Tajwîd [1]      تَـجْوِيـد

 

Qur’an: sourate II, versets 134/141 (Médine)

Quelques traductions…

« Cette communauté là est révolue. À elle ses acquis, à vous les vôtres. Vous n’avez pas à répondre de leurs actions. » (Berque)

« [Les membres de] cette communauté ont passé. À eux ce qu’ils se sont acquis et à vous ce que vous vous êtes acquis. Vous ne serez point/pas tenus pour responsables de ce qu’ils faisaient. » (Blachère)

« Cette patrie [Voici une matrie qui] est déjà passée. À elle son acquis. À vous votre acquis. Vous ne serez pas questionnés sur ce qu’ils faisaient. » (Chouraqui)

« Une telle génération est disparue. À elle ce qu’elle a acquis et à vous ce que vous avez acquis. Vous ne serez point tenus pour responsables de ses actes. » / « Ils appartiennent à des générations révolues. À elles leurs acquisitions et à vous les vôtres. Vous n’aurez pas à rendre compte de leurs actes. » (Boubakeur)

« Cette matrie/communauté est certes révolue. À elle ce qu’elle a acquis et à vous ce que vous avez acquis. Vous ne serez pas questionnés sur ce qu’ils faisaient. » (Gloton)

 

·      La « communauté » (Oumma) = Abraham/’ibrâhîm + Ismaël/’ismâεîl + Isaac/’isHâq + Jacob/yaεqûb

·      « Vous » = les Juifs et les Chrétiens qui se réclament de cette descendance…

Scriptio defectiva

تلك أمّة قد خلت لها ما كسبت ولكم ما كسبتم ولا تسألون عمّا كانوا يعملون

tlk ’mmt qd Xlt lha ma ksbt wlkm ma ksbtm w la ts’lwn εmma kanwa yεmlwn

sans voyelles: « ctt cmmnt crts st pss  ll c qll  rls t  vs c q vs vz rls t vs nts ps ntrrgs sr c qls fsnt »

sans accents: « cette communaute certes est passee a elle ce quelle a realise et a vous ce que vous avez realise et vous netes pas interroges sur ce quils faisaient »

mot à mot : « Cette communauté, certes, est passée. À elle ce qu’elle a réalisé, et à vous ce que vous avez réalisé, et vous n’êtes pas interrogés sur ce qu’ils faisaient. »

Scriptio plena

تِلْكَ أُمَّةٌ قَدْ خَلَتْ لَهَا مَا كَسَبَتْ وَلَكُمْ مَا كَسَبْتُمْ وَلاَ تُسْأَلُونَ عَمَّا كَانُواْ يَعْمَلُونَ

tilka ’ummatun qad Xalat lahâ mâ kasabat wa lakum mâ kasabtum wa lâ tus’alûna εammâ kânû(ø) yaεmalûna

fait[ils-font] ils-avaient sur-ce-que vous-êtes-interrogés non et vous-avez-réalisé ce-que à-vous et elle-a-réalisé ce-que à-elle est-passée certes communauté cette

« Cette communauté [’umma [2]], certes, est passée [خَلَا]. À elle ce qu’elle a réalisé [كَسَبَ], et à vous ce que vous avez réalisé, et vous n’êtes pas interrogés [سَأَلَ] sur ce qu’ils faisaient [عَمِلَ [3]]. » [4]

[ + syllabisation et espacement des groupes de mots = notation d’un phrasé…]

تِـلْـكَ أُمَّــةٌ  قَدْ خَــلَتْ / لَــهَا  مَا كَــسَــبَتْ   وَلَــكُمْ  مَا كَــسَبْــتُمْ / وَلاَ تُسْــأَلُونَ   عَــمَّا  كَانُواْ يَعْــمَــلُونَ

til-ka ’um-ma-tun   qad Xa-lat   /  la-hâ  mâ ka-sa-bat    wa la-kum  mâ ka-sab-tum  /  wa lâ tus-’a-lû-na    εam-mâ  kâ-nû yaε-ma-lû-na

 

warch [5]   وَرْش

+ coloration des timbres (consonnes nasalisées [6] et emphatiques, voyelles prolongées et non prononcées) & pauses [ص]

