Généalogie descendante (1) : Debussy
(7 mars 2006)
François
Nicolas
Résumé
Si Wagner à lui tout seul semble constituer un continent musical
séparé (sans extension et prolongement immédiats : à l’égal du continent Bach ?), sa généalogie descendante se joue,
dans un premier temps, selon le faisceau disjoint et divergeant des œuvres de
Hugo Wolf (1860), Claude Debussy (1862), Richard Strauss (1864) et Arnold
Schoenberg (1874) - on écarte ici l’académisme stérile du
« wagnérisme », incarné (III° République oblige !) par Vincent
d’Indy.
Pour entamer l’exploration de cet aval musical, on examinera ce
que Robin Holloway appelle « la conjonction Wagner-Debussy » (Debussy
and Wagner, Eulenburg
Books, Londres, 1979).
Ceci nous conduira à l’interrogation suivante :
si Debussy est bien « le plus wagnérien de tous les
compositeurs » (voir La Damoiselle élue, Pelléas, Le Martyre de St Sébastien et Jeux), quel sens musical donner au fait qu’il
déclare rivaliser avec Wagner
« Wagner, ce vieil empoisonneur, […] le fantôme du vieux
Klingsor »
en lui disputant cette place de Klingsor qu’il lui attribue
« Le plus beau caractère dans Parsifal appartient à Klingsor, […]
merveilleux de haine rancuneuse ; il sait ce que valent les hommes […] ; ce magicien retors, ce
vieux cheval de retour, est non seulement le seul personnage “humain”, mais
l’unique personnage “moral” de ce drame où se proclament des idées […] dont le
jeune Parsifal est le chevalier héroïque et niais »
plutôt qu’en se présentant comme sa relève, donc comme son Parsifal ?
Si l’on se désintéresse ici de la psychologie du musicien Claude
de France, qu’est-ce que
l’hypothèse d’un tel Debussy, « Klingsor » (et donc corruption) du
continent Wagner, nous
apprend sur l’œuvre et la musique de Debussy ?
Et surtout, qu’est-ce que cette hypothèse nous apprend sur le
moment Wagner comme crépuscule ?
On thématisera pour cela le crépuscule comme instant pariant sur
le jour contre « la disgrâce de la nuit qui engloutit » (René Char), comme moment prophétisant
non ce qui va venir mais ce qui restera de la séquence qu’il s’agit, dans
l’urgence, de parachever (les tâches propres du crépuscule : saturer ce
qui aura été sa lumière propre).
Autant dire qu’il s’agira, à distance des apologies convenues de
l’aurore, d’esquisser un éloge du crépuscule comme moment du futur antérieur,
ce futur antérieur dont l’écoute du Prélude de Parsifal (quatrième cours - 6 décembre 2005) nous
a délivré la matrice proprement musicale.
Finalement, Parsifal, une œuvre pour notre temps ?
–––––
Variations-Lacan
Extime
Sujet ≠ personne
Athéisme
Vérité & savoir…
Généalogie descendante ?
Acteurs
Différentes généalogies
Celles de Stein
Une autre trilogie…
Et les autres compositeurs ?
Problématique
Délimitations
Caractérisation
Rappels
Quatre points généalogiquement en jeu
1. Rapports de la musique aux autres arts
Double péril 1
Rédemption quant à la Forme musicale par l’improvisation
fixée ?
2. Question du développement musical
Double péril 2
Rédemption par un réseau de motifs-gestes
3. Rapports voix et orchestre
Double péril 3
Rédemption par la ligne modulante
4. La question du grand
Double péril 4
La proposition wagnérienne sur la grande œuvre
(5.) Les rapports chromatisme / modalité
Généalogie descendante ?
Debussy (repères)
Repères biographiques
Ses écrits sur Wagner
Monsieur Croche
Correspondance
Propos divers
De Debussy
Richard Strauss ur Debussy
Robin Holloway
Les 4 œuvres wagnériennes de Debussy
Forme / style ?
La Damoiselle élue (1887-1889)
Pelléas (1902)
Interludes
Premier interlude du premier acte
Ressemblances musicales
Ressemblances du livret
Dissemblances musicales
Second interlude du premier acte
Ressemblances du livret
Ressemblances musicales
Dissemblances musicales
Autres interludes
Les miniatures
Debussy et Moussorgski
Le martyre de Saint-Sébastien (1912)
Jeux (1912)
Rapprochement 1
Rapprochement 2
Rapprochement 3
Rapprochement 4
Livret
Conjonction
Bilan de tout cela
Crépuscule
Prophétie au futur antérieur…
Nuit musicale
Quelle aurore ?
Debussy
Schoenberg
Programme
La « conjonction Wagner-Debussy » (Robin
Holloway) : premier volet de l’examen d’une généalogie descendante de
Wagner.
Nous allons procéder ainsi :
1) Précisions sur le sens ici donné à l’expression
« généalogie descendante » ;
2) Rappels sur ce dont il y a généalogie descendante :
il s’agira ici de rappeler l’état de nos réflexions sur ce qui se joue dans Parsifal et plus généralement chez Wagner, pour évaluer
comment ceci a-t-il ou n’a-t-il pas une descendance.
3) Examen du rapport de Debussy à Wagner tel que compris par
Holloway
4) Notre bilan.
*
Mais avant cela, quelques variations liées à la récente
publication d’un séminaire de Lacan.
Cf. sortie du séminaire XVI de Lacan : D’un Autre à
l’autre (1968-1969, Ens – salle
Dussane !)
Quelques points nous intéressent.
L’« extime, conjoignant l’intime à la radicale
extériorité » (249).
Cela désigne donc un intime extériorisé (non un extérieur
intériorisé). Cf. pour notre généalogie descendante : il y faut une
intimité (qu’on n’a pas par exemple chez un Mahler) radicalement extériorisée
(ce qu’on n’a pas chez un épigone).
Soit notre hypothèse : une généalogie descendante est
une extimité, en l’occurrence une extimité de Wagner.
« La distance se mesure de ce qui définit un sujet à
ce qui tient comme une personne. Cela veut dire qu’il faut très sévèrement les
distinguer. Toute espèce de personnalisme en psychanalyse est propice à toutes
les confusions et à toutes les déviations. »
(p. 317)
« Un athéisme véritable, le seul qui mériterait ce
nom, est celui qui résulterait de la mise en question du sujet supposé savoir.
