Parsifal : quels enjeux aujourd’hui ?
(11 octobre 2005)
François
Nicolas
Résumé
Ce
premier cours s’attachera à déployer l’hypothèse de travail suivante : si
le XX° siècle musical fut essentiellement « sans Wagner » (on
affinera ce diagnostic), l’après XX° siècle ne saurait plus l’être, sans perte.
• Quelle
perte et pourquoi une telle perte ?
• Que
voudrait dire aujourd’hui
« penser la musique avec
Wagner » ?
• Comment
s’y employer ?
On
soutiendra pour cela une seconde hypothèse : renouer avec Wagner (opération qu’on distinguera soigneusement
d’un « retourner à Wagner ») peut passer par Parsifal plutôt que par Tristan (opéra préféré des musiciens, à l’exception notable
de Debussy), Les Maîtres chanteurs
(opéra-clef dans toute « politisation » de son œuvre) ou le Ring (généralement privilégié par les philosophes et les
hommes de théâtre).
Exhausser
ainsi Parsifal se fera du point de
la musique (il ne s’agit donc nullement d’entériner un supposé destin religieux
du XXI° siècle) sous l’hypothèse suivante (la troisième) : Parsifal met en œuvre et résout (selon une modalité tout à
fait singulière qu’il nous faudra examiner en détail) des tensions musicales
majeures susceptibles d’intéresser le musicien d’aujourd’hui.
Clarifier
ces enjeux proprement musicaux passera d’abord par un diagnostic posé sur ce
qui du XX° siècle musical fait exception au « sans Wagner » relevé
précédemment :
-
un certain « retour à Wagner » qui a accompagné le vaste tournant
pris par le sérialisme au cours des années 60 : on privilégiera ici le
travail de Boulez et de Boucourechliev ;
-
une référence constante à Wagner qui a nourri la musique accompagnant le nouvel
art du XX° siècle (le cinéma) : la musique de film ; on s’intéressera
ici au travail d’Hans Eisler.
On
esquissera ensuite la voie musicienne d’une ressaisie des grandes catégories
wagnériennes :
-
le réseau des leitmotive qu’il s’agira de
concevoir dynamiquement, un peu comme la science des nuages a su les distinguer,
au XIX° siècle, moins par leurs formes (aspects statiques) que par leur
aptitude variée à se transformer (intensions…) ;
-
la modulation comme indexant dans cette
musique non seulement les tournants tonaux traditionnels (sens musical de la modulation) mais plus singulièrement l’aptitude d’un flux sonore
d’être modulé (au sens acoustique du terme, distinguant ondes porteuse et modulante) par un autre flux ;
-
la mélodie « sans fin » (plutôt
qu’infinie) comme ligne
sismographique traversant et enregistrant les différents courants à
l’œuvre ;
-
le « drame » comme nom donné à
cette aptitude de la pensée musicale d’être modulée par une pensée poétique « bien formée »
(c’est-à-dire en particulier allitérée) : une musique
« dramatique » s’avérera ainsi une musique poétiquement modulable (ou voie de la « synthèse des arts » par modulations
d’amplitude – intonations… — et de fréquences – rythmes… -).
On
esquissera alors un programme de travail visant à renouveler la conception musicale
des points suivants :
• Comment
la problématique traditionnelle de variation et de développement s’élargit-elle ainsi à de nouveaux possibles ?
• Quel
sens nouveau est ici donné au principe d’ouverture de la Forme musicale ?
• De
quelle manière Wagner trace-t-il ainsi la voie d’une autonomie musicale qui, sachant se déployer en
« modulation » étroite avec une pensée poétique, se tient à distance
de toute autarcie ?
• À ce
titre le destin cinématographique de Wagner au XX° siècle n’apparaît-il pas
comme un destin certes naturel, mais trop naturel pour ne pas demeurer aveugle
à ce qui profile ainsi un possible à venir pour la musique ?
Au
total, l’enjeu de ce cours – réinterroger, grâce à une écoute renouvelée
de Parsifal, de quoi Wagner
peut-il être aujourd’hui le nom ? – apparaîtra consonner avec l’enjeu même du livret de cet opéra :
Parsifal parviendra-t-il à réactiver une nomination moribonde via une nouvelle
écoute réverbérante (Mit-leid :
com-passion) de l’intension
subjective constitutive du collectif de Montsalvat ? Soit un destin anti-Tractatus de Parsifal : inventera-t-il une nouvelle énonciation
contre l’impératif — hérité — de se taire ? « Qui est le
Graal ? – On ne peut le dire ; mais si le sort pour lui te désigne,
son message te parviendra. Et vois ! »
––
Plan
Enjeux......................................................................................................................................... 3
Remonter de Schoenberg à Wagner.......................................................................................... 3
Singularité de Parsifal.......................................................................................................... 3
Préhistoire............................................................................................................................ 4
Enjeux pour l’intellectualité musicale......................................................................................... 4
Rapport à la philosophie.......................................................................................................... 4
Rapport à la politique............................................................................................................... 4
Cinq altérités matérielles pour la musique........................................................................... 4
La politique.......................................................................................................................... 5
Richard Wagner.................................................................................................................. 5
Rapport à la différence des arts................................................................................................ 5
Rapport au poème.................................................................................................................... 5
Décision en neuf points (méthode 1)........................................................................................... 6
1. Leitmotive............................................................................................................................. 6
Débats.................................................................................................................................. 6
Fonction thématique du leitmotiv ?..................................................................................... 6
Réseau des leitmotive........................................................................................................... 7
Décision affirmative : L5 comme moment-faveur de Parsifal............................................. 9
Constat négatif : il n’existe pas de leitmotiv de la
compassion........................................... 9
2. L’opération de modulation................................................................................................. 10
3. La mélodie sans fin............................................................................................................ 10
4. L’informe chez Wagner...................................................................................................... 11
5. Drame................................................................................................................................ 11
6. Développement-variation.................................................................................................... 12
7. « Musique de film » ?......................................................................................................... 12
8. La polarité Parsifal/Kundry................................................................................................ 12
Remarque........................................................................................................................... 12
La polarité wagnérienne.................................................................................................... 12
9. Le personnage de Parsifal.................................................................................................. 13
Quelques indices................................................................................................................. 13
Logique chrétienne ?.......................................................................................................... 14
Figure anti-wittgensteinienne…......................................................................................... 14
Situation de ce point (méthode 2)............................................................................................. 14
Réseau des leitmotive.............................................................................................................. 14
Polarité chromatisme/diatonisme............................................................................................ 14
Histoire de la mélodie sans fin chez Wagner........................................................................... 14
La question des livrets-poèmes d’opéra.................................................................................. 15
La question de la mythologie chez Richard Wagner............................................................... 15
Diagonalisation de la situation selon ces points (méthode 3).................................................... 15
Travail de L5.......................................................................................................................... 15
Travail du réseau des leitmotive.............................................................................................. 15
Travail de la modulation........................................................................................................ 15
Travail de l’orchestre et du timbre.................................................................................... 15
Travail de la mélodie sans fin................................................................................................. 15
Temps pour conclure (méthode 4)............................................................................................ 15
Quelques citations..................................................................................................................... 15
Mallarmé................................................................................................................................ 15
Julien Gracq........................................................................................................................... 15
Le roi pêcheur..................................................................................................................... 15
Au château d’Argol............................................................................................................. 16
en lisant en écrivant............................................................................................................ 16
Lettrines.............................................................................................................................. 16
Programme............................................................................................................................... 16
Calendrier............................................................................................................................... 16
Thèmes................................................................................................................................... 17
Références.............................................................................................................................. 17
Partitions........................................................................................................................... 17
Livret................................................................................................................................. 17
CDs..................................................................................................................................... 17
Vidéo.................................................................................................................................. 17
*
Réinterroger, grâce à une écoute renouvelée de Parsifal, de quoi Wagner peut-il être aujourd’hui le nom.