تِلْـكَ أُمَّــة ٌ قَـدْ خَـلَتْ ص  لَـهَا مَا كَـسَـبَتْ ص  وَلَـكُـم-مَّــا كَـسَــبْــتُمْ ص وَلاَ تُسْـأَلُونَ عَــمَّــا كَانُواْ يَعْـمَـلُـــون َـ

til-ka ’um-ma-tun qod Xo-lèt / la- ka-sa-bat / wa la-kum_mâ ka-sob-tum / wa tus-’a--na εam-mâ - yaε-ma-lûn

     [7]      

Même réalisation sonore dans les deux cas : cf. elle dépend de la structure phonétique, non du sens des mots (exception pour l’emphase du nom d’Allâh)

HafS [8] (il y a essentiellement 7 [9] manières de bien lire le Coran)  حَفْـص

          

Ici la différence est minime :  cf. différence de phrasé par suppression d’une pause (la troisième), au demeurant facultative…

Rappel du point de départ :

تلك أمّة قد خلت لها ما كسبت ولكم ما كسبتم ولا تسألون عمّا كانوا يعملون

وَرْش  حَفْـص

 

Pour ressentir en français la circulation du point d’articulation [10] à l’intérieur du palais, prononcer successivement (aller et retour)     ba fa sa ta na la ya ka

 

Cinq interprétations

- Deux extrêmes (134 puis 141 : variantes) :

·       Récitation  : Mahmoud Khalil Al-Husary (1917-1980, Égypte) مَحْـمُود خَـلِيل الْـحُـصَـرِي

Variation des pauses, plus subtile du phrasé des groupe de mots…

·       Invocation : Abdel-Basset Abdessamad  (1927-1988, Égypte)  عَبْـد الْـبَاسِط عَبْـد الصَّـمَد

Même structure rythmique du phrasé mais légères variations des inflexions et intonations…

- « Mélodistes » bien rythmés (verset 141)

·       Simple : Mishari ibn Rashid Alafassy (1976, Koweit)   مِـشَارِي بن رَاشِد الْـعَـفَاسِي

·       Plus fleuri: Saad (ibn Saïd) Al Ghamdi (1968, Arabie Saoudite)  سَـعَد بن سَـعِيد الْـغَامْدِي

- Sprechgesang (verset 141) : Ali Al-Huzaifi (Somalie)  عَـلِي الْـحْـذَيْـفِي



[1]   Racine : جَادَ = être excellent, parfait => forme II :  جَـوَّدَ  = améliorer

[2]   de أُمٌّ « mère » → « matrie » (plutôt que patrie) – cf. Hâjar/Sarah vis-à-vis d’Ibrahîm…

[3]   auxiliaire à l’accompli + verbe à l’inaccompli = imparfait

[4]   Incroyable stabilité de la langue! Il s’agit d’une parole du VII° siècle, dont la transcription fut arrêtée vers le X°-XI° siècle. Pour comparer au français, voici par exemple ce que Montaigne écrivait à la fin du XVI° siècle (le français n’était devenu langue administrative que depuis peu) :

     « J’en veoy qui estudient et glosent leurs almanacs, et nous en alleguent l’auctorité aux choses qui se passent. A tant dire, il fault qu’ils dient et la verité et le mensonge. Je ne les estime de rien mieulx, pour les veoir tumber en quelque rencontre. » (Essais, Livre I, chapitre 11).

     Avec une orthographe contemporaine: « J’en vois qui étudient et glosent leurs almanachs, et nous en allèguent l’autorité aux choses qui se passent. À tant dire, il faut qu’ils disent et la vérité et le mensonge. Je ne les estime rien de mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre. »

     En français contemporain: « Je vois des gens qui étudient et annotent leurs almanachs et nous en allèguent l’autorité pour tout ce qui se passe. À dire tant de choses, il est inévitable qu’ils disent et la vérité et le mensonge. Je ne les estime nullement mieux parce que je les vois parfois tomber juste. »

[5]   (728-812, Médine)

[6]   en raison de leur redoublement (cf. chadda)

[7]   Noter l’archaïsme d’inscrire la hamza sans lettre-support…

[8]   († 860, Bassora) Cf. méthode répandue en Égypte (quand le warch l’est dans le Maghreb)

[9]   ou 10, ou 14…

[10] Le tajwîd distingue 17 points d’articulation, répartis en 5 lieux (palais, gorge, langue, lèvres, nez) pour un alphabet de 28+1 lettres…