Généalogie descendante (1) : Debussy

 (7 mars 2006)

 

François Nicolas

 

Résumé

 

Si Wagner à lui tout seul semble constituer un continent musical séparé (sans extension et prolongement immédiats : à l’égal du continent Bach ?), sa généalogie descendante se joue, dans un premier temps, selon le faisceau disjoint et divergeant des œuvres de Hugo Wolf (1860), Claude Debussy (1862), Richard Strauss (1864) et Arnold Schoenberg (1874) - on écarte ici l’académisme stérile du « wagnérisme », incarné (III° République oblige !) par Vincent d’Indy.

Pour entamer l’exploration de cet aval musical, on examinera ce que Robin Holloway appelle « la conjonction Wagner-Debussy » (Debussy and Wagner, Eulenburg Books, Londres, 1979).

 

Ceci nous conduira à l’interrogation suivante :

si Debussy est bien « le plus wagnérien de tous les compositeurs » (voir La Damoiselle élue, Pelléas, Le Martyre de St Sébastien et Jeux), quel sens musical donner au fait qu’il déclare rivaliser avec Wagner

« Wagner, ce vieil empoisonneur, […] le fantôme du vieux Klingsor »

en lui disputant cette place de Klingsor qu’il lui attribue

« Le plus beau caractère dans Parsifal appartient à Klingsor, […] merveilleux de haine rancuneuse ; il sait ce que valent les hommes […] ; ce magicien retors, ce vieux cheval de retour, est non seulement le seul personnage “humain”, mais l’unique personnage “moral” de ce drame où se proclament des idées […] dont le jeune Parsifal est le chevalier héroïque et niais »

plutôt qu’en se présentant comme sa relève, donc comme son Parsifal ?

 

Si l’on se désintéresse ici de la psychologie du musicien Claude de France, qu’est-ce que l’hypothèse d’un tel Debussy, « Klingsor » (et donc corruption) du continent Wagner, nous apprend sur l’œuvre et la musique de Debussy ?

Et surtout, qu’est-ce que cette hypothèse nous apprend sur le moment Wagner comme crépuscule ?

 

On thématisera pour cela le crépuscule comme instant pariant sur le jour contre « la disgrâce de la nuit qui engloutit » (René Char), comme moment prophétisant non ce qui va venir mais ce qui restera de la séquence qu’il s’agit, dans l’urgence, de parachever (les tâches propres du crépuscule : saturer ce qui aura été sa lumière propre).

Autant dire qu’il s’agira, à distance des apologies convenues de l’aurore, d’esquisser un éloge du crépuscule comme moment du futur antérieur, ce futur antérieur dont l’écoute du Prélude de Parsifal (quatrième cours - 6 décembre 2005) nous a délivré la matrice proprement musicale.

 

Finalement, Parsifal, une œuvre pour notre temps ?

 

–––––

 

Variations-Lacan

Extime

Sujet ≠ personne

Athéisme

Vérité & savoir…

Généalogie descendante ?

Acteurs

Différentes généalogies

Celles de Stein

Une autre trilogie…

Et les autres compositeurs ?

Problématique

Délimitations

Caractérisation

Rappels

Quatre points généalogiquement en jeu

1. Rapports de la musique aux autres arts

Double péril 1

Rédemption quant à la Forme musicale par l’improvisation fixée ?

2. Question du développement musical

Double péril 2

Rédemption par un réseau de motifs-gestes

3. Rapports voix et orchestre

Double péril 3

Rédemption par la ligne modulante

4. La question du grand

Double péril 4

La proposition wagnérienne sur la grande œuvre

(5.) Les rapports chromatisme / modalité

Généalogie descendante ?

Debussy (repères)

Repères biographiques

Ses écrits sur Wagner

Monsieur Croche

Correspondance

Propos divers

De Debussy

Richard Strauss ur Debussy

Robin Holloway

Les 4 œuvres wagnériennes de Debussy

Forme / style ?

La Damoiselle élue (1887-1889)

Pelléas (1902)

Interludes

Premier interlude du premier acte

Ressemblances musicales

Ressemblances du livret

Dissemblances musicales

Second interlude du premier acte

Ressemblances du livret

Ressemblances musicales

Dissemblances musicales

Autres interludes

Les miniatures

Debussy et Moussorgski

Le martyre de Saint-Sébastien (1912)

Jeux (1912)

Rapprochement 1

Rapprochement 2

Rapprochement 3

Rapprochement 4

Livret

Conjonction

Bilan de tout cela

Crépuscule

Prophétie au futur antérieur…

Nuit musicale

Quelle aurore ?

Debussy

Schoenberg

Programme

 

 

La « conjonction Wagner-Debussy » (Robin Holloway) : premier volet de l’examen d’une généalogie descendante de Wagner.

Nous allons procéder ainsi :

1) Précisions sur le sens ici donné à l’expression « généalogie descendante » ;

2) Rappels sur ce dont il y a généalogie descendante : il s’agira ici de rappeler l’état de nos réflexions sur ce qui se joue dans Parsifal et plus généralement chez Wagner, pour évaluer comment ceci a-t-il ou n’a-t-il pas une descendance.

3) Examen du rapport de Debussy à Wagner tel que compris par Holloway

4) Notre bilan.

*

Mais avant cela, quelques variations liées à la récente publication d’un séminaire de Lacan.

Variations-Lacan

Cf. sortie du séminaire XVI de Lacan : D’un Autre à l’autre (1968-1969, Ens – salle Dussane !)

Quelques points nous intéressent.

Extime

L’« extime, conjoignant l’intime à la radicale extériorité » (249).

Cela désigne donc un intime extériorisé (non un extérieur intériorisé). Cf. pour notre généalogie descendante : il y faut une intimité (qu’on n’a pas par exemple chez un Mahler) radicalement extériorisée (ce qu’on n’a pas chez un épigone).

Soit notre hypothèse : une généalogie descendante est une extimité, en l’occurrence une extimité de Wagner.

