Évaluation d’un programme de réduction des risques

Rapport (2003) de l’OFDT : Médiation et réduction des risques – Évaluation du programme de réduction des risques et de médiation sociale dans le 18° arrondissement de Paris

 

(École des Mines, 12 mai 2005)

François Nicolas

 

 

Plan

 

Introduction.................................................................................................................................... 1

Un rapport.................................................................................................................................... 1

Remarques................................................................................................................................ 2

Méthode....................................................................................................................................... 2

Évaluation d’un programme ?.................................................................................................. 2

Cette évaluation ?..................................................................................................................... 2

Nécessité d’un parcours rétrograde........................................................................................... 3

Évaluation....................................................................................................................................... 3

Effets............................................................................................................................................ 3

Effets sur les habitants ?............................................................................................................ 3

Effets sur les toxicomanes ?....................................................................................................... 4

Effets sur les rapports habitants / toxicomanes........................................................................... 4

Effet sur les militants de la réduction des risques : un réseau effectivement coordonné............... 4

Effet sur la situation.................................................................................................................. 4

Moyens......................................................................................................................................... 4

« Médiation »............................................................................................................................ 5

Une médiation diversifiée…....................................................................................................... 5

Le contenu véritable de la médiation......................................................................................... 5

Résultats de cette médiation pour l’Ofdt ?................................................................................. 5

Objectifs....................................................................................................................................... 5

La médiation à nouveau…........................................................................................................ 6

Les objectifs............................................................................................................................... 6

Problèmes..................................................................................................................................... 6

Postulats................................................................................................................................... 6

Situation....................................................................................................................................... 7

Sondage.................................................................................................................................... 7

Reconnaître…........................................................................................................................... 8

Bilan global..................................................................................................................................... 8

Remarques.................................................................................................................................... 8

Coût.......................................................................................................................................... 8

Reproduction ?......................................................................................................................... 8

Au total…..................................................................................................................................... 8

 

Introduction

Un rapport

Un rapport (en date de septembre 2003 et publié en 2004) de l’OFDT : Médiation et réduction des risques – Évaluation du programme de réduction des risques et de médiation sociale dans le 18° arrondissement de Paris. [1]

Écrite par une sociologue (Sonia Fayman), une anthropologue (Christine Salomon) et un médecin (Patrick Fouilland).

Remarques

• Il s’agit d’évaluer non pas un programme de soins proprement dit mais un programme de réduction des risques. L’intérêt : évaluer cette logique de réduction des risques, en particulier sa manière spécifique de mettre en œuvre une problématique de « soins ».

Le titre du rapport associe réduction des risques et médiation sociale. On a donc ici regroupées deux dimensions de la politique de réduction des risques : action sur les toxicomanes et actions sur les gens, en l’occurrence les habitants d’un quartier.

• Il s’agit pour nous d’évaluer à partir d’une évaluation. Proposons pour cela une méthode.

Méthode

Évaluation d’un programme ?

Évaluer le travail d’une structure, cela revient à examiner ses intentions déclarées pour les mettre en rapport avec ses actes puis avec ses résultats constatables en sorte de comprendre sa logique à l’œuvre, ses intentions éventuellement plus secrètes, moins ouvertement mises en avant mais peut-être plus effectives, son efficacité réelle, etc.

Classiquement, l’évaluation du travail d’une institution procède donc de cette manière : elle pose qu’il y a au départ une situation que l’institution en question problématise — l’institution dégage ce qui à ses yeux constitue dans cette situation des problèmes, problèmes sur lesquels l’institution se propose d’agir, pour les réduire, les régler, ou du moins les traiter. Pour cela l’institution se fixe des objectifs qui vont orienter son action. Ensuite l’institution met en œuvre des moyens au service des objectifs qu’elle s’est fixée. Et enfin il s’agit d’examiner les effets induits par cette mise en œuvre, effets sur la situation de départ, en sorte de prendre mesure des changements opérés par l’institution dans la situation qui est la sienne.

Une évaluation raisonne donc sur l’enchaînement suivant :

Situation → Problèmes → Objectifs → Moyens → Effets

Comme la chaîne se ferme (les effets portant sur la situation de départ), il faut penser la chaîne comme une boucle qu’on peut représenter en un pentagone :

 

 

Évaluer le travail d’une institution quelconque, ce n’est donc pas essentiellement se demander : « combien ça coûte ? » mais plutôt « à quoi ça sert ? », se demander donc comment cette institution « sert » à traiter ce qui, dans une situation, est considéré comme un problème.

