils imposent à la collectivité (socialisation du coût des soins, transmission de maladies, pertes de productivité, délinquance) et des dépenses publiques entraînées par la conduite de la politique publique, constitue un objectif susceptible d’améliorer le bien-être collectif. L’ensemble du dispositif actuel devrait donc être évalué à l’aune de ce critère. » [9]

« Dire que l’État a le droit d’interdire les drogues n’implique pas ipso facto qu’il doit effectivement le faire. La seule bonne question est de savoir si la société se porterait mieux en autorisant l’usage d’une ou plusieurs nouvelles drogues. La réponse ne peut être positive que si le bien-être collectif augmente (ou que le coût social de la drogue diminue). » [10]

« Rechercher la politique qui permettre de réduire le coût social de la drogue » [11]

« Une proposition de réforme ne doit être retenue que si elle diminue le coût social. » [12]

« La politique de la drogue devrait être réorientée afin d’en abaisser le coût social. » [13]

 

Efficacité de la politique répressive de la demande en matière de drogues illicites

(Inserm, 2000)

« L’objectif de la politique publique optimale doit être de minimiser le coût social de la drogue. » [14]

« Je défends la thèse selon laquelle l’objectif normatif de la politique de la drogue doit être de minimiser le coût social lato sensu. » [15]

 

Nous sommes donc ici face à une norme, à une prescription : la valeur suprême d’une politique publique en matière de drogues devrait être la minimisation du total des coûts sociaux.

On remarquera le caractère négatif de la valeur-repère (il s’agit de minimiser un coût plutôt que de maximiser un indéfinissable bien-être) ce qui correspond bien au fait que la politique ainsi prônée est thématisée comme une politique « du moindre mal » [16].

Ces énoncés promeuvent le coût monétaire en valeur politique directrice apte à donner figure comptable à l’idéologie du « limiter la casse », nom, comme l’on s’en souvient peut-être, d’un lobby constitué au début des années 90 pour prôner l’abandon de l’ancien combat sur le front de la drogue au nom du nouveau combat sur le front du sida, abandon orchestré au nom d’une « politique de réduction des risques ».

II.4.    Logique de cette contradiction ?

Ma question est alors : comment cette contradiction entre ces deux séries d’énoncés est-elle possible ? Comment la logique comptable du coût social rend-elle possible l’idéologie du « limiter la casse » ? Comment le calcul du coût social est-il compatible avec la valeur idéologico-politique affichée par le second type d’énoncés ? Comment tenir ensemble l’énoncé « le calcul d’un coût social de la drogue est très discutable mais son analytique facilite des comparaisons entre choses comparables » et l’énoncé « il est indiscutable que minimiser le coût social de la drogue doit être l’objectif de la politique publique en matière de drogues » ?

Ma thèse est que, par-delà la contradiction factuelle, il y a une adéquation entre la logique comptable exposée et la valeur politique (négative) déclarée. Et c’est cela que je voudrais maintenant examiner.

III.           Évaluation du discours global

Retournons pour cela à nos schémas duaux et demandons-nous : comment y localiser la technique des coûts sociaux ?

III.1.  Calculs évaluateurs

Il est clair que l’analytique du coût social relève de la face « calcul » de l’évaluation, donc du versant de gauche.

Mais où situer les différents coûts dans cette face ?

La difficulté vient de ce que notre graphe est celui d’une politique donnée et qu’à cette aune, le calcul des coûts sociaux atteste son caractère hétérogène.

Moyens…

Une partie des coûts sociaux doit être clairement affectée aux moyens (il s’agit du coût des moyens politiques mobilisés pour lutter contre la toxicomanie).

Effets secondaires…

Une autre partie des coûts sociaux relève des effets économiques « imprévus » (ou inévitables, ou secondaires) de l’action des pouvoirs publics : les pertes de revenus et de production calculées dans les coûts sociaux ne relèvent pas en effet d’effets volontaires des pouvoirs publics.

Autres…

Dernière difficulté : il faut à mon sens distinguer dans les différents postes de nos précédents tableaux ceux qui concernent directement les drogues de ceux qui ne les concernent qu’indirectement (le sida).