Il n’est pas dit qu’il soit possible à la pensée de soutenir un affrontement à
cette question, ni même qu’en donner la formule constitue en rien un pas dans
ce sens. » (281)
Lacan interprète l’équation du nombre d’or (a=0,618…)
a/(1-a)=1/a=1+a
ainsi (p. 199, 203)
a = savoir
1 = vérité
d’où
savoir/(vérité -
savoir) = vérité/savoir = vérité + savoir
ce qui donne :
· 1°
terme : un savoir sur l’inconscient, ou savoir qu’il y a une vérité qui ne
sait pas, ou savoir qu’il y a une vérité dont nous ne pouvons rien savoir, ou
un savoir sur la vérité diminuée du savoir
· 2°
terme : une vérité sur le savoir
· 3°
terme : une vérité avec le/un savoir en plus
Au total savoir qu’il y a une vérité insue doit nous donner
(=) une vérité sur le savoir et aussi
bien (=) une vérité augmentée
d’un savoir.
a/(1-a) |
1/a |
1+a |
savoir/(vérité
– savoir) |
vérité/savoir |
vérité
+ savoir |
Savoir
que le salut viendra d’un innocent (ignorant) |
Quelle
est la vérité (subjective) du savoir ignoré par Parsifal et dispensé par Kundry? |
Appropriation
de la vérité (en jeu dans le processus-Graal) augmentée du savoir acquis via
Kundry |
Acte
I |
Acte
II |
Acte
III |
classement par décennies :
Franz Liszt
(1811-1886)
Richard Wagner
(1813-1883)
César Franck
(1822-1890)
Anton Bruckner
(1824-1896)
Johannes Brahms
(1833-1897)
Emmanuel Chabrier
(1841-1894)
[Jules Massenet
(1842-1912)]
Gabriel Fauré
(1845-1924)
Vincent d’Indy
(1851-1931)
Ernest Chausson
(1855-1899)
Hugo Wolf (1860-1903)
/ Gustave Mahler (1860-1911)
Claude Debussy
(1862-1918)
Richard Strauss
(1864-1949)
Arnold Schoenberg
(1874-1951)
En 1883 (mort de Wagner), Chausson a 28 ans, Wolf et Mahler
23 ans, Debussy 21 ans, Strauss 19 ans, Schoenberg 9 ans, Stravinsky 1 an et
Webern naît cette année-là. Mais Verdi a 70 ans, Franck 61 ans, Bruckner 59
ans, et Brahms 50…
En 1750 (mort de Jean-Sébastien Bach), Haydn (1732-1809) a
18 ans, Mozart n’est pas né (1756) ni Beethoven (1770) (mais Scarlatti 65 ans,
Rameau 67 ans)
Cf. les 15-20 ans 1883-(1898)-1903 et 1750-(1765)-1770
1769 : symphonie n°39, quatuors op. 9, 17 et 20 de
Haydn / 1770 : 1° quatuor de Mozart…
Cf. hypothèse : analogie du continent-Wagner avec le
continent-Bach (en particulier, pas de descendance immédiate…)
|
Wolf |
Debussy |
Strauss [1] |
Schoenberg |
Mahler |
Autres |
1883 |
|
|
|
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|
III° symphonie de Brahms |
1884 |
|
Prix de Rome (Enfant prodigue) |
|
|
|
IV° symphonie de Brahms VII° symphonie de Bruckner Prélude, choral et fugue de Franck |
1885 |
|
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|
|
|
Le Roi Arthus de Chausson |
1886 |
|
|
|
|
|
Gwendolyne
de Chabrier Symphonie sur un chant montagnard de d’Indy III° symphonie avec orgue de Saint-Saëns |
1887 |
|
|
|
|
|
Le Roi malgré lui de Chabrier Requiem
de Fauré |
1888 |
Mörikelieder |
|
Don Juan |
|
1° symphonie |
Souvenirs de Bayreuth de Fauré Ferval
de d’Indy |
1889 |
|
La
Damoiselle élue |
|
|
|
|
1890 |
|
Cinq poèmes de Baudelaire |
Mort et transfiguration |
|
|
|
1893 |
Sérénade italienne |
Quatuor Proses lyriques |
|
|
|
|
1894 |
|
Prélude à l’après-midi d’un faune |
Guntram |
|
2° symphonie |
|
1895 |
Le Corregidor |
|
Till Eulenspiegel |
|
|
|
1896 |
|
|
Ainsi parla Zarathoustra |
|
3° symphonie |
|
1897 |
|
Chansons de Bilitis |
|
|
|
|
1898 |
|
|
La vie d’un héros |
|
|
L’Étranger
de d’Indy |
1899 |
|
Trois Nocturnes |
|
La Nuit transfigurée |
|
Ravel : Pavane pour une Infante défunte |
1900 |
|
|
|
Gurre Lieder |
4° symphonie |
|
1901 |
|
|
|
|
|
Ives : II° symphonie |
1902 |
|
Pelléas |
|
|
5° symphonie |
|
1903 |
|
|
Symphonie domestique |
Pelléas |
|
|
1904 |
|
|
|
1° quatuor |
Kindertotenlieder |
|
1905 |
|
La Mer, Images |
Salomé |
|
7° symphonie |
Bartok : 1° Suite pour orchestre, Quintette |
(voir cours précédent)
Stein distingue pour sa part une triple descendance
« après Parsifal » :
· Vincent
d’Indy et Siegfried Wagner, soit le dépôt académique et épigonal
· Richard
Strauss, soit la saturation du grand orchestre et de la totalisation (voie de
l’œuvre d’art totale),
· Hugo
Wolf, soit la systématisation de la voie de la miniature dans l’ordre d’une
synthèse notes-mots.
J’explorerai prioritairement cette triplicité :
· Debussy,
· Schoenberg
· la
musique de film.
Franck et Bruckner ?
Mahler ?
Chausson ?
Sibelius ?
Thèse : une généalogie descendante est une extimité (« extime,
conjoignant l’intime à la radicale extériorité » Lacan, XVI, 249).
Ce n’est pas seulement une référence, ou une
influence : cf. tout très grand compositeur est
« incontournable ». Donc chacun doit se prononcer sur lui. Une œuvre
ne s’inscrit dans une généalogie que si
son intension se nourrit
affirmativement de cette référence. J’exclus donc les distances (Fauré), les
indifférences (Ravel) ou les rapports n’étant pas assez « intimes »
(Mahler).
L’intimité (au principe de l’extimité) suppose que la
musique (candidate à être tenue pour une généalogie descendante) s’oriente
(affirmativement) par rapport à Wagner. Affirmativement ? Cela peut être
« contre » (cf. Debussy) mais il s’agit alors d’un contre affirmatif, d’un contre qui est donc indiscernablement un
« tout contre ». Les opposants réels (cf. Stavinsky) ne font donc pas
partie d’une telle généalogie.
Cela suppose la capacité d’extérioriser, et
« radicalement » (Lacan) c’est-à-dire de constituer des œuvres
musicales singulières. L’absence de distance critique conduisant à une pure et
simple imitation écarte ainsi d’Indy (Chausson : trop
« wagnérien » ?).
La capacité d’extérioriser écarte aussi les trop
contemporains de Wagner : une distance chronologique minimale me semble
requise pour qu’une extériorisation « radicale » prenne la forme
d’une généalogie descendante. Ceci exclut dont Franck (1822) et Bruckner (1824)
de la liste des candidats.