Cette évaluation ?

• Ce rapport évalue Coordination Toxicomanies 18ème au premier semestre 2001. Le sondage sur lequel il s’appuie (voir plus loin) a été réalisé en février-mars 2001, au moment même où Coordination Toxicomanies 18ème se transformait, après 18 mois d’une période expérimentale, en institution pérenne.

• Le projet de Coordination Toxicomanies 18ème est articulé dans le quartier au travail de quatre structures d’accueil : La Boutique, EGO, la Terrasse, le « Sleep-in » (Step est ici inclus dans EGO) qui sont le fer de lance dans le quartier de la politique de réduction des risques. Concentration importante, « indéfendable » même (65) selon le rapport de l’Ofdt :

« La Coordination n’a probablement pas convaincu, parce que c’est indéfendable, du bien-fondé de la concentration des structures sur un périmètre restreint dans qu’aucune autre ne soit ouverte dans d’autres quartiers pendant toute cette période. » (65)

• Ce réseau est complété par des « associations d’habitants » favorables à la politique de réduction des risques, associations au nombre de quatre (La Chapelle, Paris Goutte d’Or, EPOC, AM 18 [2]), dont le rapport indique qu’elles « ne sont certes pas représentatives de l’ensemble de la population ». (96)

 

Évaluer Coordination Toxicomanies 18ème, c’est donc comprendre son travail réel en examinant :

1) comment elle problématise la situation des quartiers du 18ème sur lesquels elle s’est installée ;

2) quels objectifs elle se fixe pour traiter ce qu’elle considère comme constituant les problèmes des quartiers en question ;

3) les moyens qu’elle met en œuvre pour remplir ces/ses objectifs ;

4) enfin les effets constatables de son travail sur le 18ème.

Nécessité d’un parcours rétrograde

Le rapport de l’Ofdt ne procède pas exactement selon cet ordre. À vrai dire, son ordre d’exposition est plus discursif, narratif que systématique si bien que pour nous approprier son évaluation, il ne nous suffira pas de le résumer en suivant l’ordre de notre pentagone en commençant par la situation pour aboutir aux effets, via les problèmes, objectifs et moyens. Il s’avère en effet que clarifier ce qui fait problème pour Coordination Toxicomanies 18ème ne peut se réaliser qu’en bout de course, une fois qu’on a compris sa ligne de conduite réelle, c’est-à-dire une fois qu’on a compris ses objectifs effectifs (qui ne sont pas forcément exactement les objectifs déclarés), les moyens réels dont elle se dote (c’est là où une institution met ses forces qu’on saisit le mieux ce qui l’intéresse réellement), les effets concrets de son travail (par-delà les déclarations d’intention).

Ce n’est donc qu’au terme du parcours intégral de notre pentagone qu’on comprend ce qui intéresse vraiment Coordination Toxicomanies 18ème, ce qui pour elle fait vraiment problème et qui n’était pas forcément décryptable au départ.

Il nous faut donc procéder ici par ordre rétrograde : partir des effets constatés par le rapport de l’Ofdt (concernant l’action menée par Coordination Toxicomanies 18ème), puis examiner les moyens mobilisés par Coordination Toxicomanies 18ème pour aboutir à ces effets, remonter ensuite à ses objectifs pour in fine dégager ce qui pour Coordination Toxicomanies 18ème fait en vérité problème dans la situation des quartiers du 18ème, ce qui motive donc son travail.

On examinera donc successivement — voir le pentagone — la transformation de la situation (ou rapport des effets à la situation de départ), l’efficience (ou examen des moyens rapportés à leurs effets), l’adéquation de ces moyens aux objectifs véritables, enfin la problématisation rendant réellement compte de l’action de Coordination Toxicomanies 18ème.

Évaluation

Effets

Quels sont les effets du travail de Coordination Toxicomanies 18ème selon l’Ofdt ?

« L’évaluation a pu analyser des effets à court terme de la mise en oeuvre du dispositif, qui ne préjugent pas de ses résultats. Commenter les bilans d’activité de la Coordination, qui mentionnent précisément le nombre et la nature des interventions opérées auprès d’habitants des quartiers ou des usagers, n’apporterait pas d’autre enseignement que la preuve de l’activité importante des coordinateurs et des premières lignes. » (61)

Difficulté rencontrée par les rapporteurs : Coordination Toxicomanies 18ème tient comptabilité de ses « actions » (des « moyens » engagés), non de ses effets réels.

