Université
Paris VIII – Saint Denis
Département
de Sociologie
Mémoire
de D.E.A.
Etudiante
: Gabriela Valera
Directeur
de recherche : Michel Joubert
Pratiques et discours autour d’un
espace « bas seuil ». Analyse de la participation des usagers de
drogues dans la construction de la réduction des risques.
Paris, le 9 octobre 2003
Table de matières
1.-
Introduction…………………………………………………………….................……………….3
1.1.- Méthodologie..………………………………………………………..................……...5
1.1.1.- De notre observation
participante…………………………….....................5
1.1.2.- Sur les
entretiens…………………………....……………….................……6
1.1.3.-
Caractéristiques du public……………………………….................…….....8
1.2.-
Structure de notre travail de recherche………………………………...................…8
2.-
Antécédents de la mise en place du dispositif de réduction des
risques….......................10
2.1.- Les dispositifs
publics………………………………………………..................…….11
2.2.- Qu’est-ce que la réduction des
risques ?.............................................................13
3.-
Emergence du « bas seuil »………………………………………………………...................15
3.1.-
De la façon dont le seuil d’accessibilité a été
diminué...….................…………...16
3.2.- Construction de notre problématique :
questionnements, hypothèses, objectifs.17
3.3.- L’association EGO : une boutique
communautaire……………….................……19
4.-
Sociabilité, lien social et
stigmate.............................……………..................………………22
5.-Un
autre regard de la réduction des risques : pratiques et discours des
usagers..............25
5.1.-
Des actions orientées……………………………………………….................……..25
5.2.-
Des services et des prestations…………….……………………….................……27
5.3.-
Des moments formels de participation et de reconstruction de
liens...................29
5.4.-
Les grands thèmes……………………………………………..................……...…..34
5.5.- Des règles et des
remarques………………………………..................……......….52
5.6.- De la spécificité des femmes…………………………………………..................…55
5.7.- Sur l’usage de drogues et le symbolique de
l’abstention…………..................….58
6.-
Conclusions……………………………………………………………….................…………..61
7.-
Annexes…………………………………………………………………………….....................65
8.-
Bibliographie……………………………………………………………..................…………...73
1.- Introduction
L’usage de drogues devient un problème d’ordre public
à partir du moment où il se fait, de façon manifeste, dans les espaces communs
d’un environnement social particulier qui l’interdit, mais surtout lorsqu’il
est fait par des populations en situation précaire (chômeurs, SDF, jeunes
désinsérés, personnes malades, entre autres). Ces personnes, au-delà des
inconvénients sanitaires liés à l’usage de substances illicites, se trouvent plongées
dans des conditions extrêmement difficiles par rapport à leur insertion dans le
marché du travail, à leur lieu d’habitation et à leur placement social. Tout
ceci contribue à rendre incontournable la mise en place par l’Etat d’actions
efficaces, à partir de ses politiques publiques, tant au nom de l’ordre social,
qu’au nom de la santé publique et du bien être général.
Pour
atteindre cette population d’usagers de drogues, l’Etat français dispose d’une
politique publique plurielle dont les objectifs, les modes de captation du
public et les méthodes de travail sont forts différents. Parmi les dispositifs
intégrant cette politique, celui de la réduction des risques est le dernier à
avoir été mis en place (au début des années quatre-vingt-dix) et constitue une
véritable avancée en ce qui concerne : a) sa vision des usagers de drogues, b)
sa mission au regard de cette population et de l’Etat et, c) les moyens qu’il
utilise pour aboutir cette mission.
A
l’intérieur du dispositif de réduction des risques, il y a toute une série de
structures où les conditions d’accès pour les usagers sont presque inexistantes
et que l’on appelle structures bas seuil. « Leur action s’inscrit dans un processus qui vise à reconstruire
une base d’adhésion aux règles de la vie sociale en redonnant aux usagers de
drogue les plus marginalisés, l’usage des biens et des services collectifs
auxquels ils aspirent, sans que des conditions préalables ou des contreparties
soient exigées »[1].
Mais ce qui fait de cette initiative un véritable espace d’innovation tient à
l’intérêt porté au besoin d’interaction et d’échange entre les usagers de
drogues et les intervenants, au regard du principe de base selon lequel il est
impératif que les usagers soient considérés comme des citoyens à part entière,
pour que la construction de cette expérience de travail avec eux soit possible.
Paradoxalement,
jusqu’à maintenant, les travaux réalisés en sociologie autour du bas seuil, se sont focalisés sur la compréhension de l’univers
pratique -et même symbolique- des intervenants, comme si au-delà des récits de
vie et des carrières d’usage -lesquels profitent d’une certaine légitimité
ethnographique-, le travail avec les usagers relevait plutôt du champ de la
psychologie. Cependant, il n’est pas seulement légitime mais nécessaire de
rentrer dans une analyse sociologique multilatérale du fonctionnement du
dispositif de réduction des risques et pour cela, l’analyse des pratiques et
des discours des usagers de drogues qui fréquentent les espaces bas seuil constituent des éléments clés. Considérer que leurs
actes et leurs paroles ont un sens[2]
dont doivent découler les actions entreprises à leur égard, tel est le
positionnement épistémologique qui a orienté ma démarche de travail.
Des
recherches menées auprès des usagers de drogues, comme celle de Bouhnik P.
(1999), avaient déjà suggéré que « la participation des usagers au
fonctionnement de ces lieux de vie comme les échanges sur les décisions qui y
sont prises apparaissent comme une piste importante pour limiter les tensions
avec les usagers et rétablir une logique de respect et de droit »[3].
J’ai voulu aller un peu plus loin, pour comprendre comment se traduisait
quotidiennement cette participation. Cela dans le but de contribuer à la
re-construction de la légitimité de la place de l’usager de drogues comme
citoyen et à la création de liens fonctionnels entre ces citoyens et l’action
publique.
Dans
ce qui a constitué une recherche action - participative, je me suis impliquée
d’une façon très active dans la vie de l’association Espoir Goutte d’Or, située
dans le XVIIIème arrondissement de
Paris. Cette structure d’accueil bas seuil (la première à être mise en place dans toute la France, mais reconnue
comme telle au cours de l’année 2002)[4]
constitue une initiative non gouvernementale qui rentre tout à fait dans le
modèle de la réduction des risques. Elle est financée, en grande partie, par
différents organismes officiels (comme la DDASS et la DGAS) et se veut un
relais vers le dispositif spécialisé, sanitaire et social.
Au
sein d’EGO, un groupe très cordial d’usagers de drogues, d’ex-usagers de
drogues, de salariés et de bénévoles, m’a permis (non sans difficultés) de
rentrer dans son espace d’action, d’échanger des expériences antérieures à
notre rencontre et d’apprendre, un peu chaque jour, sur les différentes formes
que peut prendre la relation avec des usagers de drogues en situation de grande
précarité. Ce que je vais montrer n’est qu’une partie des composantes du vécu
de ces usagers, celle qui se passe pendant la journée et à l’intérieur d’une
association. Leurs vies durant la nuit : la quête de la drogue, les aléas
des rencontres quotidiennes (police, dealers, copains, clients…), les démarches
pour trouver un lieu où dormir, etc., n’ont pu être saisies qu’à partir des
récits et des attitudes observés. Je veux partager avec les lecteurs une
expérience très intense, à partir de laquelle j’ai essayé de mettre en évidence
l’importance de la place des usagers de drogues dans la construction locale
d’un modèle global de politique publique.
Pour appréhender la signification des pratiques et
des discours des usagers, capable de mettre au clair les idées de participation
et de construction quotidienne qui m’intéressaient, j’ai utilisé l’approche
qualitative. Certainement, j’aurais pu aussi mesurer ces dimensions à partir
d’une étude épidémiologique ou simplement quantitative, mais le sens de ce qui
se passait symboliquement entre les gens aurait été impossible à saisir. Donc,
pour le recueil d’information, l’observation participante et les entretiens se
sont avérés être les outils méthodologiques les plus adaptés pour aborder mon
objet.
Etant
donné l’orientation communautaire du travail de l’association EGO[5],
il m’a semblé pertinent de m’y engager dans le cadre d’un stage. Pendant six
mois (entre décembre 2002 et mai 2003) j’ai assisté et participé de façon
régulière et active aux activités de l’accueil de l’association, ce qui m’a
permis d’observer systématiquement les dynamiques d’action des usagers de
drogues et de passer les entretiens dans un climat de confiance réciproque.
1.1.1.- De notre observation participante :
Comme je viens de le dire, le processus
de recollection des données s’est déroulé de façon systématique, grâce à une
présence constante dans la structure. Les observations ont été faites de façon
« parallèle » au déroulement de mon travail d’accueil, c'est-à-dire
que ma participation aux activités quotidiennes a toujours imprégné le recueil
d’information. Je n’ai pas voulu jouer le rôle de l’observateur extérieur et
neutre, ce qui m’aurait donné une analyse très plate de la situation et qui
m’aurait empêché d’établir le contact nécessaire à l’établissement de relations
fluides, d’échange d’expériences et de savoirs. Les notes d’observation ont été
prises au brouillon, puis mises au propre avec un talon précisant la date, le
nombre de personnes impliquées, les sujets clés et les situations observées. La
prise de notes ne pouvait pas se faire pendant les heures d’accueil, ce qui m’a
amené à l’effectuer en dehors du travail à l’association.
J’ai aussi recueilli des discours
d’usagers hors des situations d’entretien. Si l’observation et l’analyse de
leurs pratiques m’ont beaucoup appris sur la façon dont ils s’impliquaient dans
le processus de travail - consistant à assurer leur propre survie et à tisser
des liens entre eux et avec les autres publics de l’association - le recueil de
leur parole à été d’une importance capitale pour la mise au point de mes hypothèses[6].
A priori, le fait de n’être qu’un espace
« relais », de ne pas offrir des services de restauration ou
d’hébergement d’urgence et de ne pas apporter de grands changements à court
terme dans la vie des usagers, ne rend pas spectaculaire le travail de cette
association ; mais son sens explose lorsqu’un usager, face à une
discussion collective sur les nouvelles directives des politiques publiques,
ose prendre la parole pour s’exprimer et qu’il déclare que si le contenu de ce
que l’on dit constitue le cœur de la communication, la façon de le dire est la
condition principale pour que les messages passent. Le fait de s’exprimer face
à un groupe mixte de personnes sur un sujet politique ne constitue pas une
activité courante parmi les usagers de drogues les plus marginalisés.
1.1.2.- Sur les entretiens :
J’ai mené sept entretiens semi-directifs,
dont la majorité auprès d’hommes. Dans le but d’interroger un public
suffisamment représentatif de la structure bas-seuil sélectionnée, j’ai choisi
des usagers de drogues ayant des origines et des âges différenciés. La présence
réduite et passagère des femmes dans le lieu n’a permis de réaliser qu’un seul
entretien auprès d’elles. Ma grille d’entretiens définitive a été constituée
d’un talon sociologique et de douze questions ouvertes, débouchant sur des
entretiens d’une durée moyenne de 35 minutes chacun.
Pour arriver à la version finale des
entretiens j’ai dû passer par plusieurs étapes. Tout d’abord, il a été question
d’un guide thématique où, à partir de treize rubriques, j’ai voulu tracer un
chemin capable de montrer le tissage de liens sociaux et le développement d’une
sociabilité à l’intérieur de l’association. Ce guide général intégrait des
sujets qui m’ont paru être des indicateurs pertinents du vécu des UD par
rapport à l’ensemble des situations vécues dans l’association.
Après avoir discuté de sa forme avec mon
directeur de recherche, à partir d’entretiens avec un ex-usager de drogues et
un salarié de l’association, je me suis aperçue de certains inconvénients
méthodologiques du guide, comme le fait d’être trop orienté. Plusieurs items
étaient susceptibles d’induire les réponses. Autre inconvénient: certaines
rubriques n’entretenaient pas de relations directes avec le reste de
l’entretien, lui faisant perdre sa cohérence globale. De ce fait, j’ai modifié
le guide quant à sa structure générale, quant au nombre de sujets à traiter et
quant à la forme et l’organisation des questions.
Appréhender le sens des actions et des
interactions qui construisaient l’expérience du « bas seuil » n’a pas
été une tâche facile. D’abord parce que questionner des usagers de drogues en
situation de très grande précarité - qu’il s’agisse de leurs activités
quotidiennes dans un espace déterminé ou de leurs relations avec l’équipe
professionnelle - a été l’enjeu d’une lutte constante avec le désir des UD de
parler exclusivement des bénéfices et avantages de l’accueil offert par
l’association. Si le sens de mon enquête a bien été mentionné avant chaque
entretien[7],
je pense qu’il y a eu un certain degré de désirabilité sociale dans le public, généré par mon statut de stagiaire,
reconnu comme tel par tous les UD de l’association. Je désigne par là la
tendance des usagers à faire corps avec l’association pour afficher une
position avantageuse et maximiser les apports et résultats. Mon observation
participante systématique m’a permis de surmonter en grande partie cet obstacle
méthodologique.
Parmi
les UD que j’ai rencontré à EGO, tous consommaient ou avaient consommé des
substances illicites. Mon intention n’a pas été de renforcer l’actuelle
perspective judiciaire qui établit une différence entre le tabac, l’alcool, les
médicaments – pour les drogues licites – et les autres drogues, mais de mettre
en évidence les répercussions spécifiques de la dimension « drogue
illicite », sur la façon dont les usagers s’engagent dans la relation avec
l’espace bas-seuil étudié. Les discussions visant à savoir si telle ou telle
substance pouvait être considérée comme une drogue « perdent de leur sens à partir du moment où l’état
toxicomaniaque est empiriquement donné par le constat de l’organisation de
larges secteurs de l’existence autour des exigences propres à un ou plusieurs
produits » (Castel, 1992, p. 15). Cela veut dire que je reconnais que les
drogues licites citées plus haut peuvent aussi être l’objet d’usages abusifs et
que, à court, moyen ou long terme, ces pratiques peuvent générer des situations
problématiques pour les usagers. J’ai donc aussi retenu les usages d’alcool, de
tabac et de médicaments lorsqu’ils ont accompagné l’usage de drogues illicites.
1.1.3.- Caractéristiques de notre public :
Les
personnes fréquentant EGO constituent une population avec des caractéristiques
bien marquées. Suivant le rapport d’activité de l’association de l’année 2002[8]
ont été observées : une répartition par sexe de 16% de femmes et 84%
d’hommes, une scolarisation qui, à 80%, n’atteint pas le lycée, des origines
culturelles qui proviennent à 57% des pays hors de la CEE. Par rapport aux
situations familiales, le célibat s’impose (74%) et même si 53% des personnes
disent avoir des enfants, 95% ne vivent pas avec eux. Quant aux situations
sociales, il existe une prédominance de la précarité des hébergements[9],
un manque significatif d’activités salariées (85%), une répartition des
ressources économiques qui s’équilibre entre le RMI (33%) et l’absence de
ressources (37%) et une couverture sociale qui atteint à peine 54% de la
population.
En
ce qui concerne la situation sanitaire, les indicateurs nous montrent que les
suivis médicaux (31%), l’accès aux traitements de substitution (44%), au
sevrage (65%) et aux postcures (17%), ont légèrement augmenté par rapport à
l’année 2001, mais aussi que la tranche d’âge des moins de 26 ans reste la plus
touchée par ces problématiques.
A
partir de ces données, nous pouvons nous faire une idée globale du type de
public qui fréquente l’accueil d’EGO et que j’ai essayé de représenter dans mon
« échantillon ». Cela m’a conduit à rencontrer des personnes avec des
caractéristiques très diverses quant à l’âge, au niveau de scolarisation et aux
origines culturelles.
La faible quantité de femmes interviewées
correspond bien au type et au nombre de passages de celles-ci à l’accueil. En
2002, 337 femmes sont passées à l’accueil au moins une fois dans l’année. Ces
passages ont été – et continuent à être, dans l’année 2003 - manifestement plus
fugitifs que ceux des hommes. D’après mes observations les femmes expérimentent
et utilisent le lieu d’accueil d’une façon très différente par rapport aux
hommes, ce qui expliquerait la furtivité de leurs visites.
1.2.- Structure de notre travail de recherche
Cette
étude est constituée de cinq parties. La première représente une mise à jour
historique (recherche des antécédents) de la réduction des risques comme modèle
de politique publique. J’y présente, de manière succincte, l’évolution du
positionnement politique français en matière de drogues et celui des
intervenants en toxicomanie, à partir des années soixante-dix. Dans la deuxième
partie, je me rapproche de la naissance du dispositif « bas seuil »
lui-même et je présente ses caractéristiques les plus distinctives, afin
d’ouvrir le chemin vers l’analyse de ce qui se passe à l’intérieur de la
structure qui nous concerne. La troisième partie est consacrée à la précision
des concepts clés (sociabilité, lien social, interaction) utilisés pour
l’analyse des observations et des entretiens. Dans la quatrième partie, je
procède à l’analyse des données recueillies, qui enchaîne et boucle toute
l’expérience vécue à l’association EGO avec les usagers de drogues au regard de
notre problématique.
2.- Antécédents de la mise en
place de la politique de réduction des risques
En
France, le champ de la « prise en charge » des usagers de drogues
illicites a été marqué, depuis une vingtaine d’années, par une spécialisation
très forte de ses espaces d’intervention et de ses pratiques professionnelles.
Ces espaces, aussi appelés institutions de soins, ont été créés par l’Etat
français à la fin des années soixante-dix, lorsque l’usage de drogues a émergé
sur la scène politique comme une problématique sociale dont il fallait
s’occuper de façon prioritaire.
Il faut bien noter, avec Bergeron (1999),
que jusqu’à la fin des années quatre-vingt, ces centres spécialisés et les
professionnels qui y travaillaient ont maintenu une vision où l’élaboration
d’une demande de la part des usagers (approche psychothérapeutique) était
déterminante et conditionnait l’admission. L’offre de soins était caractérisée
« par son haut seuil d’accessibilité (ce qui signifie que seuls les
toxicomanes répondant à des critères élevés de sélection peuvent bénéficier
d’une assistance) » (Lucas, 1996, p. 76 dans Bergeron, 1999, p. 256).
Seuls les toxicomanes qui se sentaient prêts à cesser leur consommation
(normalement des personnes avec une carrière d’usage d’une certaine durée) se
présentaient aux institutions de soins, car en fait la population
« toxicomane » savait ce qu’on y demandait. « Une véritable
politique de prise en charge doit être en priorité dirigée vers ceux qui
veulent s’en sortir »[10],
telle était l’ambition thérapeutique et politique du système de soins français
quant à l’usage de drogues, des
années soixante-dix jusqu’au début des années quatre-vingt-dix.
En
quelques mots, le champ des institutions de soins des usagers de drogues a été
pendant longtemps d’une forte sélectivité envers eux et ceci n’a fait que
limiter le nombre et la diversité des usagers qui s’y rendaient et qui y
restaient. Mais, en fin de compte, le bas taux de personnes fréquentant ces
institutions n’a pas été interprété comme le résultat d’une inadaptation des
conditions demandées ou des prestations offertes, mais comme l’indice de
« l’immaturité de la demande » des usagers de drogues (Bergeron,
1999, p. 209). L’offre de soins était exclusivement thérapeutique et demeurait
éloignée du secteur médical qui, à coté des mesures légales, était considéré
par les intervenants en toxicomanie comme le moyen à partir duquel l’Etat
pouvait arriver à contrôler une tranche de la population qui, à ses yeux, avait
une pratique certainement risquée, mais aussi fortement révélatrice d’un
malaise social traduit par l’usage de drogues.
Ce
n’est donc qu’à partir du début des années quatre-vingt-dix, que commence à se
produire un changement de perspective sanitaire avec l’acceptation de termes
comme ceux de modèle préventif et
de réduction des risques. Ce
changement va contribuer au développement d’initiatives locales portant une
approche moins restrictive qui facilite le contact entre les usagers, les
professionnels de la santé et le reste de la société[11].
Ces dispositifs dits à bas seuil d’accessibilité « se sont positionnés,
dès leur création, comme susceptibles de palier les problèmes rencontrés par
les structures spécialisées pour avoir prise sur une frange importante de leur
population cible »[12].
Mais
c’est surtout la nette augmentation des taux de contamination par le sida dans
la population consommatrice qui a fait réagir de façon radicale autant le
secteur politique que celui des intervenants jusqu’ici réticents à la
diminution des seuils et à l’ouverture vers le traitement médical de la
« toxicomanie ».
2.1.- Les dispositifs publics
Pour avoir une idée à peu près juste des
différentes approches de l’actuelle politique publique et de l’appareillage
déployé par l’Etat français pour « lutter contre la toxicomanie », il
faut commencer par exposer les caractéristiques des dispositifs existants.
La
première politique publique française en matière de drogues se met en place à
partir de la promulgation de la loi de 1970. Avant cela, c'est-à-dire pendant
les années soixante, le traitement de la dépendance aux substances
psychoactives ou à l’alcool était effectué en milieu psychiatrique et les
dommages physiques causés par cette dépendance étaient traités dans les
hôpitaux. Cependant, après un peu plus d’une décennie de travail expérimental,
de nombreux psychiatres ont commencé à réclamer - auprès des autorités
politiques - la nécessité de créer des structures spécifiques pour les
« toxicomanes ». Ce besoin témoigne d’une modification du discours
autour de la pratique de l’usage de drogues. Dorénavant, le toxicomane sera
considéré comme un malade dont le comportement doit être traité en dehors du
cadre médical traditionnel de prise en charge.
Pour
donner un cadre légal équilibré entre les exigences du champ médical et celles
du champ judiciaire, qui se trouvaient tous les deux concernés par la
problématique, on a opté pour créer – et inclure dans le texte de loi de 1970 -
la figure de l’injonction thérapeutique qui garantit l’intervention des deux domaines. Cette mesure se met en
place auprès des toxicomanes engagés dans une procédure judiciaire, sans qu’il
soit besoin de les incarcérer. Pendant le déroulement du procès, le toxicomane
doit subir un traitement psychothérapeutique, mené par un médecin psychiatre et
orienté vers l’arrêt de la consommation de drogues.
Il
est clair qu’à partir des années soixante-dix se créent, en France, deux
« fronts d’action » envers l’usage de drogues : le dispositif
sanitaire et social et le dispositif d’application de la loi
(judiciaire) ; mais, pour des raisons sous-jacentes à mon sujet de
recherche, j’aborderai presque exclusivement la constitution du premier.
Le
dispositif sanitaire et social constitue un « système de prise en charge
médico-social spécifique » (MILDT, 1999a, p. 4) lequel s’est développé en
cinq axes d’action qui se veulent complémentaires, mais dont les orientations
théoriques et méthodologiques sont fortement différenciées. Ces axes
sont : le dispositif de prévention et d’insertion, le dispositif
spécialisé de soins, le dispositif de réduction des risques, les traitements de
substitution et le dispositif de soins de droit commun.
Le
dispositif spécialisé de soins a été le premier à se déployer et cela grâce à
l’application de la loi de 1970. Paradoxalement, depuis sa naissance, il a été
financé par l’Etat – par la voie de la Direction générale de la santé - mais a
été géré dans sa quasi-totalité par le milieu associatif. Ce dispositif
s’appuie sur l’action d’un groupe de structures désignées sous le nom de
Centres spécialisés de soins pour toxicomanes (CSST), lesquels « doivent
assurer conjointement une prise en charge médico-sociale et une prise en charge
sociale et éducative » des usagers de drogues (MILDT, 1999a, p. 14). Ainsi
l’on trouve des centres de soins en ambulatoire, d’autres avec hébergement
collectif, d’autres enfin en milieu pénitentiaire.