Sujet ≠ personne

« La distance se mesure de ce qui définit un sujet à ce qui tient comme une personne. Cela veut dire qu’il faut très sévèrement les distinguer. Toute espèce de personnalisme en psychanalyse est propice à toutes les confusions et à toutes les déviations. » (p. 317)

Cf. notre division sujet/individu au centre de l’interprétation proposée du livret de Parsifal.

Athéisme

« Un athéisme véritable, le seul qui mériterait ce nom, est celui qui résulterait de la mise en question du sujet supposé savoir. Il n’est pas dit qu’il soit possible à la pensée de soutenir un affrontement à cette question, ni même qu’en donner la formule constitue en rien un pas dans ce sens. » (281)

À ce titre, Parsifal est-elle ou non une œuvre athée ?Cette question peut s’éclairer du point suivant.

Vérité & savoir…

Lacan interprète l’équation du nombre d’or (a=0,618…)

a/(1-a)=1/a=1+a

ainsi (p. 199, 203)

a = savoir

1 = vérité

d’où

savoir/(vérité - savoir) = vérité/savoir = vérité + savoir

ce qui donne :

·       1° terme : un savoir sur l’inconscient, ou savoir qu’il y a une vérité qui ne sait pas, ou savoir qu’il y a une vérité dont nous ne pouvons rien savoir, ou un savoir sur la vérité diminuée du savoir

·       2° terme : une vérité sur le savoir

·       3° terme : une vérité avec le/un savoir en plus

Au total savoir qu’il y a une vérité insue doit nous donner (=) une vérité sur le savoir et aussi bien (=) une vérité augmentée d’un savoir.

 On pourrait s’amuser à transposer ces équations au livret de Parsifal : cf. Parsifal est exemplairement celui qui ne sait rien de lui-même (R73-81).Le premier terme désignerait le fait de savoir que le salut viendra d’un innocent (d’un ignorant).Le dernier terme désignerait la situation à la fin de l’opéra : la vérité d’une régénération augmentée d’un savoir (chez Parsifal) sur ce dont il est question dans le processus-Graal.Ceci passe par une vérité sur le savoir délivré par Kundry à Parsifal au cours de l’acte II. Tout l’enjeu subjectif de l’acte II est bien en effet : Parsifal comprendra-t-il la vérité en jeu dans le savoir dispensé par Kundry ? Rappel : la compassion est ici le nom pour la subjectivation.On pourrait alors poser :

a/(1-a)

1/a

1+a

savoir/(vérité – savoir)

vérité/savoir

vérité + savoir

Savoir que le salut viendra d’un innocent (ignorant)

Quelle est la vérité (subjective) du savoir ignoré par Parsifal et dispensé par Kundry?

Appropriation de la vérité (en jeu dans le processus-Graal) augmentée du savoir acquis via Kundry

Acte I

Acte II

Acte III

 


Généalogie descendante ?

Acteurs

classement par décennies :

Franz Liszt (1811-1886)

Richard Wagner (1813-1883)

 

César Franck (1822-1890)

Anton Bruckner (1824-1896)

 

Johannes Brahms (1833-1897)

 

Emmanuel Chabrier (1841-1894)

[Jules Massenet (1842-1912)]

Gabriel Fauré (1845-1924)

 

Vincent d’Indy (1851-1931)

Ernest Chausson (1855-1899)

 

Hugo Wolf (1860-1903) / Gustave Mahler (1860-1911)

Claude Debussy (1862-1918)

Richard Strauss (1864-1949)

 

Arnold Schoenberg (1874-1951)

 

En 1883 (mort de Wagner), Chausson a 28 ans, Wolf et Mahler 23 ans, Debussy 21 ans, Strauss 19 ans, Schoenberg 9 ans, Stravinsky 1 an et Webern naît cette année-là. Mais Verdi a 70 ans, Franck 61 ans, Bruckner 59 ans, et Brahms 50…

En 1750 (mort de Jean-Sébastien Bach), Haydn (1732-1809) a 18 ans, Mozart n’est pas né (1756) ni Beethoven (1770) (mais Scarlatti 65 ans, Rameau 67 ans)

Cf. les 15-20 ans 1883-(1898)-1903 et 1750-(1765)-1770

1769 : symphonie n°39, quatuors op. 9, 17 et 20 de Haydn / 1770 : 1° quatuor de Mozart…

Cf. hypothèse : analogie du continent-Wagner avec le continent-Bach (en particulier, pas de descendance immédiate…)

 

 

Wolf

Debussy

Strauss [1]

Schoenberg

Mahler

Autres

1883

 

 

 

 

 

III° symphonie de Brahms

1884

 

Prix de Rome (Enfant prodigue)

 

 

 

IV° symphonie de Brahms

VII° symphonie de Bruckner

Prélude, choral et fugue de Franck

1885

 

 

 

 

 

Le Roi Arthus de Chausson

1886

 

 

 

 

 

Gwendolyne de Chabrier

Symphonie sur un chant montagnard de d’Indy

III° symphonie avec orgue de Saint-Saëns

1887

 

 

 

 

 

Le Roi malgré lui de Chabrier

Requiem de Fauré

1888

Mörikelieder

 

Don Juan

 

1° symphonie

Souvenirs de Bayreuth de Fauré

Ferval de d’Indy

1889

 

La  Damoiselle élue

 

 

 

 

1890

 

Cinq poèmes de Baudelaire

Mort et transfiguration

 

 

 

1893

Sérénade italienne

Quatuor

Proses lyriques

 

 

 

 

1894

 

Prélude à l’après-midi d’un faune

Guntram

 

2° symphonie

 

1895

Le Corregidor

 

Till Eulenspiegel

 

 

 

1896

 

 

Ainsi parla Zarathoustra

 

3° symphonie

 

1897

 

Chansons de Bilitis

 

 

 

 

1898

 

 

La vie d’un héros

 

 

L’Étranger de d’Indy

1899

 

Trois Nocturnes

 

La Nuit transfigurée

 

Ravel : Pavane pour une Infante défunte

1900

 

 

 

Gurre Lieder

4° symphonie

 

1901

 

 

 

 

 

Ives : II° symphonie

1902

 

Pelléas

 

 

5° symphonie

 

1903

 

 

Symphonie domestique

Pelléas

 

 

1904

 

 

 

1° quatuor

Kindertotenlieder

 

1905

 

La Mer, Images

Salomé

 

7° symphonie

Bartok : 1° Suite pour orchestre, Quintette

Différentes généalogies

Celles de Stein

(voir cours précédent)

Stein distingue pour sa part une triple descendance « après Parsifal » :

·       Vincent d’Indy et Siegfried Wagner, soit le dépôt académique et épigonal

·       Richard Strauss, soit la saturation du grand orchestre et de la totalisation (voie de l’œuvre d’art totale),

·       Hugo Wolf, soit la systématisation de la voie de la miniature dans l’ordre d’une synthèse notes-mots.