Le rapport essaye cependant de dépasser cette limite et d’évaluer les effets. Voyons comment.

Effets sur les habitants ?

« La Coordination a toujours répondu aux appels des riverains, soit par conversation téléphonique, soit en se rendant sur place, en écoutant et en dialoguant. Si cela ne suffit pas, et qu’il est nécessaire d’engager des démarches (pour limiter ou supprimer les va-et-vient d’usagers dans l’immeuble ou pour procéder à du ramassage de stocks de matériel d’injection usagé), la Coordination fait appel au service compétent. Ensuite, les coordinateurs ou les premières lignes viennent voir si leur appel a été suivi d’effets, faute de quoi ils relancent les services responsables.

Il est certain que ce mode de fonctionnement n’a pas toujours contenté des habitants las de devoir faire de multiples réclamations pour vivre dans des conditions décentes d’hygiène et de tranquillité. Mais la Coordination ne pouvait pas faire plus ». (66)

Premier effet donc : un scepticisme et une lassitude des habitants devant une inertie des pouvoirs publics.

« La Coordination n’a probablement pas convaincu, parce que c’est indéfendable, du bien-fondé de la concentration des structures sur un périmètre restreint ». (65)

Le rapport constate donc que le travail de Coordination Toxicomanies 18ème pour promouvoir les structures de réduction des risques n’a pas convaincu les habitants du 18ème.

Effets sur les toxicomanes ?

« Les responsables des structures n’ont pas un point de vue unanime sur la capacité qu’a eu le dispositif d’améliorer la situation sanitaire et sociale des usagers. » (43)

Même sur ce plan (qui, comme on va le voir, constituait un objectif central du dispositif), et même du point de vue des acteurs de ce dispositif, les effets du travail de Coordination Toxicomanies 18ème ne sont pas éclatants.

Effets sur les rapports habitants / toxicomanes

« La médiation n’a jamais permis un véritable dialogue entre usagers et riverains. » (88)

Ainsi Coordination Toxicomanies 18ème ne semble pas avoir pu rapprocher et accorder habitants et toxicomanes. Un exemple précis fait mieux comprendre pourquoi :

« EGO et la Coordination ont mis en avant le fait que le comité d’usagers de EGO avait placardé des affichettes visant à dissuader d’autres usagers d’acheter ou de consommer leur produit devant des enfants. L’initiative est louable mais d’une part le libellé n’est pas très explicite et il n’est pas sûr qu’il soit compris pour son sens réel ; d’autre part, ceux qui ont rédigé ou affiché ces exhortations peuvent très bien passer par des moments où ils perdent de vue les recommandations qu’ils ont eux-mêmes formulées et tomber dans des comportements peu éducatifs. » (80)

Là encore, la nature superficielle des moyens engagés ne permet guère d’espérer des effets notables.

Effet sur les militants de la réduction des risques : un réseau effectivement coordonné

En fait, le seul effet notable du travail de Coordination Toxicomanies 18ème semble le suivant :

« La Coordination a eu un rôle de liaison entre les structures à bas seuil. » (36)

Il s’agissait en effet de mettre en réseau et coordonner les structures  spécialisées :

« La pertinence du dispositif repose également sur la présence de structures spécialisées constituant un potentiel de prise en charge fragmenté, qu’il importait donc de mettre en réseau et de coordonner pour une meilleure efficacité d’une part et afin de dissiper l’effet de redondance dans un périmètre restreint, désagréable à certains habitants, d’autre part. » (38)

Il s’avère ainsi que le principal effet de Coordination Toxicomanies 18ème ne porte pas les habitants, ni même sur les toxicomanes, mais bien sur les structures de la réduction des risques dans le quartier : Coordination Toxicomanies 18ème arriverait à résoudre les rivalités entre ces structures, à coordonner leurs initiatives, bref à mieux faire converger les acteurs de la réduction des risques qui, apparemment, ne s’entendent guère spontanément.

Effet sur la situation

Le rapport l’Ofdt mentionne en sus un effet « inattendu » :

« Il n’est pas exclu que l’action des équipes de rue de la Coordination ait joué un rôle dans le déplacement du trafic vers le 19ème. » (100)

Pourquoi cette substitution d’un quartier à un autre est possible ? Pour cette raison qu’indique le rapport :

« Les usagers se rendent dans des lieux tels que la Goutte-d’Or ou La Chapelle pour s’approvisionner sur un marché plus fourni que ceux de banlieue, notamment en ce qui concerne le crack et pour consommer à l’écart du regard de leurs proches. Les lieux de deal, fixes ou mobiles, du 18e arrondissement sont donc fréquentée en partie par des clients venus d’ailleurs, de banlieue ou de province. » (21).