Les
quatre dispositifs restants, ont commencé à prendre forme à partir du début des
années quatre-vingt-dix, à l’exception de celui de la prévention et de
l’insertion qui a « reposé au cours des années quatre-vingt sur le
dispositif spécialisé en toxicomanie et sur le dispositif de prévention de la
délinquance… » (MILDT, 1999a, p. 8). Dans cette période, la prévention et
le traitement de la « toxicomanie » étaient encore centrés sur les
substances et non pas sur les pratiques de consommation, mais le tournant vers
une nouvelle interprétation de la dépendance commence à s’opérer au sein de la
clinique psychothérapeutique, s’élargissant vers d’autres activités telles que
manger ou regarder la télé (Coppel A., 1996).
Le
positionnement éthique des intervenants en toxicomanie face aux usagers de
drogues était jusqu’ici de ne pas contribuer aux stratégies de contrôle
politique et social de l’Etat, à partir du refus de l’ «extension du dispositif
au regard des besoins des toxicomanes »[13].
Ainsi, étant donné qu’il fallait soigner les « toxicomanes » mais
seulement ceux d’entre eux qui le souhaitaient et faisaient les démarches
nécessaires, la France est devenu l’un des pays européens le plus touché par
l’épidémie du sida. Ce sont les chiffres alarmants de contamination par le
virus qui ont fait réagir le gouvernement et « La politique de réduction
des risques devenait, entre septembre 1993 et juin 1994, la politique
officielle du ministère de la Santé »[14].
2.2.- Qu’est-ce que la réduction des
risques ?
Dans
son fameux article sur le tournant de la politique publique française en
matière de drogues face à l’épidémie du sida, Anne Coppel (1996) se demandait
très pertinemment : « Comment offrir à tous les usagers de drogue
prévention du sida et possibilités de soins ? Comment entrer en contact
avec tous ceux qui s’exposent au risque ? » (p.75). Ailleurs en
Europe – Angleterre, Pays-Bas, Allemagne, entre autres - mais aussi aux
Etats-Unis, on avait déjà commencé, au début des années quatre-vingt, à
développer des projets de santé publique qui avaient pour but le contrôle et la
diminution de l’énorme taux de contamination par le sida des populations
pratiquant l’injection. Pour arriver à ceci il fallait « favoriser
l’association d’usagers de drogues, distribuer des seringues, prescrire des traitements
de substitution » (p. 76) et, en même temps, admettre la consommation de
drogues comme une pratique sociale comportant des risques spécifiques qu’il est nécessaire de prendre en
compte, plutôt que comme un délit à pénaliser.
La
réduction des risques est à la fois « un ensemble de stratégies visant à
limiter les risques sanitaires et sociaux liés à l’usage de drogues » et
« une démarche de prévention, de soins et de restauration du dialogue avec
les plus marginalisés »[15].
Cette volonté d'appui portée vers les usagers de drogues vivant en situation de
grande précarité, constitue une approche plus pragmatique et moins moralisante
qui, au cours des années, a su intégrer l’intérêt plutôt sanitaire de ses
débuts, aux besoins sociaux de ces populations.
Réduire
les risques implique d’abord entrer en contact avec toute la population
d’usagers de drogues, c’est-à-dire de « capter » le public, puis
d’établir une relation de confiance et de solidarité assez forte pour réussir à
passer les messages de prévention et pour construire des liens qui permettent
aux usagers de drogues de rentrer dans un « protocole sanitaire » et
social leur permettant de « gérer des aides et des ressources en
provenance des institutions »[16].
Il sera toujours important de rappeler que
« le modèle de la réduction des risques permet donc de concevoir qu’un
individu puisse être consommateur d’opiacés et socialement intégré ou réintégré
(du point de vue du travail, de la famille, des amis, et sans avoir maille à
partir avec la Justice) »[17].
Cela afin de légitimer la réalisation d’un travail qui dépasse les ambitions
traditionnelles de prise en charge et d’abstention, affichées par certaines
institutions de soins.
Pour pouvoir introduire dans cette
analyse la notion du bas seuil (dans le champ de l’usage de drogues, bien
entendu) et pour établir les relations qu’elle entretient avec l’ensemble des
pratiques visant la prise en compte de la problématique en question, il me
semble impératif d’expliquer, tout d’abord, sa genèse par rapport au rôle de la
dimension que l’on connaît sous le nom d’ « action publique ».
Lorsqu’on parle d’action publique en
matière de drogues, on tend à penser d’une façon plus ou moins automatique
qu’il s’agit de l’ensemble des stratégies et des pratiques menées par des
institutions spécialisées de l’Etat, qui sont censées prendre en charge et
réduire les dégâts produits par ladite problématique et qui cherchent d’une manière
expansive à intégrer la plus grande quantité d’usagers de drogues dans son
dispositif. Mais on peut aussi considérer que les stratégies locales oeuvrant à
l’amélioration des problèmes liés à l’usage de drogue - dans la mesure où elles
partagent des objectifs et des orientations assez proches de celles de l’Etat
et où elles n’ont pas de fins lucratives - font partie de l’action publique,
même si elles restent en dehors du dispositif spécialisé[18].
Ainsi, on retrouve des structures comme l’association EGO (Espoir Goutte d’or),
constituée d’un ensemble de professionnels, habitants du quartier (XVIII
arrondissement) et d’usagers de drogues qui « ne se positionne pas comme
un lieu d’accueil ou de soins pour toxicomanes » mais s’intéresse plutôt
au « développement d’une dynamique communautaire » et qui constitue
« un relais vers d’autres institutions du dispositif spécialisé »
(MILDT, 2001, p. 36).
On peut considérer que l’action publique
se propose de réguler l’usage de drogues puisque, plus qu’une situation personnelle,
ce qui est en cause c’est la manière dont l’usage peut toucher de différentes
façons le fonctionnement social et local. Les différents espaces de prévention
et de soins (centres, certaines associations) sont devenus des composantes
fondamentales de la stratégie publique, mais il demeure la question de :
comment faire pour que cette stratégie devienne un moyen d’approche plus adapté
et plus efficace de la problématique de l’usage de drogues. Pour atteindre cet
objectif, il faudrait passer, d’abord, par les usagers et leur redonner
« une place dans le processus d’élaboration de l’offre sanitaire »[19]
et sociale. Pour cela, il faut les écouter, analyser ce qu’ils expriment et
intégrer cette analyse aux nouvelles politiques d’action publique, car tant que
l’on ne saura pas comment les usagers de drogues conçoivent les lieux d’accueil
et leurs méthodes d’approche « il restera difficile de concevoir et de
mettre en œuvre une politique de réduction de la demande efficace »
(Bergeron, 1999, p. 28).
Parallèlement, je suis complètement
d’accord avec l’affirmation de Castel R. et Coppel A., lorsqu’ils se posent la
question sur l’efficacité des contrôles imposés par la médecine et la justice
dans le champ de l’usage de drogues : « Sans doute peut-on toujours
améliorer les interventions juridico-policières où médico-psychologiques. Mais
ce serait une illusion de croire qu’elles pourraient, même tendanciellement,
contrôler l’ensemble de la problématique toxicomaniaque, parce que les
hétéro-contrôles sont par nature, ou plutôt par construction, partiels et
abstraits »[20]. A savoir
que les hétéro-contrôles sont des « pratiques instrumentalisées par des
professionnels sur la base d’un savoir et de techniques spécifiques,
généralement dispensées dans des institutions spécialisées »[21].
D’ailleurs, il ne faut pas aller très loin pour s’apercevoir qu’aujourd’hui
comme jadis, une grande partie des usagers n’a pas de contact avec les espaces
de prévention et de soins créés justement pour eux. Ainsi, Alain Ehrenberg
(1991) nous signale que « l’essentiel de notre savoir, repose sur
l’observation des sujets incarcérés ou en thérapie. Nous disposons fort peu
d’informations sur les usages et les modes de vie des consommateurs de drogues
illicites parce que la majorité d’entre eux n’a rencontré une institution de
soins ni été déféré au parquet » (p. 25).
3.1.- De la façon dont le seuil d’accessibilité
a été diminué…
On peut dire qu’en France, le « bas
seuil » a commencé à se constituer dans un premier temps à partir de
quelques expériences isolées. Des groupes de personnes intéressés par ce
domaine ont réalisé le besoin d’établir un contact nouveau avec les usagers de
drogues, différent de celui qui se pratiquait à l’époque dans les structures
appartenant aux dispositifs existants. Ce phénomène répond au développement
rapide du sida et aux énormes dégâts sanitaires – et même sociaux - qu’il a
généré parmi les populations où les prises de risques étaient accentuées, mais
aussi à la précarisation qui avait déjà commencé à miner la qualité de vie[22]
des usagers de drogues et celle des quartiers dans lesquels se faisait la
consommation et le trafic (Jacob E., 1997).
L’ouverture de lieux d’accueil, où
n’importe quel usager de drogues est reçu sans conditions d’accès autres que le
respect mutuel et l’interdiction de consommer sur place, s’insère dans les
politiques de réduction des risques
parmi d’autres actions telles que la vente libre des seringues en
pharmacie, les programmes d’échange de seringues et les traitements de
substitution, enfin des « services qui permettent d’entrer en contact avec
les plus marginalisés »[23].
Entre la fin des années quatre-vingt et
le début des années quatre-vingt-dix, on assiste à la naissance de plusieurs
initiatives locales qui ont voulu s’impliquer dans l’analyse et la quête de
solutions de la problématique de l’usage de drogues dans le cadre d’un quartier
ou d’une collectivité territoriale. Ces initiatives ont eu du mal à émerger et
à se développer, étant donné que le processus de décentralisation qui survenait
à tout niveau dans l’administration française ne s’est pas fait sans
complications ni contraintes ; à contrario, il a révélé la lourdeur du
système centralisé et ses réticences par rapport à la création de nouveaux
scénarios locaux d’action sociale et sanitaire. Mais il n’y a pas que la
décentralisation qui a posé des problèmes à l’émergence du « bas
seuil ». L’existence et la force de certaines constructions sociales
telles que le statut de délinquant-malade des usagers de drogues, l’abstinence
comme le seul objectif légitime du travail de prévention et de soins de la
« toxicomanie » et l’approche éminemment psychothérapeutique de ce
même travail, ont aussi contribué au retard de la mise en place du dispositif
bas seuil et, plus largement, de la réduction de risques.
Le travail des espaces bas seuil «
consiste ainsi à accompagner l’individu (durant sa période de consommation). Il
s’agit en effet d’obtenir une amélioration du bien-être physique et
psychologique de la personne toxicomane, en l’insérant dans un environnement
structuré et structurant qui devrait lui permettre de retrouver une certaine
indépendance face au « milieu de la drogue » et une certaine maîtrise
de sa consommation »[24].
3.2.- Construction de notre problématique :
questionnements, hypothèses, objectifs
Actuellement, en plus du public qui ne
rencontre aucun dispositif, un certain nombre d’usagers de drogues
« formalise » cette rencontre par le biais du bas seuil. Dans ce
sens, on peut se poser les questions suivantes : qu’est-ce qui conduit un
usager de drogues à aller vers un espace « bas seuil » au lieu
d’aller directement vers un centre spécialisé ? Qu’est-ce qui fait d’un
espace « bas seuil » un lieu susceptible d’être fréquenté ?
Quelles sont les constructions propres aux usagers à l’égard du rôle et des
objectifs de ces espaces « bas seuil », de l’action des personnes qui
y travaillent et du sens des activités qui s’y développent ? Enfin,
quelles sont les caractéristiques des usagers les plus déterminantes à l’égard
de ces constructions ?
Evidemment, pour répondre de manière
exhaustive à ces questions, la réalisation d’une étude comparative serait
incontournable, bien que je considère qu’il faille commencer par développer des
études focalisées dans chaque structure (en l’occurrence les espaces bas
seuil). C’est pourquoi je me suis donné pour tâche d’analyser les pratiques et
les discours développés par un groupe d’usagers de drogues autour d’un espace
bas seuil spécifique. Ceci afin de comprendre la manière dont fonctionnent ces
dimensions (ce qui est dit et ce qui est fait par les usagers) au quotidien
dans la construction des dynamiques d’interaction du lieu en question.
Il me semble évident que c’est à partir
de la façon dont les institutions de soins et les espaces « bas
seuil » agissent, de la perspective théorique et éthique qui les oriente
et de la méthode utilisée afin d’atteindre l’objectif qui les anime[25],
que les usagers de drogues (et plus généralement l’ensemble de la société)
développent des pratiques et des discours autour de ces lieux de rencontre, des
professionnels qui y travaillent et des programmes mis en place. Toutefois, en
m’appuyant sur l’approche de l’interactionnisme symbolique, je considère qu’il
existe des facteurs « subjectifs et objectifs » qui aident à construire
ces pratiques et ces discours, lesquels proviennent aussi des histoires de vie
des usagers et de leur différents niveaux d’engagement « dans les styles
de vie liés aux drogues »[26].
Ceci dit, le but de ce travail de recherche n’est pas d’approfondir dans la
description des carrières d’usage ni dans l’analyse des histoires personnelles
des usagers rencontrés, mais de voir comment ces usagers, qui sont déjà en
contact avec le « bas seuil », en parlent et s’y conduisent.
A partir de la bibliographie consultée et
des observations faites sur le terrain, je m’aventure à dire que les
constructions de sens sur l’espace bas seuil en question, des UD enquêtés, se
font autour d’une quête de « sociabilité » mais aussi de
re-socialisation, c’est-à-dire, d’une modification (en termes de qualité) du
tissage des liens sociaux maintenus dans les situations de marginalisation et
de précarité sociale et sanitaire, que les UD vivent, au quotidien, d’une
manière particulièrement accentuée.
Se retrouver dans un espace duquel on ne
vous chassera pas et où il est possible de faire des échanges autres que ceux
engagés dans la logique de la rue, mais aussi différents de ceux que l’on peut
connaître dans d’autres espaces réservés aux UD, inscrit la personne dans des logiques
de solidarité qui se révèlent essentielles pour ce qui est de donner du sens à
leur expérience sociale voire à leur existence.
3.3.-
L’association EGO : une boutique communautaire
Mon interrogation principale était de
comprendre comment un groupe d’usagers de drogues participait à la construction
de la dynamique de travail d’un espace bas seuil ; j’ai décidé en
conséquence de centrer la recherche sur l’étude d’une association spécifique
qui travaille dans une perspective communautaire de prévention et de réduction
des risques liés à l’usage de drogues.
Il est tout à fait légitime de
s’interroger sur la particularité de cette association. Pourquoi
mériterait-elle d’être le lieu dont les rencontres quotidiennes entre les
usagers et les travailleurs serait l’objet de ma réflexion ? Pourquoi
choisir une association d’entraide plutôt qu’une institution de soins ?
Partons de cette dernière question.
L’objectif général des institutions de
soins est celui d’accueillir une population d’usagers de drogues pour ensuite
évaluer sa situation (psychologique et sanitaire), effectuer un suivi
psychologique (voire psychothérapeutique) et, si possible, un sevrage physique
qui leur permette de diminuer progressivement l’usage de la drogue ou des
drogues consommées, à travers un programme de substitution jusqu’à l’arrêt
total de cette consommation. Mais, comme je l’ai déjà mentionné, la population
d’usagers qui fait appel aux institutions de soins est vraiment minoritaire et
ciblée (avec une carrière d’usage et un haut niveau de conscience de sa
dépendance et de ce qu’il faut faire pour décrocher), ce qui m’a conduit à
penser qu’actuellement ces espaces font partie d’un réseau beaucoup plus large,
orienté vers les problèmes liés à l’usage de drogues, mais dont l’efficacité
est mise en cause.
En faisant référence aux anomalies du
modèle traditionnel de prise en charge, Nathalie Gourmelon (2001), nous
dit : « Non perçues ou occultées par certains, elles avaient déjà
contribué à semer les doutes chez d’autres, troublés par l’envahissement de ce
sentiment que quelque chose n’allait pas, n’allait plus ; quelque chose de
l’ordre d’une perte d’adéquation, entre un modèle et le monde qui
l’entoure » (p. 6). En fait, de façon parallèle à cette crise dans le
dispositif de soins, il s’est produit « un changement global de
perspective qui dépasse le seul champ de la toxicomanie » où l’idée de
l’éradication de la maladie commence à être remplacée par celle de la
préservation de la santé et d’un modèle curatif qui évoluait vers un modèle
préventif (Castel, 1993, p. 88 in Bergeron, 1999, p. 247).
Cet ainsi que « faisant écho à des
nombreux discours en termes de prévention, de solidarité, de citoyenneté, de
nouvelles pratiques se sont ainsi développées, centrées notamment sur des
approches dites communautaires destinées, à l’échelle locale d’une commune,
d’un quartier et dans les zones les plus fréquentées par ces populations, à
mobiliser tout un chacun et à élaborer un certain nombre d’actions
cordonnées » (Gourmelon, 2001, p. 2). C’est à partir de ce déroulement de
situations, que les institutions de soins sortent du champ de cette recherche,
même s’il faut reconnaître qu’elles sont à la base du dispositif de soins
français (historiquement et méthodologiquement) et que leur rôle dans le système
actuel reste à analyser.
Dans les nouvelles pratiques, dont parle
N. Gourmelon, la constitution d’associations de professionnels (psychologues,
éducateurs spécialisés, psychiatres, entre autres), d’habitants d’un quartier
intéressés par cette problématique et parfois aussi d’usagers de drogues
cherchant plus d’information et de supports au regard de leur pratique, est
devenue une voie expérimentale et alternative d’approche à la population
d’usagers, pour essayer de mieux la connaître et contribuer à l’orienter dans
des divers champs : sanitaire, juridique, social (hébergement, emploi,
etc.), psychologique ; en leur donnant de l’information sur les formes les moins dangereuses
d’usage et sur les substances. Toutefois, je ne peux pas aller jusqu’à affirmer
que toutes les associations travaillant dans le champ de l’usage de drogues
aient ces mêmes objectifs, étant donné la variété d’orientations qui y
existent.
C’est à partir d’un colloque appelé
« Toxicomanie et vie de quartier », en décembre 2001, que mon
attention s’est fixée sur l’association EGO. Ce colloque a été mené dans
l’immeuble de la Mairie du XVIII arrondissement, à Paris. Il a compté avec la
participation de plus de dix associations travaillant pour l’amélioration de la
vie du quartier - mais pas toutes liées au problème ponctuel de l’usage de
drogues - et aussi d’habitants du quartier, d’étudiants, de représentants à
l’échelle municipale et ministérielle. Parmi les sujets abordés, celui traitant
des espaces bas seuil a été le plus controversé. Ce débat m’a permis
d’apprécier comment la fonction et l’utilité sociale de lieux comme EGO (et
STEP, qui est le programme d’échange de seringues de l’association) étaient
déconsidérés par les uns alors qu’ils constituaient un vrai travail d’aide et de
prévention pour les autres.
Lors de mon premier contact avec cette
association (fin mars 2002), j’ai connu le local où elle fonctionne, une partie
du personnel et quelques usagers de drogues. Etant donné que ce premier contact
a coïncidé avec le jour où se font les réunions hebdomadaires de tous les
membres – UD inclus - j’ai pu y participer de manière directe. La première
personne rencontrée a été la coordinatrice du programme STEP (elle est parmi
les fondateurs d’EGO), Cécile Rougérie. Elle m’a raconté, d’une manière
globale, la genèse de l’association en 1987. Suivant son témoignage, le XVIII
arrondissement, et plus précisément le quartier de la Goutte d’or, a été
pendant des années un quartier précarisé et caractérisé par la co-habitation de
diverses communautés d’immigrés venant de pays en crise économique et sociale
ou appartenant à des classes sociales populaires. Ce quartier a eu pendant
longtemps des problèmes de prostitution, d’hébergements insalubres, de chômage,
avec une réponse inadaptée de la part de la municipalité à travers les
politiques publiques mises en œuvre. Donc, pour résoudre ces problèmes sans
recourir aux aides de la municipalité, voire de l’Etat, la communauté a
développé des formes associatives lui permettant d’agir d’une façon assez
directe sur les problématiques la concernant. C’est ainsi que s’est développé
une forte « culture associative » qui persiste jusqu’à nos jours.
EGO a été créée en tant qu’une
association à but non lucratif, qui a regroupé d’emblée des habitants du quartier
préoccupés par l’augmentation de la consommation et du trafic de drogues dans
les espaces publics, et de son incidence sur la vie quotidienne, tant
communautaire que familiale. Parmi ces habitants quelques professionnels
étaient intéressés par cette initiative et ont décidé d’y participer. C’est peu
après que les usagers de drogues sont arrivés pour faire partie de
l’association tout en aidant au travail de prévention (par des pratiques de
consommation moins risquées et leur promotion auprès d’autres usagers), mais
sans percevoir de rémunération.
La « lutte contre l’exclusion et la
reconstruction du lien social » des UD, la « reconnaissance de
l’individu, en passant par le respect des différences et la promotion de la
citoyenneté » sont quelques principes sur lesquels est fondé le
fonctionnement de ce groupe associatif[27].
Quelques objectifs très précis sont aussi présentés comme ses points
distinctifs. Accueillir, écouter et faire un « accompagnement social pour
l’accès aux droits, l’hébergement, les problèmes administratifs et juridiques,
l’accès aux soins, la substitution, le sevrage ou les séjours en
post-cure »[28]des UD et
même des quelques non usagers qui fréquentent l’association, représentent des
actions quotidiennes à EGO.
4.- Sociabilité, lien social et
stigmate
Comme je l’avais déjà souligné dans
l’introduction, le champ d’étude des formes d’interaction et la construction
des relations au sein des structures bas seuil, du point de vue des UD, est
resté jusqu’aujourd’hui très peu exploré, pour ne pas dire nullement exploré,
dans le domaine de la sociologie. Ceci fait qu’il n’existe pas de grilles
d’analyse particulières de ce genre de manifestations. Néanmoins, pour me
guider au décodage de mon objet d’analyse, j’ai décidé de suivre le
questionnement posé par Blanchard H.[29],
dans un essai analytique pour comprendre le fonctionnement du lien social.
Tout d’abord, il faut se poser la
question : comment se crée-t-il ? Ce qui nous renvoie à l’analyse des
processus, lieux et acteurs intervenant dans sa genèse. Ensuite, il est
nécessaire de se demander : comment fonctionne-t-il ? C'est-à-dire le
rôle joué à l’intérieur des formes sociales. En dernier lieu, il faut
analyser : comment évolue-t-il ? Et pour cela l’étude des causes de
sa transformation est indispensable.
On
retrouve déjà un essai théorique d’introduction des notions de sociabilité et
de lien social dans le rapport d’activité 2001 de l’association EGO. En partant
de la définition de « sociabilité » donnée par le dictionnaire, ils
proposent de la définir comme « une volonté active de produire du lien
social positif entre soi et
les autres »[30],
s’agissant dans notre cas d’un lien issu des interactions qui se produisent au
sein de l’accueil de l’association.
Pour approfondir ces notions, j’ai choisi
de partir d’une logique inductive, afin que les lecteurs puissent bien
appréhender le sens des hypothèses. Ainsi, je commencerai par la définition du
concept d’interaction suivie de celle de lien social, pour établir leurs
relations avec la notion de sociabilité.
Dans
toute société, communauté, groupe humain, etc., il se produit des échanges
symboliques et matériels particuliers, qui déterminent leurs dynamiques
d’interaction, c'est-à-dire leur fonctionnement. On peut parler d’interaction
comme d’une « action réciproque qu’exercent les partenaires –individus ou
équipes- d’un échange lorsqu’ils sont en présence les uns des autres »[31]
où encore, suivant la perspective de Simmel, comme « la relation de réciprocité qui peut lier deux
individus entre eux »[32].