Cf. bilan musicien en cours du XX° siècle musical.
Wagner n’y intervient pas centralement : cf. sa musique
intervient principalement dans la musique de film, le cinéma (nouvel art du XX°
siècle) ayant pris la relève de l’art-synthèse des différents sens.
Cela semble valider rétroactivement le diagnostic de
Debussy : Wagner a été un crépuscule qu’on a pris pour une aurore.
Au XX° siècle, Wagner a été discuté philosophiquement (à la
suite de Nietzsche) et politiquement. Il a été interrogé sous l’angle de sa
théâtralité (rôle important des mises en scène de Wieland Wagner dans l’art
proprement théâtral) et de sa mythologie.
Sa musique n’a guère été discutée par les musiciens.
Changements à partir du tournant sériel du milieu des années
60, tournant initié quant au rapport à Wagner par Boulez (direction de Parsifal à Bayreuth dans les années 60, puis de la Tétralogie
dans les années 70…).
Analyses par Boucourechliev de la Tétralogie à la suite de
cette impulsion venue de Boulez. Thématisation de l’ouverture chez Wagner, etc.
Reprise du dossier Wagner dans l’intellectualité musicale
boulézienne (cours au Collège de France) sous le chef du thématisme…
Au total, ce que le XX° siècle musical a retenu de la
musique de Wagner, c’est donc quelque chose comme :
1) un type de prolifération thématique ouvrant l’œuvre
musicale… à la musique de film ;
2) une chromatisation du discours musical (Tristan) destinée à s’éponger dans l’atonalisme schoenbergien,
puis dans le dodécaphonisme et ultimement le sérialisme ;
3) le début d’une saturation du dispositif de l’opéra,
aboutissant aux derniers opéras que sont respectivement Lulu et Les Soldats.
Il est vrai que les 30 dernières années ont infléchi le
troisième volet de ce diagnostic musical avec la reprise tout azimuts de
l’opéra. Mais que penser de ce retour de l’opéra ? Ma
« philosophie » n’est pas faite sur ce point, en partie, je pense,
parce que précisément le bilan musical de Wagner est à reprendre, par-delà Tristan.
De toutes les façons, le diagnostic précédent ne me convient
guère.
Il ne fait pas le poids musical devant les réflexions
philosophiques sur Wagner – je vais y revenir -.
Il ne fait pas justice d’une œuvre particulière : Parsifal.
Cf. le point de vue précédent est essentiellement fondé sur Tristan. Les opéras antérieurs à la coupure de 1849 restent
considérés comme esquisses inintelligibles hors des nouvelles œuvres composées
après cette coupure. Les Maîtres
et la Tétralogie convoquent moins
directement la musique et plus spécifiquement la question du drame et de
l’opéra.
Parsifal reste alors
entre parenthèses, ce qui semblerait entériner – au moins par un silence
complice — le diagnostic nietzschéen.
Il faut cependant remarquer que Parsifal reste l’opéra qui a peut-être le plus influencé
concrètement la musique du XX° siècle : Boulez, bien sûr ; plus
encore Debussy (cf. un livre entier, dont on reparlera : on consacrera une
séance entière au rapport de la musique de Debussy à Parsifal).
Le point de vue sommaire, écoutant Parsifal comme retour en arrière (vers le diatonisme et la
modalité), est lui aussi pris dans le paradigme nietzschéen.
Ma conviction de musicien est qu’il y a dans Parsifal quelque chose si ce n’est d’inentendu, du moins
d’informulé, quelque chose qui est musicalement susceptible d’irriguer la
composition et de l’aider à s’orienter dans un temps musical sans repères car
se situant après l’après-sérialisme.
« La
préhistoire [d’une question] est la plus intéressante, car c’est elle qui
motive. »
Pierre Cartier,
mathématicien (11 octobre 2005 – Ens, Colloque sur la théorie des
catégories)
Finalement, il s’agit donc de remonter de Schoenberg à
Wagner, de remonter aux conditions musicales de possibilité de Schoenberg, ou
encore de remonter de l’histoire musicale moderne à sa préhistoire immédiate.
*
Quels sont ces points musicaux susceptibles de guider l’investigation
de Parsifal ?
J’en proposerai neuf.
Avant de les détailler, évoquons rapidement la
question-Wagner sous quatre angles, qui concernent plus spécifiquement
l’intellectualité musicale.
Cf. débats l’année dernière avec Alain Badiou : la philosophie n’a cessé d’investir la question-Wagner : Nietzsche lance la chose ; puis Adorno, puis Lacoue-Labarthe, Zyzek et Badiou.
Elle le fait selon ses lois propres : par exemple elle arrive à Wagner via Adorno quand le musicien arrivera à Wagner plutôt via Schoenberg.
Ceci dit, l’intellectualité musicale ne saurait rester indifférente à cet philosophisation de l’enjeu-Wagner, non pas pour s’y couler, ou s’y opposer, mais pour stimuler sa propre évaluation aujourd’hui de la musique-Wagner.
« Wagner » est donc un enjeu philosophique. Mais
ce nom « Wagner » n’est pas exactement le nôtre.
Je vous rappelle notre question : de quoi Wagner
peut-il être aujourd’hui le nom pour la musique ?
Réinterroger musicalement Wagner est aussi la condition pour
situer l’intellectualité musicale par rapport à la philosophie face à ce nom
propre.
Hypothèse 1 : Wagner serait un vecteur privilégié pour interroger les rapports de l’intellectualité musicale à la pensée politique.