C’est parce que les toxicomanes intéressés par les structures de réduction des risques installées dans le 18ème ne sont pas en majorité des gens du quartier mais des personnes qui y viennent pour se procurer de la drogue qu’elles peuvent facilement se déplacer dans un autre quartier, au gré du trafic..

Moyens

Quels sont les moyens mis en œuvre par Coordination Toxicomanies 18ème ?

« Médiation »

Le moyen essentiel mobilisé par Coordination Toxicomanies 18ème se présente comme une « médiation », médiation tout azimuts, médiation remède universel :

« La médiation est invoquée comme la nouvelle panacée du lien social » (11)

Cette « médiation » se substitue au thème de l’éducation :

« Les termes de référence du projet nommaient des éducateurs » qui « ont aussi été appelés médiateurs, un seul d’entre eux ayant cependant cette qualification lors de son entrée à la Coordination ». (32)

D’éducation des toxicomanes à médiation, les objectifs ne sauraient être les mêmes : où l’on voit que ce sont les moyens effectifs (ici médiateurs plutôt qu’éducateurs) qui éclairent les objectifs véritables et donc que l’évaluation doit opérer dans un ordre rétrograde de l’ordre logique.

Une médiation diversifiée…

« Selon que la médiation était censée s’exercer entre usagers de drogues et habitants/commerçants des quartiers ou entre usagers et structures d’accueil et de soins, entre structures et habitants, ses attendus et ses modalités ne seraient pas identiques. » (11)

Médiation tous azimuts donc, terme devenant passe-partout :

« L’usage du terme de médiation est souvent abusif » (11)

À quoi ce terme sert-il donc ? Que recouvre-t-il ?

Le contenu véritable de la médiation

« Une certaine priorité a été donnée aux usagers par rapport aux riverains. » (54)

Le cœur de Coordination Toxicomanies 18ème semble donc pencher du côté des toxicomanes, ce qui concorde avec le fait que la cible de sa « médiation » s’avère moins les toxicomanes que les habitants. Voyons comment.

La médiation est « affichée comme un moyen de réduire les tensions entre habitants et usagers. » (92)

Il s’avère que la réduction des risques va être pratiquée par Coordination Toxicomanies 18ème de manière dissymétrique :

« Il a été difficile à la Coordination de maintenir une neutralité sur ces questions. » (64)

En effet, ceux qui se révoltent contre la situation du quartier, ce sont les habitants, non les toxicomanes. Réduire les tensions veut dire alors calmer cette révolte des habitants, ce qui va se faire en plaidant une acceptation de la situation.

Ce « moyen » se déploie alors sur fond de ce qu’il faut bien appeler un double discours :

« L’ambiguïté de la mission se révèle dans le discours tenu par les équipes de rue au cours de leurs tournées, selon qu’il s’adresse à des riverains ou à des usagers. » (63)

Discours à double face quand la réalité est plutôt que Coordination Toxicomanies 18ème se vit en avocat des toxicomanes dans la situation : comme le dit un toxicomane aux rapporteurs,

« Dès que les gens de la Coordination voient un usager contrôlé par les flics, ils y vont » (75)

Résultats de cette médiation pour l’Ofdt ?

« Ce n’est pas vraiment de la médiation mais une action d’interpellation et de rapprochement de différentes institutions » (48)

Ainsi le principal résultat de cette « médiation » tient à une coordination des structures de la réduction des risques dans le quartier alors que

« l’objectif de médiation [est] peu adapté aux tensions et aux conflits nés de la toxicomanie de rue dans des quartiers en difficulté de tous ordres. » (94)

Le rapport relève la principale difficulté : face à la déliquescence d’un quartier, la principale question à l’ordre du jour ne semble pas celle d’une médiation…

Objectifs

À quels objectifs ces moyens s’adaptent-ils ? Au service de quels objectifs Coordination Toxicomanies 18ème déploie-elle ces moyens ?