De même, suivant les interactionnistes,
ces relations vont se construire –d’une façon certainement inégale- dans
le face à face entre les personnes classées dans des catégories sociales
défavorisées et le reste de la population, ce qui veut dire que même ceux qu’en
sociologie on a appelé les « exclus » où les « déviants »,
participent activement à la construction des liens sociaux qui les relient,
avec plus ou moins de force, à la société dont ils font partie.
Pour
que ces liens se créent, un processus d’interaction et d’échange est
indispensable. Ce processus est défini par E. Goffman (1967), comme : « La
séquence d’actions déclenchées par l’identification d’une menace pour l’image
de soi se terminant par le rétablissement de l’équilibre rituel » (p.19).
Cela signifie que toute interaction s’inscrit dans un rituel ou une série
« d’actions dont le composant symbolique permet à l’acteur de montrer
jusqu’à quel point il mérite d’être respecté ou jusqu’à quel point il sens que
d’autres méritent de l’être » (p. 19)[33].
Suivant la définition d’Hervé Blanchard,
le lien social est un « mode de régulation ou un régulateur des
comportements individuels et des rapports entre les individus, mais aussi un
régulateur des formes sociales »[34].
Ce mode de régulation se manifeste très concrètement sous la forme d’un
« support social » qui regroupe quatre dimensions : affective,
aide par l’amour, l’écoute, la reconnaissance émotive ; cognitive, aide
par l’information, le soutien pour la maîtrise intellectuelle des
situations ; matérielle, aide par l’accès aux ressources, la modification
favorable de l’environnement ; normative, par la validation de son rôle
social, la suggestion de comportements adéquats par rapport aux normes sociales[35].
Dans les sociétés occidentales
contemporaines et plus précisément, dans la société française (notre contexte
de travail), le déroulement des échanges entre les personnes, c'est-à-dire la
construction et le développement des liens sociaux, passe avant tout par
l’évaluation de leur accès au marché de travail et de leur capacité d’échange
au niveau commercial (ce qui inclut l’accès à des logements adéquats), de leur
accès au système de soins, de leur insertion culturelle et de leur capacité
d’adaptation par rapport aux normes sociales. Parmi tous ces facteurs, c’est le
travail comme indicateur d’autonomie qui facilite le plus la création d’un lien
social positif entre les
différents membres et pour autant, celui qui assure un bon niveau de santé
–physique et mental- à la population[36].
Pour
établir d’une manière claire la relation entre lien social et sociabilité, il
est indispensable de partir d’une conception holistique de l’être humain
considéré comme une unité bio-psychosociale avec ses orientations métaphysiques
et sociales. Sur le plan métaphysique, « la personne est inscrite dans une
recherche du sens à donner à la vie, dans la conquête de l’autonomie et de la
liberté »[37] et sur le
plan social, la personne se trouve dans une quête constante de relations avec
autrui, que nous appellerons sociabilité. Néanmoins, cette dimension
constitutive de l’humain se voit gravement altérée lorsque les différents liens
qui nous servent de support social s’affaiblissent, laissant la place à
l’installation du stigmate –en l’occurrence la pratique de l’usage de drogues
liée à des situations de précarité extrêmes-. Ainsi, la sociabilité devient,
plus qu’un processus naturel, le besoin impératif de rentrer dans une dynamique
qui complète le sens de l’existence.
5.- Un autre regard de la
réduction des risques. Pratiques et discours des usagers
Six
mois de stage se sont écroulés et, pendant ce temps là, une énorme quantité
d’échanges, d’actions et d’événements se sont déroulés. Chaque après-midi
passée à l’association
EGO a constitué une mine de significations
au niveau des interactions entre les usagers eux-mêmes et avec le personnel
salarié, les stagiaires, les bénévoles et les autres publics non usagers de
drogues. Ceci malgré la dureté qui représente travailler d’aussi près avec des
personnes dont la souffrance physique et psychologique arrive à dépasser notre
imagination,
Ici
je vais exposer de façon combinée, les informations recueillies à partir du
processus d’observation participative et des entretiens réalisés. L’analyse
sera faite en fonction des thématiques abordées par les UD et des séquences
d’interaction que j’ai distinguées au sein de l’association.
5.1.- Des actions orientées :
Une des premières choses qui frappent
lorsque l’on commence à rentrer dans le quotidien de cette structure, c’est la
multiplicité d’activités et d’orientations des actions des UD. A première vue,
on dirait qu’il n’y a pas de direction précise dans la dynamique de ces actions
et que c’est seulement après être passé quelques temps à l’intérieur de la vie
de l’association, qu’une délicate organisation se révèle. Lorsque je parle
d’organisation, je me réfère au système de fonctionnement des activités des UD,
qui vient s’insérer, bien évidemment, dans le système plus vaste de
fonctionnement du centre d’accueil dans son ensemble.
Il
est important de distinguer la façon dont un usager développait son
comportement et ses actions de celle des autres publics fréquentant la
structure. A partir de l’évaluation des personnes présentes et de leur humeur,
les usagers allaient leur serrer les mains, les saluer ou rentrer dans une
conversation. Parfois, il se pouvait qu’ils n’avaient aucun geste de politesse
en arrivant à l’accueil, mais cette façon de se conduire n’était pas la plus
courante et, bien au contraire, la plupart du temps les UD adressaient leur
bonjour à toutes les personnes présentes. Dans tous les cas, un comportement
impoli étaient toujours l’objet de remarques de la part des salariés et aussi
d’autres UD, ce qui conduisait les usagers à faire un travail constant de
négociation de leurs attitudes par rapport aux attitudes et aux activités des
autres personnes présentes.
De mon point de vue, ce travail de
négociation se traduit par des « actions menées par une personne pour agir
en concordance avec l’image de
soi projetée »[38] ;
celle-ci se trouve définie par Goffman comme « la valeur sociale positive
qu’une personne réclame pour elle-même à partir de la ligne que d’autres
assument qu’il a prise pendant un contact particulier »[39].
Si nous partons du fait que la plupart des UD qui vont à l’association EGO
n’ont pas de lieu fixe d’habitation pour se reposer dans des conditions
acceptables ; n’ont pas de travail où ils puissent développer une activité
rémunérée ; ne pratiquent pas d’activités leur permettant d’établir des
liens avec d’autres personnes en dehors du réseau de la consommation, et que
par ailleurs ils se trouvent rejetés de partout du fait de la condamnation
judiciaire, médicale et morale de leur pratique, il est facile de comprendre
que ces personnes cherchent à se redonner de la valeur à partir de la quête
d’une légitimité personnelle perdue ou fortement détériorée. Cette quête se
révèle d’autant plus difficile si l’on prend en considération la faiblesse des
motivations liées aux conditions de vie déjà mentionnées.
Ce qu’il faut préciser dans ce travail de
négociation et de construction, engagé par les usagers, c’est justement la
complexité du processus dans lequel ils se trouvent engagés. D’un coté, la
distension des liens et des supports sociaux est le champ propice à l’émergence
de comportements orientés vers la consolidation de ces forces de soutien et,
d’un autre coté, le même affaiblissement dont nous parlons, réfrène le
processus qui permettrait l’engagement de nouvelles formes d’interaction
nécessaires pour rentrer dans le rythme « normalisé » des pratiques
sociales et, pour autant dans des rapports sociaux moins contraignants et plus
favorables pour le développement et le bien-être personnels.
En
revenant sur la notion d’orientation des actions des UD dans l’espace
d’accueil, je dois dire que chaque usager de drogues développait des lignes
d’action assez précises. J’ai observé, chez beaucoup d’usagers, des séquences
d’action faiblement diversifiées, dont les buts se sont conservés tout au long
des six mois de stage. Par exemple, j’ai vu des UD qui venaient tous les jours
à l’association, à l’heure de l’ouverture, qui y passaient toute l’après-midi
et qui partaient à l’heure de la fermeture. Le parcours suivi par ces personnes
à l’intérieur du centre d’accueil a été rarement modifié, ce qui n’a pas
interféré avec l’évolution des interactions et des liens tissés, contribuant
ainsi au processus de resocialisation dont nous avons été témoin.
Venir
à EGO pour parler, pour faire un appel, pour lire les journaux, pour dormir sur
une chaise, pour se laisser aborder…. L’ordre des facteurs n’altérait pas le
produit puisque, de mon point de vue, toutes ces actions ont contribué de façon
progressive au rétablissement d’un ordre élémentaire dans les rythmes de vie de
ces usagers. Ce que je veux dire, c’est que grâce à la possibilité de répéter
certaines séquences avec certaines personnes, dans un cadre qui n’est ni
punitif ni rigide, les usagers peuvent arriver à récupérer un peu d’équilibre
face à l’incertitude continuelle de leur vie dans la rue.
Parallèlement, les UD ne peuvent pas trouver ce type
d’équilibre dans une institution de soins, étant donné que leurs contacts avec
elles se réduisent toujours à des moments très ponctuels et à des actions qui
sont encadrées dans une dynamique dont le cours n’est pas susceptible d’être
changé.
5.2.- Des services et prestations :
Dans cet espace d’interaction, il y avait
bien d’autres activités qui étaient plus insérées dans les services et les
prestations offerts par la structure. Je parle ici de tout ce qui touche à la
restauration, à la télévision, aux jeux de table et aux démarches
administratives. Bien évidemment, ceux-ci sont des services dont la valeur
pratique a été constamment revendiquée par les usagers de l’association :
« Je connaissais
pas du tout et c’était vraiment venir pour manger. A cette époque là je
touchais à l’héroïne et tout ça et je me suis dit tiens s’il y a un lieu pour
manger pourquoi pas ? »(M1,e.1,p.2)
Il serait presque naïf d’essayer
d’expliquer pourquoi ce genre d’activités est à la base du travail fait auprès
de ce public, mais c’est important parce que ceci me permet de mettre en
évidence la façon dont la réduction des risques est conçue et construite par la
structure et modelée par les UD.
J’ai repéré plusieurs séquences d’action
par rapport aux activités citées. La première, quant à l’ordre du déroulement
de l’action[40], a été la
prise de café, de thé et/ou de céréales. En pourcentage, sur chaque groupe de
cinquante personnes usagères de drogues, 76% (c’est-à-dire, 38 personnes)
engageaient ces activités dès leur arrivée à la structure. Les 24% restant,
faisaient aussi usage des services mentionnés, mais en les réservant pour
d’autres moments durant leur permanence dans l’association.
D’après mes observations et les
entretiens effectués, j’ai pu remarquer que les prestations de base mises au
service des usagers constituaient un premier point d’accrochage. Si EGO est
bien à mi-chemin entre les associations prestataires de services et celles qui
sont porteuses de projets, et qu’en l’occurrence les différents services
qu’elle propose constituent en quelque sorte une espèce de maille de
soutien ; les collations, les films, les journaux télévisés, les jeux de
table et les appels téléphoniques apparaissent comme le minimum indispensable
pour que les usagers puissent intégrer un rythme de vie journalier. A ce
propos, D. et M2 m’ont dit :
« Si j’ai un coup
de fil à passer je demande à passer un coup de fil, je passe le temps et après
je m’en vais » (e.3, p.11).
« je fais rien du
tout, je viens, je bois mon café, je vois les gens… » (e.2, p.15).
Spécifiquement, en ce qui concerne la
possibilité de téléphoner, il m’a semblé important de souligner son rôle dans la
dynamique quotidienne qui nous intéressait de mettre en évidence. Imaginons une
personne qui n’a pas de logement ni de téléphone fixe pour effectuer ses
appels. Cette personne est quelqu’un dont les liens de communications avec la
société en général sont très perturbés et qui, pour réussir à être en contact
avec d’autres, elle dispose de chances réduites. En lui offrant un espace où
elle peut téléphoner, non seulement vers des instances administratives ou
sanitaires mais aussi vers la famille, les amis ou d’autres particuliers avec
qui elle a une relation sentimentale ou d’amitié, il s’ouvre une espèce
d’interstice où se glissent des morceaux d’interaction qui ont été interrompus.
Ces interstices contribuent à l’établissement d’une routine d’interaction qui
est à la base de la construction du réseau des liens sociaux de chaque
personne :
« Ici je peux
appeler quand je veux et à qui je veux : le psy, l’A.S., et même à ma
mère. Très souvent j’ai pas de carte parce que j’ai pas de tunes et donc, je
viens ici pour les rendez-vous où pour savoir comment ça se passe chez moi.
C’est qui est dommage c’est qu’ils te laissent pas faire les portables ».
(A.,e.6,p.16)
Evidemment, pas toutes les personnes font
usage de ce service et je pourrais même dire que sur cinquante personnes juste
22 d’entre elles (44%) demandent à y passer des appels téléphoniques.
Si nous partons du fait que la
communication représente un lien fondamental dans la relation entre les
individus, garante de la construction des identités personnelles et des places
occupées par ces individus dans la société dans laquelle ils vivent, il n’est
pas étonnant que la place du téléphone dans l’univers symbolique des usagers
soit construite comme un pont entre leurs besoins d’ordre communicatif[41]
et leurs différents interlocuteurs.
Il est évident que, sans les services
dont je parle le maintien d’un équilibre par rapport à la présence et à la
participation des usagers de drogues dans la structure, serait douteux. Donc,
je ne peux que conclure que, étant donnée la situation de grande précarité dans
laquelle se trouve ce public, l’offre de services basiques est plus que
nécessaire, voire indispensable.
5.3.- Des moments formels de participation et de
re-construction de liens :
Comme
je l’avais déjà dit dans la partie théorique de cette recherche, l’association
EGO dispose de moments bien précis de rencontre et de partage entre les usagers
eux-mêmes et avec d’autres publics venant à la structure. La formalité de ces
moments répond au fait qu’ils entrent dans la catégorie de
« réunions », lesquelles sont déjà bien encadrées dans le
fonctionnement interne. De ce fait, je vais faire référence à deux des réunions
les plus importantes: celle du mercredi soir et celle du comité des usagers.
La
première réunion à avoir été instaurée et qui, d’ailleurs, a donné naissance à
l’association EGO, c’est celle du mercredi soir[42]. Cette réunion prétend être un espace ouvert à tous
ceux qui veulent participer aux nouvelles hebdomadaires de la structure et aux
différentes discussions qui y ont lieu. Ici, usagers, bénévoles, salariés,
stagiaires et invités, se rencontrent pour essayer de re-construire ensemble un
projet qui vise à aider les usagers en se solidarisant avec eux mais qui, à la
fois, cherche à remettre en cause la vision encore prédominante où la pratique
de l’usage de drogues constitue, sinon un délit, une maladie qui a pour cause
la consommation d’un produit illicite.
Même
si dans cette réunion, la fréquentation des usagers est basse par rapport aux
autres publics, il n’est pas inintéressant d’analyser le fonctionnement de
cette participation. Des 20 réunions auxquelles j’ai participé, la moyenne
d’usagers de drogues a été de quatre sur un total moyen de 11 personnes.
Plusieurs éléments dans les discours et les attitudes des usagers, m’ont
indiqué que l’horaire, mais aussi l’organisation, de la réunion avaient une
influence directe sur les variations de présence – absence des usagers.
En
ce qui concerne l’horaire de la réunion, plusieurs remarques ont été faites. En
partant du fait que le début est à 18h30 et qu’elle dure jusqu’à 20h30,
beaucoup d’usagers se sentaient contraints d’y aller car pour eux, ce moment de
la journée est celui de la quête du produit, du repas du soir, de la rentrée
aux différents centres d’hébergement ou du début du travail. Ainsi, même
lorsqu’un usager venait à la réunion, il partait, presque toujours, avant
qu’elle ne finisse et, évidemment, avant le départ des autres personnes
présentes à la réunion. Les mots de M2 illustrent bien cette idée :
« J’aime bien
participer à la réunion d’EGO. Mais comme j’ai pas beaucoup de temps, la
réunion commence à dix huit heures donc moi je commence mon travail à dix huit
heures, c’est pour ça que j’ai pas le temps. Sinon j’aime bien pour parler
quelque chose dans la réunion »(e.2, p. 10)
Cette
façon d’expérimenter la réunion collective de la structure, fait que sa
construction comme espace de participation reste inégale en ce qui concerne
l’engagement des différents publics concernés. D’après mes observations,
presque tous les usagers de drogues avaient conscience de l’existence de cet
espace et ils le concevaient comme un moment potentiel de partage
d’informations et de participation directe dans la vie de la structure.
Quelques-uns d’entre eux savaient que cette réunion leur permet de s’exprimer
librement sur des sujets les concernant et reconnaissaient l’importance d’en
faire partie et de la conserver. Cependant, il y avait une proportion du public
d’usagers que, malgré sa connaissance de la réunion, ne voyait pas l’intérêt
d’y participer activement. Suivant mes réflexions, ils expérimentaient une
certaine appréhension de la possibilité d’être interpellés, alors que sa
parole, en dehors du cadre de l’association, n’est presque jamais sollicitée.
« Je connais la
réunion du mercredi soir et je viens presque toujours. Je viens parce qu’il y a
rien à faire, mais je ne parle pas aux réunions »(e.4, p.13)
Nécessairement,
l’idée d’un échange publique d’opinions n’est pas facile à assumer lorsqu’on
vous a toujours écarté de la scène sociale d’expression. Toutefois, certains
rapprochements à cette opportunité se sont opérés pendant le temps dont j’ai
travaillé dans l’association. Au moins une dizaine d’usagers de drogues se sont
intégrés, de façon régulière, à cette expérience. Ils ont commencé par venir
sans intervenir dans le déroulement de la réunion, après ils se sont intéressés
aux sujets discutés et, enfin, ils ont vu qu’ils pouvaient prendre la parole et
prendre position quand ils le voulaient.
Quant
à la structure et l’organisation de cette réunion, les usagers ont eu des avis
tout à fait divers. Il faut, tout d’abord, savoir que la réunion du mercredi
soir a une structure assez précise qui lui donne de la cohérence. Elle commence
toujours par la présentation de chaque participant, suivie d’une présentation
résumée de l’historique de l’association, qui est faite, de manière générale,
par un des salariés ou des anciens bénévoles. Ensuite, on effectue le
« compte-rendu de l’activité de l’accueil », ce qui comprend les
chiffres correspondant au nombre de « passages » d’usagers de drogues
et d’autres publics par semaine, les nouvelles des gens, le courrier aux
détenus, les nouvelles sur le comité des usagers et sur le journal ALTER EGO.
Postérieurement, un compte-rendu de l’activité de STEP (programme d’échange de
seringues de l’association) et de la Coordination Toxicomanies 18 (organe de
médiation entre les habitants, les associations et la scène de la drogue, au
niveau du 18ème arrondissement) est effectué pour ensuite laisser la
parole aux nouveaux participants et à tous ceux ayant envie de discuter sur une
thématique particulière.
La structure de cette organisation permet
de voir de façon plus claire, les possibilités d’accroche des UD aux modes de
fonctionnement propres à l’association. Il suffit d’être présent à la réunion
pour voir que chaque usager s’intègre d’une manière différente, mais aussi
qu’il existe des aspects pour lesquels, régulièrement, ils ne participent pas
comme la présentation et l’historique, par exemple. Evidemment, ce déséquilibre
fait partie d’une dynamique qui serait tout autre si les usagers participaient
à la réunion de la même façon que le reste des membres de l’association, ce qui
n’est ni possible ni forcément souhaitable au regard de mon optique d’analyse.
A la fois, ce qui m’a impressionné à
plusieurs reprises, c’est que les usagers qui prenaient la parole une fois,
continuaient à le faire sans arrêt pendant tout ce qui restait de la réunion.
Une quantité énorme d’informations et une forte envie de s’exprimer se trouvent
étouffées par leurs circonstances de vie. Ils ont su investir cet espace comme
moyen de libérer ces potentialités.
En ce qui concerne les rubriques fixes de
la réunion, une grande quantité d’usagers ont déclaré ne pas comprendre, par
exemple, l’intérêt de donner des chiffres sur la fréquentation du lieu ou sur
le nombre de démarches faites dans la semaine. Ils disaient savoir que
l’association est un vrai lieu de travail et que, pour autant, il n’était pas nécessaire
de justifier avec des numéros l’action qu’elle développait.
Les sujets en relation avec les
expériences personnelles des usagers ont été soulevés de façon alternée soit
par les UD eux-mêmes, soit par d’autres publics. J’ai vu comment des problématiques
vécues par les usagers de drogue dans la rue, ont du être dénoncées par les
bénévoles (qui en grande partie sont des habitants du quartier) puisqu’elles
étaient devenues « normales » pour les UD. C’est le cas pour les
rapports avec la police, de quelques « descentes »[43]
et de maltraitances, ce qui ne veut pas dire que les problèmes rencontrés par
les UD soient toujours liés à la répression policière, mais qu’étant donnée la
fréquence avec laquelle ces épisodes ont lieu, les usagers les considèrent comme
faisant partie de la dynamique quotidienne de leur vie à la rue.
D’autre part, un des problèmes signalés
de façon systématique par les usagers, comme étant la source d’une gêne très
forte, a été celui des jeunes du quartier et de leurs agressions envers eux.
Lorsque les UD parlaient de « jeunes », ils précisaient qu’il
s’agissait de garçons du quartier, avec des âges compris entre 13 et 16 ans,
qui traînaient dans les rues avec l’intention de cambrioler, de faire des
petits business ou qui s’étaient mis à la vente de quelques produits, tels que
le crack et le haschish (shit). Etant donné que les usagers passent une bonne
partie de leur temps dans la rue, ces jeunes là, profitent de leur faiblesse,
autant physique, psychologique[44]
que sociale[45], pour les voler
ou pour leur faire payer des taxes sous
la forme de « péages ».
Si cette problématique n’est pas restée
toujours présente dans le discours des UD, elle a marqué, de manière très
forte, une période de temps d’environ un mois, pendant laquelle autant les UD
que les autres usagers de l’association ont réfléchi à plusieurs possibilités
de démarches pour la résoudre. Autant dire que j’ai vu le problème diminuer,
par rapport à sa présence dans le discours des usagers.
Le
comité des usagers est le nom de la
réunion où les UD discutent entre eux –et avec leurs invités éventuels- sur les
sujets qui les intéressent. Elle a lieu, les lundis, une fois par semaine, bien
que parfois, du fait du manque de participation, elle ait dû être reportée. Si
pendant la durée du stage, il y a toujours eu un délégué (usager actif) chargé
de mettre en marche la réunion et d’assurer son déroulement, cela n’a pas
réussi à garantir qu’elle se passe d’une façon régulière. Cette absence de
régularité a remis en cause, de façon répétée, le fonctionnement et même
l’existence de la réunion.
L’observation
de la façon dont les UD s'incorporaient à cette réunion, a été très riche pour
l’analyse de leurs modes de participation et de construction du modèle de la
réduction des risques à l’intérieur d’EGO. La plupart du temps, il a fallu
convoquer les usagers plusieurs fois avant qu’ils se joignent définitivement à
la réunion et un important travail de négociation a été nécessaire, où ceux qui
étaient présents au début (généralement le représentant du comité, un salarié
et plusieurs stagiaires) devaient faire trois ou quatre appels vers l’accueil
pour que quelques UD finissent par s’asseoir et s’intégrer.
Certainement, le fait d’être présents à
la réunion n’a pas toujours impliqué la participation directe des usagers et
pourtant, cette participation est restée plutôt active. En dehors de quelques
UD qui profitaient de ces moments pour reconstituer leur énergie en dormant, la
plupart d’entre eux ont pratiquement toujours donné leur opinion autour des
thèmes qui avaient été recueillis par le « bouche à oreille », dans
l’espace d’accueil ou dans la rue, et qui avaient été considérés comme
importants à discuter.
Il reste intéressant de souligner qu’en
ce qui concerne les thèmes à traiter, les UD ont toujours été la source, même
lorsqu’ils ne les ont pas proposés directement avant ou au moment de la
réunion. C'est-à-dire que ces thèmes ont parfois été recueillis par les
salariés ou les stagiaires à partir de conversations informelles avec les usagers.