Ceci conduit à répartir les totaux partiels présentés dans les tableaux précédents de cette manière :

 

Moyens (1997, en millions de francs)

MOYENS

Drogue

Sida

Totaux

répression

3 840

 

3 840

prévention

1 015

 

1 015

soins *

600 **

925

1 525

Totaux

5 455

925

6 380

* « soins » = dépenses de Sécurité sociale

** Subutex

« Prévention » ?

On nommera ici « prévention » tout ce qui se présente comme tel, qu’il s’agisse là de prévention primaire, secondaire ou tertiaire, qu’elle concerne directement la toxicomanie ou qu’elle concerne en vérité la prévention du sida. La distinction n’est pas faisable à l’intérieur des budgets présentés, en raison même d’une politique de réduction des risques qui vise à confondre l’ensemble, quitte à réduire ainsi plus discrètement l’importance particulière de la prévention primaire [17].

Qu’une évaluation qui se respecte doive aller jusqu’à s’interroger sur ce qui se donne comme pratiques réelles derrière ce nom galvaudé de prévention semblerait pourtant nécessaire. [18].

« Soins » ?

On nommera ici « soins » pour la toxicomanie les dépenses de Subutex en excluant, bien sûr, ceux relatifs au sida. On pourrait sans doute discuter ici ce nom, c’est-à-dire discuter de la qualité de « soin » attribuée à la distribution à grande échelle de produits de substitution. Comme l’on sait peut-être, Sigmund Freud appelait cela « vouloir faire sortir le diable à l’aide de Belzébuth » [19]… Mais laissons-là ce débat (qu’une véritable évaluation devrait pourtant examiner puisque son travail propre est d’aller examiner les pratiques réelles par-delà les nominations qui leur sont données) et admettons qu’il s’agit bien là de « soins » et non pas de cautères sur des jambes de bois ou de contrôles médico-sociaux.

 

Effets secondaires

EFFETS SECONDAIRES

Drogue

Sida

Totaux

pertes de revenus

1 570

205

1 775

pertes de production

3 677

647

4 324

pertes de prélèvements (?!)

766

100

866

Totaux

6 013

952

6 965

 

Soit une répartition générale :

 

Drogue

Sida

Total

Moyens

5 455

925

6 380

Effets

6 013

952

6 965

Totaux

11 468

1 877

13 345 *

* Restent les 5 millions de francs d’amendes qui, à mon sens, n’ont guère ici leur place.

 

Selon ce principe 11,5 des 13,4 Mds de francs du coût social concerneraient directement les drogues et, sur ces 11,5 Mds, 5,5 concerneraient des moyens politiques et 6 des effets secondaires.

III.2.  Rationalité évaluante

Sur cette base, comment pouvons-nous « évaluer » la politique française concernée ?

Un impact…

Il nous est maintenant possible de calculer un impact c’est-à-dire le rapport des effets secondaires aux moyens utilisés sachant qu’ici les effets pris en compte sont à la fois

1) tous des effets secondaires, non visés comme tels,

2) et tous négatifs (ce sont tous des « pertes » : et aucun gain n’est comptabilisé).

La technique utilisée consiste ici à remplacer une division {effets/moyens} [20] par une soustraction {effets — moyens} et, comme les effets sont tous négatifs, à cumuler purement et simplement des coûts…

Le résultat de cette technique est alors qu’une politique contre la drogue (qui n’a pas pour principal objectif de limiter la répression au profit d’un contrôle médical de la productivité sociale du consommateur) s’avère particulièrement inepte puisque, consacrant des milliards de francs (moyens) à faire perdre d’autres milliards à l’économie (coûts sociaux des effets secondaires), elle ne peut, au total, que coûter un maximum de milliards ! Avec un tel calcul, il ira de soi que la meilleure politique sera celle qui arrêtera le plus vite possible une telle absurdité kafkaïenne ! Où, contrairement à ce qui est dit plus haut par Pierre Kopp, la technique des coûts sociaux aurait bien « démontré » qu’il vaut mieux limiter la casse (en distribuant du Subutex et de la méthadone, peu coûteuse et productrice d’ordre social) que lutter contre la drogue…

 

Remarquons qu’il s’agit là d’impact, nullement d’efficience, ni d’adéquation et, au total, aucunement d’efficacité stricto sensu puisque cette technique analytique n’éclaire rien des effets prévus, rien des moyens prévus, et rien non plus des objectifs…

Une efficacité ?