Une autre trilogie…

J’explorerai prioritairement cette triplicité :

·       Debussy,

·       Schoenberg

·       la musique de film.

Et les autres compositeurs ?

Franck et Bruckner ?

Mahler ?

Chausson ?

Sibelius ?

Problématique

Thèse : une généalogie descendante est une extimité (« extime, conjoignant l’intime à la radicale extériorité » Lacan, XVI, 249).

Ce n’est pas seulement une référence, ou une influence : cf. tout très grand compositeur est « incontournable ». Donc chacun doit se prononcer sur lui. Une œuvre ne s’inscrit dans une généalogie que si son intension se nourrit affirmativement de cette référence. J’exclus donc les distances (Fauré), les indifférences (Ravel) ou les rapports n’étant pas assez « intimes » (Mahler).

L’intimité (au principe de l’extimité) suppose que la musique (candidate à être tenue pour une généalogie descendante) s’oriente (affirmativement) par rapport à Wagner. Affirmativement ? Cela peut être « contre » (cf. Debussy) mais il s’agit alors d’un contre affirmatif, d’un contre qui est donc indiscernablement un « tout contre ». Les opposants réels (cf. Stavinsky) ne font donc pas partie d’une telle généalogie.

Cela suppose la capacité d’extérioriser, et « radicalement » (Lacan) c’est-à-dire de constituer des œuvres musicales singulières. L’absence de distance critique conduisant à une pure et simple imitation écarte ainsi d’Indy (Chausson : trop « wagnérien » ?).

La capacité d’extérioriser écarte aussi les trop contemporains de Wagner : une distance chronologique minimale me semble requise pour qu’une extériorisation « radicale » prenne la forme d’une généalogie descendante. Ceci exclut dont Franck (1822) et Bruckner (1824) de la liste des candidats.

Délimitations

Généalogie se distingue d’archéologie et d’historicité[2]

Généalogie est donc plus que simplement « influences », en particulier « influences latérales ».

Généalogie est, par contre, moins que configuration (concept d’Alain Badiou).

Caractérisation

Dans le cas de Wagner, mon hypothèse de travail sera donc celle-ci : sa généalogie descendante est essentiellement constituée, dans sa première séquence, par le faisceau Strauss-Wolf-Debussy-Schoenberg.

Caractéristique : cette généalogie descendante n’est pas connexe, elle est chronologiquement disjointe : il faut attendre 15 à 20 ans après la mort de Wagner pour avoir des œuvres significatives s’inscrivant dans cette généalogie. Pelléas : 1902 !

Cf. Jean-Sébastien Bach : sans descendance immédiate. Descendance ensuite divisée : descendance de style (style fugato) / descendance de pensée (contrepoint, polyphonie…).

On va avoir la même question avec Wagner : quelle est la vraie descendance, c’est-à-dire la plus intéressante musicalement ? La descendance de style (avec ce que ceci comporte comme dimension sonore immédiatement identifiable) ou descendance de pensée (qui est moins immédiatement identifiable d’oreille, ce qui sera bien sûr le cas de la musique de Debussy) ?

Rappels

Parsifal met en scène le drame d’une réactivation.

Pour Wagner, cette réactivation est exemplairement celle, musicale, du genre opéra conçu moins comme théâtre musicalisé que comme synthèse entre les arts sous la loi du drame. Cette synthèse a été inaugurée par les Grecs. Dans sa séquence moderne (celle, en cours, qui est pour Wagner ensablée et qu’il s’agit de régénérer) cette synthèse est entre musique et drame (ou opéra et drame) en se souvenant que pour Wagner, drame nomme la synthèse plus encore que sa composante théâtrale.

Parsifal donc, pour Wagner, représente sur scène ce dont il s’agit dans toute l’œuvre wagnérienne.

En un sens, on pourrait dire quelque chose d’équivalent à propos des Maîtres (musique allemande…) ou du Ring (cf. JJN : allégorie des rapports de la musique au drame) car il y s’agit aussi de représenter des enjeux musicaux internes à l’Œuvre wagnérienne. Parsifal, cependant, me semble plus précisément ajusté ce propos : il résume mieux et plus directement tout le parcours de l’œuvre, et il le fait dans une proximité plus grande du poème à ce parcours.

*

Par delà les formulations propres à l’intellectualité musicale de Richard Wagner, quelles sont pour nous les grandes problématiques musicales activées par Parsifal ?

Quatre points généalogiquement en jeu

1.     Musique et autres arts (autonomie non autarcique)

2.     Développement et thématisme

3.     Voix & orchestre (plus généralement, rapports musicaux entre individualité et collectivité musicales !)

4.     Grande œuvre & grande musique

1. Rapports de la musique aux autres arts

« Chaque art demande, dès qu’il est aux limites de sa puissance, à donner la main à l’art voisin. » Musique de l’avenir

« L’art a besoin de quelque chose qui lui est hétérogène pour devenir art » (Adorno).

Double péril 1

Parsifal touche au salut de la musique face au double péril subjectif :

·       d’une autarcie (autonomie sans aucun rapport à d’autres mondes),

·       d’une subordination (hétéronomie et non plus autonomie).

Rédemption quant à la Forme musicale par l’improvisation fixée ?