J’ai eu l’opportunité, encore une fois, de remarquer que l’accès des UD à la
parole ou plutôt, l’élaboration et la discussion d’un grand nombre de sujets,
leur restait particulièrement difficile et que c’était souvent leurs
interlocuteurs qui faisaient le lien entre cette parole en formation et son
expression publique.
Dans la réunion du comité des usagers il
a été question des problèmes d’hébergement, des inconvénients avec les
traitements de substitution, des changements dans le flux du deal, des modes de consommation, des problèmes avec la
police, de la justice, des services sociaux et sanitaires, des lieux de
consommation, entre autres. Tous ces sujets ont été abordés de façon
collective, sous une optique d’analyse et de recherche de solutions et en aucune
occasion je n’ai observé que des démarches du type des « groupes
d’entraide » aient été engagées, c’est-à-dire qu’on n’est jamais rentré
dans des débats approfondis sur des sujets intimes, mais par contre, ceux qui
ont été discutés ont toujours fini par donner lieu à des accords sur la mise en
œuvre d’actions concrètes. Par exemple, la création d’une campagne de
conscientisation des usagers sur le besoin de ne pas consommer dans les cages
des escaliers des immeubles, ni dans les lieux publics voisinant les écoles où
les messages de prévention et le dessin central ont été proposés par les UD
eux-mêmes.
Quant aux compromis relatifs à la durée
de la réunion, j’ai remarqué que très peu d’usagers restaient jusqu’à la fin.
Après avoir discuté sur un sujet les concernant, fréquemment, les usagers partaient laissant toujours
une justification de leur départ, laquelle s’est toujours expliquée par un
rendez-vous quelconque. Ce mode de participation m’est apparu assez
significatif en relation aux formes d’interaction propres de ce public à
l’intérieur de la structure. Habituellement, dans les milieux sociaux non
marginalisés, les modèles de participation aux réunions privées et collectives
partent d’une organisation qui, même en restant flexible, régule leur fonctionnement.
Le fait de rester jusqu’à ce que la réunion soit finie constitue l’une des
règles les plus souvent respectées.
Ce public fonctionne d’une manière assez
irrégulière, mais pas arbitraire, c’est-à-dire que si, très souvent, il se
structure autour de pratiques de « passage » où la transition présence / absence est
très marquée, il le fait en partie à partir d’une logique particulière qui
répond à la dynamique du monde de la rue et, spécifiquement, à celle de l’usage
de drogues des personnes en situation de grande précarité. Ces modes d’action
sont influencés par les modes d’interaction des usagers entre eux et avec les
non usagers. En même temps, ils les déterminent, dans la mesure où ils sont
toujours référés à des situations qui mettent en jeu le rapport à autrui et qui
leur donnent du feedback. C’est à partir de la négociation entre les façons
d’agir des parties ici impliquées qu’on peut parler d’établissement de
compromis et de construction de liens sociaux autres que ceux qui sont
expérimentés au jour le jour par les UD.
5.4.- Les grands thèmes :
L’association EGO est un espace de
construction collective par excellence. Sa vision du travail communautaire et,
même, sa configuration spatiale, permettent et incitent au développement des
interactions entre les personnes présentes à l’accueil ; ces échanges
sont à la base de la production commune de sens autour de thèmes divers.
Comme je l’avais déjà mentionné, pendant
la durée du stage, il y a eu des sujets particulièrement significatifs,
manifestés dans les discours et les pratiques des usagers. J’en ai repéré
huit : 1) la légalisation des drogues, 2) la reconnaissance des usagers en
tant que citoyens, 3) les problèmes d’hébergement et d’accès au marché du
travail, 4) les inconvénients avec les traitements de substitution, 5) les
changements dans le flux du deal,
6) les problèmes avec la police, la justice, les services sociaux et
sanitaires, 7) les problèmes autour des lieux de consommation, 8) les liens
affectifs avec l’association. L’analyse de chacun d’entre eux nous permettra de
mieux comprendre la façon dont ces problématiques ont intégré et imprégné
l’espace bas seuil en question et la manière dont elles ont trouvé leurs
différentes issues.
1) La légalisation des drogues :
ceci a constitué un sujet récurrent qui, étant donné le cadre prohibitionniste
de la législation française en matière de drogues, n’a pas cessé d’être évoqué
et qui est resté comme un thème de discussion sans possibilités concrètes de
changement.
Les usagers de drogues qui ont fréquenté
l’association EGO entre décembre 2002 et juin 2003, ont été des personnes avec
des discours et des pratiques très diversifiés par rapport à la légalisation
des drogues. Cela, contrairement à ce que l’on aurait pu penser dans une
optique extérieure à la consommation de substances psychoactives ; une
grande quantité d’usagers ont exprimé leur méfiance à l’égard de la
légalisation. En ce qui concerne la légalisation du cannabis, presque toutes
ces personnes ont manifesté un accord, centré sur le fait de que cette
substance apportait plus d’avantages que de risques, mais la discussion autour
des autres substances est restée ouverte.
Le crack, l’héroïne, la cocaïne,
l’ecstasy, entre autres, ont été considérées, par beaucoup d’usagers, comme des
drogues très puissantes avec un usage difficile à gérer. Ceci dit, la plupart
des UD soutenant cette position étaient des consommateurs substitués[46]
ou actifs qui, de par leurs expériences, considéraient que l’usage de drogues
avait détruit leurs vies et que un sujet comme la légalisation ne devait pas
faire l’objet de discussions. Pour eux, il était évident que la légalisation
des drogues impliquerait une augmentation nette de la consommation, ce qui
entraînerait l’augmentation de la précarité et de la marginalisation.
Cette vision de la relation usage de
drogues – dégâts sanitaires et sociaux, nous montre que, pour ces usagers, il
existe une d’unilatéralité : la consommation constitue la cause des
dommages soufferts, ce qui vient contredire le positionnement de la réduction
des risques où la précarité dans laquelle se trouvent les usagers, plus que
produire, contribuerait à accroître l’usage de produits.
Dans ce sens, ces usagers agissent en
concordance avec leurs points de vue et, très souvent, se considèrent comme des
malades qu’il faudrait soigner. Cette construction est évidemment renforcée par
le discours médical et se trouve habituellement accompagnée d’une conception de
la relation Etat – toxicomane tournée vers le besoin d’assistance et de
soutien. A travers les organismes publics, créés dans ce champ, l’Etat doit
s’occuper des besoins sanitaires et sociaux des usagers de drogues comme s’il
s’agissait de diabétiques ou d’handicapés, mais jamais comme des malades
mentaux. Le « fou » est une construction à caractère péjorative qui ne
s’approche pas de l’auto-image de l’usager de drogues, car le rapport avec la
psychiatrie reste assez éloigné de leurs discours comme de leurs
pratiques.
Avec des conceptions plutôt
condescendantes envers la légalisation ou la dépénalisation de l’usage de
drogues, d’autres UD entraient généralement dans des discussions animées avec
ceux qui exprimaient un rejet de cette option. Les défenseurs de la
légalisation, qui le plus souvent étaient de consommateurs actifs non
substitués, ont toujours revendiqué leur condition d’usagers en même temps que
leur condition de citoyen à part entière. Sans assumer la consommation de
drogues comme un handicap, ces UD parlaient d’usage à moindre risque, de
régulation de la consommation et de prévention. Pour eux consommer des drogues
n’est pas une pratique anormale, mais plutôt une activité récréative, capable
de réjouir l’esprit et le corps si elle est accompagnée des conditions de vie
appropriées, telles qu’un travail, un chez soi et l’accès à l’assistance
sanitaire et aux services sociaux publics, en général.
Paradoxalement, les UD auxquels je fais
référence, étaient très fréquemment des personnes n’ayant pas des bonnes
conditions de vie avec une consommation de substances assez importante. Du fait
de leur consommation plutôt abusive et de leur rejet total de la substitution,
ces usagers étaient entrés dans un cercle vicieux qui ne les aidait pas à
retrouver l’état d’équilibre dont ils parlaient, ce qui leur faisait passer, de
façon violente, de périodes de non usage
à des usages intensifs, les laissant habituellement avec un énorme
sentiment d’échec.
2)
La reconnaissance des usagers en tant que citoyens : ceci est sujet
délicat à analyser, dans la mesure où, a priori, nous pourrions penser que
chaque usager, de même que n’importe quelle autre personne, est censé se
concevoir comme une personne avec des devoirs et des droits sociaux, à exercer
et à réclamer, respectivement. Les usagers que j’ai observés à EGO, se
divisaient entre ceux qui se considéraient comme des personnes handicapées et
ceux qui se percevaient comme des gens « normaux », et cette
distinction fait toute la différence par rapport au regard porté sur la
citoyenneté et de leur façon de s’impliquer dans la vie quotidienne du quartier
et de la ville.
Se
percevoir comme un malade dont il faut prendre soin, nous renvoie à l’idée que
nous avons affaire à des personnes qui sont quelque part plus fragiles que les
autres et cette fragilité impliquerait une moindre charge de responsabilités
envers la société. Ainsi, une telle position cherche à mettre en avant les
faiblesses de ce public, pour réussir à avoir un maximum de soutien et de
bénéfices provenant de services prêts à le faire. La notion de
« malade » permet parfois de justifier leur consommation tout en les
laissant dans une situation de décalage par rapport aux personnes
« saines ».
Inversement,
j’ai rencontré des usagers de drogues qui revendiquaient sans cesse leur
condition de personnes, de citoyens ayant une pratique particulière, laquelle,
à aucun moment, ne devait interférer avec le respect des normes sociales et
qui, d’ailleurs, méritait d’être reconnue et respectée par la société. Pour
M1 :
« Il y a beaucoup
d’associations et de gens et de structures et tout ça, qui prennent le
toxicomane pour quelqu’un d’irréfléchie, d’irresponsable sans raisonnement ni
quoi que ce soit, tu vois ? »(e.1,p.1)
Dans ce sens, il est évident qu’il existe
une quête de légitimité qui permet aux UD de rentrer dans des rapports sociaux
plus fluides et de rétablir des liens qui les aident à mener une vie moins
contraignante et plus joyeuse.
Toutefois,
nous pouvons retrouver dans les deux groupes le besoin d’introduire dans leur
vie un « mode de régulation » des interactions, des rapports entre
eux et les autres individus. La notion d’échange, définie par Goffman E. (1967)
comme « la séquence d’actions mises en œuvre au travers d’un travail
appris de l’image propre, qui termine avec la restitution de l’équilibre
rituel » (p. 19), nous illustre bien l’idée de la régulation. Il faudrait
reconnaître que les personnes, de manière générale, ne peuvent pas se maintenir
constamment dans des rapports conflictuels, pour adhérer à l’idée que pour les
usagers de drogues les plus marginalisés, l’équilibre minimum dans leurs
relations est complètement altéré et cherche à être rétabli.
Il
n’est pas vain de rappeler, que les UD que j’ai rencontrés ont des conditions
de vie extrêmes qui les obligent à rentrer dans des rapports de force qui
répondent aux besoins de consommation, d’argent, de survie. Ce genre de
rapports a la spécificité d’être, le plus souvent, d’un caractère agressif qui
cherche à garantir la réussite de l’échange. Ainsi, il n’est pas surprenant de
voir que, lorsque ces usagers entrent en interaction avec d’autres personnes à
l’intérieur de la structure, il y a, continuellement, des moments de grande
tension où l’agressivité devient intenable et même dangereuse :
« Y a du bon et y a
du mauvais, il faut supporter. Tout le monde venait, ça gueulait. Il y a un qui
est tombé, je crois qu’il a agressé un accueillant. C’est grave, ça peut
t’arriver aussi, ici vous êtes trop gentils »(D.,e.3, p.11)
Aussi, M1 nous raconte par rapport à son
propre comportement envers les autres dans l’association :
« Je reconnais qu’à
un moment donné j’étais très mal dans ma peau parce que j’avais cru avoir été
contaminé. J’avais pas eu le courage d’aller faire un dépistage. Après moi-même
je me suis rendu compte que j’étais vraiment désagréable, mais alors, c’était
par rapport… j’étais persuadé que j’étais contaminé, persuadé et tu sais quand
dans ta tête tu es persuadé, j’avais l’impression que même dans mon corps il y
avait quelque chose qui se transformait et tout ça, tellement le psychologique
a influence sur le physique tu vois ? C’est mortel. Et jusqu’à un jour un
ami m’a dit : je vais avec toi quoi qu’il arrive, t’inquiète pas. J’avais
passé le test et par contre il y avait rien du tout. Tout est rentré dans
l’ordre et c’est pas pour ça qu’ils (les accueillants) m’ont tenu en
rigueur »(e.1, p.6)
Au bout d’un certain temps, les
situations gênantes finissaient toujours par s’arranger à partir d’un travail
de négociation mené conjointement entre les personnes en conflit et un
intermédiaire qui est souvent un salarié de l’association.
Si nous considérons que la dynamique de
cette structure peut être analysée comme s’il s’agissait d’une forme sociale
quelconque, nous pourrions dire que le « lien social », tel qu’il est
défini par Blanchard H. (1997), fonctionne ici d’une façon très particulière
mais qui ne cesse pas de contribuer au maintien et, le cas échéant, au
rétablissement, de la cohérence et de la logique du fonctionnement de cet
espace. Ici, la particularité du lien, telle que j’ai pu l’observer, c’est
qu’il est en pleine re-construction, c’est-à-dire que les modes de manœuvre
dans lesquels il s’inscrit sont sensiblement différents de ceux que l’on peut
repérer dans la vie sociale quotidienne, celle dirigée par les normes sociales
qui, en l’occurrence, discréditent, interdisent et sanctionnent la pratique de
l’usage de drogues.
La façon dont se tissent ces liens répond
tant à la dynamique interne de la structure bas seuil comme aux différentes
logiques de vie de ces usagers en dehors de l’association. A partir de
l’expérience acquise durant plus de quinze ans, EGO a une compréhension assez
satisfaisante de la pratique de l’usage de drogues, au moins en ce qui concerne
le XVIII arrondissement, et fait preuve de son savoir faire. Le projet de cette
association part du constat de la désocialisation progressive dont ces usagers
font partie et essaie de les rapprocher, à nouveau, des modes d’interaction
dont je parlais antérieurement.
Mon interprétation, pour les usagers
rencontrés, veut mettre en évidence que la construction symbolique de cet
espace bas seuil correspond à une coupure par rapport à la rue ; en même
temps, il constitue un lieu de négociation constante avec autrui qui demande l’adoption
d’une attitude personnelle plus souple, ce qui d’après mes observations, les
confronte, parfois à une tâche assez difficile :
« J’ai trouvé que
c’était un milieu convivial, où on se demandait qui était qui et quoi et ce qui
faisait EGO exactement on n’arrivait pas à le voir, ça se voyait pas. Pour moi
c’était un salon ouvert à la rue, plus qu’une association qui faisait des
démarches, parce que même les démarches il y a six ans en arrière on les voyait
pas, pas aussi évident que maintenant. Même si c’était la rue deuxième partie
c’était un lieu de respect mutuel, de tranquillité…moi c’était plus par rapport
à un break à la rue, je venais ici parce que bon j’avais les moyens de me
défoncer la gueule vingt quatre heures sur vingt quatre, à cette époque là j’avais
pas mal de tunes, mais ça m’intéressait pas, parce que moi j’y prends plaisir
c’est genre le soir, et en fait le fait d’être venu ici c’est là où j’ai
commencé à me défoncer la journée, ça m’a incité » (K., e.5, p.14)
En conclusion, la notion de citoyen, bien
qu’elle soit présente dans beaucoup des discours, reste ambiguë surtout en ce
qui concerne les pratiques. Pourtant, cela constitue un objectif incontournable
des UD et de l’association si l’on vise à dépénaliser l’usage de drogues et à
re-légitimer la place sociale des personnes qui le pratiquent.
3)
Les problèmes d’hébergement et d’accès au marché du travail: se
trouvent d’entre les plus conflictuels de par leur constitution et leurs
possibles solutions. Ils ont été signalés expressément par les UD durant toute
la durée du stage, mais ils étaient d’une telle évidence que je les ai détectés
à partir des signes comme la fatigue continuelle des UD et leur tendance à
s’endormir, avec une facilité surprenante, dans n’importe quelle situation ou
moments donnés.
Lorsque je parle d’hébergement,
je fais référence à un lieu fixe d’habitation. Il pourrait s’agir d’un lieu
propre, loué ou d’un centre d’hébergement, capable d’offrir non seulement de la
sécurité sinon aussi un statut « digne » aux yeux de la société. Tout
d’abord, il faut considérer l’importance qui représente, pour toute personne
vivant dans un contexte urbain, le fait d’avoir où dormir, se reposer, manger,
se laver, etc. La disposition de ces espaces où se déroule la vie privée,
constitue un support physique et psychologique de première ligne qui contribue,
selon les conditions dans lesquelles elle a lieu, au bon développement de la
vie sociale de chaque individu. Les sensations de tranquillité et d’assurance
qui s’y dégagent, à part d’être incontestables, constituent des facteurs
nécessaires mais non pas suffisants pour le maintien de l’équilibre dans les
interactions. Avoir un « chez soi » est, en l’occurrence, une des
bases subjectives aidant à la bonne conformation de la confiance personnelle.
D. nous dit :
« Y en a qui
veulent s’en sortir mais c’est qu’ils ont pas les moyens déjà, pour avoir en
endroit stable, pour pouvoir se reposer, par exemple, le week-end, si tu n’as
pas un endroit pour te reposer, tous les matins on te réveille on te dit bon
c’est huit heures débout, tu t’en fous, t’as pas dormi dans toute la nuit, au
Sleep-In on ne dort pas bien, y en a qui foutent le bruit toute la journée à
coups de briquets, toute la nuit…. comment tu veux penser à aller chercher du
travail ? »(e.3, p.11)
Ce récit, nous permet de rentrer directement dans la
problématique des UD par rapport à leur accès au marché du travail. La
précarisation dont ils font partie, n’est qu’une évidence supplémentaire qui
s’ajoute à leur manque de revenus fixes, au-delà du RMI qui lui-même n’est pas
perçu par tous les usagers. Mais, il est impératif de souligner que cette
situation de déséquilibre et d’incertitude, aggrave la problématique de
l’insertion de ces UD dans des postes de travail leur permettant d’assurer des
conditions minimales de vie. La quête de travail, dans le cadre de la dynamique
de la structure, est perçue par D. comme particulièrement difficile :
« Avant je venais
plus souvent mais maintenant j’ai des choses à faire, avec des amis, des
démarches. C’est pas en restant ici qu’on a des relations pour travailler, on
devient plus feignant en restant tout le temps ici, ça te motive pas à chercher
du travail, t’es toujours en train de réfléchir, tu sais pas quoi
faire »(e.3,p.12)
La plupart des UD qui fréquentent
l’association EGO sont sans travail. Ce constat nous aide à comprendre le fait
qu’il y ait autant d’usagers qui restent sur place une bonne partie de
l’après-midi. Cependant, bien qu’il existe un public d’ « habitués »
qui arrivent dès l’ouverture de l’association et qui peuvent rester jusqu’au
moment de la fermeture, il y a pas mal d’usagers qui passent, réalisent des
démarches très concrètes puis ils partent et ceci d’une façon journalière.
Le manque généralisé d’activités est un
fait qui éclate aux yeux de n’importe quel observateur et qui, d’ailleurs, est
exprimé par les mêmes usagers :
« Je parle avec les
gens, j’ai rien à faire »(S.,e.4,p.13)
Précisément, il m’a été possible de voir
qu’en ce qui concerne les activités salariées, leur place symbolique est
construite, par quelques usagers, comme un fait imminent :
« Je sais que
demain je vais reprendre, quand je dis demain, dans les jours qui s’approchent,
je vais reprendre une activité professionnelle, j’attends juste des
confirmations et tout ça, et je sais que demain je vais travailler parmi les
gens « normaux », comme on dit, mais je veux dire rentrer dans le
moule travail, dodo, boulot et compagnie, et je ne pourrais pas m’empêcher de
ne pas venir de temps en temps à EGO »(M1,e.1,p.7)
L’importance de
réaliser un travail, va au-delà de la rémunération perçue et s’inscrit dans un
processus très complexe de reconstruction de l’image de soi, à partir de la
reconnaissance sociale donnée par l’entourage groupal immédiat. Ce processus
est bien manifesté par K. lorsqu’il nous dit :
« Les anciens, ils
me renvoient un respect que j’ai pas exigé du fait que je bosse ici, surtout
avec les filles usagères. Il y a F. l’autre fois qui m’a sorti, parce que bon
je te raconte, je marchais en arrière et je lui ai rentré dedans, je faisais
pas gaffe qu’elle était dans mon dos, et elle s’est mise sur le côté et puis
elle me fait « ouais regarde où tu vas » et je luis fais
« pourquoi ça te dérange que je te touche avec mes
fesses ? » et elle me
dit « non, c’est parce que je te respecte trop ». Ça fait pas
longtemps que je la connais, donc tu vois cette réaction de me dire « je
te respecte trop », d’où elle vient ? »(e.5,p.14)
Et lui-même nous
raconte, en relation avec l’évolution de ses activités comme travailleur
salarié dans l’association :
« …. Au début tout le monde me
faisait ressortir que j’avais beaucoup apporté à l’assos et tout mais je le
voyais pas spécialement, mais maintenant je m’en aperçois ouais, parce que je
vois des actions des idées qui mûrissent, je trouve qu’on balance pas mal
d’idées mais on n’a pas assez de réflexion dessus avant de les mettre en
pratique. Et je trouve que depuis que, à la limite, je m’investis un peu plus
sur un peu tout ce qui se passe à EGO, je crois qu’il y a une meilleure
ambiance qui s’est créée. Je sais pas si ça vient de là. »(K.,e.5,p.15)
D’après mes
observations, et même s’ils existent quelques UD qui ne manifestent pas d’intérêt pour trouver
du travail, je peux dire que les références discursives des usagers, sur le
fait de recommencer leurs activités salariées, ont été très fréquentes. Le
besoin d’argent et d’occupation du temps libre a constitué un des thèmes les
plus récurrents dont le souci, de la part des usagers, a été exprimé plus dans
les discours que dans les pratiques concrètes de recherche d’emploi.
4)
Les inconvénients avec les traitements de substitution : ils ont
fait partie du quotidien de mon stage. Constamment j’ai été confrontée aux
dégâts, plus qu’aux bénéfices de ces traitements et ceci, le plus souvent, à
cause des détournements pratiqués dans l’usage des médicaments.
La méthadone et le
Subutex, qui sont les produits de substitution par excellence utilisés en
France, sont pris de façon à ce qu’ils produisent des effets de
« défonce » qui ne ressortiraient pas s’ils étaient consommés tels
q’ils sont prescrits par les médecins. Au lieu d’être bue, la méthadone est
parfois injectée ou bue dans des très grandes quantités et, au lieu d’être
avalé, le Subutex est très souvent inhalé, injecté ou consommé dans des très
grandes quantités.
Ce qui est
intéressant, c’est qu’une grande partie des usagers qui vont à EGO sont des
personnes substituées qui, à côté de leurs traitements continuent dans leurs
consommations d’autres produits, tels que l’héroïne, le crack, la cocaïne et
des médicaments prescrits par les médecins. L’état d’anéantissement dans lequel
j’ai vu ces usagers est de loin plus grave que celui des usagers qui ne
suivaient aucun traitement de substitution.
Bien évidemment, j’ai
aussi rencontré des UD qui se trouvaient dans des processus normaux de
substitution, qui se comportaient d’une façon toute à fait correcte et étaient
en train d’arrêter l’usage de produits et de reprendre leurs droits et leurs
devoirs citoyens. Ce public a toujours revendiqué les bénéficies de la
substitution comme le moyen le plus efficace pour réussir à rentrer dans la
réalisation d’activités autres que l’usage de drogues. Il n’est pas pour autant
surprenant, que ce soit ces usagers qui aient été les plus participatifs et les
plus engagés avec les différentes activités menées dans l’association.