Importance de cela : retour actuel de ces débats. Se situer par rapport à l’impératif catégorique légué par Adorno à la musique : ne pas céder sur le fait que la musique doit avoir à faire à son altérité (cf. exposé de Badiou du 22 janvier 2005 – polycopié p. 96).
Hypothèse 2 : la politique serait une altérité privilégiée pour la musique.
Cf. la musique s’attache à musicaliser différentes altérités
(cf. déplacement des frontières d’un monde de la musique en expansion) en même
temps que certains territoires musicaux tombent en jachère et se
« démusicalisent »…
Quand un tel type de musicalisation agit, il y a
corrolairement production d’un reste qui, pour la musique, prend la forme d’un déchet.
Il s’avère alors que la musique est indifférente à ce reste, c’est-à-dire au destin
non musical de ces restes.
Musicaliser les nouveaux sons qu’une nouvelle époque offre à
la musique. Musicaliser les sons non musicaux veut dire les instrumentaliser en
sorte de les transformer en trace d’un corps à corps…
Au XIX° siècle : sons industriels, sonorités de
nouvelles langues (russe…)…
Aujourd’hui : importance des sons de synthèse, des sons
électroniques, etc.
Transformer les nouveaux instruments fournis par l’époque en
instruments de musique.
Un instrument de musique n’est pas n’importe quel
instrument. Il faut en particulier qu’il puisse être agi par un corps humain en
sorte que ce dernier laisse sa trace sur le son émis.
Cf. aujourd’hui comment musicaliser l’ordinateur ?
Comment aussi étendre le champ des opérations musicales
concevables sur un instrument de musique existant ? Cf. nouveaux modes de
jeux, nouveaux découpages du piano (jeu à l’intérieur, piano préparé, jeu à
l’orgue sur la soufflerie = musicalisation de parties jusque-là purement
fonctionnelles).
Cf. musicalisation du corps physiologique en sorte d’élargir
la gamme de gestes du corps du musicien.
Cf. modes de jeux
Cf. les problèmes dits de spatialisation : non seulement l’espace est partie prenante de la
musique mais la musique s’empare de dimensions de l’espace pour se les
incorporer.
Id. pour l’écriture musicale qui doit s’étendre (cf. les
nouvelles notations), par exemple aujourd’hui la question de la musicalisation
de l’écriture informatique (face à « la double écriture »).
Le point est qu’il existe des restes face auxquels la
musique ne reste pas indifférente.
Essentiellement, me semble-t-il, les matériaux liés au
langage.
Cela concerne ainsi essentiellement la question des textes
« mis en musique ».
Musicaliser un texte va inclure une part de travail pour
musicaliser les sonorités du texte mis en bouche (cf. allitérations chez
Richard Wagner, cf. extraction de mélodies dans Duelle).
Il y a ensuite une décision à prendre : est-ce que le
reste – ici essentiellement le sens du texte – va être gommé, effacé, ou restera-t-il
présent dans la musique en son altérité ? Soit, très simplement dit, le
texte mis en musique, quoique musicalisé, restera-t-il ou non
intelligible ?
Boulez, on sait, ne s’en soucie guère (cf. sonnets de
Mallarmé…). Wagner, à l’inverse (comme la plupart des compositeurs d’opéra), y
accorde une grande importance.
Or il existe trois modes de pensée qui sont essentiellement
attachés au langage :
· la
poésie,
· la
politique,
· la
philosophie.
Les pensées des autres arts, des sciences, de l’amour n’ont
pas le langage pour espace essentiel de constitution. La poésie, la politique
et la philosophie par contre l’ont.
D’où que ces trois modes de pensée tendent à constituer pour
la musique la figure d’une altérité singulièrement récalcitrante à toute
musicalisation.
Mon hypothèse est que parmi ces trois, la politique
matérialise une forme particulière d’altérité : celle de la dualité. Pour
la musique, la politique constitue l’autre sous la forme de son dual (cf. mon
article récent sur « Musique & politique »…)
Noter que Richard Wagner a eu des rapports particuliers à
ces trois modes de pensée :
· à
la poésie, bien sûr ;
· à
la politique ;
· à
la philosophie : essentiellement Feuerbach, Schopenhauer, Nietzsche (noter
qu’il s’agit là de trois grandes philosophies de son temps – j’ai pour ma part
tendance à penser que son rapport à Hegel a été raté, et en vérité inconsistant).
Cf. la question particulière de l’opéra aujourd’hui (pourquoi sa reprise ?), mais aussi du « multimédia » qui veut croiser de nouvelle manière les différents sens séparés selon une classification jugée obsolète.
Cf. l’appui, en temps de crise, de la composition musicale sur le poème (cf. aujourd’hui) a-t-il seulement valeur de béquille ou se joue-t-il là quelque chose de plus profond, qui concerne l’essence même de la musique ?
C’est, pour ma part, ce que j’ai tendance à penser.
Cf. un texte mis en musique et cependant restant globalement compréhensible, inscrit une cicatrice longitudinale au cœur même de l’œuvre musicale, et cette cicatrice compose un fil d’Ariane recevable.
Cf. comment réécouter Parsifal ? Pour cela lecture symptomale plutôt que
systématique…
9 points, explicitant les enjeux musicaux à explorer.
« Apparent paradoxe : il n’y a pas de
leitmotive absolus dans l’opéra de Wagner, du moins a priori. […] Isoler un
motif est une opération artificielle, réductrice, car sa mise en fiche
présuppose un état fondamental et fixe de ce motif. Or il n’y a pas de tels
états dans le Ring ; même les énoncés les plus spectaculaires, les plus insistants
et les plus importants sur le plan dramatique sont différents, en état de
constante variation, jamais textuellement répétés. Où est alors le leitmotif, dans la partition, dans
notre perception ? La forme sous laquelle il figure dans le catalogue thématique
est mythique, c’est un « portrait-robot » basé sur des traits distinctifs,
les plus saillants ou les plus fréquents ; privés, de surcroît, de leur
contexte concret. Tel, il n’a pas d’existence musicale indépendante, et ne préexiste
pas à l’œuvre. […] Comment, en revanche, le motif se présente-t-il dans la
forme concrète, dans le corps vivant de l’œuvre ? Comme un ensemble
d’états soumis à la conduite musicale et dramatique de l’œuvre. Comme autant de
figures pâles ou frappées, comme autant d’apparitions tantôt fugaces et tantôt
insistantes. […] Autant de
cristallisations sonores d’une idée dont aucune ne peut être dite première ou
préexistante aux autres. Le leitmotiv dans la forme n’apparaît pas comme un
objet mais comme l’ensemble de ses métamorphoses. Aussi, le terme de programme s’applique-t-il de façon
justifiée au réseau de leitmotive. » (Le
langage musical, 42-43)
« Les leitmotive sont des tableautins et la
prétendue variation psychologique les expose seulement à un changement d’éclairage. » Essai sur Wagner (55)
Double fonction des leitmotive : musicale et
sémantique…
« Dans ses œuvres
les plus importantes, Beethoven ne donne jamais la mélodie toute faite à
l’avance mais il la fait accoucher par ses propres organes, en quelque sorte
sous nos yeux. » (Opéra et Drame,
I.185)
« La véritable
mélodie doit se construire à elle-même sa forme. » (Opéra et Drame, I.188)
Figure de la conscience de soi ?