Parsifal indiquerait une nouvelle voie de salut ou de rédemption face à ce double péril à travers le thème d’improvisation fixée. Ce thème est central dans le texte de 1871 (De la destination de l’opéra) ; il consiste essentiellement en l’idée suivante : l’hétérogène d’un texte aiderait le discours musical à se libérer de formes architectoniques moribondes et à inventer de nouvelles formes se présentant alors, à mesure de leur nouveauté, comme formes informes ce que Richard Wagner nomme alors avec à propos comme improvisation fixée (improvisation nomme le côté informel, c’est-à-dire la nouveauté non codifiée et fixée nomme l’ambition quant à la Forme de cette nouveauté).

Il est vrai que le musique du XX° siècle recourra souvent à l’appui d’un texte pour renouveler ses formes, à tout le moins pour s’émanciper du carcan de formes trop contraignantes et mortifères : Schoenberg y recourra à de nombreuses reprises, ne serait-ce emblématiquement qu’à la fin de son II° quatuor…

J’ai moi-même régulièrement recours à ce type d’appui : Deutschland (Hopkins), Dans la distance (Valery/Badiou), Duelle (Sachs-Dickinson-Akhmatova-Lloret)…

2. Question du développement musical

Parsifal est le point culminant du travail wagnérien sur un réseau de leitmotive, une pluralité qui émancipe le motif de sa problématique thématique traditionnelle (figure musicale de la conscience de soi par une logique d’auto-réflexivité).

Double péril 2

Parsifal pointe ici la possibilité d’un salut de la musique face au double péril :

·       du développement thématique,

·       d’une simple évolution impressionniste.

Rédemption par un réseau de motifs-gestes

Il se trouve que la problématique du réseau de motifs, d’objets musicaux (gestes ou autres) est également une nécessité que j’ai moi-même pratiquée (dans un tout autre contexte musical) dans des situations aussi variées que Deutschland, Pourtant si proche et Des infinis subtils, Erkennung

Parsifal indiquerait ainsi la voie d’une libération du discours musical face au carcan du développement thématique, sans tomber pour autant dans la voie aujourd’hui si pratiquée (école spectrale…) d’une simple évolution des climats impressionnistes composés.

Où l’on touche donc à la généalogie descendante vers Debussy mais aussi vers Schoenberg.

3. Rapports voix et orchestre

Parsifal pointe également une voie possible de nouveau traitement du rapport entre la voix et l’orchestre (plutôt, à mon sens, qu’entre la mélodie chantée et le texte proféré). En effet la voix dans Parsifal est très nettement devenue une voix traversant le flot orchestral et non plus une voix d’écume ou de surface. La voix tantôt émerge, tantôt plonge et s’immerge ; il est ici question moins de dynamiques – dans l’ensemble on distingue presque tout le temps les voix chantées et leurs mots, à la différence par exemple de ce qui se passe dans le Ring à partir de l’acte III de Siegfried – que de logique musicale : la mélodie n’est plus une efflorescence de l’harmonie, moins encore sa surface (logique prônée par Opéra et drame) mais plutôt un fil irisé par sa traversée de l’harmonie et du contrepoint orchestral. Le rapport voix/orchestre est ainsi le rapport d’une ligne à une masse, nullement celui d’une mélodie et de son accompagnement harmonique.

Double péril 3

Parsifal pointe ici la possibilité d’un salut de la musique face au double péril

·       de la mélodie accompagnée,

·       de l’oblique indifférent, effaçant la polarité musicale entre horizontal et vertical.

Rédemption par la ligne modulante

Parsifal indiquerait ici la voie d’une voix traversant l’orchestre, échappant tant l’horizontalité convenue (mélodie accompagnée) qu’à l’effacement grisaillant de l’oblique (reprise somme toute de cette vision pauvre et maigre de la mélodie comme simple arpège), portant trace singulière des masses orchestrales rencontrées et traversées.

J’indiquerai encore que cette orientation traverse mon propre travail compositionnel : ce traitement de la voix (mais aussi plus globalement de la dimension mélodique de tel ou tel solo instrumental dans un contexte orchestral) comme « traversée » et non plus comme une voix d’une polyphonie, moins encore comme mélodie accompagnée, est à l’œuvre dans mes principales œuvres vocales (Deutschland, Dans la distance, Duelle) comme dans ma récente œuvre concertante pour orchestre (Sillages).

4. La question du grand

Qu’est-ce qu’être musicalement grand ? Qu’est-ce qu’une grande musique ? (plutôt que : qu’est-ce qu’une grande œuvre ?)

Cf. scission divergente après Wagner entre Strauss (le grand devient l’énorme) et Wolf  (la voie de la miniature séparée, isolée) qui révèle d’autant plus la singularité wagnérienne de cette figure du grand : une ample constellation de miniatures…

Double péril 4

·       l’énorme de la grande fresque à larges coups de pinceau (Richard Strauss)

·       la collection de miniatures infinitésimales séparées (Hugo Wolf)

La proposition wagnérienne sur la grande œuvre

« Ce qu’il y a de très important, c’est la manière de commencer. » De l’application de la musique au drame (XII. 287)

Axiome : le vraiment grand doit se lire localement avant de se lire dans globalité. On doit ainsi pouvoir distinguer un local « grand » d’un local « petit », non par leur tailles extérieures mais du point de leur composition intérieure.

Cf. les débuts de St-Jean (ample houle, progressivement ourlée) et surtout de St-Matthieu (lente et profonde poussée) sont intrinsèquement grands, comme le début de Parsifal (cf. modèles pour Duelle…).

Formulons cela en ce principe : une grande musique doit l’être à tout moment ; elle doit l’être en particulier dès son entame.

(5.) Les rapports chromatisme / modalité

Cf. la modalité est réactivée dans Parsifal, au moment même où le chromatisme atteint dans le cadre maintenu de la tonalité son climax (cf. plus de chromatisme encore dans la seconde scène de la transformation – acte III – que dans Tristan…).

C’est aussi cette modalité qui redonne cette couleur diatonique à la musique de Parsifal.