Généalogie se distingue d’archéologie et d’historicité. [2]
Généalogie est donc plus que simplement
« influences », en particulier « influences latérales ».
Généalogie est, par contre, moins que configuration (concept d’Alain Badiou).
Dans le cas de Wagner, mon hypothèse de travail sera donc
celle-ci : sa généalogie descendante est essentiellement constituée, dans
sa première séquence, par le faisceau Strauss-Wolf-Debussy-Schoenberg.
Caractéristique : cette généalogie descendante n’est
pas connexe, elle est chronologiquement disjointe : il faut attendre 15 à
20 ans après la mort de Wagner pour avoir des œuvres significatives
s’inscrivant dans cette généalogie. Pelléas : 1902 !
Cf. Jean-Sébastien Bach : sans descendance immédiate.
Descendance ensuite divisée : descendance de style (style fugato) /
descendance de pensée (contrepoint, polyphonie…).
On va avoir la même question avec Wagner : quelle est
la vraie descendance, c’est-à-dire la plus intéressante musicalement ? La descendance
de style (avec ce que ceci comporte comme dimension sonore immédiatement
identifiable) ou descendance de pensée (qui est moins immédiatement identifiable
d’oreille, ce qui sera bien sûr le cas de la musique de Debussy) ?
Parsifal met en scène
le drame d’une réactivation.
Pour Wagner, cette réactivation est exemplairement celle,
musicale, du genre opéra conçu moins comme théâtre musicalisé que comme
synthèse entre les arts sous la loi du drame. Cette synthèse a été inaugurée
par les Grecs. Dans sa séquence moderne (celle, en cours, qui est pour Wagner
ensablée et qu’il s’agit de régénérer) cette synthèse est entre musique et
drame (ou opéra et drame) en se souvenant que pour Wagner, drame nomme la synthèse plus encore que sa composante
théâtrale.
Parsifal donc, pour
Wagner, représente sur scène ce dont il s’agit dans toute l’œuvre wagnérienne.
En un sens, on pourrait dire quelque chose d’équivalent à
propos des Maîtres (musique allemande…)
ou du Ring (cf. JJN :
allégorie des rapports de la musique au drame) car il y s’agit aussi de
représenter des enjeux musicaux internes à l’Œuvre wagnérienne. Parsifal, cependant, me semble plus précisément ajusté ce
propos : il résume mieux et plus directement tout le parcours de l’œuvre,
et il le fait dans une proximité plus grande du poème à ce parcours.
*
Par delà les formulations propres à l’intellectualité
musicale de Richard Wagner, quelles sont pour nous les grandes problématiques
musicales activées par Parsifal ?
1.
Musique et autres arts (autonomie non autarcique)
2.
Développement et thématisme
3.
Voix & orchestre (plus généralement, rapports musicaux
entre individualité et collectivité musicales !)
4.
Grande œuvre & grande musique
« Chaque art demande, dès qu’il est aux limites de sa
puissance, à donner la main à l’art voisin. » Musique de l’avenir
« L’art a besoin de quelque chose qui lui est hétérogène
pour devenir art » (Adorno).
Parsifal touche au
salut de la musique face au double péril subjectif :
· d’une
autarcie (autonomie sans aucun rapport à d’autres mondes),
· d’une
subordination (hétéronomie et non plus autonomie).
Parsifal indiquerait
une nouvelle voie de salut ou de rédemption face à ce double péril à travers le
thème d’improvisation fixée. Ce thème est central dans le texte de 1871 (De
la destination de l’opéra) ; il
consiste essentiellement en l’idée suivante : l’hétérogène d’un texte
aiderait le discours musical à se libérer de formes architectoniques moribondes
et à inventer de nouvelles formes se présentant alors, à mesure de leur nouveauté,
comme formes informes ce que Richard Wagner nomme alors avec à propos comme
improvisation fixée (improvisation
nomme le côté informel, c’est-à-dire la nouveauté non codifiée et fixée nomme l’ambition quant à la Forme de cette
nouveauté).
Il est vrai que le musique du XX° siècle recourra souvent à
l’appui d’un texte pour renouveler ses formes, à tout le moins pour s’émanciper
du carcan de formes trop contraignantes et mortifères : Schoenberg y
recourra à de nombreuses reprises, ne serait-ce emblématiquement qu’à la fin de
son II° quatuor…
J’ai moi-même régulièrement recours à ce type d’appui :
Deutschland (Hopkins), Dans la
distance (Valery/Badiou), Duelle (Sachs-Dickinson-Akhmatova-Lloret)…
Parsifal est le point
culminant du travail wagnérien sur un réseau de leitmotive, une pluralité qui
émancipe le motif de sa problématique thématique traditionnelle (figure
musicale de la conscience de soi par une logique d’auto-réflexivité).
Parsifal pointe ici
la possibilité d’un salut de la musique face au double péril :
· du
développement thématique,
· d’une
simple évolution impressionniste.
Il se trouve que la problématique du réseau de motifs,
d’objets musicaux (gestes ou autres) est également une nécessité que j’ai
moi-même pratiquée (dans un tout autre contexte musical) dans des situations
aussi variées que Deutschland, Pourtant
si proche et Des infinis subtils, Erkennung…
Parsifal indiquerait
ainsi la voie d’une libération du discours musical face au carcan du
développement thématique, sans tomber pour autant dans la voie aujourd’hui si
pratiquée (école spectrale…) d’une simple évolution des climats
impressionnistes composés.
Où l’on touche donc à la généalogie descendante vers Debussy
mais aussi vers Schoenberg.
Parsifal pointe
également une voie possible de nouveau traitement du rapport entre la voix et
l’orchestre (plutôt, à mon sens, qu’entre la mélodie chantée et le texte
proféré). En effet la voix dans Parsifal est très nettement devenue une voix traversant le flot orchestral et
non plus une voix d’écume ou de surface. La voix tantôt émerge, tantôt plonge
et s’immerge ; il est ici question moins de dynamiques – dans l’ensemble
on distingue presque tout le temps les voix chantées et leurs mots, à la
différence par exemple de ce qui se passe dans le Ring à partir de l’acte III de Siegfried – que de logique musicale : la mélodie n’est
plus une efflorescence de l’harmonie, moins encore sa surface (logique prônée
par Opéra et drame) mais plutôt
un fil irisé par sa traversée de l’harmonie et du contrepoint orchestral. Le
rapport voix/orchestre est ainsi le rapport d’une ligne à une masse, nullement
celui d’une mélodie et de son accompagnement harmonique.
Parsifal pointe ici
la possibilité d’un salut de la musique face au double péril
· de
la mélodie accompagnée,
· de
l’oblique indifférent, effaçant la polarité musicale entre horizontal et
vertical.
Parsifal indiquerait
ici la voie d’une voix traversant l’orchestre, échappant tant l’horizontalité
convenue (mélodie accompagnée) qu’à l’effacement grisaillant de l’oblique
(reprise somme toute de cette vision pauvre et maigre de la mélodie comme
simple arpège), portant trace singulière des masses orchestrales rencontrées et
traversées.