Mais il y a alors plein (trop ?) de leitmotive ! De plus, le mode
d’apparition de chaque leitmotiv est lui-même singulier : opposer
l’engendrement du leitmotiv (comme du thème beethovénien, selon Richard Wagner,
mais à mon avis à tort) à l’apparition du thème chez Jean-Sébastien Bach
(fugue…) doté de son individualité et tout armé, tel Athena… L’enjeu, chez
Jean-Sébastien Bach, est l’aptitude subjective de cet « individu »
c’est-à-dire en fait deux aspects : son aptitude à s’auto-déployer et son
aptitude à générer une pluralité de semblables… L’enjeu chez Richard Wagner est
la génération d’un peuple d’individualités. Ainsi le premier leitmotiv de
Parsifal n’apparaît comme leitmotive que rétroactivement : il pourrait
n’être qu’une phrase musicale parmi d’autres.
« L’instrumentation
de Parsifal sera très différente de celle du Ring : pas de
telles figurations ; comme des couches de nuages, qui se divisent et se
reforment » Wagner (à Cosima) [1]
« Cette fois, aucun figuralisme ; mais quelque chose
de semblable à des couches de brouillard qui se séparent et se rassemblent à
nouveau. » (Wagner, 27 avril 1879) [2]
« les contours mal
définis, voraces, d’œuvre-paysage, d’œuvre-climat » [de l’œuvre de Wagner]
(Julien Gracq, Lettrines, 205)
Paradigme : néphologie
Moins formes que formation (moins aspects qu’intension)
Réseau non cloisonné de transformations
Cf. la remarque plus haut de Boucourechliev…
Les
nuages sont indécomptables au-delà d’un petit nombre entier.
On
peut compter 1, 2 ou 3 nuages dans un ciel serein, mais guère 10 ou 15 car ils
vont déjà s’être agglomérés, etc.
Cf.
décompter ≠ compter
Donc
saturation rapide du décompte (comme chez Benabou pour "trop",
"très", etc.)
« Je tiens pour un axiome cette proposition identique
qui n’est diversifiée que par l’accent : que ce qui n’est pas véritablement
un être n’est pas non plus
véritablement un être. On a toujours cru
que l’un et l’être sont des choses réciproques. Autre chose est l’être, autre chose des êtres ; mais le pluriel suppose le singulier, et là où il
n’y pas un être, il y aura encore moins plusieurs êtres. Que peut-on dire de
plus clair ? […] Je crois que là où il n’y a que des êtres par agrégation,
il n’y aura pas même des êtres réels. » Leibniz (lettre à Arnauld du
30 avril 1687)
« J’accorde qu’on peut donner le nom d’un à un assemblage de corps inanimés quoiqu’aucune
forme substantielle ne les lie, comme je puis dire : voilà un
arc-en-ciel, voilà un troupeau ; mais
c’est une unité de phénomène ou de pensée qui ne suffit pas pour ce qu’il y a
de réel dans les phénomènes. » Leibniz (lettre à Arnauld du 9 octobre
1687)
La néphologie est anti-leibnizienne : le multiple de
l’apparence n’est pas un pluriel ontologique… « Les masses » de nuages
ne sont pas un pluriel, décomptable…
De même les leitmotive relèvent plus de l’apparence que de
l’être musical.
La catégorie de climat renvoie à la musique de film :
tonalités subjectives…
D’où une scission du réseau des leitmotive…
Les
nuages sont organisés polyphoniquement, en couches superposées équivalant à des
registres instrumentaux.
Fondamentalement,
la distinction des couches se fait selon trois registres d’altitude : bas,
moyen, haut.
Ces
registres varient selon les régions du globe, comme les registres de hauteurs
varient selon les instruments : grave, médium, aigu.
Une
situation météorologique est analysable comme polyphonie, non nécessairement
comme homogénéité (comme monophonie d’un seul type de nuages).
Ceci
est lié au fait que les nuages sont des transformations perpétuelles, dont une
bonne partie de se fait par hétérogénéisation (montée ou descente correspondant
à une transformation de types).
Cf.
distinguer les nuages se développant horizontalement (homogénéité prépondérante)/verticalement
(hétérogénéisation)
Analyser
de même les leitmotive :
•
leur éventuelle structure polyphonique
•
leur registre privilégié
•
leur courbe de développement (horizontal/vertical)…
« Formation musicale » opposée à une « poïétique
musicienne »…
La formation peut
être « hors d’œuvre ». Elle n’est pas alors nécessairement cantonnée
au musicien (esquisses…) car cette formation peut relever d’un
« entre-œuvres » (citation, transformation) qu’un concert peut constituer
ou exhausser…
La formation peut être aussi à l’œuvre.
1. Cas
du monothématisme : le thème est dégagé par l’œuvre (cf. le 3° choral pour
orgue de Franck).
2. Cas
du bithématisme. Deux possibilités alors : le second thème est produit par
le premier ; les deux thèmes apparaissent procéder d’un thème parent
commun (ils partagent un trait commun qui les apparente comme frères…)
3. Cas
de la pluralité des thèmes wagnériens : la pluralité, selon la logique
grecque, démarre au-delà du 2, donc avec le 3 (devrait-on plutôt dire avec le
4 ?).
Finalement le cas où la formation thématique n’existe pas musicalement est assez rare
(où alors il s’agit non d’un thème mais d’un air, d’une mélodie, etc.). Il
relève essentiellement du monothématisme (tout bithématisme ouvre une formation musicale au moins partielle). Exemplairement :
le cas de la fugue, et donc celui de Jean-Sébastien Bach. À ce titre, il y a
une adéquation entre cette logique musicale et la théologie (la théo-logique
musicale bachienne…). Évidemment, la théologie sert ici de modèle fictif, en
lieu et place de la philosophie…
Prendre au sérieux le bouleversement que génère chaque
surgissement de ce motif au sein de l’œuvre.
Quel est son secret ?
Adorno : « Une écriture académique [à 4 voix] des
accords non-académiques » (90)
Je vous en propose provisoirement le chiffre suivant :
Chromatisme de la mélodie supérieure |
↪ |
Chromatisme de la basse harmonique [3] |
Diatonisme de la basse harmonique |
Gamme par tons de la voix intermédiaire |
Pourquoi pas de leitmotiv de la compassion (Mitleid) ?