Réactivation donc, qui va inspirer Debussy…

Face à cette dimension, se dessine un partage Debussy (modalité : pentatonique / gamme par tons) / Schoenberg (chromatisme). Il ne faudrait cependant pas réduire ce partage Debussy/Schoenberg au regard de Wagner à cette dimension, qui concerne un style sonore mais ne touche pas forcément à un véritable style de pensée.

Généalogie descendante ?

Au total

 

 

Strauss

Wolf

Debussy

Schoenberg

Musique de film

Autres

Rapport aux autres arts

Autarcie

 

 

 

 

 

 

Subordination

 

?

x

 

x

 

Improvisation fixée

 

?

x

x

 

 

Développement

Thématisme

 

 

 

 

 

 

Impressionnisme

 

 

x

 

x

 

Réseau de motifs-gestes

 

 

?

x

 

 

Rapports voix/orchestre

Mélodie accompagnée

 

 

 

 

 

académisme

Oblique indifférent

 

 

 

 

 

un certain dodécaphonisme

Ligne modulante

 

 

?

x

 

 

Le grand

Le massif

[3]

 

 

 

 

 

La miniature

 

[4]

 

 

 

 

Le localement grand

 

 

 

x

 

 

 

Il s’agira de mettre ces hypothèses à l’œuvre dans notre examen ultérieur des « descendances » de Wagner.

Debussy (repères)

Repères biographiques

1872 : Son professeur de solfège est Albert Lavignac

Janvier 1886 : entend jouer Liszt

Mars 1887 : entend le premier acte de Tristan au Concert Lamoureux

1888 : Bayreuth (Parsifal, les Maîtres). Autres visiteurs : Hugo Wolf et Gustav Mahler

1889 : Bayreuth (Parsifal, les Maîtres + Tristan)

1893 : Proses lyriques (1. Du rêve)

·       La Damoiselle élue (1887-1889)

·       Pelléas (1902)

1909 : projet d’un Tristan, qui ne verra jamais le jour ! [5]

·       Le Martyre de St Sébastien (1912)

·       Jeux (1912)

Ses écrits sur Wagner

Monsieur Croche

« Il fallait chercher après Wagner et non pas d’après Wagner. » (63)

« Wagner fut un beau coucher de soleil que l’on a pris pour une aurore. » (67)

Formule « empruntée » en fait à Victor Hugo : « C’est ce soleil couchant [l’architecture de la Renaissance] que nous prenons pour une aurore ». (Notre-Dame de Paris p. 183).

« Wagner n’a jamais servi la musique. Il n’a même pas servi l’Allemagne. » (79)

« On peut tirer de l’œuvre de Wagner une image assez frappante : Bach, c’est le Saint-Graal ; Wagner, c’est Klingsor voulant écraser le Graal et prendre sa place… » (80)

Debussy se veut donc son Parsifal ! Mais – voir plus loin – en fait, ce qui l’intéresse, ce à quoi il s’identifie, c’est plutôt Klingsor : voir page 143 !

« Wagner va… s’effaçant… ombre fuligineuse et inquiétante. » (80)

« Dans Parsifal, dernier effort d’un génie devant lequel il faut s’incliner, […] la musique […]  respire plus largement [que dans Tristan]. […]  Rien dans la musique de Wagner n’atteint à une beauté plus sereine que le prélude du troisième acte de Parsifal et tout l’épisode du vendredi saint. » (143)

« Le plus beau caractère dans Parsifal appartient à Klingsor (ancien chevalier du Graal, mis à la porte du Saint-Lieu pour des opinions trop personnelles sur la chasteté). Celui-ci est merveilleux de haine rancuneuse ; il sait ce que valent les hommes et pèse la solidité de leurs vœux de chasteté avec de méprisantes balances. Ce de quoi arguer sans effort que ce magicien retors, ce vieux cheval de retour, est non seulement le seul personnage “humain”, mais l’unique personnage “moral” de ce drame où se proclament les idées morales et religieuses les plus fausses ; idées dont le jeune Parsifal est le chevalier héroïque et niais. » (143-144)

Debussy ici livre sa véritable pensée : il pointe que le seul « individu » (car dividu corrompu !) est Klingsor et il fait l’éloge de cette humanité, effaçant au passage que Klingsor s’est castré et s’est ainsi rendu impuissant…

« Parsifal est partout d’une suprême beauté. On entend là des sonorités orchestrales, uniques et imprévues, nobles et fortes. C’est l’un des plus beaux monuments sonores que l’on ait élevés à la gloire imperturbable de la musique. » (144)

Debussy-Klingsor jaloux du Graal !

« 1889 ! époque charmante où j’étais follement wagnérien. Pourquoi je ne le suis plus ? Pardon, mais ceci est une autre histoire. » (144)

Il écrit cela en 1903. Il ne racontera guère (à ma connaissance) cette autre histoire.

« L’erreur fondamentale vient de ce qu’il fallait considérer Wagner comme la géniale conclusion d’une époque et non comme un chemin ouvert sur l’Avenir ! Rendre le développement symphonique responsable de l’action dramatique n’était qu’un pis-aller qui n’a jamais bien servi que Wagner et la pensée allemande. » (239)

Debussy a bien pour adversaire « la pensée allemande » !

Surtout son argument contre Wagner (crépuscule, fin) ressemble terriblement aux arguments de Klingsor contre Monsalvat : « Monsalvat est la fin ; c’est le crépuscule à Monsalvat, et je suis l’aurore d’un nouveau temps  (Die Zeit ist da.) » !