Le rapport examine les objectifs déclarés par Coordination Toxicomanies 18ème. Le constat est sévère :

« Il serait hasardeux de se prononcer sur des résultats en raison [en particulier] du peu de précision des objectifs assignés au dispositif » (61)

L’Ofdt en revient alors aux documents fondateurs de la démarche :

« Rappelons l’introduction du cahier des charges du dispositif : “Ce dispositif comporte deux objectifs. Le premier répond aux besoins de médiation sociale, le second vise à améliorer le dispositif sanitaire et social de prise en charge des usagers de drogues. Les deux volets sont reliés par la volonté d’une territorialisation et de coordination des actions de lutte contre la toxicomanie.” » (61)

La médiation constitue donc un des deux objectifs déclarés. L’autre concerne la « prise en charge » des toxicomanes ; le rapport sera sévère sur cette dimension du travail :

« L’objectif était d’améliorer le dispositif de prise en charge sanitaire et sociale des usagers de drogues. Nous nous sommes déjà exprimés sur la maladresse de la formule. On prend en charge une situation ou une personne, ponctuellement, pendant une durée courte (un soin, une hospitalisation, un sevrage, un hébergement court, une intervention chirurgicale). On ne prend pas en charge une personne, ni un mode de vie. Dans ce domaine, il convient de mettre en relation la demande (latente ou exprimée) et l’offre. La création du dispositif visait à améliorer, voire renouveler l’offre. Il incombait à ses membres de procéder à l’analyse de la demande afin d’y adapter l’offre. » (73)

La médiation à nouveau…

Le discours de Coordination Toxicomanies 18ème en matière de médiation va s’éclairer :

Il faut « s’occuper des usagers et calmer les habitants ». (42) Il s’agit de « calmer les esprits dans le quartier » (44)

Il faut relever la dissymétrie de l’énoncé : il ne s’agit pas de s’occuper des habitants et de calmer les toxicomanes, mais bien l’inverse.

« Calmer les esprits dans le quartier », c’est donc « calmer les habitants » c’est-à-dire tenter d’éponger leur révolte.

Lisons en effet le rapport :

Le rôle du dispositif « se cantonne à une transformation de la vision que les riverains ont de la présence massive d’usagers de drogues dans leur environnement. » (27)

L’objectif est donc de transformer les habitants et non pas les toxicomanes : il s’agit de leur faire accepter la présence de la drogue dans leur quartier, et non pas de réduire la toxicomanie en aidant les toxicomanes à se désintoxiquer.

Les objectifs

Les objectifs du dispositif d’ensemble que Coordination Toxicomanies 18ème entreprend de coordonner s’avèrent donc ceux de la politique de réduction des risques :

« Pour EGO, le dispositif permet d’avancer vers “cette utopie politique” qu’est l’intégration de la toxicomanie dans le droit commun. » (45)

Intégrer la drogue et la toxicomanie au pays et à la société, tel est donc l’objectif véritable d’une bonne partie des acteurs dont il s’agit de coordonner l’action.

La politique de réduction des risques vise à « donner aux usagers le droit de cité ». (28)

L’objectif du travail est alors que les habitants des quartiers concernés, ceux dont le rapport rappelle qu’ils se vivent comme « pauvres et honnêtes » (62), adoptent les toxicomanes et acceptent le trafic comme composante indépassable du quartier.

Salles de shoot

Au passage, le rapport rappelle que cette acceptation de la drogue doit, pour ses acteurs, aller jusqu’à la promotion de salles d’injection : non plus seulement une acceptation passive donc, mais une organisation active de l’intoxication :

« Le journal de Paris Goutte-d’Or s’est, en sorte, fait l’avocat des salles d’injection ». (23)

« SOS DI est partisan de maisons d’injection ». (25)

Problèmes

Au total, qu’est-ce qui fait problème dans le 18ème aux yeux de Coordination Toxicomanies 18ème et qui motive son intervention ?

Le rapport nous restitue pour ce faire ce qu’il appelle les postulats de la politique de réduction des risques et donc de Coordination Toxicomanies 18ème :

Postulats

« Deux postulats. Le premier est que les problèmes de société ne se résolvent pas par leur négation (chasser les usagers), mais par une élaboration concertée de solutions ou de compromis. Le second est qu’il est plus important de réduire les risques liés à la toxicomanie que de chercher à éradiquer cette dernière. » (37)

« Le postulat de base est que les solutions sont à chercher ensemble et que les usagers de drogues ne sont pas des parias à chasser. » (61)

La problématisation devient ici claire : le problème principal du quartier, pour Coordination Toxicomanies 18ème, ce n’est pas la toxicomanie, mais les habitants qui la refusent, qui ne résignent pas à l’acceptation de la drogue et par là à la réduction des risques.