Il y a en a bien un dit de la souffrance (L13 : Leidens-Motiv) mais pas de la communion de souffrance ou de peine…
Ce point a une signification, qu’il nous faudra dégager.
Cf. la question : « qu’est-ce que la Mitleid dans Parsifal ? »
« La force suprême de la compassion [Mitleid], le pouvoir de la
connaissance [Wissen]
la plus pure » (366)
« C’est le garçon fou, sans érudition, sans académie,
ne comprenant rien que par la compassion, qu’il me faut. » (Lettre
à Judith Gautier n° 20 du 4 décembre 1877)
Lettre en français !
Pitié : affect
négatif (Spinoza…) / compassion : affect positif…
Il faut prendre au sérieux le fait que cette musique module
tout le temps.
Je propose pour cela d’entendre « modulation » non
seulement au sens premier harmonique (changement de tonalités) mais aussi en
d’autres sens plus acoustiques du terme (modulation d’amplitude ou de fréquence,
modulation en anneau…).
Cf.
« Journée Wagner » (mai 2005) :
Alain Badiou
C’est là une ressource
absolument étonnante qui est liée à la virtuosité harmonique et orchestrale de
Wagner, que cette possibilité qu’un thème soit non seulement dans sa fonction
narrative et subjective, mais qu’il puisse aussi servir de matériau pour un
autre, comme s’il était précisément un autre. On entend cela véritablement aux
cuivres graves, notamment le thème de Siegfried porteur de l’épée qui est généralement
dans le registre aigu ; on l’entend dans un registre absolument sinistre,
alors qu’en principe c’est un thème héroïque, en sorte que nous entrons vraiment
dans la subjectivité de Hagen qui, comme il le dit, sait qu’il machine tout
cela contre ce joyeux compagnon qu’est le héros. Cela est donné dans la
musique, car le thème héroïque de Siegfried prend cette couleur sombre et cette
espèce de nappe clapotante qui supporte tout ceci, et qui est véritablement le
signe de Hagen.
À ce propos, l’image sonore
souvent employée est celle de la modulation de fréquence : on a deux
fréquences, l’une est porteuse et l’autre est modulée. Selon cette métaphore,
un thème devient « porteur » de l’affirmation de l’autre.
L’hypothèse est que la catégorie de modulation musicale peut
être généralisée en s’inspirant de la catégorie acoustique homonyme qui propose
au moins trois nouvelles modalités de modulations :
· la
modulation d’amplitude,
· la
modulation de fréquence,
· la
modulation en anneau.
Les deux premières modulations mettent en jeu le produit
d’une porteuse et d’une modulante et engendrent ainsi une modulée.
On fera deux hypothèses :
· d’abord
que la musique de Parsifal peut être
comprise comme modulation de structures purement musicales par les structures
du poème-livret (structures en particulier signifiantes), modulation affectant
les hauteurs (modulation d’amplitude) ou les durées, les rythmes et les tempi
(modulation de fréquence) ;
· en
suite que la mélodie dans Parsifal peut
être elle-même vue comme résultant d’une modulation (en anneau ?) entre
l’orchestre et le poème vocalisé.
On s’interrogera sur le sens de ce qu’on appelle
traditionnellement « mélodie infinie » (Unendlich) et que je propose plutôt
d’appeler « mélodie sans fin » pour indiquer ainsi qu’il ne s’agit
pas là à proprement parler d’infini actuel mais seulement d’infini potentiel.
La mélodie infinie n’est pas exactement l’arabesque de
Jean-Sébastien Bach (laquelle s’autosuffit : l’arabesque vocale est de
même nature que celle d’un violon ou violoncelle solo) mais plutôt une sorte de
filigrane traversant la marée harmonique portée par l’orchestre.
Voir l’image d’un solo de Charlie Parker traversant à très
grande vitesse une grille harmonique (plutôt que flottant mélodiquement
au-dessus, plutôt que mélodie accompagnée) telle une étrave partageant un flot.
Il y a ainsi toujours quelque chose de générique dans les
« mélodies » wagnériennes, dans ces lignes vocales : cf. récitatifs
de Bach ? Parfois oui, le plus souvent tout autre chose… On a souvent
reproché à Wagner ce côté générique, « informe » de sa mélodie sans
fin, qu’on ne saurait découper en succession de différentes mélodies…
S’il s’agit en fait d’une mélodie sans fin, cela pose la
question : qu’est-ce que la fin d’une mélodie, cette fin dont cette mélodie
est dépourvue ? Sans fin = sans cesse ? Une mélodie « sans
cesse » : voir Jean-Sébastien Bach. La mélodie sans fin serait un peu
autre chose : elle n’a pas le profil (la courbe) d’une mélodie, avec un ou
des points culminants. Elle est une sinuosité.
Le point important serait qu’une mélodie sans fin n’est pas
une mélodie dont on a retiré la fin ou qu’on a prolongée par une autre
mélodie : une mélodie sans fin porterait à tout « moment » de
manière immanente sa caractéristique de sinuosité. Il nous faudra l’analyser en
ce sens pour objectiver cette caractéristique locale générale.
Exemple de courbe sans fin : celle d’un sismographe. La
mélodie sans fin est la courbe sismographe de l’œuvre, portant trace des
différents ébranlements, mouvements…
Cette mélodie est donc sans fin pour deux raisons :
· elle
est une traversée d’un drame, nullement son objectivation individualisée et
séquentielle (découpage en numéros et en « airs ») ; elle est la
trace, ou ligne sismographique, d’un drame dont la consistance tient à la
dynamique d’un élan plutôt qu’à la rencontre et confrontation de
personnages ;
· le
drame dont il est ici question est lui-même sans fin – cf. forme en tour de
spirale des livrets wagnériens… -.
Soit la mélodie sans fin comme fil d’écoute possible, comme
fil rouge du travail d’écoute autour du moment-faveur.
À prendre l’art du point du passage de l’informe à une Forme
nouvelle, on peut montrer comment Wagner
1) a désappointé par le caractère informe de sa musique,
2) a affirmé un nouveau style de forme.
Critiques sur l’informe dans la musique wagnérienne ?
Voir Nietzsche lui-même ! Pas de mélodie, pas de rythme surtout !
Concernant le rythme, Wagner, il est vrai, noie le mètre et
la carrure… Analyser l’ambiguïté rythmique comme présence d’un autre mètre ou
de deux mètres simultanés comme S. Gut soutient qu’il y a deux tonalités simultanées
dans l’accord de Tristan… Voir ainsi L1 dans Parsifal…
Ce type de critique (« pas de… ») est
caractéristique du jugement sur le caractère informe d’une nouvelle musique.