Correspondance

« Le fantôme du vieux Klingsor, alias R. Wagner, apparaissait au détour d’une mesure, j’ai donc tout déchiré. » 2 octobre 1893, lettre à Chausson [6]

« [Avec Wagner], trop souvent nous songeons au cadre avant d’avoir le tableau, et quelque fois la richesse de celui-ci nous fait passer sur l’indigence de l’idée. » (91)

« Wagner, ce vieil empoisonneur ! » (117)

« Wagner doit tout à tout le monde ; c’est d’ailleurs ce qu’on appelle avoir du génie. » (134)

« Il faudrait trouver un orchestre “sans pied” pour cette musique [Jeux]. Ne croyez pas que je pense à un orchestre exclusivement composé de culs-de-jatte ! Non ! je pense à cette couleur orchestrale qui semble éclairée par derrière et dont il y a de si merveilleux effets dans Parsifal ! » (311)

Propos divers

De Debussy

« La courbe de Wagner me semble accomplie. » (1908), rapporté par Maurice Leclercq dans Le Cas Debussy (Bibliothèque de Temps Présent, Paris, p. 5)

« Impossible de rivaliser avec une pareille séduction » (1914) : à la reprise de Pelléas en même temps que Parsifal est donné au Théâtre des Champs-Elysées [7]

Richard Strauss ur Debussy

Représentation de Pelléas (1907) – propos rapportés par Romain Rolland - : [après le premier acte] « Est-ce que c’est toujours comme cela ? – Oui. – Rien de plus ? Il n’y a rien… Pas de musique… Cela ne se suit pas… Cela ne tient pas… Pas de phrases musicales. Pas de développement. » « Moi je suis musicien avant tout. Du moment que la musique est dans une œuvre, je veux qu’elle soit maîtresse, je ne veux pas qu’elle soit subordonnée à autre chose. C’est trop humble. » « Il n’y a pas assez de musique pour moi, ici. Ce sont des harmonies très fines, des effets d’orchestre très bon, de très bon goût ; mais ce n’est rien, rien du tout. Je trouve que ce n’est pas plus que le drame de Maeterlinck, tout seul, sans musique. » « Mais c’est tout Parsifal » me dit-il, à un passage. […] C’est très fin. » […]  « Beaucoup de bon goût, de finesse, très bien fait, très artistique, de jolies couleurs. » (in Lockspeiser, p. 359-360)

Logique soustractive de Debussy, mais aussi subordination de la musique au texte, mettant ainsi en pratique… un programme wagnérien - Opéra et Drame – que Wagner n’a jamais vraiment appliqué…

Robin Holloway

Debussy and Wagner

 (Londres, Eulenburg books, 1979)

Je restitue ici des notes de lecture, en leur associant mes commentaires éventuels en plus petits caractères.

*

« Debussy peut être compris comme un des produits les plus caractéristiques du wagnérisme. »

« Debussy doit être reconnu comme le plus profondément wagnérien de tous les compositeurs. » (8)

« Sa dette envers Wagner cependant ne doit pas se comprendre comme une simple continuation de la musique wagnérienne. L’influence de Wagner fut pour lui oblique. »

Chausson : « Quand un génie aussi puissant et dominateur que Richard Wagner apparaît dans le monde, il délivre tant de splendeur qu’après lui suit une sorte d’obscurité »

Cf. Wagner déplace le curseur logique de l’intensité maximale d’apparaître si bien que ce qui paraissait clair est réévalué comme plus obscur qu’on ne pensait ! Une topologie en effet n’est pas uniforme dans sa gradation du minimum au maximum. Quand un génie apparaît, d’une part il élève la barre du maximum, mais d’autre part il est forcément isolé et il provoque donc un grand trou entre le nouveau maximum et l’ancien (qui devient index du moyennement intense et non plus du très intense. D’où l’effet d’obscurité :

« Sa dévotion puis son hostilité ne sont que les deux faces d’un même rapport. »

Debussy : « son hostilité à Wagner est entièrement verbale, quand il est reste musicalement un disciple de Wagner, quoique d’une manière déviée, pour le reste de ses jours. » (17)

Ceci a à voir avec l’anti-intellectualité musicale de Debussy…

Enjeu ? Question de la Forme : contre la forme officielle (intérêt ici de Moussorgski) (17), pour une forme condensée (18), une rhapsodie (43)

« Wagner a été la plus profonde influence sur la musique de Debussy. » (21)

« Montrer combien Wagner est actuel dans Debussy ».

Éclairer Debussy comme « le plus profondément wagnérien de tous les compositeurs ». (21)

Les 4 œuvres wagnériennes de Debussy

Influences : les œuvres wagnériennes de Debussy.

1.     La Damoiselle élue (1887-1889)

2.     Pelléas (1902)

3.     Le Martyre de St Sébastien (1912)

4.     Jeux (1912)

Forme / style ?

Cf. aussi Cinq poèmes de Charles Baudelaire (1887-1889) : influence de Parsifal et Tristan

Sa dimension non ou anti-wagnérienne se voit dans ses œuvres pour piano, dans son style de piano, qui atteint à la maturité à partir de ses Estampes (1903). (47)

Pour Debussy, « la forme pourrait être remplacée par le style » (Ernest Newman) (55)

Idée intéressante, et caractéristique, en effet, d’une « corruption » possible…

Debussy n’avait pas de théorie de l’opéra. Sa position était instinctive et anti-théorique. (56)

Cf. son anti-intellectualité musicale. Résultat : il applique une théorie wagnérienne que le musicien pensif Wagner n’a jamais appliquée…

Pelléas est wagnérien, à la fois en théorie et en pratique. (58)

Somme toute, Debussy aurait mieux réalisé que Wagner les théories d’Opéra et Drame !

La Damoiselle élue (1887-1889)

Cf. Parsifal (entendu à Bayreuth en 1888 et 1889). Ce n’est pas une œuvre qu’on pourrait dire wagnérienne au sens usuel du terme, mais une œuvre qui se souvient de moments wagnériens. (42) C’est le premier des opus wagnériens de Debussy. (48)

Pelléas (1902)

La référence, pour le livret, est plutôt Tristan… Mais le contraste ici l’emporte sur la ressemblance (64)

La référence, pour la musique, est toujours plutôt Parsifal. (74)

 

Musicalement, les références wagnériennes apparaissent dans le traitement de la voix et des mots.

Les interludes (ajoutés au dernier moment) traduisent une réminiscence wagnérienne plus accentuée : quand Debussy est pressé par le temps, il se tourne instinctivement vers Wagner. (76)

Interludes

Premier interlude du premier acte

Premier interlude du premier acte (p. 24-29) : cf. scène de la transformation

                          Ressemblances musicales

Voir les cordes seules auxquelles les vents s’ajoutent progressivement.