Or en ce point, les énoncés précédemment relevés déclarent que l’objectif politique doit être de maximiser l’efficacité en minimisant le coût social. Or, rappelons-le, le coût social ici calculé ne prend pas en compte les effets positifs des politiques visant à la désintoxication des individus et ne calcule que ses effets négatifs (les pertes économiques). D’où que maximiser cette efficacité équivaille à minimiser l’action politique contre la drogue, ce que voulait démontrer l’axiome du « limiter la casse »…

Relevons ici un paradoxe : une efficacité doit mettre en rapport des effets à des objectifs. Or l’objectif est ici prescrit comme devant être l’efficacité elle-même. Qu’est-ce que cela peut rationnellement vouloir dire ? Il est a priori absurde de faire découler l’objectif de l’efficacité quand il devrait procéder des problèmes : si les drogues ne posent aucun problème aux instances politiques, pourquoi alors s’en occuper ? Dans la rationalité évaluante ici mise en œuvre, il n’y a donc aucune « adaptation » des objectifs à des problèmes répertoriés mais une sorte d’adéquation à rebours non des moyens aux objectifs mais à l’inverse des objectifs aux moyens ; ou comment prôner en effet une politique « réaliste », « pragmatiste » et « sans idéologie »…

La seule manière de donner sens à l’énoncé apparemment absurde que l’objectif doit être l’efficacité est alors me semble-t-il celui-ci : cela veut dire que l’objectif politique est, ne peut être, ne doit être que de n’en pas avoir de propre contre la drogue ! Ceci est la traduction en termes évaluateurs de l’objectif technique « minimiser le coût social » : la « meilleure » politique est d’abandonner toute volonté d’effets positifs en terme de désintoxication et de se contenter de minorer les pertes de revenus et de production induits à la fois par la toxicomanie et par la lutte contre elle des pouvoirs publics (emprisonnements…). La « meilleure » politique est de contrôler médicalement (Subutex…) les toxicomanes pour en faire des citoyens producteurs et reproducteurs.

Au total…

Si je résume la rationalité évaluatrice sous-jacente à ces propos, j’ai donc ce mouvement de pensée :

Impact

La mesure des effets politiques étant limitée aux pertes économiques, l’impact d’une politique contre la drogue sur la situation ne peut être, par construction, que négatif puisqu’il consacre des moyens importants (5 Mds) à faire perdre 6 Mds à l’économie du pays.

Problématisation

Le problème pour la situation devient alors non plus la drogue mais toute politique qui ne se contente pas de gérer (socialement et médicalement) la montée de la toxicomanie. Dans cette logique, remarquons-le, la problématisation ne découle plus de la situation de départ mais de la politique elle-même, soit une structure auto-référentielle qui, comme tout nœud gordien, ne peut plus être réglée que par élimination… de la politique en question.

Adaptation

L’adaptation d’objectifs à ce problème est alors assez claire : elle impose de limiter la gabegie kafkaïenne du « contre » la drogue au profit d’un faire « avec ».

Problématisation ?

D’où le schéma suivant où la rationalité est réduite à sa portion congrue (pas d’efficience, ni d’effectivité, ni d’efficacité) à mesure de la torsion abracadabrante du schéma, nécessaire pour arriver à « déduire » l’objectif de « limiter la casse » du calcul des coûts sociaux.


 

 


IV.           Conclusion

IV.1.  Le calcul concret présenté dans le rapport OFDT ne peut normer les choix politiques

La conclusion de cette analyse me semble-t-il s’impose : ce calcul des coûts sociaux est inapte à évaluer l’efficacité d’une politique !

Utiliser cette analytique comptable des coûts sociaux en synthèse évaluante conduit à réduire la face de droite de nos schémas duaux à sa plus simple expression.

On ne peut prétendre conférer à cette logique comptable puissance d’évaluation d’une politique, moins encore à servir de norme de valeur politique, et il faut conserver à cette méthode des coûts sociaux son statut initial d’analytique, permettant sous certaines précautions, des comparaisons éclairantes, par exemple entre drogues illicites et tabac ou alcool.