Pour
ce qui est des usagers manifestant des problèmes avec les traitements de
substitution, la situation a été toujours très délicate, dans la mesure où leur
rythme de vie à l’intérieur de la structure était marqué par leur besoin
constant de dormir. Continûment, j’ai observé des UD qui après avoir pris un
peu de céréales, se mettaient à dormir sur une chaise ou une des tables de
l’accueil. Ils pouvaient rester comme cela durant toute l’après-midi ou se
réveiller, de façon alternée au cours de leurs séjours, soit pour faire des
démarches, soit pour parler un peu avec d’autres personnes.
Par
ailleurs, il me semble intéressant de souligner que le Subutex a été une des
substances les plus « circulantes », dans l’espace d’accueil. Avec
l’excuse qu’il s’agissait d’un médicament et non pas d’une drogue, beaucoup
d’usagers sortaient ces cachets de Subutex, les avalaient et, parfois, les
vendaient aux personnes intéressées.
5)
Les changements dans le flux du deal : étaient aussi inscrits dans le contexte presque
quotidien de la vie de la structure. Etant donné le fait que l’association EGO
se situe dans une rue proche de plusieurs endroits de deal, il est facile
d’imaginer que pour les usagers cela constituait plus qu’un sujet de
discussion, un moyen de se maintenir bien informés sur le mouvement du trafic.
Il
n’a pas été toujours facile de rentrer dans les conversations de ce genre avec
les usagers. Cela dépendait de la situation, de la personne et du degré de
confiance entre elle et moi. Il m’est même arrivé de me retrouver exclue d’une
de ces conversations à force de silences suivant mes tentatives pour m’y
intégrer. Néanmoins, j’ai réussi à participer à quelques échanges sur ce sujet,
qui m’ont apporté beaucoup sur la façon dont les UD construisaient leurs
réseaux d’informations autour de la disposition des substances.
Les
changements dans le flux et la localisation du deal avaient une grande
influence dans la vie de l’accueil puisque d’eux pouvait dépendre l’obtention
d’un certain calme pendant plusieurs jours. Si les vendeurs de la rue de trafic
par excellence avaient eu à déplacer leur lieu de vente, en général pour des
raisons liées à l’action policière, cela impliquait aussi le déplacement d’un
grand nombre d’usagers et, du même coup, une baisse de l’activité de l’accueil.
6) Les problèmes avec la police, la justice, les services sociaux et
sanitaires : ne sont jamais sortis des discours des UD et ils ont été
assez révélateurs du mauvais état des relations entre les différents services
de l’Etat et les usagers de drogues les plus marginalisés.
En ce qui concerne la police, la
répression et la violence ont été les aspects mentionnés le plus souvent par
les usagers. Evidemment, du fait de l’illégalité des drogues consommées par ce
public, les rapports avec la police restent très sensibles, voire même
désastreux, ce qui explique en partie la raison pour laquelle les usagers
recourent aux associations en quête d’orientation et de support par rapport aux
actions qu’ils peuvent entreprendre pour éviter les malentendus, les agressions
dans la rue et les arrestations injustifiées. Malheureusement, un espace bas
seuil n’a pas les moyens de répondre à tous ces besoins, sauf quand, comme cela
se fait à EGO, il existe un travail communautaire capable de faire passer des
messages de solidarité avec les UD, auprès des habitants du quartier et,
éventuellement, de quelques autorités des services policiers.
Un des problèmes récurrents était la
confiscation et la destruction du matériel d’injection des usagers d’héroïne.
Le fait de porter sur soi un kit d’injection ou de seringues usagées, pour le
rapporter dans un programme d’échange de seringues, était toujours l’objet de
confrontations avec la police et ceci, malgré l’existence d’un décret
judiciaire qui permet aux usagers la possession de ce matériel. Généralement,
après la confiscation du matériel donné, les UD étaient souvent arrêtés, même
s’ils ne portaient aucun produit sur eux.
À propos de des frictions avec la
justice, les problèmes n’ont fait que s'accroître. Un pourcentage de 75% de la
file active des UD qui fréquentent EGO, avait déjà fait de la prison et 40%
disaient avoir des problèmes juridiques[47].
En effet, beaucoup des usagers observés, avec qui nous avons parlé, ont fait
part de leurs soucis relatifs à des obligations de soins, des injonctions
thérapeutiques, des doubles peines et aussi, des papiers en général, tels que
les passeports et les cartes d’identité. Ainsi, j’ai constaté, de façon
concordante avec le dernier rapport de l’association, que le public le plus
vulnérable à ce sujet était celui des jeunes de moins de 26 ans, fait qui est représenté
aussi par les usagers interviewés.
Les rapports avec les services publics
sociaux et sanitaires, se trouvaient aussi positionnés dans des conditions
assez complexes. Le besoin de couverture sociale (46% ne l’ont pas), d’accès à
des logements tels que les appartements thérapeutiques (seulement 2% dit
l’avoir), de droits au RMI (33% qui le reçoivent) ou aux ASSEDIC (10% qui les
perçoivent), de suivi médical (69% qui n’en ont pas) et d’accès au sevrage et à
la postcure, sont parmi les problèmes plus dramatiques de par le nombre
d’usagers concernés, mais surtout du type de construction relationnelle,
effectuée par les UD, les professionnels et les fonctionnaires publics.
Ce
que j’ai observé à partir des démarches faites à ce sujet par les salariés de
la structure, c’est que, autant les usagers comme les personnes des différents
services publics, manifestent une gêne lorsqu’ils doivent rentrer en contact.
Les professionnels, d’une part, sont souvent contrariés par les attitudes et le
manque de régularité des usagers. Certes, j’ai été témoin de la manière dont
les UD rataient de façon continuelle leurs rendez-vous avec les services
sociaux et sanitaires et, lorsque ces rencontres avaient lieu, elles ne se
passaient pas toujours d’une manière optimale. En conséquence, j’ai remarqué
que, parfois, certains de ces fonctionnaires refusaient de rencontrer des
usagers avec qu’ils avaient expérimenté des situations désagréables.
Les UD, d’autre part, ont exprimé,
constamment, l’inefficience et la maltraitance des fonctionnaires à leur égard.
De ce fait, j’ai vu comment des usagers qui s’étaient confrontés à des
fonctionnaires, avaient décidé de rompre tout contact avec ces services et
étaient restés, depuis, dans un vide total d’assistance de la part de l’Etat.
Ici, il faut prendre en compte le fait que ce public présente une sensibilité
accrue en ce qui concerne la manière dont ils sont traités par la société en
général. Avoir vécu, très souvent, dans des circonstances marginales et avoir
été rejetés par l’ensemble de la population, explique, au moins partiellement,
la susceptibilité extrême qu’ils manifestent.
7) Les problèmes autour des lieux de
consommation : ont été des plus dramatiques dans la mesure où cela a
impliqué, à un moment donné, la possibilité de fermeture de la structure.
C’est un fait qu’ils n’existe pas en
France de lieux autorisés pour la consommation des drogues illicites[48].
Or, les usagers de drogues doivent considérer, constamment, la nécessité de
trouver un endroit qui puisse leur offrir une certaine tranquillité par rapport
aux éventuelles incursions de la police. Dans le XVIII arrondissement, et
spécifiquement, dans le quartier de la Goutte d’or, les usagers de drogues, qui
n’ont pas de logement personnel, utilisent les coins de rue, les toilettes
publiques et les cages des escaliers des immeubles, afin de pratiquer leurs
consommations dans des lieux plus ou moins discrets.
La problématique tendait à se compliquer
lorsque les UD étaient découverts dans les halls ou les cages des escaliers,
par les habitants des immeubles. Le fait que les usagers soient entrés dans un
lieu où ils ne demeurent pas et s’y soient installés pour procéder à leurs
consommations, représente une pratique difficile à supporter (à voir) surtout
pour les enfants. Dans ces conditions, le voisinage tendait à opter pour
l’action visant à les chasser eux-mêmes ou à appeler la police.
Cette situation conduit à développer
plusieurs niveaux d’analyses. D’abord pour ce qui concerne la gêne des
habitants ; ensuite, pour ce qui relève de l’action de la police ;
puis, tout ce qui a à voir avec les incidences sur le fonctionnement de la
structure, et finalement, celui qui touche au vécu des usagers comme acteurs et
victimes de ces faits, et qui constituait dans ce travail mon centre d’intérêt
principal.
Comme je l’ai déjà souligné, il n’est pas
étonnant que le fait de trouver des inconnus dans les lieux communs d’un
immeuble suscite un malaise chez ses habitants, particulièrement lorsque ces
personnes réalisent des activités illégales qui sont censées être effectuées de
façon privée. J’ai pu voir comment cette situation se répétait sans cesse, au
cours du stage, désespérant les habitants au point de les faire considérer
qu’il était nécessaire de créer des brigades de voisins « anti-tox »,
chargées d’éradiquer la présence des UD dans les immeubles et aussi les zones
environnantes.
L’action de la police se résumait ici à
l’arrestation des usagers, laquelle se faisait toujours, d’après les récits des
UD, sous une forme agressive et/ou irrespectueuse. Au-delà de cette démarche,
les officiers de police se trouvaient impuissants à faire quoi que ce soit pour
éliminer la problématique, ce qui a contribué, en partie, à alimenter la
réflexion des habitants autour de la constitution des brigades.
L’association EGO elle-même, s’est vue
fortement touchée par cette situation étant donnée la proximité des immeubles
présentant ces problèmes d’intrusion. Pour beaucoup d’habitants, le voisinage
de cet espace bas seuil conduisait les usagers à aller consommer dans leurs
halls : ils faisaient forcément partie des visiteurs d’EGO, ils ne
respectaient pas leur environnement et profitaient de la légitimité de la
structure pour « traîner » dans ses environs. Les échos de cette
construction sont arrivés très vite aux oreilles des travailleurs de
l’association, grâce au fait que parmi eux quelques uns étaient aussi d’anciens
habitants du quartier.
Des usagers comme D. expliquent que cette
problématique dépasse l’action de l’association puisqu’elle s’inscrit dans un
contexte très complexe où la consommation passe avant toute autre
considération :
« Mais les usagers
ils respectent pas, les jeunes, parce qu’il y a des jeunes qui connaissent pas,
ils se shootent librement partout, ils vont dans les cages des escaliers y en a
qui sont obligés de venir…. Je sais pas peut être un jour ils vont se dire bon,
il y a EGO, mais c’est pas ici qu’empêche les usagers de faire n’importe quoi
même si ça ferme, ça change rien puisque c’est dans ce domaine là qu’il y a la
drogue. C’est pas parce qu’il y a ici que ça va changer »(e.3,p.12)
Après avoir essayé de passer le message,
auprès des usagers, d’éviter les intrusions, quelques UD conjointement avec
quelques accueillants de l’association, se sont mis d’accord pour réaliser une
campagne orale de prévention et, une autre avec des messages écrits sous la
forme d’annonces à afficher sur les portes des immeubles concernés. Pour ce
faire, il s’est constitué un atelier, sur un mois, qui s’est réuni, parfois
dans le cadre du comité des usagers, parfois à des moments où un ou plusieurs
usagers commençaient à parler sur le sujet, un quorum constitué de
travailleurs, stagiaires, bénévoles et usagers de drogues. La richesse de ces
rencontres a constitué un véritable champ d’analyse des formes d’interaction
des UD avec les autres publics de la structure et de la construction de liens
dans le cadre d’un travail collectif.
Evidemment, tous les usagers ne
participaient de la même façon dans l’élaboration de la campagne. Les plus
engagés se déplaçaient expressément de la place dont ils se trouvaient vers le
lieu du rassemblement afin d’échanger quelques idées autour du problème des
intrusions, mais aussi de mettre en évidence d’autres sujets qu’ils considéraient
importants à discuter. Ceux-ci, ont été toujours d’accord avec le fait qu’une
campagne de ce genre devait inclure des messages assez fermes pour arriver
à avoir un impact sur la
population d’usagers en direction de laquelle elle s’orientait.
De par leurs attitudes et leurs discours
les UD qui se sont intégrés dans cette activité comme ceux qui se sont
abstenus, manifestaient un certain pessimisme par rapport à la réussite de la
campagne. Dire aux usagers de drogues d’aller consommer ailleurs que dans les
cages et les halls des immeubles, représentait un nouvel obstacle dans leur
déjà pénible chemin de consommation et était, quasiment, l’équivalent d’une
demande d’arrêt de l’usage vu que si ce n’était pas là, où est-ce qu’ils
pourraient consommer leurs produits sans subir une répression immédiate de la
police ?
De toute évidence, ce questionnement a
représenté pour mois l’une des raisons les plus déterminantes de l’abstention
de certains usagers de participer à cette activité de prévention. Cependant,
j’ai appris, à partir de conversations établies avec quelques UD, qu’il
s’agissait aussi de personnes qui faisaient partie du groupe intrusif et qui
évitaient de discuter sur le sujet, pour ne pas se voir confrontés à une
situation qui pourrait les remettre en cause.
Comme l’explique Goffman, il existe deux
processus clés pour maintenir l’image positive de soi projetée vers autrui. Le
« processus de prévention » où la personne évite de rentrer dans des
contacts pouvant la compromettre et, le « processus correctif » qui a
lieu lorsque la personne essaie de pallier les effets d’une situation
« expressément incompatible avec les jugements des valeurs sociales qui
sont maintenus à un moment donné »[49]
et qui génèrent un déséquilibre
dans la relation entre une ou plusieurs personnes en interaction. Dans le cas
des usagers qui ont évité les réunions de discussion sur le problème des
intrusions, il est clair qu’il s’est agi, au moins partiellement, d’une
stratégie pour éviter le contact ingrat et prévenir en même temps les dommages
qu’aurait pu subir l’image qu’ils voulaient transmettre à l’intérieur de la
structure.
La discussion autour des lieux de
consommation est restée un sujet à la fois compromettant et incontournable,
dont les usagers de drogues constituaient les acteurs et les victimes.
L’illégalité de leur pratique jointe à leur entrée dans des lieux privés,
constituaient un ensemble qui ne contribuait pas à l’amélioration des
conditions d’acceptation sociale nécessaires à leur intégration, mais qui, à la
fois, n’était qu’un symptôme et un facteur aggravant des conditions de
précarité dans lesquelles ils se trouvaient absorbés.
8) Les liens affectifs avec
l’association : se sont révélés de façon avérée tout au long du
processus d’observation. Leur puissance a été énoncée de manière explicite par
beaucoup d’usagers qui, d’ailleurs, l’ont considérée comme étant une des
raisons principales de leur fréquentation de l’association.
Lorsque je parle de liens affectifs, il
faut bien préciser qu’il ne s’agit seulement que d’affections ou d’attachements
émotionnels. Pour moi, les compromis et les engagements que l’on établit par
rapport à des personnes, des institutions ou, même, des situations, témoignent
également de la constitution de relations et d’échanges, c’est à dire de
processus de construction qui assurent leur force en lien à la façon dont elles
se tissent. Pour M1, parlant de ses débuts dans l’association, il s’agit d’une
espèce de concordance entre usagers et travailleurs :
« Il n’y avait pas
cette barrière qui a entre usager… ils mettaient pas cette barrière t’es usager
je suis accueillant, non, il y avait une certaine complicité… quand je viens à l’association actuellement, sincèrement c’est pour voir
deux ou trois personnes autant du coté des accueillis qui sont des amis, et
deux trois personnes du coté des accueillants »(e.1, p.2,4)
Un
autre usager, M2, exprime sa façon de voir le travail qui se fait dans
l’association et nous raconte un peu sur sa relation avec une des
accueillantes :
« Le travail qui se
fait ici c’est très important, c’est le travail de cœur. Si t’as pas de cœur tu
peux pas travailler ici… Si tu connais pas quelqu’un tu peux
pas parler beaucoup. Au moment où on commence à se connaître c’est comme ça la
relation ça viendra. Mariam c’est une petite sœur pour moi, ça m’a étonné,
quelqu’un que j’ai trouvé ici, elle vient du même pays…. Je l’ai vu parler avec
quelqu’un dans ma langue donc ça m’a attiré tout de suite, ça m’a donné
beaucoup de plaisir. Peut-être un jour Mr. (une des accueillantes) pourra
ouvrir une EGO à Sénégal, parce qu’il y a de la toxicomanie aussi là
bas »(e.2,p.9)
On peut trouver dans
le discours l’explication du pourquoi et du comment des relations engagées par les usagers avec les
travailleurs, les bénévoles et les stagiaires, qui dépassent le cadre
professionnel traditionnel. Précisément, dans beaucoup d’autres structures,
l’établissement de liens affectifs n’est pas apprécié et les engagements sont
conçus comme des contrats entre un prestataire de services et un client. La
référence des UD à leur relation avec le personnel de l’association EGO, montre
son caractère particulier et marque sa différence par rapport à des vécus en
dehors de cette structure :
« La boutique je
l’ai connue. Elle me branchait bien quand il y avait A. (un actuel salarié
d’EGO), parce que, bon, moi j’allais là bas plus pour prendre ma douche et
discuter avec lui, mais c’est vrai que depuis que A. est parti, la boutique j’y
vais plus, alors que j’allais régulièrement. Et puis c’est vrai que la dernière
fois quand j’ai été j’ai vu qu’on me regardait plus comme un usager, mais comme
un espion. « Ah, il travaille à EGO, il vient là, qu’est-ce qu’il vient
faire ? » j’ai ressenti ça. J’ai vu qu’il y a eu un changement de
comportement par rapport à moi quoi »(K.,e.5,p.15)
Ce qui m’est paru très
frappant dans le discours d’un des usagers interviewés, a été sa description du
fonctionnement des UD à niveau de leurs engagements et responsabilités envers
la structure, mais aussi dans un champ plus large concernant d’autres
espaces :
« Il y avait un
engagement vraiment sincère de ces gens là, mais moi personnellement on m’a dit
ouais M. voilà je suis en manque mais je suis engagé et tout ça et j’ai
dit : vas te soigner, si tu es en manque et tout ça, vas te soigner. Et la
personne est sortie et une demi-heure après, elle est revenue, chose que la
responsable du théâtre, la réalisatrice Sl. était étonnée… Les gens croient que
bon, c’est vrai que quand tu prends un engagement tu le respectes mais pour un
toxicomane… et si le toxicomane ne respecte pas son engagement c’est pas parce
que… c’est de force, c’est les choses qui veulent ça dans le sens où… quand il
prend cet engagement il est sincère et des fois au moment de le respecter il
peut pas c’est parce que son état ne le permet pas, ou il est dans une
situation, il peut être en garde à vue, ou un truc »(M1,e.1,p.3)
La construction d’une
image positive des relations avec cette structure, permet en même temps aux UD
de s’affirmer dans leur place de personne méritant du respect. Le fait qu’il
existe une écoute et une considération de la parole des usagers dans presque
tout ce qui concerne la vie de l’association, représente une véritable avancée
qui se révèle au travers d’actions bien concrètes comme la prise de décisions.
M1 nous dit par rapport à son vécu dans d’autres structures :
« C’est des
décisions qui étaient prises par rapport aux usagers, mais on ne concertait
jamais, on ne demandait jamais leur avis, on prenait les décisions à leur place
et je trouvais que bon…. C’est inadmissible, comment veux-tu que je prenne une
décision à ta place ? » (e.1,p.1)
K., de son coté,
considérait que c’était à partir de « détails » importants que cette
relation s’était développée avec ceux qui sont les responsables
aujourd’hui ; il avait été embauché comme accueillant dans
l’association :
« Moi j’étais dans
une assos qui me prenait la gueule, c’était… à la limite ça devenait une
association d’aide à l’Algérie et ça m’énervait. (Avec le personnel d’EGO) la
relation aujourd’hui est plus approfondie, mais je me demande : si j’étais
encore resté dans l’usage, dans la défonce, est-ce que cette relation se
serait approfondie? Je pense pas. (La relation) s’est venu naturellement, mais
ça s’est une question qu’il faudra que tu poses à l’équipe, moi je pourrais pas
te répondre, ça a commencé par des petits coups de mains, des petits services
du genre aller faire les achats, amener les courses, faire rentrer les colis.
Je pense que c’est à partir de ça que l’équipe a vu qu’ils pouvaient compter
sur moi »(e.5,p.13,14)
D’autres usagers,
comme A., expliquent que cette association constitue un lieu où l’on vient pour
rencontrer des gens connus:
« J’aime bien cette association, je connais tout le
monde, tous les salariés. Je continue à venir car c’est devenu pour moi des
gens, des connaissances de bon augure et j’adore ça »(e.6,p.16)
Au même temps, je
voudrais rajouter à ces récits, quelques commentaires provenant des
observations. Le besoin et le désir de passer du temps dans cette structure,
m’ont montré aussi l’existence d’une dynamique singulière qui témoigne du
caractère instable de ces rapports, ce qui m’a beaucoup apporté pour la
compréhension des formes de sociabilité des UD et de leurs logiques
d’interaction.
Durant le stage, j’ai
eu l’opportunité d’observer des disputes et des confrontations physiques, parmi
les usagers ou entre un usager de drogues et un salarié de l’association, où le
sujet de discussion était souvent le comportement de l’un d’entre eux envers
l’autre. Dans ces moments, les UD se plaignaient d’un manque de respect ou du
manque d’efficience des salariés. Etant donné l’état de vulnérabilité
psychologique que manifestaient fréquemment quelques usagers, ces épisodes se
caractérisaient par leur caractère explosif sans jamais que cela ait des
répercussions graves.
Les usagers de drogues
plus anciens, par rapport à leur arrivée à l’association, étaient ceux qui
avaient les rapports de confiance les plus forts avec les autres publics et qui
pour autant considéraient avoir le droit de rentrer en conflit avec eux. Si ces
situations n’ont pas eu lieu d’une façon régulière, elles étaient vécues par
les accueillants comme très irritantes. De ce fait, les débats autour du sens
du travail mené, a été des plus riches. Engagés au sein même du centre
d’accueil, ils ont apporté des réflexions collectives sur les raisons de
l’existence de certains échanges qui ne faisaient que détériorer la bonne
ambiance de travail et qui mettaient mal à l’aise autant les personnes
directement impliquées dans le conflit que ceux qui les entouraient.
Ainsi, lors de l’une
des dernières réunions du mercredi soir, à laquelle j’ai participé, un des
accueillants a décidé de demander aux usagers présents à quoi était due la
situation de tension qui avait régné dans le centre d’accueil pendant la
semaine. Il exprimait sa contrariété par rapport à l’attitude de certains
usagers qui avaient remis en cause l’action de l’association et qui l’avaient
mis mal à l’aise. Ce commentaire, très émotif quant à son expression, a fait
réagir pas mal d’usagers qui ont relativisé la signification de ces
mésententes. Une femme usager, dans une intervention qui a impressionné toute
l’assistance, a manifesté qu’il était toujours nécessaire de prendre en compte
le fait que la quasi-totalité des UD qui allaient à la structure, et là elle
s’incluait, étaient des personnes ayant une carence incontestable d’amour
propre qui était responsable d’une demande énergique et constante d’attention
et d’affection de la part des autres. La quête d’une compensation émotionnelle
se trouverait liée à la perte de la légitimité sociale et, très souvent, des
rapports amicaux et familiaux. « Nous cherchons à être aimés, c’est tout.
Excusez-nous si parfois nous ne savons pas gagner votre attention » a dit
As. en même temps que le silence gagnait la salle pour ensuite déclencher une
série de réactions soutenant cette vision de la situation.