Voir l’aspect de marche ci-suit :

Pelléas :

Cf. Parsifal ! :

                          Ressemblances du livret

Voir aussi l’équivalence dans le livret car il s’agit ici du passage de la forêt à une pièce du château (comme dans Parsifal : « ici le temps devient espace »…)

                          Dissemblances musicales

La différence : chez Wagner, constante évolution de la structure quand Debussy travaille sur le flottement et le transitoire.

Second interlude du premier acte

Second interlude du premier acte (p. 44-45) : cf. Parsifal prélude de l’acte III

                          Ressemblances du livret

Ceci introduit à une scène (la troisième) devant le château où Melisande chante : « Il fait sombre dans les jardins. Et quelles forêts tout autour des palais !… Oui ; cela m’étonnait aussi quand je suis arrivé ici ; […] il y a longtemps, il y a presque quarante ans que je suis ici. » Cf. Gurnemanz : le passage de nombreuses années…

                          Ressemblances musicales
                             Exemple 1

Ressemblance par rôle prépondérant des cordes, dans le mouvement rythmique (procession mais aussi syncopes) :

Pelléas : p. 44-45 (cordes seules)

Cf. Parsifal (L5) :

                             Exemple 2

Pelléas (p. 45) : cf. Parsifal seconde partie du prélude de l’acte III

                          Dissemblances musicales

Chez Wagner, accumulation par tension harmonique croissante.

Chez Debussy, dissipation de la tension harmonique (au moment même où les dynamiques sont crescendo) par des oscillations faibles, ou par l’indifférenciation d’une gamme par tons.

Autres interludes

Premier interlude du second acte : cf. le Crépuscule des dieux (acte II) (83)

Second interlude du second acte : cf. Tristan (acte III) (87)

Les deux interludes de l’acte III n’ont par contre pas de points de contacts avec Wagner. (91)

L’interlude central de l’acte IV renvoie à nouveau à Tristan (& Parsifal) (92)

Les miniatures

Cf. rapprochement cette fois dans les moments avec voix de Pelléas.

Cf. exemple suivant (99) : Pelléas (I) et Parsifal (prélude III) :

Mêmes accords mais présentés :

·       en progression harmonique chez Wagner,

·       en simple juxtaposition sans connexion chez Debussy (cf. effacement de la basse).

Défonctionnalisation de l’harmonie : cf. « corruption » des fonctions tonales…

Cf. la scène 3 de l’acte II de Pelléas présente des ressemblances avec La Walkyrie (I) et la scène des Nornes dans le Crépuscule. (103)

Debussy convertit la musique de Wagner en quelque chose d’atmosphérique, en climats et impressions (106)

Négation plutôt que soustraction, ou conception négative de la soustraction…(108)

Acte V : cf. une veine venue de Tristan. (120)

Cf. nombreux usages de l’accord de Tristan mais traité ici en agrégat de hauteurs (124)

Toujours cette reprise de la « lance » wagnérienne pour la castrer de sa dynamique propre…

Pour mettre en musique l’activité néfaste de Golaud, Debussy utilise l’harmonie et ses progression de Tristan ! Couleur claustrophobique ainsi donnée à ce qui, chez Wagner, relevait d’un tout autre contexte. (131)

Exemple (133) où une progression wagnérienne, pointant la clarté des cieux, est renversée par Debussy en une dissolution « nihiliste ». (135)

Holloway thématise en effet ces opérations de Debussy comme « nihilistes »…

Ainsi dans Pelléas, Debussy sature sa partition d’échos de Wagner mais la différence est si grande qu’elle inscrit l’influence sous le signe de l’hostilité, de la négation, de l’antithèse. (135)

Exemple en effet intéressant (unique ?) de généalogie en contraposition, de citations détournées et renversées…

Debussy et Moussorgski

Debussy emploie de nombreux leitmotive nominatifs ! (136) mais ils ne contribuent pas à la forme globale et sont difficilement interprétables thématiquement.

Debussy a appris son art de la construction instinctive chez Moussorgski. (138)

Toutes les parties vocales sonnent plus comme du Moussorgski que comme du Wagner. (139)

Wagner sert surtout à Debussy pour caractériser le sombre château de Golaud.

Équation : Moussorgski pour la fraîcheur et la spontanéité, Tristan et Parsifal pour la contrainte… (140)

Son déni de Wagner est un déni de lui-même. (140)

Le rapport de Debussy à Wagner est en effet très largement inscrit sous le signe du déni (cf. Freud !)…

Dans Pelléas, Debussy échoue à achever une synthèse entre ces deux pôles opposés. (140)

Le martyre de Saint-Sébastien (1912)

Faiblesse de la musique : musique très pauvre, fragmentation, incohérence (146…)

Parsifal est devenu un modèle et plus seulement une influence. Simple imitation et non plus seulement allusions et réminiscences inconscientes… (147)

Mixture « perverse » d’admiration et d’opposition (157)

Holloway thématise à plusieurs reprises le rapport de Debussy à Wagner comme de nature « perverse »…

Une de ses partitions les plus faibles (158)

Il faut dire qu’il l’a écrite trop vite et pour de mauvaises raisons (besoin d’argent) (159)

Jeux (1912)

Ballet. Livret : tennis… Jeu dans un jardin d’un jeune homme avec 2 jeunes filles. Cf. il s’agit là du « ballet des Filles-Fleurs » de Debussy.

« Dans la relation Wagner-Debussy, ce qui est latent et accidentel chez le premier devient d’un intérêt central chez le second. » (165)

« Jeux manifeste une sorte d’identification à Parsifal. » (166)

Le point évident de comparaison  est le jardin magique des Filles-Fleurs.

·       Dans les deux partitions, prolifération délicate d’arabesques.