J’indiquerai encore que cette orientation traverse mon
propre travail compositionnel : ce traitement de la voix (mais aussi plus
globalement de la dimension mélodique de tel ou tel solo instrumental dans un
contexte orchestral) comme « traversée » et non plus comme une voix
d’une polyphonie, moins encore comme mélodie accompagnée, est à l’œuvre dans
mes principales œuvres vocales (Deutschland,
Dans la distance, Duelle) comme dans ma récente œuvre concertante pour
orchestre (Sillages).
Qu’est-ce qu’être musicalement grand ? Qu’est-ce qu’une
grande musique ? (plutôt que : qu’est-ce qu’une grande œuvre ?)
Cf. scission divergente après Wagner entre Strauss (le grand
devient l’énorme) et Wolf (la voie
de la miniature séparée, isolée) qui révèle d’autant plus la singularité
wagnérienne de cette figure du grand : une ample constellation de
miniatures…
· l’énorme
de la grande fresque à larges coups de pinceau (Richard Strauss)
· la
collection de miniatures infinitésimales séparées (Hugo Wolf)
« Ce qu’il y a de très important, c’est la manière de
commencer. » De l’application de la musique au drame (XII. 287)
Axiome : le vraiment grand doit se lire localement
avant de se lire dans globalité. On doit ainsi pouvoir distinguer un local
« grand » d’un local « petit », non par leur tailles
extérieures mais du point de leur composition intérieure.
Cf. les débuts de St-Jean (ample houle, progressivement ourlée) et surtout de St-Matthieu (lente et profonde poussée) sont intrinsèquement
grands, comme le début de Parsifal
(cf. modèles pour Duelle…).
Formulons cela en ce principe : une grande musique doit
l’être à tout moment ; elle doit l’être en particulier dès son entame.
Cf. la modalité est réactivée dans Parsifal, au moment même où le chromatisme atteint dans le
cadre maintenu de la tonalité son climax (cf. plus de chromatisme encore dans
la seconde scène de la transformation – acte III – que dans Tristan…).
C’est aussi cette modalité qui redonne cette couleur
diatonique à la musique de Parsifal.
Réactivation donc, qui va inspirer Debussy…
Face à cette dimension, se dessine un partage Debussy
(modalité : pentatonique / gamme par tons) / Schoenberg (chromatisme). Il
ne faudrait cependant pas réduire ce partage Debussy/Schoenberg au regard de
Wagner à cette dimension, qui concerne un style sonore mais ne touche pas forcément
à un véritable style de pensée.
Au total
|
|
Strauss |
Wolf |
Debussy |
Schoenberg |
Musique de film |
Autres |
Rapport aux autres arts |
Autarcie |
|
|
|
|
|
|
Subordination |
|
? |
x |
|
x |
|
|
Improvisation
fixée |
|
? |
x |
x |
|
|
|
Développement |
Thématisme |
|
|
|
|
|
|
Impressionnisme |
|
|
x |
|
x |
|
|
Réseau de motifs-gestes |
|
|
? |
x |
|
|
|
Rapports voix/orchestre |
Mélodie accompagnée |
|
|
|
|
|
académisme |
Oblique indifférent |
|
|
|
|
|
un certain dodécaphonisme |
|
Ligne modulante |
|
|
? |
x |
|
|
|
Le grand |
Le massif |
x [3] |
|
|
|
|
|
La miniature |
|
x [4] |
|
|
|
|
|
Le localement grand |
|
|
|
x |
|
|
Il s’agira de mettre ces hypothèses à l’œuvre dans notre
examen ultérieur des « descendances » de Wagner.
1872 : Son professeur de solfège est Albert Lavignac
Janvier 1886 : entend jouer Liszt
Mars 1887 : entend le premier acte de Tristan au Concert Lamoureux
1888 : Bayreuth (Parsifal, les Maîtres). Autres
visiteurs : Hugo Wolf et Gustav Mahler
1889 : Bayreuth (Parsifal, les Maîtres + Tristan)
1893 : Proses lyriques (1. Du rêve)
· La
Damoiselle élue (1887-1889)
· Pelléas
(1902)
1909 : projet d’un Tristan, qui ne verra jamais le jour ! [5]
· Le Martyre de St Sébastien (1912)
· Jeux
(1912)
« Il fallait chercher après Wagner et non pas d’après Wagner. » (63)
« Wagner fut un beau coucher de soleil que l’on a pris pour une aurore. » (67)
Formule « empruntée » en fait à Victor Hugo : « C’est ce soleil couchant [l’architecture de la Renaissance] que nous prenons pour une aurore ». (Notre-Dame de Paris p. 183).
« Wagner n’a jamais servi la musique. Il n’a même pas servi l’Allemagne. » (79)
« On peut tirer de l’œuvre de Wagner une image assez frappante : Bach, c’est le Saint-Graal ; Wagner, c’est Klingsor voulant écraser le Graal et prendre sa place… » (80)
Debussy se veut donc son Parsifal ! Mais – voir plus loin – en fait, ce qui l’intéresse, ce à quoi il s’identifie, c’est plutôt Klingsor : voir page 143 !
« Wagner va… s’effaçant… ombre fuligineuse et
inquiétante. » (80)
« Dans Parsifal, dernier effort d’un génie devant lequel il faut s’incliner, […] la musique […] respire plus largement [que dans Tristan]. […] Rien dans la musique de Wagner n’atteint à une beauté plus sereine que le prélude du troisième acte de Parsifal et tout l’épisode du vendredi saint. » (143)
« Le plus beau caractère dans Parsifal appartient à Klingsor (ancien chevalier du Graal, mis à la porte du Saint-Lieu pour des opinions trop personnelles sur la chasteté). Celui-ci est merveilleux de haine rancuneuse ; il sait ce que valent les hommes et pèse la solidité de leurs vœux de chasteté avec de méprisantes balances. Ce de quoi arguer sans effort que ce magicien retors, ce vieux cheval de retour, est non seulement le seul personnage “humain”, mais l’unique personnage “moral” de ce drame où se proclament les idées morales et religieuses les plus fausses ; idées dont le jeune Parsifal est le chevalier héroïque et niais. » (143-144)
Debussy ici livre sa véritable pensée : il pointe que le seul « individu » (car dividu corrompu !) est Klingsor et il fait l’éloge de cette humanité, effaçant au passage que Klingsor s’est castré et s’est ainsi rendu impuissant…
« Parsifal est partout d’une suprême beauté. On entend là des sonorités orchestrales, uniques et imprévues, nobles et fortes. C’est l’un des plus beaux monuments sonores que l’on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique. » (144)
Debussy-Klingsor jaloux du Graal !