Affirmation d’une nouvelle puissance formelle relevant un
informe ? La mélodie infinie ! Voir ce qu’il en est du côté du rythme
et du mètre… Du côté de l’harmonie, voir la modulation incessante, la torsion
de la tonalité : donner nouvelle forme au chromatisme (chromatisme qui
était bien sûr déjà là – voir ne serait-ce que Jean-Sébastien Bach – mais qui
acquiert ici une nouvelle modalité de puissance formelle).
« Je suis attiré
seulement par les sujets qui se révèlent à moi non seulement poétiquement mais,
au même moment, comme musicalement signifiants. Avant que je
commence à écrire une seule ligne de vers, ou même que j’esquisse une scène, je
suis déjà intoxiqué par l’arôme musical de ma création. J’ai toutes les notes,
tous les motifs caractéristiques en tête, si bien que, quand le poème est
terminé et les scènes arrangées dans l’ordre adéquat, l’opéra est déjà terminé
et son traitement musical détaillé n’est plus qu’une question de révision calme
et réfléchie, le moment de la création comme telle étant déjà passé. Mais pour
qu’il en soit ainsi, il faut que je choisisse des sujets qui sont susceptibles
exclusivement d’un traitement musical. […] La musique nous offre les moyens de
tisser des liens dont le poète seul ne dispose pas. » (Lettre à Karl
Gaillard du 30 janvier 1844)
« Je ne peux
aborder un sujet poétique qui ne soit pas d’abord conditionné par la
musique. » Lettre à Hanslick du 1° janvier 1847
Qu’est-ce exactement que le drame chez Wagner ? Le drame nomme l’unité du
poème-livret et de la musique.
Hypothèse : pour Wagner, le drame est un rapport
constituant et non pas constitué : il n’y a pas dépôt d’une musique sur un
livret préexistant (rapport constitué) mais constitution simultanée…
Noter que pour qui écoute l’œuvre, c’est la même
chose : le rapport est forcément constituant.
Penser ainsi, comme rapports constituants, les couples
« musique & drame », « musique & poème »…
Il est somme toute logique que Richard Wagner cherche alors
son modèle théorique du côté de l’amour : théoriser le rapport constituant
d’un « deux » oriente Richard Wagner vers la théorie de l’amour où
deux individus sexués se trouvent saisis par un amour (un, et pas deux…) qui va les déployer, les configurer en polarisant leurs deux noyaux
individuels et déposant, par catalyse, sur ces deux pôles.
« À vrai dire,
Wagner ne connaît que des motifs et des formes macroscopiques – il n’y a pas de
thèmes. La répétition se pose en développement, la transposition en élaboration
thématique. » Adorno, Essai sur Wagner
(50)
« C’est seulement
avec Wagner que […] la catégorie de l’intéressant est devenue prédominante en
contraste avec la logique de la conséquence propre au langage musical. »
Adorno, Essai sur Wagner (53)
Cf. développement ? déploiement ?,
variations ?, de quels types ?
Et développement-variation-déploiement « de quoi » ?
« La musique
devient le commentaire de la scène. […]
C’est la raison de ce qu’il y a en elle de proprement cinématographique. »
Adorno, Essai sur Wagner [4]
« Le déclin du
leitmotiv est immanent au leitmotiv : ce déclin mène directement, en
passant par la souple technique d’illustration de Richard Strauss, à la musique
de cinéma, où le leitmotiv n’annonce plus que des héros ou des situations, pour
que le spectateur s’oriente plus rapidement. » Adorno, Essai sur Wagner
(56)
Cf. Parsifal parfois caractérisé comme annonçant
l’impressionnisme…
« L’enthousiasme du jeune Nietzsche s’est trompé sur l’œuvre d’art de l’avenir : elle donne naissance au film à partir de l’esprit de la musique. » Adorno, Essai sur Wagner (145)
Pourquoi ce destin cinématographique de Wagner ?
Hypothèse de travail : ce n’est pas un épiphénomène.
Dans ce cas, à quoi ce destin cinématographique de Wagner tient-il ?
Cela tient-il au non-développement chez Wagner ? Cf.
hypothèse d’Hans Eisler sur la musique de film : elle ne doit pas développer…
Mon hypothèse est que la polarité constitutive du livret de
cet opéra tient au couple Parsifal-Kundry et laisse donc relativement en marge
les personnages de Gurnemanz, d’Amfortas et de Klingsor.
Ceci est clairement un choix de Richard Wagner. Par
contraste, Julien Gracq, s’emparant du même mythe dans sa pièce de théâtre Le
Roi pêcheur, choisira plutôt de privilégier
la polarité Amfortas-Kundry.
« Donner [ici] au personnage d’Amfortas la place
centrale » écrit-il (16).
Cf. option originale de cette pièce de théâtre :
Amfortas ne veut pas abandonner sa blessure et la place centrale qu’elle lui
confère (accord en ce point avec la tentation de Clingsor…). Il décourage ainsi
Perceval de prendre la relève… Tout le point est de savoir si Perceval, en
posant la question, serait vraiment un sauveur. Ou encore : qui est ici le
Grand Inquisiteur ? Amfortas ou un Parsifal salvateur ?…
On pourrait classer les interprétations du mythe selon le
personnage central retenu : pour Richard Wagner, c’est Parsifal faisant
face à Kundry. Pour Gracq, c’est Amfortas, sans qu’il y ait à la fin résolution
(a fortiori de type mytho-logique)…
« C’est Kundry qui porte mes couleurs. » (17)
Et Kundry encourage ici Perceval à remplir son rôle…
En un sens, Julien Gracq avait déjà fait de même dans son
roman Au château d’Argol (démarqué de ce
même mythe, ici transposé à notre époque et concentré autour des figures de
Perceval, Amfortas et Kundry) qui est la version démoniaque et damnatrice de Parsifal… :
« Si ce mince récit pouvait passer pour n’être qu’une
version démoniaque – et par là parfaitement autorisée – du chef d’œuvre »…
(8-9)
Le face à face Parsifal/Kundry peut être vu comme fixant le
mouvement central du poème.
· Cf.
les deux sont « sans nom » (acte II)
· Kundry
est la première à nommer Parsifal de son nom propre, et à reconnaître en lui le
« pur innocent » (c’est-à-dire à la nommer de son nom commun) mais
aussi à le nommer rédempteur (R310).
· Ce
sont les deux personnages à changer de statut dans l’opéra (les autres changent
seulement d’état, sous l’intervention de Parsifal).