5.5.- Des règles et des
remarques :
Nonobstant la
souplesse et la fluidité dans la dynamique de la structure, il y a des règles
d’interaction à l’intérieur de cet espace, qui sont censées réguler le bon
déroulement des échanges qui y ont lieu et du travail en général. J’ai
constaté, comme l’explique H. Blanchard[50],
que le système de régulation par excellence des interactions entre les
participants de la forme sociale (dans ce cas constituée par EGO), est sans
aucun doute une forme de lien social ; plus qu’un ensemble de normes qui
chercheraient à garantir l’équilibre des rapports entre les différents publics
de l’association et l'atteinte des objectifs de re-socialisation et de
réduction des risques fixés par le projet de la structure. K., un des usagers
interviewés, nous raconte à ce propos :
« Moi quand je suis
arrivé à EGO, la charte était sur les tables, voilà comment j’ai su comment
fonctionnait l’association. C’est à la limite ce qui m’a intéressait à cette
assos, c’est des petits détails mais j’ai trouvé ça très frappant… Dans
d’autres associations il y a aussi des règles mais elles sont pas mises en
évidence comme ça. On les impose que lorsqu’il y a un problème par exemple,
mais ici tu découvres les règles avant qu’y ait quoi que ce soit on va dire…
C’est ça l’avantage, alors que dans les autres assos tu découvres que tu peux
être sanctionné après avoir fait on va dire un délit, quelque part, par rapport
au règlement de l’assos »(e.5,p.15)
Le respect porté à ces
contrôles par les usagers de drogues, est apparu dans leurs discours comme
étant d’une grande importance, bien que dans la pratique cette considération
ait été ignorée de temps en temps. Les agressions verbales et physiques, le
deal et la consommation à l’intérieur de la structure, ont été souvent mentionnés
et considérés comme problématiques quant à leurs possibilités concrètes de
transformation. Connaître les règles de l’association a permis à quelques UD de
s’impliquer dans des considérations autour du fonctionnement de
l’association :
« Ne pas consommer,
ne pas dealer. Rien de drogues ici parce que sinon ils risquent de fermer la
boutique. Si vous vous rendez compte qu’il y a un qui reste trop longtemps dans
les toilettes il faut chercher à savoir pourquoi il reste si longtemps. Le plus
souvent y en a qui fument et qui se shootent dans les
toilettes »(D.,e.3,p.12)
« Je connais très
bien le règlement. Là si tu entres ici, tu peux pas faire des business ici, le
crack, on prend pas le crack ici, si tu fais des business tu sors dehors et tu
le fais avec la personne avec qui tu vas le faire. C’est pas bien, là nous ne
sommes pas là pour ça, pour faire des business, le busines c’est dehors. On
vient ici pour se reposer »(M2,e.2,p.10)
En plus du coté
nettement normatif, j’ai remarqué que pour d’autres usagers de drogues, la
pertinence des règles de comportement et relationnelles avait à voir avec les
sensations de bien-être personnel auxquelles ils assignent une valeur positive
:
« Je pense qu’elles
devraient être un peu plus dures (les règles), c'est-à-dire plus terre à terre
et plus carrées, parce qu’y en a qui font vraiment c’est qu’ils veulent là où
ils veulent, y en a qui se shootent dans les toilettes, heureusement qu’il y a
M. et toi qui l’ont vu et l’ont mis dehors. Quand il y a de la bagarre c’est dehors.
Je voudrais qu’il y ait des règles plus dures parce ça m’embête, y en a qui se
lavent pas les mains. C’est dégueulasse, il viennent toucher la nourriture et
nous on vient derrière, nous sommes musulmans ou chrétiens ou de bonne famille.
Juste la politesse et la propreté et l’hygiène montrent une bonne éducation.
Ils devraient se laver les mains, ils devraient mettre un carton :
« lavez-vous les mains avant de toucher aux choses » et pour les
toilettes pas des drogues, pas d’échange de seringues, là c’est pas un
distributeur de seringues ou de machin, là c’est pour se nourrir, pour se laver
le visage… il y a des affaires en plus, il y des belles
fringues »(A.,e.6,p.16)
Mon impression
générale du rapport aux règles d’interaction, me conduit à penser que la notion
du « bas seuil » qui suppose des conditions d’accès minimales,
n’interfère pas avec le besoin d’un certain ordre interne qui, en l’occurrence,
est déterminant pour la fréquentation du lieu et qui marque des changements
dans les appréciations des usagers en ce qui concerne l’image qu’ils se
construisent de la structure :
« Je préférais
avant parce que le gens d’avant, maintenant ils sont plus là, étaient plus
respectueux, maintenant il y a un peu de n’importe quoi n’importe qui, donc
c’est un peu… j’ai vu la différence parce que c’est pas les mêmes personnes.
Les autres personnes maintenant ils ont été aidés, ils ont eu des appartements
thérapeutiques, ils touchent le RMI, ils touchent la COTOREPP, ils ont trouvé
une femme, ils ont eu un bébé… vous les avez beaucoup aidés, vous les avez
dirigés. J’espère qu’il y aura un EGO au Maroc et dans tout le monde »(A.,e.6,p.17)
« Y a des trucs que
je trouve inadmissibles à l’accueil… C’est pas logique, t’acceptes que le
bénévole vienne, donne un coup de main, serve le lait, rende le truc, prenne le
truc, machin et tout mais tu n’acceptes pas, parce qu’il est pas capable, parce
qu’il n’est pas apte, parce qu’il n’a pas l’aptitude de répondre à un
téléphone ? Il faut pas avoir un bac plus dix pour répondre au téléphone
quand même… Allô, bonjour c’est EGO…. »(M1,e.1,p.5)
Il faut aussi
souligner que le vécu des usagers à l’intérieur du centre d’accueil est bien
marqué par la quête d’un changement à niveau de ce qui se partage en terme de
contenu, c’est-à-dire que pour presque tous les usagers avec qui j’ai établi un
contact, l’association EGO constitue un lieu où l’on vient pour faire une
coupure par rapport à la consommation de produits, ce qui passe aussi par une
prévention des discussions sur certains sujets les concernant directement. M2
exprime bien cette idée lorsqu’il disait :
« Une chose que
j’aime pas avec eux quand ils viennent ici, j’aime pas qu’ils me parlent de
drogue, etc. Je viens ici et j’aime pas entendre parler de ça, sinon je peux
rester chez moi, parce que c’est quelque chose qu’a détruit ma vie. Donc,
devant moi ils parlent de la drogue, la drogue…. Je peux parler d’autres choses
mais la drogue….Par exemple des relations, du travail, des concerts ou les
matchs de football…. Mais parfois quand je viens ici, s’ils ont commencé à
parler des drogues, je vais aller dans mon coin et je reste là bas
tranquille »(e.2,p.10)
Parallèlement, pour
des plus jeunes comme S., la gêne vient du comportement et des attitudes de
certains UD par rapport à la consommation :
« J’aime pas les
voir comme ça défoncés… Tout le monde me dit viens tu fumes avec moi, et je dis
non je fume pas ça »(e.4,p.13)
5.6.- De la spécificité des femmes :
Je crois que les
femmes vivent les espaces différemment des hommes, c’est-à-dire qu’elles
établissent des relations de sens avec ces espaces là qui influencent leurs
modes d’action et de construction et qui les distinguent de ceux des hommes.
Si ce constat vaut
pour n’importe quel espace et n’importe quelle situation, les femmes usagers de
drogues constituent un public singulier. Leur consommation de substances jointe
à leurs modes de vie dans la rue, sont des facteurs qui laissent une empreinte
très claire dans leurs « passages » par le centre d’accueil. Malgré
le fait que ce terme de « passage » ait généré des réflexions sur sa
construction négative dans le groupe d’usagers, j’ai voulu l’appliquer ici pour
le cas des femmes usagères.
La présence d’usagères
dans la structure, a toujours été une source d’interrogations surtout en ce qui
concerne leurs bas taux de passages et sa courte durée. Dès les premiers jours
passés au centre d’accueil, je me suis demandé pourquoi il y avait si peu de
femmes et pourquoi, lorsqu’elles venaient, elles partaient en très peu de
temps. La remarque sur la façon dont ces femmes se comportaient et sur ce
qu’elles faisaient est venue après, quand j’ai essayé de les rencontrer pour
discuter.
Ainsi, j’ai appris
que, pour beaucoup d’entre elles, venir dans cette structure impliquait rentrer
dans des dynamiques d’interaction agaçantes, avec les hommes usagers. A partir
de la fréquence d’apparition de ce sujet dans les récits recueillis, en
parallèle avec nos observations, nous croyons pertinent d’approfondir l’analyse
pour essayer d’expliquer comment le fait d’être femme constitue un facteur de
vulnérabilité, même à l’intérieur d’un espace de prévention et resocialisation
comme EGO.
Dès leur arrivée au
centre d’accueil, les femmes étaient les plus prestes à ne pas établir un
contact immédiat avec les autres publics de l’association, spécialement avec
les hommes. Il n’était pas étonnant de voir une femme rentrer sans dire un mot
et d’aller directement vers les céréales ou vers un accueillant en particulier,
avec qui elles avaient une « affaire » à traiter. Leurs attitudes
d’impolitesse étaient toujours mises en évidence par les travailleurs de
l’association, et malgré cela quelques-unes d’entre elles ont maintenu une
attitude indocile jusqu’à la fin de notre période de stage.
« Je suis fatiguée.
Fous-moi la paix » était un des expressions que nous avons entendu
plusieurs fois de ces femmes parmi lesquelles un bon nombre se prostituaient.
Il est évident que pour quelqu’un qui doit vendre ses services sexuels dans un
contexte d’insécurité, en l’occurrence dans des rues où le danger est imminent
comme celles du XVIII arrondissement, et avec la pression constante de que ceci
doit servir à l’obtention future du produit consommé, la constitution d’un
caractère fort et apte à l’esquive paraît indispensable.
La défense de soi à
travers des agressions –le plus souvent verbales- fait partie des stratégies
les plus couramment utilisées par les femmes usagers envers ceux qu’elles
considèrent comme étant les acteurs d’un attaque ou d’un rapprochement pouvant
toucher leurs intimités. Pour Goffman (1969), les « échanges
agressifs » ont lieu lorsque des personnes en interaction, dans leurs
quêtes pour préserver leur image face aux autres, mettent en évidence leurs
capacités d’agir mieux que le reste. Ici, il s’agirait d’une espèce de jeu où
les « adversaires » cherchent à cumuler des points les aidant dans la
construction d’images cohérentes d’eux-mêmes. « Dans les échanges
agressifs, le gagnant n’arrive pas seulement à introduire information favorable
pour lui et défavorable pour les autres, mais aussi à démontrer que, comme un
participant, il peut se conduire mieux que ses adversaires » (p.25). La
vision de l’autre comme un adversaire potentiel, est une analyse qui s’adapte à
la situation des femmes observées, dans la mesure où elles ont toujours engagé
des actions qui mettaient en évidence leurs capacités d’affrontement :
« Eh! Qu’est-ce qui
a mon frère ? Je parle à ma copine. On a pas le droit de parler sans être
dérangées ? Viens G. on va changer de place, il y a plein de chaises
libres et lui, il vient s’asseoir à coté de nous. Quel emmerdeur
! »(Conversation avec une femme, 13/01/03)
La plupart des femmes
rencontrées à EGO étaient des combattantes, c’est-à-dire des femmes qui, étant
plongées dans des situations de risques extrêmes, arrivaient à survivre avec
les conditions minimales, tout en continuant dans la consommation. Pour ces
usagères, le risque de se trouver dans une situation où cette image de
« femme forte » serait remise en cause, représentait un vrai danger
pour leur estime propre.
« Moi, tout le
monde ici me respecte. Je viens dans le quartier depuis très longtemps et ils
me connaissent. Je viens pas toujours à EGO parce que j’ai des choses à faire
ailleurs, je peux pas glandouiller ici toute l’après-midi comme les mecs… et
aussi parce qu’ici il y a tous les mecs que je rencontre dans le quartier et
parfois y en a marre » (Conversation avec une femme, 12/05/03)
Cette construction des
interactions a été plus ou moins constante, bien qu’elle se soit modifiée
partiellement au cours des contacts, et elle a déterminé, incontestablement, la
quantité et la qualité des échanges entre ces femmes et les autres, mais aussi
la façon dont elles élaboraient leur image de la structure et du travail fait.
Le plus souvent leurs actions étaient orientées vers la quête de bénéfices,
tels que la prise de rendez-vous, l’obtention de vêtements et de serviettes
intimes ou l’embellissement personnel. Une fois ces bénéfices obtenus, la
plupart des femmes quittaient le centre d’accueil, généralement pour ne pas y
revenir de la journée.
D’autres remarques
peuvent être faites à propos des pratiques et des discours des usagères, à
l’intérieur de la structure. Si mon intention n’est pas de généraliser, j’ai
observé des traces assez régulières dans le comportement et les propos des
femmes, par rapport à l’image, l’utilisation et le profit de l’association.
Leurs actes ont toujours été pour nous la source d’information la plus riche
et, à partir de leurs usages, de leurs demandes et du temps de durée de leurs
passages, j’ai tenté une interprétation de leur conception du bas seuil et de
la réduction des risques.
Entrer, se laver les
mains et le visage, manger un peu, demander pour un appel ou des tampons,
parler avec quelques personnes et s’en aller, voici l’un des circuits typiques des femmes. L’autre incluait la
possibilité de s’endormir sur les chaises, lorsque la fatigue ne pouvait plus
être bornée. Dans tous les cas, très peu d’entre elles restaient sans rien
faire, ce qui a rendu difficiles les rapprochements à des fins de
discussion ; la femme, étant
donné qu’elle était déjà en train de faire ses démarches, a souvent décliné la
possibilité d’aller plus loin dans ma quête d’interaction.
Chez les femmes, la
question liée au développement de certains échanges constitue clairement une
contrainte. Ceci se passe un peu partout dans nos sociétés puisque d’une
part : « Des hommes et des femmes se côtoient dans un espace social
mixte : espace public, réunion privée, lieu de travail ou de plaisir, vie
familiale… »[51],
et que d’autre part, du fait de la différenciation de genre et de ses multiples
implications concrètes sur la situation sociale « défavorisée » des
femmes, elles « sont quelque peu exposées à être harcelées, de façon chronique ; car ce qu’un homme peut
abusivement obtenir d’elles en les attirant dans la conversation ou en
prolongeant abusivement une conversation déjà entamée peut lui apporter
beaucoup (et à elle aussi), à savoir une relation, et si ce n’est le cas, au
moins une confirmation de son identité de genre »[52].
Remarquons, qu’avec
ces affirmations, je suis aussi en train d’accepter que cette
« contrainte » puisse se manifester chez les femmes rencontrées, même
si elles ont toujours fait preuve d’une force de caractère exceptionnelle.
Malgré l’apparente incohérence discursive que cela peut donner, je suis
convaincue de l’existence conjointe, et à la fois contradictoire, de ces deux
aspects, qui donne, à partir du mouvement des tensions, un rythme très
accidenté à la dynamique produite dans cette association.
Cette tentative de mettre en évidence les
différences sociales entre hommes et femmes, pour ensuite les insérer dans
l’analyse des interactions à l’intérieur de l’association EGO, m’est paru
essentielle pour la compréhension des productions de sens autour de ce que l’on
appelle « réduction des risques ». Comme je l’ai déjà mentionné dans
le paragraphe 3 de ce travail, cette approche qualifiée de
« pragmatique » par certains auteurs[53],
considère que les problèmes relatifs à l’usage de drogues doivent « être
pris en charge par un ensemble de programmes sociaux »[54]
qui ne se réduisent pas à la notion du bas seuil mais qui doivent prendre en
compte les aspects psychosociologiques, c’est-à-dire d’ordre relationnel, liés
à cette problématique.
A partir de ce dont j’ai eu l’opportunité
d’observer, l’analyse de ces aspects a dévoilé par lui-même de grands écarts
entre les modes d’approche et d’action des femmes et ceux des hommes, ce qui
m’a conduit à approfondir ce point pour ensuite approcher les dissemblances
entre les sexes, responsables, jusqu’à un certain point, du fait que, dans la
structure qui nous concerne, les femmes soient beaucoup moins nombreuses ainsi
que certaines particularités de leurs formes d’interaction.
5.7.- Sur l’usage de drogues et le
symbolique de l’abstention :
Le fait que j’ai eu
affaire à des gens qui étaient soit dans la consommation active de drogues soit
dans un processus de substitution, m’a confronté continuellement à des
références directes à cet usage, ses causes, son évolution, les modalités
d’accès et d’usage de produits et, aussi, la possibilité ou le besoin de
l’interrompre. Le centre d’accueil a toujours offert la possibilité de parler
librement sur ces sujets, sans que cela implique la marginalisation des
personnes engagées. Tout au contraire, l’importance donnée au besoin de
discuter sur la pratique de l’usage de drogues en soi-même, permettait aux
usagers de développer des propos divers autour d’elle :
« Des fois je reste,
je sais pas, un mois sans toucher même un truc et un soir je me dis tiens je
vais faire un petit délire et après s’est reparti pour un mois que je touche
pas ou un truc comme ça, ça me gêne pas du tout… Il y a aussi ce truc qu’avec
le recul tu te rends compte que t’es pas né avec le produit, donc à un moment
de ta vie t’as vécu sans ce produit et tu vivais très bien, c’est bien au
contraire que depuis que tu prends le produit que ne tu vis pas très bien, donc
tu te dis : merde ! je sais qu’avec le produit je ne vis pas très
bien, pourquoi je continue à le prendre ? Donc après c’est une question de
logique, de raisonnement, beaucoup de gens ne sont pas encore arrivés à ce
raisonnement parce qu’ils se donnent pas la peine de réfléchir, mais quand tu
te donnes la peine…. Ils sont pas encore arrivés au stade de se dire putain ce
quoi cette vie là ? Parce que je pense, je suppose qu’à tous et à chacun,
à un moment donné, ça nous arrive de dire putain qu’est-ce que je fais ?
C’est-ce qui m’est arrivé avec l’héroïne en me disant putain c’est pas mon
truc, c’est pas mon truc… et j’ai été faire des démarches de moi-même, j’ai pas
été en post-cure je suis reste dans Paris et depuis 97 j’ai jamais retouché un
truc d’héroïne, jamais jusqu’à maintenant, donc j’ai eu cette
volonté »(e.1, p.7-8)
Evidemment, il faut
considérer que le fait de parler à un autre qui regarde et analyse cette
pratique de l’extérieur, place les usagers dans une position de
« tension » qui facilite l’expression de discours sur l’importance
d’envisager l’arrêt de la consommation, la prise en compte des multiples
dégâts, sociaux et sanitaires, produits par cette pratique[55].
Ceci dit, il est difficile de savoir si les discours recueillis concernant
l’abstention s’ajustent aux pratiques des usagers de drogues rencontrés, mais
ce qui est important pour moi c’était de considérer que ces propos avaient été
énoncés et de les analyser en relation avec les autres sujets abordés. Par
exemple, M2 est un usager qui dit avoir arrêté la consommation et son discours
montre son actuel rejet. Pour lui, l’abstention est une valeur et un objectif
auquel les UD et la structure devraient aspirer :
« Je pense qu’il
faut demander aux gens d’arrêter, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont de
la volonté pour arrêter… il y a beaucoup de gens qui viennent ici qui
disent : y en a marre de prendre cette merde, ça m’a détruit la vie.
Ils attendent ça. Donc, s’il y a quelqu’un derrière lui pour lui donner un coup
de main, la personne va laisser…. »(M2,e.2, p.10)
Il semblerait que
l’idée d’aider les usagers de drogue et celle de la réduction des risques aient
du mal, encore aujourd’hui, à se combiner dans un ensemble cohérent, au moins
en ce qui concerne les productions discursives des usagers rencontrés. L’aide à
la survie, par exemple, constitue un objectif de la structure qui est souvent
lié à l’idée d’un travail trop axé sur le présent et, par conséquent, sans
beaucoup d’implications de fond dans la problématique des usagers de drogues.
« Moi, si je vais
travailler dans une association c’est pour des gens motivés qui veulent s’en
sortir et les aider à les placer et ici non ils le font pas…. Pour moi, ils
obligent aux gens à rester dans la merde. Ils devraient changer de structure,
bon, ceux qui veulent pas bouger les laisser comme ils sont, mais y en a qui
veulent s’en sortir… pourquoi ? Il faut trouver une solution, et essayer
de leur faire, je sais pas moi, faire de la recherche d’emploi, par
exemple(D.,e.3, p.11)
Quelquefois, j’ai
ressenti un certain refus, de la part des UD qui se disaient substitués ou
sevrés, envers les usagers de drogues actifs qui fréquentaient la structure.
L’appréciation de ces personnes n’était pas très positive, en ce qui concerne
leur persistance dans l’usage.
« EGO a changé, la
première fois elle était bien, maintenant il y a beaucoup de monde, il y a
beaucoup de « toxicos », avant il y avait du monde bien qui ne
touchait rien »(S.,e.4, p.13)
« Aucun contact
parce que c’est tous des « tox », ils sont irrécupérables, et je
m’entends pas avec eux »(A.,e.6, p.16)
Avec ces exemples,
nous voyons bien comment certains usagers voient et qualifient d’autres usagers
de la structure. Ceci a un effet direct sur les échanges qui y ont lieu et
engage une dynamique où le fait de consommer ou pas, positionne les UD de façon
différentielle dans leurs relations entre eux et avec l’association. Cette
dynamique dont je parle étant plutôt fluide, j’ai pu observer l’existence de
petits groupes d’usagers qui, d’après mon analyse, répondaient de façon
différentielle au fait de la consommation[56].
5.- Conclusions
Mon intention a été d’analyser et de
comprendre le sens des actions et des interactions d’un groupe d’usagers de
drogues, qui contribuent dans la construction de l’expérience du « bas
seuil ». J’ai voulu mener cette analyse avec l’éclairage de quelques
concepts clés assez utilisés dans les démarches sociologiques, tels que
l’interaction, le lien social, la sociabilité et la resocialisation.
L’hypothèse centrale était que les constructions de sens (la signification) sur
l’espace bas seuil qui nous a concerné, tournaient autour de certaines
pratiques et de certains discours qui devaient nous indiquer, chez les usagers,
une quête de sociabilité mais
aussi de resocialisation,
c’est-à-dire, une volonté de modification (en termes de qualité) du tissage des
liens sociaux maintenus dans les
situations de marginalisation et de précarité sociale et sanitaire, que les UD
vivent au quotidien, d’une manière particulièrement accentuée.
Cette recherche m’a révélé l’existence de
processus d’interaction et de reconstruction de liens très complexes, qui
méritent d’être mis en perspective avec les objectifs du modèle de la réduction
des risques mais aussi avec le besoin impératif dans nos sociétés actuelles,
d’une révision constante des idées qui orientent leurs modes de fonctionnement
et qui aident à déterminer le degré de bien-être de leurs membres. Si nous
partons du constat que dans toute société il existe des dérèglements qui font
que certaines populations sont moins favorisées que d’autres, nous serons prêts
à accepter que les usagers de drogues en situation de précarité fassent partie
des populations les plus touchées par le stigmate et le refus social, ce qui
rend difficile leur contact avec les autres.
Spécifiquement, en ce qui concerne le
rapport des UD avec les espaces bas seuil, l’approche compréhensive devient
intéressante car il s’agit de lieux spécialement conçus pour les aider à
retrouver un minimum d’équilibre et de bien-être, sans exiger de leur part des
conditions préalables pour profiter de cette aide. A l’association Espoir
goutte d’or, j’ai rencontré cette notion de bas seuil associée à la perspective
communautaire, ce qui m’a incité à
chercher des indices psychosociaux pouvant témoigner de l’expérience de ce
public d’usagers à l’intérieur de cet espace.