« 1889 ! époque charmante où j’étais follement wagnérien. Pourquoi je ne le suis plus ? Pardon, mais ceci est une autre histoire. » (144)
Il écrit cela en 1903. Il ne racontera guère (à ma connaissance) cette autre histoire.
« L’erreur fondamentale vient de ce qu’il fallait considérer Wagner comme la géniale conclusion d’une époque et non comme un chemin ouvert sur l’Avenir ! Rendre le développement symphonique responsable de l’action dramatique n’était qu’un pis-aller qui n’a jamais bien servi que Wagner et la pensée allemande. » (239)
Debussy a bien pour adversaire « la pensée allemande » !
Surtout son argument contre Wagner (crépuscule, fin) ressemble terriblement aux arguments de Klingsor contre Monsalvat : « Monsalvat est la fin ; c’est le crépuscule à Monsalvat, et je suis l’aurore d’un nouveau temps (Die Zeit ist da.) » !
« Le fantôme du vieux Klingsor, alias R. Wagner,
apparaissait au détour d’une mesure, j’ai donc tout déchiré. » 2 octobre
1893, lettre à Chausson [6]
« [Avec Wagner], trop souvent nous songeons au cadre
avant d’avoir le tableau, et quelque fois la richesse de celui-ci nous fait
passer sur l’indigence de l’idée. » (91)
« Wagner, ce vieil empoisonneur ! » (117)
« Wagner doit tout à tout le monde ; c’est
d’ailleurs ce qu’on appelle avoir du génie. » (134)
« Il faudrait trouver un orchestre “sans pied” pour
cette musique [Jeux]. Ne croyez pas que
je pense à un orchestre exclusivement composé de culs-de-jatte !
Non ! je pense à cette couleur orchestrale qui semble éclairée par
derrière et dont il y a de si merveilleux effets dans Parsifal ! » (311)
« La courbe de Wagner me semble accomplie. »
(1908), rapporté par Maurice Leclercq dans Le Cas Debussy (Bibliothèque de Temps Présent, Paris, p. 5)
« Impossible de rivaliser avec une pareille
séduction » (1914) : à la reprise de Pelléas en même temps que Parsifal est donné au Théâtre des Champs-Elysées [7]
Représentation de Pelléas (1907) – propos rapportés par Romain Rolland - : [après le
premier acte] « Est-ce que c’est toujours comme cela ? – Oui. – Rien
de plus ? Il n’y a rien… Pas de musique… Cela ne se suit pas… Cela ne
tient pas… Pas de phrases musicales. Pas de développement. » « Moi je
suis musicien avant tout. Du moment que la musique est dans une œuvre, je veux
qu’elle soit maîtresse, je ne veux pas qu’elle soit subordonnée à autre chose.
C’est trop humble. » « Il n’y a pas assez de musique pour moi, ici.
Ce sont des harmonies très fines, des effets d’orchestre très bon, de très bon
goût ; mais ce n’est rien, rien du tout. Je trouve que ce n’est pas plus
que le drame de Maeterlinck, tout seul, sans musique. » « Mais c’est
tout Parsifal » me dit-il, à
un passage. […] C’est très fin. » […] « Beaucoup de bon goût, de finesse, très bien fait,
très artistique, de jolies couleurs. » (in Lockspeiser, p. 359-360)
Logique soustractive de Debussy, mais aussi subordination
de la musique au texte, mettant ainsi en pratique… un programme wagnérien - Opéra
et Drame – que Wagner n’a jamais vraiment
appliqué…
Debussy and Wagner
(Londres, Eulenburg books, 1979)
Je restitue ici des notes de lecture, en leur associant mes
commentaires éventuels en plus petits caractères.
*
« Debussy peut être compris comme un des produits les
plus caractéristiques du wagnérisme. »
« Debussy doit être reconnu comme le plus profondément
wagnérien de tous les compositeurs. » (8)
« Sa dette envers Wagner cependant ne doit pas se
comprendre comme une simple continuation de la musique wagnérienne. L’influence
de Wagner fut pour lui oblique. »
Chausson : « Quand un génie aussi puissant et
dominateur que Richard Wagner apparaît dans le monde, il délivre tant de
splendeur qu’après lui suit une sorte d’obscurité »
Cf. Wagner déplace le curseur logique de l’intensité
maximale d’apparaître si bien que ce qui paraissait clair est réévalué comme
plus obscur qu’on ne pensait ! Une topologie en effet n’est pas uniforme
dans sa gradation du minimum au maximum. Quand un génie apparaît, d’une part il
élève la barre du maximum, mais d’autre part il est forcément isolé et il provoque
donc un grand trou entre le nouveau maximum et l’ancien (qui devient index du
moyennement intense et non plus du très intense. D’où l’effet
d’obscurité :
« Sa dévotion puis son hostilité ne sont que les deux
faces d’un même rapport. »
Debussy : « son hostilité à Wagner est entièrement
verbale, quand il est reste musicalement un disciple de Wagner, quoique d’une
manière déviée, pour le reste de ses jours. » (17)
Ceci a à voir avec l’anti-intellectualité musicale de Debussy…
Enjeu ? Question de la Forme : contre la forme
officielle (intérêt ici de Moussorgski) (17), pour une forme condensée (18),
une rhapsodie (43)
« Wagner a été la plus profonde influence sur la
musique de Debussy. » (21)
« Montrer combien Wagner est actuel dans
Debussy ».
Éclairer Debussy comme « le plus profondément
wagnérien de tous les compositeurs ». (21)
Influences : les œuvres wagnériennes de Debussy.
1.
La Damoiselle élue
(1887-1889)
2.
Pelléas (1902)
3.
Le Martyre de St Sébastien (1912)
4.
Jeux (1912)
Cf. aussi Cinq poèmes de Charles Baudelaire (1887-1889) : influence de Parsifal et Tristan
Sa dimension non ou anti-wagnérienne se voit dans ses œuvres
pour piano, dans son style de piano, qui atteint à la maturité à partir
de ses Estampes (1903). (47)
Pour Debussy, « la forme pourrait être remplacée par
le style » (Ernest Newman) (55)
Idée intéressante, et caractéristique, en effet, d’une
« corruption » possible…
Debussy n’avait pas de théorie de l’opéra. Sa position était
instinctive et anti-théorique. (56)
Cf. son anti-intellectualité musicale. Résultat : il
applique une théorie wagnérienne que le musicien pensif Wagner n’a jamais appliquée…
Pelléas est
wagnérien, à la fois en théorie et en pratique. (58)
Somme toute, Debussy aurait mieux réalisé que Wagner les
théories d’Opéra et Drame !
Cf. Parsifal (entendu à
Bayreuth en 1888 et 1889). Ce n’est pas une œuvre qu’on pourrait dire wagnérienne
au sens usuel du terme, mais une œuvre qui se souvient de moments wagnériens.