« L’objet du mythe est de fournir un modèle logique
pour résoudre une contradiction. » Claude Lévi-Strauss (Anthropologie
structurale, p. 254)
Suivant la leçon de Claude Lévi-Strauss sur la logique
propre du mythe, on peut appliquer sa formule canonique du mythe au sujet de
cet opéra et proposer le chiffre suivant de Parsifal :
Rire Kundry |
↪ |
Innocence Kundry |
Innocence Parsifal |
Rédemption compassion |
ou
La dérision de Kundry |
↪ |
Le
« servir » de Kundry |
La niaiserie de
Parsifal |
La rédemption par
le compatissant |
soit
Acte II |
↪ |
Acte III |
Acte I |
Nous consacrerons à l’élucidation de ce chiffre et, plus
généralement à l’interprétation musicienne de ce livret, toute une leçon de ce
cours.
Hypothèse : Parsifal incarne ici quelque chose du sujet
proprement musical. On peut interpréter Parsifal comme porteur de la
subjectivité à l’œuvre dans cette musique.
Ce n’est pas que Parsifal (ici l’opéra et non plus le personnage) nous raconte l’histoire d’un
sujet musical (d’une œuvre), un peu comme Jean-Jacques Nattiez propose [5]
de lire toute la Tétralogie comme
racontant l’histoire des rapports entre musique et poème. C’est plutôt que le
conflit intérieur du personnage Parsifal, sa schize subjective signifie quelque
logique subjective plus générale, susceptible d’intéresser le musicien par-delà
l’anecdote.
Voir répliques-clé de l’opéra.
« Qui [6]
est le Graal [Wer ist der
Gral ?] ? » « Cela ne se dit pas. […]
Vois ! [Das sagt sich nicht…
Sieh !] » (R102-103)
Cf. contre Wittgenstein : ce qui ne peut se dire peut
se montrer !
« Un homme comme tout le monde ! » [Ein Mensch wie alle !]
(R338)
Cf. Sartre : Les Mots
« Je l’ignorais » (73). « Je ne sais
pas » (75, 77, 79) – noter la triple déclaration d’ignorance (cf. le
triple reniement de St Pierre !) -. « Je n’en sais plus aucun »
(81)
Affaire de savoir
donc…
« Il faut bien que tu saches quelque chose »
Gurnemanz (82) : « J’ai une mère, Herzeleide est son nom ; nous
habitions les bois, les campagnes sauvages. » (83)
Son savoir : le nom de sa mère, et les lieux habités
avec elle…
« Fais-moi voir si tu es innocent [Tor] et pur [rein] quel que soit le savoir
[Wissen] qui te fut
imparti. » Gurnemanz (106)
« Moi qui n’ai pas de nom [mich Namenlosen] » (299)
« C’est pour te l’annoncer [ton nom] que
je t’ai attendu ; seul le désir de le connaître t’a attiré ici. » Kundry
(300)
« Qu’ai-je encore oublié ? » (305)
« Mon art,
c’est ma prière » Automne 1868
(propos rapportés par Villiers de l’Isle Adam en 1887-1888 dans la Revue
Wagnérienne [7])
« Chaque rencontre
d’un être avec Bouddha fait surgir en ce dernier le rappel des diverses
incarnations de cet humain. […] Cela m’inspira le désir de représenter cette
double vie par une réminiscence musicale en contrepoint. » (Ma Vie, 331)
Cf. analogie entre les
différentes apparitions d’un leitmotiv et la réincarnation bouddhiste…
Cf. rédemption… Cf. « office » : Parsifal,
prêtre ?
Non !
Cf. Gracq, contre Nietzsche…
« L’œuvre de Wagner se clôt sur un testament poétique
que Nietzsche a eu le grand tort de jeter trop légèrement en pâture aux
chrétiens, prenant ainsi la grave responsabilité d’égarer les critiques vers un
ordre de recherches si visiblement superficiel que la gêne violente que l’on
éprouve à entendre encore aujourd’hui parler de « l’acquiescement du
maître au mystère chrétien de la rédemption », alors que l’œuvre de Wagner
a toujours si nettement tendu à élargir davantage les orbes de sa recherche
souterraine ou, plus exactement, infernale, à elle seule finirait par nous
donner à entendre que Parsifal signifie
tout autre chose que l’ignominie de l’extrême-onction sur un cadavre d’ailleurs
encore trop sensiblement récalcitrant. » (Au château d’Argol, 8)
Cf. noter que la résolution mythologique fait l’économie de
la Résurrection, de Pâques : le Vendredi Saint suffirait à la rédemption !
En fait il y a une sorte de fusion du Vendredi Saint et du
dimanche de Pâques : cf. le curieux enchantement du Vendredi saint !
(contre Bernanos-Poulenc : « il n’y a qu’un matin, Monsieur le
Chevalier, celui de Pâques ! »).
Forcer un dire au point d’un impossible à parler…
Figure éminemment moderne !
Cf. monographie de la situation dans laquelle ce point agit.
Soit théoriquement quatre volets :
· généalogie
· archéologie
· historicité
· historialité
Pratiquement ?
Il s’agira ici de comparer les traitements leitmotiviques
dans Parsifal et dans les précédents
opéras de Richard Wagner.
Cf. appui pris ici sur le livre de Stein.
Cf. manière propre à Parsifal de traiter cette contradiction, surtout par rapport à Tristan (opéra classiquement préféré par les musiciens, en
raison en particulier de son rapport tout à fait nouveau au chromatisme).
Y a-t-il sens musical à considérer sous cet angle Parsifal comme un retour en arrière, vers la sécurité du
diatonisme ?
Ce ne sera pas notre hypothèse !
Là aussi, il s’agira de comparer le traitement mélodique
dans Parsifal par rapport à celui des
précédents opéras.
Qu’en est-il des rapports musique-poème chez Richard
Wagner ? De quoi exactement drame
est-il ici le nom ?
Séance complète sur ce point.
Comment notre « moment-faveur » agit-il
globalement dans l’œuvre ?
Quelles sont ses récurrences spécifiques ?
Thèse : si n’existe pas (cf. Boucourechliev) LE L5,
c’est que l’ensemble des matérialisations constitue une variation-reconnaissance,
un cercle (sans objet central) et que L5 n ‘est précisément que l’ensemble de
ces différents états possibles.
Cf. le travail global du drame comme produit de convolution
entre logiques du poème et de la musique.
« La couleur sonore est la véritable découverte de
Wagner. » (Adorno, Essai sur Wagner,
93)
« À l’unisson, flûte et clarinette produisent une sorte
de sonorité interférentielle, floue et vibrante. En elle se noient les
caractères spécifiques des deux instruments ; on ne peut plus les
détailler, on n’entend plus comment la sonorité se constitue. Et c’est par là
qu’elle se rapproche du caractère d’objet du son de l’orgue. » (Adorno, Essai
sur Wagner, 97-98)
Quel fil d’écoute global ? Quelle intension et quel inspect ?