Mon questionnement initial était :
qu’est-ce qui conduit un usager de drogues à aller vers un espace « bas
seuil » au lieu d’aller directement vers un centre spécialisé ?
Qu’est-ce qui fait d’un espace « bas seuil » un lieu susceptible
d’être fréquenté ? Quelles sont les constructions effectuées par les
usagers autour du rôle et des objectifs de ces espaces « bas seuil »,
de l’action des personnes qui y travaillent et du sens des activités qui s’y
développent ? Et, quelles sont les caractéristiques des usagers les plus
déterminantes à l’égard de ces constructions ?
Nous savons maintenant, que de par la
mauvaise qualité de leurs échanges avec les institutions sociales et la plupart
des gens qui les entourent, les usagers de drogues développent des stratégies
d’action bien caractéristiques qui vont soit vers un approfondissement dans
l’appauvrissement des liens avec les autres membres de la société, soit vers
une quête de rencontres capables de modifier et d’améliorer ces liens. Si il
est évident que ceux qui rentrent en interaction avec le dispositif bas seuil
cherchent à subvenir à leurs besoins quotidiens les plus basiques, nous avons
pu également remarquer, chez certains, une volonté de rentrer dans des modes de
relation valorisants, où la solidarité s’exprime d’avantage, loin de
l’indifférence et des rapports dégradants, voire agressifs, dont ils sont bien
souvent victimes dans la rue.
A partir des observations et des
entretiens effectués, j’ai réussi à distinguer sept grandes aires analytiques
qui, plus que confirmer mes hypothèses, m’ont donné des pistes extrêmement
intéressantes qui pourraient constituer le point de départ de nouvelles
recherches. Des actions orientées, des services et prestations, des moments
formels de participation et de reconstruction de liens, les grands thèmes, des
règles et des remarques, de la spécificité des femmes, sur l’usage de drogues
et le symbolique de l’abstention, ont été les portes d’entrée vers la
compréhension du sens des pratiques et des discours des usagers de drogues
insérés dans la logique de la réduction des risques.
A propos des activités menées par les UD,
j’ai observé, chez beaucoup d’entre eux, le développement de séquences d’action
avec des parcours assez réguliers. C’est-à-dire que je me suis retrouvée face à
des « routines » d’action, productrices d’une logique dans
l'engrenage des multiples situations d’interaction qui ont lieu au sein du
centre d’accueil. La production de cette logique donne aux usagers la
possibilité de répéter certaines séquences avec certaines personnes, ce qui
favorise l’évolution des interactions et des liens, contribuant ainsi aux
processus de resocialisation et de réduction des risques liés à la consommation
de drogues.
En ce qui concerne les services offerts
dans l’espace bas seuil, j’ai constaté l’existence d’un vrai besoin, de la part
des usagers de drogues. Le fait de pouvoir se restaurer (même s’il s’agit de
céréales, café et thé), téléphoner, se reposer, lire, avoir des vêtements, des
préservatifs et des tampons[57],
participe au maintien d’un équilibre par rapport à la présence et à la
participation des usagers de drogues dans la structure. Donc, nous pouvons
conclure que, compte tenu de la situation de grande précarité dans laquelle se
trouve ce public, l’offre de services basiques est, plus que nécessaire,
indispensable pour la survie des UD et leur resocialisation.
La participation des usagers de drogues à
la réduction des risques, comme modèle sanitaire et social, est un phénomène
bien complexe qui demande la réalisation d’une analyse multifactorielle. Pour
m’en approcher, j’ai pris en compte la parole des UD dans les cadres plus
formels des réunions réalisées dans la structure.
Dans le cas de la réunion collective, je
peux dire que, en général, elle est reconstruite dans le discours des usagers,
comme un espace potentiel de partage d’informations et de participation directe
dans la vie de la structure. Cependant, il y a une proportion du public
d’usagers que, malgré sa connaissance de la réunion, ne trouve pas d’intérêt à
y participer activement. D’après mes observations, ils expérimentent une
certaine appréhension vers la possibilité d’être interpellés, étant donné que
leur parole, hors du cadre de l’association, n’est presque jamais sollicitée.
Quant à la réunion du comité des usagers,
elle témoigne de l’existence de problèmes d’organisation et de participation,
difficiles à surmonter dans des cadres de fonctionnement souples, comme ceux du
dispositif bas seuil, surtout ici du fait qu’il s’agisse d’un public
spécialement marginalisé de la scène sociale. J’ai remarqué que l’accès des UD
à la parole ou plutôt, l’élaboration et la discussion d’un grand nombre de
sujets, leur était particulièrement difficile et que c’était souvent leurs
interlocuteurs, à l’intérieur de la structure, qui faisaient le lien entre
cette parole en formation et son expression publique.
Lorsque les usagers de drogues ont pris
la parole pour s’exprimer, les sujets les plus récurrents ont été : 1) la
légalisation des drogues, 2) la reconnaissance des usagers en tant que
citoyens, 3) les problèmes d’hébergement et d’accès au marché du travail, 4)
les inconvénients avec les traitements de substitution, 5) les changements dans
le flux du deal, 6) les problèmes
avec la police, la justice, les services sociaux et sanitaires, 7) les
problèmes autour des lieux de consommation et, 8) les liens affectifs avec
l’association. Je suis certaine que ces thèmes constituent, actuellement, les
éléments clés des discussions sur le sens de la réduction des risques comme
modèle de politique publique, sa contemporanéité et sa pertinence.
D’autre part, cette recherche m’a permis
de rentrer, de façon un peu indirecte, dans le domaine de la différentiation
homme-femme et son expression dans les modes d’interaction et le tissage de
liens entre les usager(ère)s de drogues qui fréquentent l’association EGO. J’ai
constaté que les femmes usagers de drogues constituaient un public singulier.
La plupart de ces femmes arrivaient à survivre avec les conditions minimales,
tout en continuant dans la consommation.
L’image de « femme forte » est
continuellement défendue de par leurs actes, mais aussi dans leurs
constructions discursives. La défense de soi à travers des agressions –le plus
souvent verbales-, fait partie des stratégies les plus couramment utilisées par
les femmes usagers envers ceux qu’elles considèrent comme étant les auteurs
d’un attaque ou d’un rapprochement pouvant toucher leurs intimités. C’est ainsi
que la place de la femme usager de drogues, à l’intérieur du centre d’accueil,
se construit comme un espace à part, moins accessible que celui des hommes, et
définitivement moins exploré, qui, de ce fait, devient un champ richissime
d’étude et de travail.
Il me reste à faire référence à la
thématique de l’abstinence et des liens de tension qu’elle maintient avec la
perspective de la réduction des risques. Il semblerait que l’idée d’
« aider » les usagers de drogue et celle de la réduction des risques
aient du mal, encore aujourd’hui, à se combiner dans un ensemble cohérent, au
moins en ce qui concerne les productions discursives des usagers rencontrés.
L’aide à la survie, par exemple, constitue un objectif du bas seuil qui est
souvent lié à l’idée d’un travail trop axé sur le présent et, par conséquent,
sans beaucoup d’implications de fond dans la problématique des usagers de
drogues. Je crois que cette friction est marquée par la notion d’aide dont les
usagers parlent, qui est clairement construite à partir de leurs besoins
quotidiens les plus impératifs.
Nous arrivons ainsi à la fin d’un travail
de recherche qui était censé apporter des pistes d’analyse sur la participation
des usagers de drogues à la construction de la réduction des risques. Les
observations et les entretiens que j’ai réalisés m’ont montré que le public
d’usagers de drogues rencontré, développe tout un système d’interactions et de
relations propres à ce modèle de politique publique. Pour beaucoup d’aspects,
je crois que, si l’enjeu n’est pas encore totalement explicité, ces usagers
sont en train de redéfinir leur place comme individus, du fait de l’existence
d’espaces où il leur est possible d’agir sans être constamment confronté au
signalement et au mépris social.
6.- Annexes
Entretien N°1.
Age : 53 ans
Nationalité – Origines : français – algériennes
Niveau d’instruction :
E : Bien, il y a douze questions, mais éventuellement on pourra sortir du cadre… Tu peux répondre…
UD : oui, oui, bien sûr, c’est pas un automatisme
E : quand es-tu venu à l’association pour la première fois ?
UD : je suis venu pour la première fois en… 97
E : c'est-à-dire…
UD : y a exactement, ça fera bientôt six ans.
E : et comment as-tu connu l’assos ?
UD : et ben, j’ai connu ça parce que bon, à cette époque là je touchait à l’héroïne et j’avait un copain qui touchait à l’héroïne et tout ça et un jour il m’a dit on va aller manger à EGO. Après quand je suis arrivé ici bon…
E : t’es venu parce qu’il y avait de la nourriture
UD : voilà, il y avait des trucs à manger et tout ça. On est arrivé le mercredi et on m’a dit : ouais, si tu veux ce soir il y a une réunion et ça et j’ai dit : ouais, mais si c’est pour assister et être _________ c’est pas la peine et ils m’ont dit : non, mais vous avez le droit à la parole et tout et je suis resté.
E : ça a été un mercredi ?
UD : oui, j’étais venu le mercredi, parce que c’est la première fois que j’étais venu et il y avait une réunion ce jour là, donc ça pouvait être que le mercredi. Et je suis resté à cette réunion et ça m’a hyper plût parce que l’UD avait le droit à la parole, au vote, aux, décisions prises en commun et tout ça et j’avait fréquenté différentes associations pour toxicomanes dont au toxicomane on lui demandait son avis, ce sont des décisions qui n’ont été concernées en plus, tu vois ? C’est des décisions qui étaient prises par rapport aux usagers, mais on ne concertait jamais, on ne demandait jamais leur avis, on prenait les décisions à leur place et je trouvait que bon…. C’est inadmissible, comment veux-tu que je prenne une décision à ta place ? C’est inadmissible. Parce que apparemment il y a beaucoup d’associations et de gens et de structures et tout ça qui prennent le toxicomane pour quelqu’un d’irréfléchie, d’irresponsable sans raisonnement ni quoi que ce soit, tu vois ?
E : et ici, tu crois que c’est différent ?
UD : (grand silence) oui, oui… y a…. je dirais pas que c’est une impression, non, parce que bon à un moment donné je m’étais investi vraiment avec EGO. J’ai été moi faire des achats avec eux, j’ai été à la banque alimentaire, je montais à la banque alimentaire pour récupérer les dons alimentaires qu’on nous donné, j’allais tous les jeudis à la banque alimentaire récupérer de la nourriture…
E : avec les gens d’EGO…
UD : oui
E : mais tu dis tout ça en passé, c’est à dire que ça se passe plus comme ça.
UD : ouais, parce que avec le recul et une analyse faite je me suis rendu compte concrètement qu’il y avait beaucoup de « faire semblant ».
E : faire semblant de quoi ?
UD : c’est de gens hyper préoccupés par les usagers et je me suis rendu compte qu’ils avait quand même des préjugés, malheureusement, parce qu’ils prêchent une politique et ils en exercent une autre
E : d’accord, mais tu ne trouves pas que ce n’est pas évident parfois de traduire…parce qu’on est dans une société et quand même c’est un essai de sortir de …
UD : oui mais moi je dis ça par rapport à des situations que j’ai vécu personnellement, ce n’est pas l’opinion de tout le monde
E : bien sûr
UD : mais n’empêche q’ils font quand même du travail qui est assez compétent et tout ça. Moi j’ai été déçu par EGO dans le sens où je pensais qu’ils avaient vraiment…. Qu’ils prêchaient la religion dont ils disaient être les…tu vois ? Et par contre, ils prêchent une religion et ils en exercent une autre
E : d’accord, on va parler de ça tout à l’heure, là on rentre vraiment dans la matière. Alors, pourquoi es- tu venu ? Quelqu’un t’a dit bon on va manger là….
UD : oui voilà c’est par rapport à un copain… je connaissait pas du tout et c’était vraiment venir pour manger. A cette époque là je touchait à l’héroïne et tout ça et je me suis dit tiens s’il y a un lieu pour manger pourquoi pas ?
E : et qu’as-tu pensé de l’association quand tu es venu pour la première fois ? parce que bon, la réunion a été le soir, mais au moment où t’es rentré, t’as vu les gens…
UD : ça m’a…, bon la première heure je suis resté un peu dans mon coin parce que bon je connaissais personne, mais après j’ai vu les accueillants, les accueillantes et tout ça, les stagiaires, les bénévoles, j’ai discuté avec tout le monde. Il n’y avait pas cette barrière qui a entre usager.. ; ils mettaient pas cette barrière tu es usager je suis accueillant, non, il y avait une certaine complicité…
E : même si c’était une autre équipe ?
UD : même si…. C’était une autre équipe. Il y avait Ma, Ro, Ak, Al, So, Ro et Mir. Malheureusement, un certain nombre est parti, sont passées les premiers.
E : ça a tourné
UD : oui, ça a tourné. C’est sûr que les premiers temps quand je suis arrivé y a eu beaucoup de tension, moi j’ai eu beaucoup de tension avec eux, c’était très tendu parce que c’est arrivé de vouloir instaurer certaines lois, je les ai fait comprendre qu’il faut faire avec nous et non contre nous parce que ils seraient perdants
E : d’accord, mais c’était au début
UD : au début, tout à fait au début effectivement, chose qu’ils ont très bien compris et très bien pris parce qu’après effectivement, Philippe, Guillaume et tout ça ont fait avec nous et non contre nous, parce qu’ils avaient compris que s’ils faisaient contre nous ils n’auraient pas fait leur _______ dans l’association. Non, c’est pas possible, si l’accueillant est tous les jours en prise de tête avec les accueillis et tout ça au bout d’un moment ils vont pas dire aux accueillis : bon, ne revenez pas en attendant qu’une autre équipe vienne, ils vont changer de personnel
E : bien sûr, ils craquent et…
UD : mais ouis, et enfin de compte après effectivement ils ont fait des trucs vraiment bien et tout, sans problèmes.
E : pourquoi continues-tu à venir ici ? Il y a six ans tu es venu pour la première fois et là tu continues à venir avec une assiduité assez…
UD : ouais, disons que, j’ai mis des entractes, j’ai mis des espaces à un moment donné, je suis revenu en début septembre (2001)
E : pourquoi ?
UD : rien à voir avec la toxicomanie ni l’association, j’étais venu pour d’autres raisons. Au mois de décembre j’ai quitté l’association avec une amertume très forte.
E : donc, t’es pas venu toujours avec la même fréquence
UD :non, je suis venu de 97 à 99 pratiquement tous les jours, en novembre 99 je suis parti parce que j’étais parti m’installer en Normandie, je suis revenu et après je venais, j’ai fait beaucoup de séjours à l’hôpital donc, de l’année 2000 à ces jours j’ai fait pas mal de séjours à l’hôpital, disons en raison de cinq à six séjours par an. Pour des différents…pour des _______, pour des infections…. Et cette année j’ai voulu, je me suis investi parce que je m’étais engagé à faire une pièce de théâtre pour la journée mondiale du SIDA, donc j’ai pas l’habitude de ne pas respecter mes engagements et sincèrement si j’ai été jusqu’au bout c’est par respect à une personne, uniquement à une personne, parce que je voulais pas lui faire ______ à cette personne. Je me serais senti très mal vis-à-vis d’elle, mais sinon je l’aurais fait, à un moment donné je l’avait _________. Là j’ai vu qu’il y avait eu vraiment… c’est l’un des trucs d’une aberrance inimaginable, tu vois ?
E : pendant que vous prépariez la pièce de théâtre ?
UD : oui, on faisait les répétitions trois fois par semaine avec A., sachant qu’il y avait certaines personnes parmi nous qui habitaient dans des foyers et tout ça et des tas de trucs, qui n’avaient pas la possibilité de manger et tout ça où quoi que ce soit parce qu’ils restaient des fois jusqu’à vingt heures à la répétition. Dans les foyers, après 19h30 on sert plus à dîner, ils ont jamais eu cette _____ d’esprit et pourtant ça a été demandé, ils ont jamais eu cette délicatesse d’offrir au moins… on demandait pas à dîner __________
E : des sandwichs ?
UD : le minimum, des sandwichs, pour que la personne n’ait pas à passer toute la nuit. Ces trucs là m’ont beaucoup croisé. Moi personnellement, moi ça m’a pas touché directement.
E : parce que toi, tu pouvais manger après ?
UD : parce que moi, bon, à un moment donné j’étais pas dans un foyer, donc je rentrais chez quelqu’un je pouvais manger à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et dormir jusqu’à midi s’il fallait… Mais j’ai des copains qui ont participé et qui se sont investis et qui sont venu en manque, en manque aux répétitions, ils étaient en manque de produit mais ils sont venus aux répétitions. C’est hyper important. Tu sais, un toxicomane, rien ne passe avant son produit et là ils venaient en manque pour pas rater les répétitions.
E : donc il y avait un vrai engagement là
UD : tu vois ? il y avait un engagement vraiment sincère de ces gens là, mais moi personnellement on m’a dit ouais Michel voilà je suis en manque mais je suis engagé et tout ça et j’ai dit va te soigner, si tu es en manque et tout ça va te soigner. Et la personne est sortie et une demie heure après elle est revenue, chose que la responsable du théâtre, la réalisatrice S. était étonnée parce que l’année dernière elle a eu beaucoup de problèmes pour les répétitions, jusqu’au dernier jour elle ne connaissait pas encore tous les gens qui allaient participer à la pièce de théâtre parce qu’il y avaient des gens qui partaient qui venaient, jusqu’à la dernière journée elle n’avait pas encore les noms exacts des gens qui allaient participer à la pièce de théâtre.
E : donc cette année ça à marché quoi
UD : y avait des gens… ils avaient pris un engagement et bon ils l’ont respecté. Je te jure c’est hyper important. Les gens croient que bon, c’est vrai que quand tu prends un engagement tu le respectes mais pour un toxicomane… et si le toxicomane ne respecte pas son engagement c’est pas parce que… c’est de force, c’est les choses qui veulent ça dans le sens où… quand il prend cet engagement il est sincère et des fois au moment de le respecter el peut pas c’est parce que son état ne le permet pas, ou il est dans une situation, il peut être en garde à vue, ou un truc
E : ce n’est pas qu’il s’en fout
UD : non, non, c’est par rapport à des situations diverses, soit il est en manque ou il est en garde à vue, ou il se retrouve en prison, ce sont des trucs qui peuvent arriver à tous et à chacun. Et là quand même les gens ont… et même le jour où.. il était convenu que après la pièce de théâtre, après la journée mondiale du SIDA, les gens qui ont participé au théâtre et tout ça iraient manger avec la direction et tout ça… c’était pas le fait d’aller manger au restaurant, si tu veux c’était une question de principes, il était convenu et tout ça et en fin de comptes au dernier moment tout a été boycotté et en fin de comptes il a rien eu.
E : il n’as pas eu de dîner…
UD : non il y a eu un bon dîner où tout le monde a dîné le jour de la répétition, de la représentation mais… que ce soit les gens qui ont participé à la pièce où les gens qui ont été invité à voir la pièce tout le monde a dîné, ça a été un dîner collectif, mais habituellement après cette journée là les gens qui ont participé à…uniquement qui ont participé
E : les acteurs
UD : oui, acteurs entre guillemets, malgré que parmi ces gens là y a des gens qui ont fait du théâtre, pas mal de théâtre avant ça et cette année ça a été vraiment arrivé à… on était une quinzaine de personnes pour les répétitions et tout ça. T’imagines commencer une répétition de trois heures de l’après-midi jusqu’à vingt heures. Ça fait énorme, je te jure que c’est énorme et que disons pour quatorze personnes on a acheté, je dis bien on a acheté avec A., six pizzas de l’argent qu’on a sorti de notre poche
E : d’accord, mais maintenant je voudrais savoir, qu’est-ce que tu fais quand tu viens à l’association ? Précisément, une journée à l’association
UD : précisément, quand je viens à l’association actuellement, sincèrement c’est pour voir deux ou trois personnes autant du coté des accueillis qui sont des amis, et deux trois personnes du coté des accueillants et…
E : et à coté de ça
UD : et à coté de ça pour jouer une partie de scrabble, ou savoir ce qui s’est passé à ______, ou avoir une information, s’il y a quelque chose de nouveau ou des trucs comme ça…. Je viens pas avec….Je sais qu’actuellement, même s’il y a quelques choses, des trucs qui se font et tout ça je ne prendrais pas part aux, par exemple, des trucs qui vont se faire
E : comme par exemple
UD : les activités, je prendrais plus part, c’est fini
E : une activité genre une pièce de théâtre ?
UD : sauf si y a un concours de scrabble, je participerai parce que j’avait donnée ma parole à K.
E : et parce que ça te plaît
UD : et parce que ça me plaît de jouer au scrabble
E : tu participe aux sessions de projection des films aussi parfois
UD : oui parce que j’étais représentant des usagers et bon, il faut bien savoir que tous et chacun a le droit à un moment donné d’aller choisir un film, ce n’est pas toujours les mêmes personnes qui doivent y aller, alors c’est pour ça que des fois, dernièrement, je m’étais accroché avec Ma. pour lui faire comprendre que ce n’est pas à lui, tous les vendredis d’aller choisir un film, tous et chacun ont droit d’aller choisir un film une fois
E : tu participes aussi aux réunions…
UD : je participe surtout aussi au courrier pour les gens qui sont incarcérés
E : ah bon, tu écris avec M. ?
UD : oui, avec M., parce que je trouve que c’est quelque chose de bien. Parce que quelqu'un qui est incarcéré qui reçoit une lettre lui donne liberté, c’est une lettre à la liberté, c’est une bouffée d’air et malheureusement à un moment donné j’ai été incarcéré et j’ai reçu un mot d’EGO, ça m’avait fait très plaisir, des gens, quelques personnes avaient participé à ce courrier, donc, je me suis dit comme moi ça m’a fait plaisir, je sais comment ça m’avait fait plaisir, je suppose qu’à tous et chacun ça fera plaisir de la même façon, donc, j’ai apprécié qu’on m’écrive à ce moment là quand j’étais entre quatre murs, donc, ça me coûte rien de prendre cinq minutes et d’écrire un petit mot à quelqu’un et maintenant j’écris aussi pour le journal quand y a des sujets intéressants comme dernièrement y avait le sujet de… où je m’étais proposé moi-même, parce qu’on parlait des trucs d’hébergement, de la difficulté que rencontrent actuellement les usagers où pas uniquement les usagers, les gens qui sont….
E : qui n’ont pas un logement
UD : qui sont actuellement dans la rue, SDF, voilà, je dirai pas errance, comme la demoiselle la dernière fois parce que ce mot m’avait un peu, je n’avais pas apprécié ce mot l’errance
E : il est trop quoi, péjoratif ?
UD : très péjoratif, pour moi ce n’est que les hiboux, que les hyènes qui errent, l’errance c’est pour les animaux, un être humain il n’est pas errant. J’avait trouvé ça très péjoratif, c’est pour ça que j’avais demandé : excusez-moi, vous pourriez m’expliquer ce que vous entendez par errance ? C’est pour ça qu’à un moment donné quelqu’un j’ai dit écoute je sais bien ce que ça veut dire errance c’est pas à toi que je pose la question c’est à la demoiselle et je voudrais qu’elle me réponde
E : oui tu voulais seulement problématiser la chose
UD : oui comme d’habitude
E : provocateur, pour ne pas perdre l’habitude. Alors, sais-tu ce qui font les personnes qui te reçoivent à l’accueil ? Tu sais qu’il y a des différences dans les…
UD : oui, je connais la formation de chacun des accueillants et des fois je fais amalgame de la formation des stagiaires parce que, tu vois y a de…C’est pas exactement à l’accueil, à la réunion du collectivité tout le monde se présente par son prénom et sa fonction et quand les stagiaires se présente avec son prénom et avec sa…
E : elles disent stagiaires
UD : stagiaires, donc des fois on ne sait pas vraiment la formation
E : d’accord, mais tu sais bien qu’il y a des stagiaires, des accueillants salariés, des bénévoles
UD : oui, oui bien sûr, bénévoles et tout ça, et des accueillants qui travaillent à mi-temps, qui travaillent à plein temps, qui est le bénévole et qui est la stagiaire, je connais la fonction de tous et chacun et des fois bon, y a des trucs que je trouve inadmissibles à l’accueil, comme par exemple, une stagiaire n’a pas le droit de répondre… un bénévole, ils acceptent bien que le bénévole les aide et tout ça, et Noëlle c’est un truc qui l’a toujours marquée jusqu’à maintenant, maman Noëlle qui est bénévole depuis l’ouverture de l’association, ça fait dix-sept ans, à qui on dit ouais en tant que bénévole vous n’avez pas le droit de répondre au téléphone.