IV.2.  Deux acceptions des « coûts sociaux »

Certes, on pourrait en théorie imaginer un autre coût social que celui détaillé dans le rapport OFDT, un coût social qui prendrait en compte les avantages de la désintoxication qui ne se réduisent pas aux économies de dépenses de santé et aux gains de productivité : les bénéfices de la désaliénation, de la non-servitude volontaire. Ce coût social « intégral » mesurerait alors l’ensemble des externalités — ce que ne fait pas celui présenté par Pierre Kopp —.

Ce coût hypothétique constituerait-il, alors, une bonne boussole, le bon objectif ? Il faudrait dans ce cas lui adjoindre d’autres bénéfices de la désintoxication qui ne relèvent plus d’externalités : les bénéfices (intangibles) pour l’individu de n’être plus dépendant et aliéné à un produit, et ce par-delà la question du travail ou des dépenses de santé. On devrait ainsi passer d’un calcul des « coûts sociaux » à une logique économique des « coûts et bénéfices ».

Si un tel calcul « coûts/bénéfices » pouvait être intégral, on disposerait bien là d’une boussole quantifiée. Sauf, qu’à l’évidence, la quantification des coûts (externalités) et bénéfices intangibles ne feraient que reconstituer les dissensus politiques, c’est-à-dire les conflits de « valeurs » puisqu’il est clair que cette quantification de l’intangible (la désaliénation, la libération d’une servitude volontaire…) ne pourrait qu’être dissensuelle : comme ce serait ici le prix qui découlerait de la valeur, non l’inverse (il n’y a pas de prix indiscutable qui calculerait la bonne « valeur » attribuable à une vie désintoxiquée par rapport à une vie asservie…), ce calcul, loin de constituer une base « objective » commune aux différents politiques, ne ferait que chiffrer arbitrairement les valeurs qui s’opposent.

IV.3.  D’un tour de passe entre ces deux acceptions

La contradiction des énoncés de Pierre Kopp joue sur cette ambiguïté :

— d’un côté, ils plaident la modestie et la technicité d’un certain type de calcul du « coût social » : celui qui est détaillé dans le rapport de l’OFDT ;

— d’un autre côté, ils plaident l’ambition et la puissance évaluatrice d’un type idéal de « coût social » qui non seulement n’est jamais calculé mais apparaît même incalculable (au sens précis où tout calcul concret procéderait de l’attribution d’un prix arbitraire à une valeur prédéterminée).

L’opération de prestidigitation consiste alors à remplacer, dans deux énoncés successifs, un sens de l’expression « coût social » par un autre, en disant par exemple : « Le coût social des drogues illicites est en France dix fois moindre que celui du tabac et de l’alcool. Et la bonne politique est celle qui minimise le coût social des drogues. » Dans cet énoncé, le premier « coût social » est concret, présenté et effectivement calculé (avec les réserves précédemment explicitées). Le second par contre est abstrait, imprésentable et, en associant les deux, on suggère que le premier peut légitimement le préfigurer. Où le lapin, disparu dans la poche, ressort miraculeusement du chapeau…

IV.4.  Au total, un formalisme comptable au service d’une politique prédéterminée : la politique de réduction des risques

L’opération logique qui déduit une rationalité d’un simple calcul porte un nom : cela s’appelle du formalisme.

Évaluer, de manière immanente, le discours aujourd’hui examiné (en tant qu’il se constitue non plus comme analytique comptable mais comme synthèse évaluatrice) conduit donc à dire qu’il porte pour valeur fondatrice une conception formaliste de l’action publique comme simple comptabilité gestionnaire des coûts, dont la seule maxime pertinente ne peut alors être que de réduire à zéro toute volonté politique de combattre les drogues puisque pour le comptable, toute action politique contre la drogue coûtera toujours inutilement cher.

Il apparaît ultimement que la dynamique de ce formalisme comptable est, dans le discours de Pierre Kopp, d’habiller et de chiffrer les valeurs propres à la politique de réduction des risques.