(42) C’est le premier des opus wagnériens de Debussy. (48)
La référence, pour le livret, est plutôt Tristan… Mais le contraste ici l’emporte sur la ressemblance
(64)
La référence, pour la musique, est toujours plutôt Parsifal. (74)
Musicalement, les références wagnériennes apparaissent dans
le traitement de la voix et des mots.
Les interludes (ajoutés au dernier moment) traduisent une réminiscence
wagnérienne plus accentuée : quand Debussy est pressé par le temps, il se
tourne instinctivement vers Wagner. (76)
Premier interlude du premier acte
(p. 24-29) : cf. scène de la transformation
Voir les cordes seules auxquelles les vents s’ajoutent
progressivement.
Voir l’aspect de marche ci-suit :
Pelléas :
Cf. Parsifal ! :
Voir aussi l’équivalence dans le livret car il s’agit ici du passage de la forêt à une pièce du château (comme dans Parsifal : « ici le temps devient espace »…)
La différence : chez Wagner, constante évolution de la
structure quand Debussy travaille sur le flottement et le transitoire.
Second interlude du premier acte
(p. 44-45) : cf. Parsifal prélude de l’acte III
Ceci introduit à une scène (la troisième) devant le château
où Melisande chante : « Il fait sombre dans les jardins. Et quelles
forêts tout autour des palais !… Oui ; cela m’étonnait aussi quand je
suis arrivé ici ; […] il y a longtemps, il y a presque quarante ans que je
suis ici. » Cf. Gurnemanz : le passage de nombreuses années…
Ressemblance par rôle prépondérant des cordes, dans le mouvement
rythmique (procession mais aussi syncopes) :
Pelléas : p. 44-45 (cordes seules)
Cf. Parsifal (L5) :
Pelléas (p. 45) : cf. Parsifal seconde partie du prélude de l’acte III
Chez Wagner, accumulation par tension harmonique croissante.
Chez Debussy, dissipation de la tension harmonique (au
moment même où les dynamiques sont crescendo) par des oscillations faibles, ou
par l’indifférenciation d’une gamme par tons.
Premier interlude du second acte : cf. le Crépuscule
des dieux (acte II) (83)
Second interlude du second acte : cf. Tristan (acte III) (87)
Les deux interludes de l’acte III n’ont par contre pas de
points de contacts avec Wagner. (91)
L’interlude central de l’acte IV renvoie à nouveau à Tristan (& Parsifal) (92)
Cf. rapprochement cette fois dans les moments avec voix de Pelléas.
Cf. exemple suivant (99) : Pelléas (I) et Parsifal (prélude III) :
Mêmes accords mais présentés :
· en
progression harmonique chez Wagner,
· en
simple juxtaposition sans connexion chez Debussy (cf. effacement de la basse).
Défonctionnalisation de l’harmonie : cf.
« corruption » des fonctions tonales…
Cf. la scène 3 de l’acte II de Pelléas présente des ressemblances avec La
Walkyrie (I) et la scène des Nornes dans le
Crépuscule. (103)
Debussy convertit la musique de Wagner en quelque chose
d’atmosphérique, en climats et impressions (106)
Négation plutôt que soustraction, ou conception négative de
la soustraction…(108)
Acte V : cf. une veine venue de Tristan. (120)
Cf. nombreux usages de l’accord de Tristan mais traité ici
en agrégat de hauteurs (124)
Toujours cette reprise de la « lance » wagnérienne
pour la castrer de sa dynamique propre…
Pour mettre en musique l’activité néfaste de Golaud, Debussy
utilise l’harmonie et ses progression de Tristan ! Couleur claustrophobique
ainsi donnée à ce qui, chez Wagner, relevait d’un tout autre contexte. (131)
Exemple (133) où une progression wagnérienne, pointant la
clarté des cieux, est renversée par Debussy en une dissolution
« nihiliste ». (135)
Holloway thématise en effet ces opérations de Debussy comme
« nihilistes »…
Ainsi dans Pelléas,
Debussy sature sa partition d’échos de Wagner mais la différence est si grande
qu’elle inscrit l’influence sous le signe de l’hostilité, de la négation, de
l’antithèse. (135)
Exemple en effet intéressant (unique ?) de généalogie
en contraposition, de citations détournées et renversées…
Debussy emploie de nombreux leitmotive nominatifs !
(136) mais ils ne contribuent pas à la forme globale et sont difficilement
interprétables thématiquement.
Debussy a appris son art de la construction instinctive chez
Moussorgski. (138)
Toutes les parties vocales sonnent plus comme du Moussorgski
que comme du Wagner. (139)
Wagner sert surtout à Debussy pour caractériser le sombre
château de Golaud.
Équation : Moussorgski pour la fraîcheur et la
spontanéité, Tristan et Parsifal pour la contrainte… (140)
Son déni de
Wagner est un déni de lui-même. (140)
Le rapport de Debussy à Wagner est en effet très largement
inscrit sous le signe du déni (cf. Freud !)…
Dans Pelléas, Debussy
échoue à achever une synthèse entre ces deux pôles opposés. (140)
Faiblesse de la musique : musique très pauvre,
fragmentation, incohérence (146…)
Parsifal est devenu
un modèle et plus seulement une influence. Simple imitation et non plus
seulement allusions et réminiscences inconscientes… (147)
Mixture « perverse » d’admiration et d’opposition
(157)
Holloway thématise à plusieurs reprises le rapport de
Debussy à Wagner comme de nature « perverse »…
Une de ses partitions les plus faibles (158)
Il faut dire qu’il l’a écrite trop vite et pour de mauvaises
raisons (besoin d’argent) (159)
Ballet. Livret : tennis… Jeu dans un jardin d’un jeune
homme avec 2 jeunes filles. Cf. il s’agit là du « ballet des Filles-Fleurs »
de Debussy.
« Dans la relation Wagner-Debussy, ce qui est latent et
accidentel chez le premier devient d’un intérêt central chez le second. »
(165)
« Jeux manifeste
une sorte d’identification à Parsifal. » (166)
Le point évident de comparaison est le jardin magique des Filles-Fleurs.
· Dans
les deux partitions, prolifération délicate d’arabesques.
Cf. arabesque dans Parsifal :
· Dans
les deux, séquence de valse : cf. Parsifal L17…
Cf. dans Parsifal L21
et son extension (voir cours sur les letimotive) :
Parsifal : quand
Klingsor répond à Kundry (« Es-tu chaste ? ») « Pourquoi
cette question, maudite femme ? » (R147)
Jeux : on trouve le même effet orchestral (les cors bouchés deviennent trompettes bouchées, le petit motif à la clarinette et aux flûtes devient un motif à la flûte et aux piccolos, et une cymbale suspendue restitue quelque expressivité de l’accord chez Wagner) :
Parsifal L9 (dit de Kundry)
Jeux
Cf. toujours cette corruption de la dynamique wagnérienne, de la subjectivité tendue au profit d’un amolissement très klingsorien…
Le sens des Filles-Fleurs est un classique carpe diem. (178) Cf. : « Si tu ne peux nous aimer,
nous chérir, nous nous fanons, dépérissons. » (R236). La vraie tentation
de Parsifal est bien dans les sentiments vis-à-vis de sa mère.