Proposer notre interprétation du fameux « Rédemption au rédempteur ! »
· Singulier
défi qu’aux poètes […] inflige Richard Wagner ! (541)
· Il
[l’art] domptera tout par le chant, jailli dans un déchirement de la pensée
inspiratrice. (544)
· Ô
Wagner, […] [ton Art] ouvre, cet incontestable portique, […] une hospitalité
contre l’insuffisance de soi et la médiocrité des patries. (546)
Les mythes du Moyen Âge ne sont pas des mythes tragiques,
mais des histoires « ouvertes ». (10)
Perceval : la tentation de la possession divine ici-bas
(10)
Les deux grands mythes du Moyen Âge, celui de Tristan et
celui du Graal, ne sont pas chrétiens. (11)
La conquête du Graal représente – il n’est guère permis de
s’y tromper – une aspiration terrestre et presque nietzschéenne à la
surhumanité. (12)
La place d’honneur offerte de préférence au dernier venu, au
hors la loi, à l’inconnu, à l’être présumé vierge auquel on se plaît à prêter
surabondamment d’avance les signes du prédestiné (13)
Il y a des chefs d’œuvre qui fertilisent leur matière, en
font un carrefour magique, une étoile de routes sans cesse foisonnante de
nouveaux chemins (le Faust de Goethe appartient à un monde de nébuleuses, grosses à l’infini de planètes nouvelles) ;
Wagner est un magicien noir – c’est un mancenillier à l’ombre mortelle – des
forêts sombres prises à la glu de sa musique. (14)
Je ne crois pas du tout comme Cocteau à « l’immense
ridicule du livret de Parsifal ».
(15)
Reste au centre, au cœur du mythe et comme son noyau, ce
tête à tête haletant, ce corps à corps insupportable – ici, maintenant,
toujours – de l’homme et du divin, immortalisé dans « Parsifal » par
la scène où le roi blessé élève le feu rouge du Graal dans un geste de ferveur
et de désespoir qui figure un des symboles les plus ramassés que puisse offrir
le théâtre – un instantané – des plus
poignants que recèle l’art – de la condition de l’homme, qui, est, seul entre
tous les êtres animés, de sécréter pour lui-même de l’irrespirable. (15-16)
Donner [ici] au personnage d’Amfortas la place centrale (16)
C’est Kundry qui porte mes couleurs. (17)
« La question qui brise les charmes : « Quel
nom est le tien, plus éclatant que la merveille ? » » [question
à adresser au Graal] (31)
Amfortas « lové comme un serpent autour de sa
blessure » (33)
« Amfortas a pris la place du Graal ! »
Kundry (34)
« Le château élève à sa poupe, comme un drapeau, la
blessure d’Amfortas ! » (34)
Amfortas : « Ma blessure est mon lien avec les
autres hommes. […] Je n’existe que par elle, c’est elle qui me rend visible. »
(49)
Clingsor : si Perceval prend la relève, tu ne
« seras plus rien qu’un homme parmi les hommes ». (51)
Perceval : « On m’a nommé le Graal, et le monde a
séché d’un coup sous mon regard. » (62)
Trévrizent : « C’est le péché mignon des
chevaliers de la Table Ronde. Ils se croient toujours près du but. Ils passent
leur vie à toucher au but. » (65) « Le désir trouble toujours. »
(69)
« Celui-là connaît le vrai jour qui n’oublie pas la
nuit qui le cerne. » (97)
Amfortas : « Kundry ne soigne que les blessures
qu’elle a faites… » (103)
« La question qu’on ne doit poser qu’une fois »
(137)
Amfortas : « le Graal dévaste ! » (40)
p. 162 : une gravure de Parsifal donnant la clef de la lecture : « Il était
clair que l’artiste […] avait tiré du sang même d’Amfortas, qui tachait les
dalles de ses flaques lourdes, la matière rutilante qui ruisselait dans le
Graal. […] Et clair aussi que le chevalier naïf et fidèle n’espérait point au
terme de sa longue quête […] avoir
enfin trouvé le pouvoir de clore les révolutions augustes du Saint-Sang […]
mais seulement lui consacrer le témoignage d’une vie qui devait pour toujours
porter sa marque de hasard avec une cruelle et provocante gratuité. »
(163-4)
L’artiste « avait obscurément voulu donner à entendre
que la qualité de sauveur ne fût jamais obtenue, mais toujours donnée […] car
il avait paraphrasé lui-même son œuvre de l’amère devise qui semble à jamais
clore – et ne clore jamais sur rien d’autre que lui-même le cycle du Graal
« Rédemption au Rédempteur ». » (164)
« Son antisémitisme musical, né si longtemps avant
l’affaire Dreyfus, ne tirait guère alors à conséquence : vers 1925, il se
trouvait des compositeurs pour déclamer contre la musique « nègre »
qui n’ont jamais pour autant été interdits d’opéra. Jamais Wagner ne s’est
séparé d’un collaborateur ou d’un ami parce que juif : le choix obstiné de
Lévi pour conduire son testament musical : Parsifal, choix maintenu malgré pression et lettres anonymes,
qui accusaient le chef d’orchestre de coucher avec Cosima, est plutôt noble. Sa
culpabilité par contact avec
Hitler, fanatique de ses œuvres, ne supporte même pas l’examen. (231)
« On ne peut aimer aujourd’hui Wagner que malgré. » (200)
« Prenons tout de même garde. Presque toutes nos
objections s’appellent non Wagner mais Bayreuth. Ce n’est pas Wagner qui s’est
démodé, c’est Bayreuth. » (202)
1 11 octobre :
Ouverture
2 8
novembre
3 22
novembre
4 6 décembre
5 10 janvier
6 24
janvier
7 21 février
8 7 mars
9 21 mars
10 4 avril
11 2 mai
12 16 mai : Bilan
· Cadrage
généalogique de Parsifal dans les opéras
de Wagner (livre de Stein)
· Leitmotive
(2 séances ?)
· Mélodie
sans fin
· Modulation
poème-musique
· Rythme,
mètre et tempo…
· Structure
globale : Lorenz
· Orchestration ?
· Debussy
(livre de Robin Holloway)
· Boulez,
Boucourechliev…
· Nietzsche
· Philosophes :
Adorno-Badiou
· Musique
de film ?
Numéros de mesures :
· I.1
à 1666
· II.1
à 1539
· III.1
à 1141
Eulenburg
Réduction par Otto Singer (Breitkopf)
Numéros dans l’Avant-Scène n°213.
367 répliques notées R1 à R367
Hans Knappertsbusch (Bayreuth, 1951)
Boulez (Bayreuth, 1970)
Hans-Jürgen Syberberg (1981)
Nikolas Lenhoff (2005)
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