E : c’est une grosse discussion jusqu’aujourd’hui
UD : c’est pas logique, t’acceptes que le bénévole vienne, donne un coup de main, serve le lait, rende le truc, prenne le truc, machin et tout mais tu n’acceptes pas, parce qu’il est pas capable, parce qu’il n’est pas apte, parce qu’il n’a pas l’aptitude de répondre à un téléphone ? Il faut pas avoir un bac plus dix pour répondre au téléphone quand même… Allô, bonjour c’est EGO…. Eh bon
E : et à niveau de la hiérarchie, pas par rapport à la direction, de l’accueil
UD : je trouve que….. elle n’est pas tellement voyante la hiérarchie à l’accueil, genre c’est moi qui suis coordinateur, à chaque fois qui impose les choses. Sincèrement je trouve qu’actuellement, untel qui est coordinateur et tout ça, il s’investi autant que…. Par exemple, il va prendre une serpillière ou le balai, il va faire un café. Il ne prend pas son statu de responsable des accueillants. C’est l’impression qu’il donne maintenant. Par rapport au coordinateur qui était avant lui… il n’a pas tenu la route, untel il est pas reste longtemps coordinateur et il est parti, parce que c’est vraiment : je suis coordinateur, je commande, on le voyait très rarement à l’accueil, très rarement et quand il était à l’accueil c’était pour dire non pas ça, fais pas ça….
E : aux accueillants et par rapport aux usagers
UD : il était très mal…. Il n’était pas accepté par les usagers dans le sens où il était très : moi je suis vous n’avez pas à faire avec moi, je suis coordinateur vous avez pas à faire à moi.
E : c’était la même attitude, une distance…
UD : oui, une distance et en fin de compte…
E : ça plaisait à personne
UD : deviné et il est pas resté longtemps
E : comment est ta relation avec l’équipe d’accueil ?
UD : moi disons que, en général, je les aime bien. Des fois un peu tendu, je reconnais que des fois j’ai un caractère assez compliqué, dans le sens…. Actuellement il n’est pas bon d’être franc, je parle pas uniquement de l’association, je parle de la société en général, et donc quand tu dis certaines vérités ça fait… elles sont pas agréables à entendre, et moi je peut pas faire, je n’arrive pas à faire l’hypocrite, dans le sens où si quelque chose me fait mal je le dis tout de suite et je sais que ça fais mal de le dire mais je le dis. Mais bon, il n’y a jamais….elle va pas me tenir en rigueur au lendemain ou un truc comme ça, au lendemain, on s’embrouille comme tout à l’heure je me suis embrouillé avec unetelle ou avec une autre parce j’ai visé L. et je l’ai touchée, je l’ai même pas touchée mais c’est passé à coté d’elle, mais bon je vais et je lui dis unetelle passe moi un coup de téléphone ou fais moi ça et elle le fais sans aucun problème. Il n’y a pas de rigueur de retenu tu vois. Et je reconnais qu’à un moment donné j’étais très mal dans ma peau parce que j’avais cru avoir été contaminé. J’avais pas eu le courage d’aller faire un dépistage. Après moi-même je me suis rendu compte que j’étais vraiment désagréable mais alors, c’était par rapport, j’étais persuadé que j’étais contaminé, persuadé et tu sais quand dans ta tête tu est persuadé, j’avais l’impression que même dans mon corps il y avait quelque chose qui se transformait et tout ça, tellement le psychologique a influence sur le physique tu vois ? C’est mortel. Et jusqu’à un jour un ami m’a dit je vais avec toi quoi qu’il arrive, t’inquiète pas. J’étais passer le test et par contre il y avait rien du tout. Tout est rentré dans l’ordre et c’est pas pour ça qu’ils m’ont tenu en rigueur
E : et avec les usagers c’est comment ta relation ?
UD : eh…..disons que comme je connais pratiquement tout le monde…
E : parce que tu es du quartier ?
UD : je suis du quartier, ça va faire 28 ans que j’habite le quartier. Non j’ai pas des problèmes avec un usager personnellement. Des fois il y a des conflits parce qu’il y a un usager qui vient sous l’effet de somnifères ou de l’alcool chose qui m’est jamais arrivée, même quand je prenais du produit. Jamais tu me verras sous l’effet de l’alcool ou en train de piquer du nez, c’est un comportement que je ne supporte pas. Même quand j’étais toxicomane je ne supportais pas ce comportement de piquer du nez, de venir dormir…. Je ne crois pas que tu m’ais vu un jour dormir à une table ou un truc comme ça ou piquer du nez ou quoi que ce soit
E : jamais
E : alors, mais en général, est-ce que t’as des amis ici ? Des bonnes relations ?
UD : j’ai des très bonnes relations ici, amis je pourrais pas dire. J’estime, j’aime pas mal de gens que ce soit du coté accueillants, de l’administration ou des accueillis. Des accueillis il y a des personnes que j’estime beaucoup, beaucoup, pour qui je serais capable de faire beaucoup de choses…. Et parmi les accueillants il y a des personnes pour qui j’ai beaucoup d’estime, énormément d’estime et énormément de respect, je respecte toute le monde mais il y a des personnes pour qui j’ai énormément de respect. C’est normal, tu peux pas aimer tout le monde au même niveau, certaines personnes pour lesquelles t’as plus de tendresse. Il n’y a pratiquement pas de personnes que je dirais ouais j’aime pas cette personne
E : que tu puisses pas supporter
UD : il y a deux trois personnes qui fréquentent la boutique, je ne les supporte pas, qui fréquentent, je ne supporte pas mais alors je ne supporte pas même en peinture. C’est des gens qui viennent jamais à EGO.
-Il y a des moments où même moi des fois ça m’arrive d’être mal et d’être….parce que ici on te dit ouais quand tu n’est pas bien il faut me le dire et tout ça…._________ la dignité de la personne et du moins moi j’essaie de la garder. Et des fois il est dur d’aller… tu sais c’est dur de demander, très dur….
E : de demander quoi, de l’aide ?
UD : de l’aide, c’est très, très dur. C’est dur dans le sens où tu te dis ouais je vais gérer ça, je vais essayer de régler ça moi-même. C’est faux tu n’arrives pas à le faire tout seul.
E : donc si on reviens à la question de pourquoi tu viens, pourquoi tu continues à venir, il y a aussi un besoin de…
UD : ouais, ouais il y a un besoin de voir des gens… je sais que demain je vais reprendre, quand je dis demain, dans les jours qui s’approchent, je vais reprendre une activité professionnelle, j’attends juste des confirmations et tout ça, et je sais que demain je vais travailler parmi les gens « normaux », comme on dit, mais je vais dire rentrer dans le moule travail, dodo, boulot et compagnie. Et je ne pourrais pas m’empêcher de ne pas venir de temps en temps à EGO. J’étais parti en Normandie pendant sept mois, mais pendant sept mois au bout d’un mois, un mercredi soir tu me voyait débarquer à la réunion et après je reprenais la voiture et je rentrais en Normandie. Sincèrement y a des gens que si je venais pas à EGO ils me manqueraient dans un sens affectif.
E : tu fais pas des démarches ici M., tu n’as pas des démarches à faire ? c’est ça ou c’est parce que t’aimes pas les faire ici, tu les fais toi-même ?
UD : non parce que mes démarches bon, effectivement…. J’ai aucun problème avec ma carte d’identité, je sais qu’il faut un extrait de naissance, une domiciliation et deux photos, j’ai pas besoin d’être soutenu, pris par la main pour aller déposer le dossier pour ma carte d’identité parce que c’est un truc utile pour moi
E : mais tu sais qu’il y a des gens qui le font
UD : excuse-moi c’est ça que je voulais te dire, à un moment donné il a fallu que, à une époque de ma vie si on ne m’accompagnait pas pour aller faire un papier j’allais pas le faire
E : à cause du produit ?
UD : par rapport au produit, j’avais la flemme….. Maintenant je sais que par exemple j’ai la CMU, ma CMU a expirée le 2 janvier, le 3 janvier au matin j’étais au bureau de la sécurité sociale et j’ai renouvelé ma CMU, c’est moi qui______ difficile. Pourquoi je vais attendre qu’on va me dire M. il faut y aller, j’en ai besoin pour des soins. Maintenant, bien sûr, parce qu’il y a ce truc aussi, le produit n’a plus cette place dans ma vie de promet à nécessité
E : tu peux dire que t’arrives à gérer ta consommation ?
UD : absolument, des fois je reste, je sais pas, un mois sans toucher même un truc et un soir je me dis tiens je vais faire un petit délire et après s’est reparti pour un mois que je touche pas ou un truc comme ça, ça me gêne pas du tout
E : et ça a à voir avec le travail fait par l’association ou bien…
UD : non je crois que quelque part à un moment donné l’association avait apporté ses fruits
E : dans quel sens ?
UD : à un moment donné quand je m’étais investi avec EGO et tout ça, je me disait j’ai pas le droit de jouer sur les deux tableaux, je n’ai pas le droit, dans le sens où je m’étais engagé avec EGO, je venais par exemple faire des travaux, tu vois mettre des étagères, un tas des trucs tu vois. Aller par exemple… jeudi je donnais rendez-vous avec telle ou telle, elles venaient me chercher en voiture en bas de l’hôtel pour aller à la banque alimentaire, quoi qu’il arrivait, le jeudi à neuf heures du matin, même si je n’avait pas dormi de la nuit j’étais au rendez-vous à neuf heures pour y aller, je pouvais pas…. J’avais pris un engagement avec ces gens là, je ne pouvait pas faire de ne pas le respecter
Il y a aussi ce truc qu’avec le recul tu te rends compte que t’es pas né avec le produit, donc à un moment de ta vie t’as vécu sans ce produit et tu vivait très bien, c’est bien au contraire que depuis que tu prends le produit que ne tu vis pas très bien, donc tu te dis merde je sais qu’avec le produit je ne vis pas très bien pourquoi je continue à le prendre ? Donc après c’est une question de logique, de raisonnement, beaucoup de gens ne sont pas encore arrivé à ce raisonnement parce qu’ils se donnent pas la peine de réfléchir, mais quand tu te donnes la peine…. Ils sont pas encore arrivés au stade de se dire putain ce quoi cette vie là ? Parce que je pense, je suppose qu’à tous et à chacun à un moment donné ça nous arrive de dire putain qu’est-ce que je fais ? C’est-ce que m’est arrivé avec l’héroïne en me disant putain c’est pas mon truc, c’est pas mon truc… et j’ai étais faire des démarches de moi-même, j’ai pas été en post-cure je suis reste dans Paris et depuis 97 j’ai jamais retouché un truc d’héroïne, jamais jusqu’à maintenant, donc j’ai eu cette volonté
E : par rapport à la prise de substances, est-ce qu’on t’a déjà demandé ici d’arrêter, on a fait de jugements sur toi ?
UD : non, absolument pas, dans l’ensemble d’EGO par rapport à la prise de produits y a pas des jugements de portés. C’était surtout des personnes qui travaillaient à EGO qui, j’en suis sûr, m’estimaient bien, qui me disaient putain c’est pas ton paramètre, ça me sort de la tête que tu prenne de la came, t’as tes capacités autres que… c’était pour mon intérêt, c’était pas une critique qu’ils me faisaient, ni un jugement c’était une constatation pour….. mais autrement, on m’a jamais dit ouais si tu continues à prendre du produit tu viendras plus à EGO ou tu ne participeras plus à tel truc, non, non
E : ok, on passe. Dis-moi, d’après toi quels sont les temps de réunion à EGO où tu peux participer ?
UD : disons qu’il y a des réunions où tu peux bien participer
E : mais lesquelles ?
UD : il y a la réunion des usagers à laquelle je voudrais
bien participer à chaque fois, mais elle est un lundi, début de semaine,
franchement des fois t’as des trucs à faire, t’as des rendez-vous, t’as des
machins…. C’est vraiment pas possible. Et des fois c’est embêtant parce que à
16h30 je suis libre mais à 15h00 des fois ça m’arrive d’avoir un rendez-vous
j’ai une thérapie avec un psy et des fois ça tombe le lundi….
8.- Bibliographie
Association Espoir Goutte d’or. Rapport d’activité
2000. Paris
Association Espoir Goutte d’or. Rapport d’activité
2001. Paris
Bergeron H. L’Etat et la toxicomanie. Histoire
d’une particularité française. 1999.
Paris
Bouhnik P., Jacob E., Maillard I. et
Touzé S. L’amplification des risques chez les usagers de drogues précarisés.
Prison-Polyconsommation-Substitution. Les années cachets. 1999.
Castel R. (dir.). Les sorties de la toxicomanie.
Types, trajectoires, tonalités.1992.
Paris
Cattacini S., Lucas B., Vetter S. Modèles de
politique en matière de drogue. Une comparaison de six réalités européennes. L’Harmattan. 1996. Paris
Coppel A., Les intervenants en toxicomanie, le
sida et la réduction des risques en France. Revue Communications. N° 62. « Vivre avec les drogues ». p.
75-108. EHESS/Centre d’études transdisciplinaires. 1996. Paris
Ehrenberg A. (dir.). Individus sous influence.1991. Paris
Ehrenberg A., Mignon P. Drogues, politiques et
sociétés. 1991. Paris
Elias N. La société des individus. Librairie Arthème Fayard. 1987 (1991 pour la
traduction française).
Faugeron C. (dir.). Les drogues en France.
Politiques, marchés, usages. 1999.
Paris
Frydman N., Martineau H. (dir.) Bilan des
connaissances en France en matière de drogues et des toxicomanies. 1998. Paris
Goffman E. Interaction
ritual. Essays on face-to-face behavior. Anchor Books edition. 1967. New York
Goffman E. L’arrangement des sexes. Kluwer academic publisher. 1977. (La Dispute,
réédition et traduction, 2002)
Gourmelon N. Nouvelles populations limites et
changements institutionnels : histoire d’une mutation. Thèse doctorale. Université de Metz. 2001. Paris.
MILDT. Repères pour une formation à la prévention. 2001. Paris.
MILDT. Drogues savoir plus. Livret de
connaissances. Drogues et usages : les dispositifs publics. MILDT/OFDT/CFES. 1999. Paris.
Jacob E. Capter les usagers de drogues .
Analyse des transformations des modes d’intervention en matière de toxicomanie
au travers de l’expérience de quatre dispositifs d’accueil dits à « bas
seuil ». Mémoire de D.E.A.
Paris VIII. 1996.
Jacob E. Les structures à « bas
seuil » : nouvelle appréhension des phénomènes de toxicomanie ou
gestion à minima des « populations à risques » ? Revue PREVENIR, n° 32, 1er semestre 1997.
Jamoulle P. Drogues de rue. Récits et styles de
vie. Editions De Boeck Université.
2000. Paris, Bruxelles.
Ogien A., Mignon P. (dir.). La demande sociale de
drogues. 1994.
Papart J.-P et autres. La santé : une
question d’égalité. Evidences scientifiques et impératif de société. Revue Santé Publique, N° 2247, 1999.
Pavageau J., Gilbert Y. et Pedrazzini Y. (dir.). Le
lien social et l’inachèvement de la modernité. Expériences d’Amérique et
d’Europe. Editions L’Harmattan/ARCI.
1997. Paris.
Xiberras M. Les théories de l’exclusion. Méridiens Klinksieck. 1994. Paris
[1] Jacob E. (1997), Les structures à « bas seuil » : nouvelle appréhension des phénomènes de toxicomanie ou gestion à minima des « populations à risques » ? , Revue Prévenir, n° 32, p. 104.
[2] Voir le préface de Michel Joubert dans le livre de Pascale Jamoulle « Drogues de rue. Récits et styles de vie ». 2000
[3] Bouhnik P., Jacob E., Maillard I. et Touzé S. (1999) L’amplification des risques chez les usagers de drogues précarisés. Prison-Polyconsommation-Substitution. Les années cachets, p. 152.
[4] Rapport d’activité 2002 de l’association EGO, p.7.
[5] J’y reviendrai avec plus de détails dans la partie réservée aux précisions sur la structure.
[6] Il faut, tout de même, souligner que ma conception du terme « pratiques » englobe le discours. La différentiation que j’en fais ici s’avère méthodologiquement adaptée pour démarquer ce qui se dit de se qui se fait. Je fais référence à la différentiation faite par Goffman E. (1969) entre les patrons d’action verbale et non verbale qui guident les interactions entre les personnes.
[7] J’ai communiqué aux interviewés, avant la réalisation de chaque entretien, que ce travail de recherche était une démarche professionnelle tout à fait indépendante du travail mené par l’association.
[8] Chiffres calculés sur la base d’une file active de 1849 usagers de drogues.
[9] Il est intéressant de souligner que suivant le rapport d’activité de l’année 2002, 28% du public n’a aucun hébergement, p. 15.
[10] Citation faite par Coppel A. (1996) d’un article publié dans Le Monde du 23 décembre 1992.
[11] A ce sujet voir les travaux de Jacob E. (1996), Gourmelon N. (2001), et Joubert M. dans Faugeron C. (1999).
[12] Jacob E., 1997, p. 104.
[13] Coppel A., Les intervenants en toxicomanie, le sida et la réduction des risques en France, Revue Communications, n° 62, 1996, p. 91.
[14] Idem.
[15] Site internet de Médecins du monde : www.medecinsdumonde.org
[16] Joubert M., Politiques locales, santé et toxicomanies…, p. 218, dans Faugeron C., Les drogues en France, 1999.
[17] Cattacini S. (1996), Modèles de politique en matière de drogues, p. 218.
[18] C’est le cas, en France, de beaucoup d’associations qui reçoivent une subvention de l’Etat ou de la municipalité.
[19] Cette phrase de Bergeron, 1999, p. 96, fait mention au début des années quatre-vingt, lorsque après dix ans d’expérimentation des professionnels, les « toxicomanes » arrêtent d’être considérés comme des personnes capables de « savoir ce qui est bon pour eux et d’occuper, par conséquent, une place dans le processus d’élaboration de l’offre sanitaire ».
[20] Ehrenberg A. (1991), Individus sous influence, p.244
[21] Idem, p.242
[22]
Pour une analyse plus approfondie de ces questions voir l’article de Joubert M.
Politiques locales, santé et toxicomanies : les termes d’une
recomposition dans « Les
drogues en France. Politiques, marchés, usages » dirigé par Faugeron C., p. 213 à 223.
[23] Coppel A. (1996), op. cit., p. 92.
[24] Cattacini S., op. cit., p. 217.
[25] Et c’est l’objectif, lui aussi, une des raisons importantes à considérer.
[26] Jamoulle P. (2000), Drogues de rue. Récits et styles de vie. p. 180.
[27] Rapport d’activité 2000, p. 7.
[28]
Idem
[29] Blanchard H., op. cit., p. 57.
[30] Rapport d’activité 2001, p. 26.
[31]
Idem.
[32] Xiberras M. (1994), Les théories de l’exclusion, p. 55.
[33]
Traductions faites par moi de la version originale de l’ouvrage d’Erving
Goffman (1969) « Ritual Interaction ».
[34] Blanchard H. (1997), Pour une approche du lien social en terme de régulation, p. 5, dans Pavageau J. (1997), Le lien social et l’inachèvement de la modernité..
[35] On retrouve cette approche dans l’article de Papart J.-P., Chastonay Ph. Et Froidevaux D., op. cit., p. X, 1999.
[36] L’hypothèse du lien social comme facteur de protection de la santé des populations est présentée schématiquement par Papart J.-P, Chastonay Ph. Et Froidevaux D. dans leur article : La santé : une question d’égalité. Evidences scientifiques et impératif de société, dans Revue Santé Publique, p. X, 1999.
[37] Parquet J.P. (1998), Pour une prévention de l’usage des substances psychoactives, p.11.
[38] Goffman E. (1969), Interaction Ritual, p. 12. L’auteur appelle ce processus : face-work et le premier chapitre de son livre est dédié à l’explication de ses bases et de ses modes de fonctionnement. J’ai traduit le terme face par celui d’image puisqu’il m’a semblé le plus adapté par rapport à la signification donnée par Goffman.
[39] Op. cit. p. 5.
[40] Cet ordre ne prend pas en compte les formes de politesse développées à l’arrivée par chaque usager, lesquelles ont été analysées plus haut dans la partie réservée aux « actions orientées ».
[41] Avec l’adjectif communicatif je veux faire référence au besoin de communiquer lui-même et aux contenus et finalités de la communication.
[42] C’est une réunion comme celle-ci qui a donné naissance au projet de l’association en 1987 et qui, depuis, a continué à exister sans interruption tous les mercredis soir.
[43] Lorsque je parle de « descentes » je me réfère aux moments où la police, organisée par groupes de 5 ou 6 policiers, sort dans la rue de façon massive, pour faire un travail général de surveillance et de sanction des diverses infractions commises dans la rue.
[44] Par faiblesse psychologique j’entend l’état de désavantage des usagers face aux dealers lorsqu’il s’agit de négocier l’achat de la drogue, surtout si l’on prend en compte les états de manque.
[45] Par faiblesse sociale j’entend l’état de désavantage des usagers face au reste des groupes et des catégories sociales, étant donné le rejet social dont ils sont objet.
[46] Le terme « substitué » fait référence aux usagers qui prennent un traitement de substitution, soit au Subutex soit à la méthadone.
[47] Rapport d’activité 2002. Ces pourcentages ont été calculés à partir d’une file active de 1849 usagers de drogues.
[48] Bien que la consommation dans des lieux privés ne puisse être sanctionnée qu’occasionnellement.
[49] Goffman E. (1969), p.19.
[50] Blanchard H., Pour une approche du lien social en terme de régulation, dans Pavageau J., Gilbert Y. et Pedrazzini Y., Le lien social et l’inachèvement de la modernité, 1997.
[51] Extrait du préface fait par Zaidman C. (2002) pour la réédition et traduction française de « L’arrangement des sexes » d’Erving Goffman (1977), p.9.
[52] Goffman E., op. cit., p.p.113-114.
[53] Je me réfère spécifiquement à l’ouvrage collectif de Cattacini S., Lucas B., et Vetter S., Modèles de politique en matière de drogue, 1996.
[54] Cattacini S. et autres, op. cit., p. 15.
[55] Je dis ceci car dans une démarche sociologique, il est impératif de prendre en considération les effets de la « désirabilité » sociale sur les pratiques et les discours des gens. Ce que l’on devrait dire et ce que l’on devrait faire par rapport à un sujet déterminé, est conditionné, au moins partiellement, par les conventions et les normes sociales. Suivant Goffman E. (1969), pour rentrer dans ces « lignes » d’interaction sociale, les gens entament un travail d’image qui cherche à maintenir l’équilibre des relations et qui contribue à reproduire lesdites lignes.
[56] La conformation de groupes à l’intérieur de la structure dépendait aussi des substances consommées, de l’ancienneté de la fréquentation, des origines culturelles, entre autres.
[57] Mais aussi de matériel propre pour la consommation, tel que le kit sniff et le stéribox qui sont donnés par le programme d’échange de seringues de l’association.