Dans Jeux, pas de
tentation et, surtout, pas de Kundry. (179)
Rappel : Kundry est précisément la figure la plus
originale et intéressante de Parsifal
(nullement celle de Klingsor !)… C’est précisément cette figure que
Debussy ignore.
Jeux est une
recréation de l’allégorie wagnérienne. (191)
Jeux est absolument
central dans l’œuvre de Debussy. (194)
Cf. toute son œuvre est placée sous les signifiants du jeu
et du plaisir…
Le sens de la musique et du scénario de Jeux n’est compréhensible que si on saisit leur rapport à
Parsifal. (194)
Cf. hypothèse globale de ce livre : celle d’une conjonction.
Rappel : trois synthèses chez Deleuze
o connective (« si Wagner, alors Strauss… »
o conjonctive (que Deleuze installe sous le signe de la
préposition « et », qui est précisément celle qui dans le titre du
livre d’Holloway conjoint Debussy « et » Wagner)
o disjonctive (« soit Wagner, soit x… »
Cette analyse n’a porté que sur une partie des œuvres de
Debussy, et sur une part seulement de leur aspect. (196)
Ce qui fait le caractère wagnérien de certaines œuvres de Debussy,
c’est une certaine ambiance de sujet et un style musical, qu’on peut
expliciter comme les mouvements intérieurs et extérieurs de la sexualité.
Cf. cette idée récurrente : Debussy répond aux
questions de formes informes
(improvisation fixée…) en prônant un style…
À part quelques incursions dans le Ring, la relation de Debussy à Wagner s’est confinée à Tristan et Parsifal. (196)
Cf. son intérêt pour la mythologie franco-celtique et non
pas pour la mythologie nordique et teutonne. (197)
Conjonction entre Debussy et Wagner (199) La conjonction
Wagner-Debussy (199)
Complémentarité de voies opposées (199) sur un sujet commun :
l’érotique (203)
Holloway propose ici une vision à mon sens faible de la
conjonction : par complémentarité, et qui plus est par cette complémentarité
qui lie des opposés…
Debussy et Wagner forment une conjonction d’un type
particulier (202) Dans cette conjonction, la sexualité est la donnée centrale.
(232)
Je suis très réservé sur cette thèse à raison de ce que la
différence des sexes me semble ne pas valoir dans le monde de la musique. Pas
plus que « tout serait politique », « tout n’est pas
sexuel ». En particulier la différence des sexes, qui, bien sûr, vaut pour
les musiciens, ne vaut pas selon moi pour les œuvres musicales ni pour le monde
de la musique…
Caractériser la conjonction Debussy-Wagner par une
convergence des deux séries d’opus (Deleuzea sur le sexualité me semble donc
une fausse piste.
Deux principaux opus wagnériens : Pelléas (où le livret commande à la musique) et Jeux (où la musique l’emporte, le livret étant un
prétexte). (203)
Pelléas + Jeux / Tristan
+ Parsifal
Avec Wagner, nous recevons ce qu’il nous donne. Avec Debussy,
nous recevons ce que nous lui donnons. (206)
Idéal du plaisir chez Debussy (206)
Hélas ! Cf. le partage plaisir ou beauté, sensuel ou
sensible, sensualité ou sensibilité : plaisir sensuel ou beauté sensible…
Le premier renvoie plutôt au classicisme (cf. Badiou). Soit un certain
néo-classicisme de Debussy…
Cf. l’idée que serait spécifiquement « français »
ce rapport à Wagner qui y cherche un plaisir sensuel…
Le génie du bon goût (215)
La Damoiselle comme vision préraphaélite de Kundry (210)
!
Tendance nihiliste chez Debussy (212)
Cf. nihilisme passif : ne pas vouloir, langueur,
léthargie… Voir la généalogie Satie, Cage, Feldman… (216)
Hypothèse centrale du livre d’Holloway : la musique de
Debussy est porteuse d’un nihilisme musical qui s’affirme par dénigrement,
dissolution de l’intension wagnérienne,
de son « vouloir » c’est-à-dire de son projet et de sa dynamique
subjective.
Somme toute Debussy affirmerait le danger de vouloir plutôt
que ne prônerait un vouloir le rien (quoique son vouloir le jeu, le plaisir
consonne avec un nihilisme actif plutôt que passif…).
Si Debussy était nihiliste (thèse d’Holloway, que je ne
ferai pas mienne), ce serait que sa soustraction s’avère une négation sans
relève.
Découverte de Debussy que ce qui pour lui est central chez
Wagner n’est pour Wagner qu’un aspect parmi d’autres (212)
Debussy ramène les progressions harmoniques variées de Tristan à une seule couleur : inhibitrice, claustrophobique…
(213)
Le premier accord de l’Après-midi d’un faune est l’accord de Tristan ! (222)
Les œuvres wagnériennes de Debussy : un nihilisme
désolé + une veine hédoniste + un masochisme voluptueux (224)
Équation subjective conclusive d’Holloway…
Dans Parsifal, l’acte
I est diatonique, l’acte II est chromatique. L’acte III montre un chromatisme à
la fois plus intense (scène de la seconde transformation) et plus apaisé. (225)
Chez Debussy, le diatonisme tend au pentatonique et le chromatisme
à la gamme par tons. (226)
Cf. horizon modal de cette dualité…
Wagner assume un climax orgasmique à ses progressions, pas
Debussy (229)
Dans la musique française, chaque figure majeure est une loi
à elle seule. (234)
Oui : il n’y a pas vraiment de généalogie
« française » mais des singularités isolées et discrètes :
Couperin, Rameau, Berlioz, Debussy, Ravel, Dutilleux…
Ceci consonne avec ma thèse qu’il n’existe pas de musique
française : il existe une musique allemande non parce qu’il y a des
Allemands qui composent de la musique (!) mais parce qu’il y a un concept
musical (Durchführung)
qui l’identifie. Il existe de même une musique italienne qui se cristalise
autour du « concept musical » de bel canto. Il n’existe rien de tel pour identifier une
« musique française » (ni le « timbre », le « bon goût
sonore », etc.). Le résultat est que les compositeurs qui se
rapprocheraient le plus de cette inexistante musique française composent un
collier d’individualités disjointes sans pouvoir constituer une généalogie se
transmettant une intension
commune…
Oui, Debussy est bien le plus wagnérien de tous les compositeurs.
(235)
Pourquoi Debussy camoufle-t-il ses références ?
Cf. le côté désagréable et duplice du personnage (voir dès
sa jeunesse, ses rapports hypocrites et manipulateurs au mari de sa maîtresse Marie
Vasnier en 1885). Mais la psychologie de l’individu Claude ne nous intéresse
guère.