Situation

Quelle est la situation de départ que Coordination Toxicomanies 18ème problématise à sa manière propre ?

Le rapport d’évaluation a pour cela mené sa propre enquête, sous forme d’un sondage. Que dit-il ?

Sondage

Auprès de 410 personnes (début 2001) (15)

Voir résultats détaillés en un volume annexe (dont sont tirés les tableaux suivants).

Pour 27% des gens, la toxicomanie vient en tête des problèmes ressentis dans le quartier. Ensuite, pour 25%, c’est l’insécurité (21, 71) Dans la zone 3 [au cœur du trafic], le pourcentage des gens qui trouvent que la toxicomanie est le premier problème du quartier passe à 42%. (71)

Une moyenne de 87% (92% au cœur du trafic) déclare avoir déjà rencontré des toxicomanes. (71)

5% déclarent avoir été agressés, presque toujours (80% des cas) dans l’espace public. (71)

5%, cela veut dire qu’un habitant sur vingt (7%, soit 1 sur 14, pour ceux qui habitent au cœur du trafic) déclare avoir été agressé, ce qui est considérable. Le rapport de l’Ofdt prend d’ailleurs ce fait tout à fait au sérieux.

 

32% pensent que la situation s’est aggravée (depuis début 2000), 33% qu’elle a stagné, et un quart qu’elle s’est améliorée. (72)

Reconnaître…

Le rapport rappelle différents traits de la situation :

« La vente des produits et leur consommation se pratiquent aussi aux abords des structures, c’est indéniable. » (29)

« L’étalage public du trafic de stupéfiants demeure une des caractéristiques des quartiers concernés. » (63)

Le rapport rappelle que tout ceci découle d’une politique concertée, consistant à sacrifier des quartiers au trafic :

« Les quartiers urbains dégradés se prêtent à un ensemble de pratiques illicites qui, même si elles sont repérées par les pouvoirs publics, notamment par la police, y sont tolérées jusqu’à un certain point, afin de les circonscrire aux quartiers déjà atteints. » (21)

« La concentration, dans le même lieu, de la vente et de la consommation de stupéfiants redouble la visibilité de la toxicomanie : dans les quartiers populaires “sensibles”, cela se traduit par une forte présence policière, en même temps qu’une tolérance relative à l’égard de pratiques qu’on ne souhaite pas “déplacer” vers d’autres lieux. » (39)

S’il y a eu des problèmes, c’est parce que il y a eu une « explosion de la consommation de crack » (56).

Autre point : l’intoxication croissante accompagne l’usage croissant des produits de substitution :

« Un cinquième des usagers rencontrés déclarent prendre des produits de substitution. » (88)

« De plus en plus de personnes débutent leur consommation avec des produits de substitution. » (56)

Le « détournement du Subutex » (59) est partout ressenti comme un grave problème.

Bilan global

Au total, comment peut-on évaluer le travail de Coordination Toxicomanies 18ème ?

La conclusion du rapport est réservée :

« Le bilan du dispositif est contrasté. » (87)

Remarques

Coût

Le rapport rappelle qu’en 2001 l’activité Coordination Toxicomanies 18ème a coûté 343 000 euros.

Reproduction ?

Ce dispositif, « pilote » sur le 18ème, peut-il être reproduit, doit-il être répété dans d’autres quartiers ?

Le diagnostic du rapport est ici très clair : « Une des attentes face à l’évaluation est de savoir si ce dispositif est reproductible. Au risque de décevoir, nous dirons qu’il l’est difficilement. » (99)

Pourquoi cela ? Car, comme on l’a vu, l’intérêt principal d’une Coordination toxicomanies est de coordonner des structures bas-seuil, donc un dispositif de réduction des risques déjà déployé anarchiquement. Il n’y a donc pas sens d’installer une telle institution dans un quartier où les structures ne seraient pas déjà concentrées et ne rivaliseraient pas déjà pour capter une clientèle de toxicomanes…

Au total…

Au total, rétablissant l’ordre logique de l’évaluation, celui qui va d’une situation problématisée à des effets en passant par des problèmes, des objectifs et des moyens, on pourrait résumer ainsi l’évaluation proposée par l’Ofdt de Coordination Toxicomanies 18ème :

 



[1] Le rapport est disponible à http://www.drogues.gouv.fr/fr/pdf/professionnels/etudes_recherches/eval_mediation.pdf

[2] p. 33