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[1] Si la physique, par exemple, est devenue une science moderne depuis Galilée à mesure du fait qu’elle se mathématisait, la nouveauté de cette mathématisation de la physique tenait à l’écriture d’équations là où le calcul était une pratique ancestrale : la physique est devenue une science en s’écrivant selon la lettre mathématique quand elle était calculée depuis son origine…

[2] http://www.drogues.gouv.fr/fr/savoir_plus/syntheses_dossiers/rencontres/cout_social/cout_social.pdf

[3] Rapport OFDT (Le coût social des drogues en France) de 2000, p. 12 (note 10)

[4] OFDT, p. 13

[5] Cf Économie de la santé de Béatrice Majnoni d’Intignano (PUF, 2001) p. 270 : « La valeur économique se mesure à la capacité de production potentielle. Certains auteurs l’évaluent par somme actualisée des gains potentiels au moment de la mort. Ces gains, censés refléter la productivité individuelle du travail, diffèrent selon la qualification et le sexe et décroissent avec l’âge. Si l’étude porte sur un groupe spécifique, on utilise le gain moyen de ce groupe. […] La valeur de la vie des enfants, des femmes, des inactifs ou des préretraités en ressort plus modeste. Les tribunaux valorisent mieux l’industriel, marié et père de trois enfants dans la force de l’âge. »

[6] Ceci apparaît symptomatiquement à l’amorce du rapport OFDT (p. 12) dans l’étrange axiome que voici : « Faute d’être placé devant un véritable choix opérationnel (il n’est pas possible de décréter un monde sans drogue), il est logique de se contenter de mesurer le « coût social » des drogues ». Comme si l’existence inéluctable de drogues obstruait toute possibilité de choix, toute légitimité de les combattre, de les réduire, d’enrayer leur montée. Énoncé-symptôme d’une logique qui déclare a priori l’absurdité d’une politique contre la drogue pour mieux ensuite présenter cette absurdité comme déduite des calculs (où l’axiome est déguisé en théorème de la théorie qu’il a fondée…).

[7] Exception notable : l’énoncé précédemment relevé page 12

[8] Découverte — p. 109

[9] Saint-Simon – p. 8

[10] Saint-Simon – p. 25

[11] Saint-Simon – p. 25

[12] Saint-Simon – p. 27

[13] Saint-Simon – p. 34

[14] Inserm – p. 76

[15] Inserm – p. 77

[16] Découverte – p. 86

[17] Où l’on remarque cette opération récurrente de prestidigitation qui magnifie d’autant plus une prévention secondaire (et tertiaire) que la prévention primaire a été effacée. De même ici, les effets secondaires sont d’autant plus mis en avant qu’on a mieux « oublié » les effets primaires c’est-à-dire principaux.

[18] Si le champ de la toxicomanie n’y suffisait pas, qu’on aille, pour s’en convaincre, examiner le sens du mot « prévention » tel qu’utilisé en matière de trisomie 21 : où l’on découvre qu’il s’agit là de prévenir non pas le futur handicap mais les futurs handicapés… pour s’en débarrasser. Voir sur ce point la page très éclairante (p. 266) que consacre le livre Économie de la santé de B. Majnoni d’Intignano (PUF, 2001) à une étude coût-bénéfice pour dépister la trisomie 21 : « L’étude présente une analyse coût-bénéfice de la prévention des anomalies chromosomiques fœtales par le diagnostic prénatal. […] Cette étude, qui suppose que les femmes de 35 à 38 ans désirent le dépistage et choisissent l’IVG si le fœtus est atteint de Trisomie 21, permet de conclure que l’assurance malade ne perdrait pas d’argent à répondre à cette demande de bébés non atteints, et devrait donc le faire. » Bien sûr, on ajoute un conditionnel de précaution pour indiquer que « certains pourraient voir aboutir cette étude à l’eugénisme » : « pourraient », en effet… Ce qui s’appelle confondre cyniquement une supposée prévention systématique des maladies et l’effective suppression systématique des malades…

[19] Cocaïnomanie et cocaïnophobie (juillet 1887) : « La cocaïnomanie prend la place de la morphinomanie — voici les tristes résultats qu’on a obtenus en voulant faire sortir le diable à l’aide de Belzébuth. »

Cf. De la cocaïne, Écrits réunis par Robert Byck (Éditions Complexe, 1976) p. 171

[20] A priori, un impact, comme tout autre rapport, a une unité, par exemple le nombre d’heures de travail policier pour arrêter un trafiquant. Ici, la logique comptable consiste à ne calculer que des prix. D’où un rapport qui sera sans unité : (-6 Mds)/(5,5 Mds) = - 1,1 et on ne peut plus dégradé : l’impact ici est tel que toute somme dépensée conduit à une perte d’un montant encore supérieur !