Plus essentiellement, Debussy déploie des rapports retors à
Wagner car il est vrai qu’il y a un problème-Wagner singulier, qui n’a pas son
équivalent par exemple chez un Schoenberg. Je le formulerai ainsi : la
singularité Wagner prend la forme d’un continent-Wagner, continent non connexe
(Australie plutôt qu’Europe - en prenant ici continent en un sens imagé -).
C’est ce continent-Wagner qui est ici la cible de notre
réflexion (bien plus que la question-Debussy).
Le point qu’il s’agirait d’assumer ici serait que Wagner
constitue bien un crépuscule plutôt que l’ouverture d’un processus subjectif
(comme l’est la singularité Schoenberg) ce qui rend alors beaucoup plus opaque
et difficile la question de sa généalogie descendante.
Il nous faut pour cela repenser ce qu’est un crépuscule.
« Tout crépuscule est double, aurore et soir. » Victor Hugo (Critiques. p. 490)
« Pour
l'aurore, la disgrâce c'est le jour qui va venir; pour le crépuscule c'est la
nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens d'aurore. À cette heure de
tombée, peut-être, nous voici. » René Char (Dans la marche - Quitter -
La Parole en archipel, 1960 ; p.411)
Subjectivement, le moment du crépuscule n’est pas un moment
de renoncement, ou de nihilisme (vouloir la nuit faute de ne plus pouvoir
vouloir autre chose). Le moment subjectif du crépuscule est celui de l’urgence
à parachever le processus du jour pour qu’il puisse traverser la nuit qui vient
et menace de tout engloutir.
Subjectivement, le moment du crépuscule est donc celui d’une
résistance affirmative à la nuit qui menace, nullement un abandon et une soumission
à la disgrâce qui se répand.
Une figure subjective de moment, c’est un type bien
particulier de prophétisme qui n’est pas l’annonce de ce qui vient, qui n’est
donc pas la figure subjective de Cassandre annonçant les désastres de la nuit,
mais l’annonce de ce qui restera du jour en train de s’achever.
D’où que la tâche propre du crépuscule soit de parachever ce
qui doit l’être pour que la tâche du jour puisse être transmise moins comme
projet à continuer que comme résultat sur lequel s’appuyer, comme « pas
acquis ».
Ainsi le moment du crépuscule est celui d’une prophétie au
futur antérieur, ce temps qui précisément nous a semblé musicalement à l’œuvre
dès l’ouverture du Prélude de Parsifal.
Une prophétie au futur antérieur : « En vérité, je
vous le dis : quand viendra le nouveau jour qui suivra nécessairement la
nuit qui vient et semble devoir tout engloutir, ceci et ceci que nous avons
fait aujourd’hui et que nous sommes en train de parachever n’auront pas été
inutiles, car ceci et ceci auront produit des conséquences que nous ignorons
aujourd’hui et que nous ne saurions, elles, prophétiser. »
Bref, « Quand la nuit menace et qu’il devient urgent de
protéger le jour en sorte qu’il puisse avoir été, cela s’appelle le crépuscule… »
En ce sens, Parsifal serait bien une œuvre de crépuscule, et l’ensemble de l’œuvre de Wagner aussi (le crépuscule d’un certain type d’opéra), comme sont des œuvres de crépuscule l’Art de la Fugue (avant la grande coupure de 1750), les dernières sonates de Beethoven (avant le torrent nocturne du romantisme), les Chants de l’aube ( !) de Schumann et le trio à cordes de Schoenberg…
De 1883 à ? (cf. de 1750 à ?)
Debussy serait-il alors une aurore après cette nuit ?
Mais aurore de quoi ?
Plusieurs généalogies descendantes de Debussy sont
avancées :
· Varèse-Scelsi-L’Itinéraire :
généalogie du son élevé à la dignité de timbre…
· Ravel
- les jolis navets français [8] :
généalogie de la modalité…
· généalogie
hybridée de celles de Schoenberg et Stravinsky…
Aurore du nouveau siècle musical ?
Il faudrait pour cela scinder le concept d’aurore comme on
l’a fait pour celui de crépuscule, mais tout ceci est une autre histoire…
1.
11 octobre 2005 - Introduction : Parsifal, quels
enjeux aujourd’hui ?
2.
8 novembre 2005 - Moment-analyse (1). Écouter Parsifal à partir de
son moment-faveur
3.
22 novembre 2005 - La structure globale : musicale (Alfred Lorenz) / théâtrale (Wieland Wagner)
4.
6 décembre 2005 - Moment-analyse
(2). De quatre moments relayant l’écoute : Prélude de l’acte
I, Filles-fleurs, Prélude de l’acte III,
musique de la transformation (acte III)
5.
10 janvier 2006 - Théorie « néphologique » du
réseau des leitmotive
6. 24
janvier 2006 - La question du sublime
dans Parsifal. Moment-analyse
(3) : les moments du sublime
7. 21
février 2006 - Généalogie
ascendante : le moment-Parsifal dans l’Œuvre de Wagner
8. 7
mars 2006 - Généalogie descendante
(1) : Debussy
9. 21
mars 2006 - Généalogie descendante
(2) : la musique de film
10.
4 avril 2006 - Drame (1) : l’informe (musique & poésie). Modulations « mélodiques » (la mélodie sans fin
& la musique modulée par le poème). Les moments de la mélodie infinie (les
grands monologues de Parsifal)
11.
1 mai 2006 (New York) - Généalogie descendante (3) : Schoenberg
12.
7 mai 2006 (Journée « Parsifal : une œuvre pour notre temps ? ») – Qui est
Kundry ? 23 thèses sur Parsifal.
Pourquoi Parsifal est un opéra
pour notre temps, musical et politique…
13.
16 mai 2006 - Drame (2) : l’hétérogène (musique & non-art : érotico-politique). Modulations « rythmiques » (rythme, mètre et tempo…).
Les moments de synthèse dramatique (les grandes confrontations dans Parsifal)
14. x juin 2006 - Bilan : Écouter Parsifal ?
Enjeu de ce dernier cours récapitulatif : peut-on
écouter Parsifal ? Plus généralement peut-on écouter Wagner ? ou
est-on condamné à s’immerger dans la mer-Wagner, à s’agenouiller devant Parsifal, à se laisser intoxiquer par le dealer Wagner ?
Comment alors écouter Parsifal ?
––––––
[1] Au moins 3 périodes :
1) 1888-1903 : période des poèmes symphoniques (ensuite passage à l’opéra)
2) Salomé (1905), Elektra (1908)
3) à partir du Chevalier à la rose (1910)
[2] Voir mes textes sur cette trilogie conceptuelle…
[3] saturation du grand orchestre et de la totalisation : voie de l’œuvre d’art totale
[4] systématisation de la voie de la miniature dans l’ordre d’une synthèse notes-mots
[5] Lockspeiser, 138
[6] Lockspeiser, 241
[7] Lockspeiser, 125
[8] généalogie au demeurant tout à fait injuste pour Ravel…