Cf. arabesque dans Parsifal :

·       Dans les deux, séquence de valse : cf. Parsifal L17…

Rapprochement 1

Cf. dans Parsifal L21 et son extension (voir cours sur les letimotive) :

Rapprochement 2

Rapprochement 3

Parsifal : quand Klingsor répond à Kundry (« Es-tu chaste ? ») « Pourquoi cette question, maudite femme ? » (R147)

Jeux : on trouve le même effet orchestral (les cors bouchés deviennent trompettes bouchées, le petit motif à la clarinette et aux flûtes devient un motif à la flûte et aux piccolos, et une cymbale suspendue restitue quelque expressivité de l’accord chez Wagner) :

Rapprochement 4

Parsifal L9 (dit de Kundry)

Jeux

On a chez Debussy la même logique au même violon (ici solo) mais l’impétuosité de Kundry est transformée en descente languide d’une « fatigue amoureuse ».

Cf. toujours cette corruption de la dynamique wagnérienne, de la subjectivité tendue au profit d’un amolissement très klingsorien…

Livret

Le sens des Filles-Fleurs est un classique carpe diem. (178) Cf. : « Si tu ne peux nous aimer, nous chérir, nous nous fanons, dépérissons. » (R236). La vraie tentation de Parsifal est bien dans les sentiments vis-à-vis de sa mère.

Dans Jeux, pas de tentation et, surtout, pas de Kundry. (179)

Rappel : Kundry est précisément la figure la plus originale et intéressante de Parsifal (nullement celle de Klingsor !)… C’est précisément cette figure que Debussy ignore.

Jeux est une recréation de l’allégorie wagnérienne. (191)

Jeux est absolument central dans l’œuvre de Debussy. (194)

Cf. toute son œuvre est placée sous les signifiants du jeu et du plaisir…

Le sens de la musique et du scénario de Jeux n’est compréhensible que si on saisit leur rapport à Parsifal. (194)

Conjonction

Cf. hypothèse globale de ce livre : celle d’une conjonction.

Rappel : trois synthèses chez Deleuze

o      connective (« si Wagner, alors Strauss… »

o      conjonctive (que Deleuze installe sous le signe de la préposition « et », qui est précisément celle qui dans le titre du livre d’Holloway conjoint Debussy « et » Wagner)

o      disjonctive (« soit Wagner, soit x… »

Cette analyse n’a porté que sur une partie des œuvres de Debussy, et sur une part seulement de leur aspect. (196)

Ce qui fait le caractère wagnérien de certaines œuvres de Debussy, c’est une certaine ambiance de sujet et un style musical, qu’on peut expliciter comme les mouvements intérieurs et extérieurs de la sexualité.

Cf. cette idée récurrente : Debussy répond aux questions de formes informes (improvisation fixée…) en prônant un style

À part quelques incursions dans le Ring, la relation de Debussy à Wagner s’est confinée à Tristan et Parsifal. (196)

Cf. son intérêt pour la mythologie franco-celtique et non pas pour la mythologie nordique et teutonne. (197)

Conjonction entre Debussy et Wagner (199) La conjonction Wagner-Debussy (199)

Complémentarité de voies opposées (199) sur un sujet commun : l’érotique (203)

Holloway propose ici une vision à mon sens faible de la conjonction : par complémentarité, et qui plus est par cette complémentarité qui lie des opposés…

Debussy et Wagner forment une conjonction d’un type particulier (202) Dans cette conjonction, la sexualité est la donnée centrale. (232)

Je suis très réservé sur cette thèse à raison de ce que la différence des sexes me semble ne pas valoir dans le monde de la musique. Pas plus que « tout serait politique », « tout n’est pas sexuel ». En particulier la différence des sexes, qui, bien sûr, vaut pour les musiciens, ne vaut pas selon moi pour les œuvres musicales ni pour le monde de la musique…

Caractériser la conjonction Debussy-Wagner par une convergence des deux séries d’opus (Deleuzea sur le sexualité me semble donc une fausse piste.

Deux principaux opus wagnériens : Pelléas (où le livret commande à la musique) et Jeux (où la musique l’emporte, le livret étant un prétexte). (203)

Pelléas + Jeux / Tristan + Parsifal

Avec Wagner, nous recevons ce qu’il nous donne. Avec Debussy, nous recevons ce que nous lui donnons. (206)

Idéal du plaisir chez Debussy (206)

Hélas ! Cf. le partage plaisir ou beauté, sensuel ou sensible, sensualité ou sensibilité : plaisir sensuel ou beauté sensible… Le premier renvoie plutôt au classicisme (cf. Badiou). Soit un certain néo-classicisme de Debussy…

Cf. l’idée que serait spécifiquement « français » ce rapport à Wagner qui y cherche un plaisir sensuel…

Le génie du bon goût (215)

La Damoiselle comme vision préraphaélite de Kundry (210)

!

Tendance nihiliste chez Debussy (212)

Cf. nihilisme passif : ne pas vouloir, langueur, léthargie… Voir la généalogie Satie, Cage, Feldman… (216)

Hypothèse centrale du livre d’Holloway : la musique de Debussy est porteuse d’un nihilisme musical qui s’affirme par dénigrement, dissolution de l’intension wagnérienne, de son « vouloir » c’est-à-dire de son projet et de sa dynamique subjective.

Somme toute Debussy affirmerait le danger de vouloir plutôt que ne prônerait un vouloir le rien (quoique son vouloir le jeu, le plaisir consonne avec un nihilisme actif plutôt que passif…).

Si Debussy était nihiliste (thèse d’Holloway, que je ne ferai pas mienne), ce serait que sa soustraction s’avère une négation sans relève.

Découverte de Debussy que ce qui pour lui est central chez Wagner n’est pour Wagner qu’un aspect parmi d’autres (212)

Debussy ramène les progressions harmoniques variées de Tristan à une seule couleur : inhibitrice, claustrophobique… (213)

Le premier accord de l’Après-midi d’un faune est l’accord de Tristan ! (222)

Les œuvres wagnériennes de Debussy : un nihilisme désolé + une veine hédoniste + un masochisme voluptueux (224)

Équation subjective conclusive d’Holloway…

Dans Parsifal, l’acte I est diatonique, l’acte II est chromatique. L’acte III montre un chromatisme à la fois plus intense (scène de la seconde transformation) et plus apaisé. (225)

Chez Debussy, le diatonisme tend au pentatonique et le chromatisme à la gamme par tons. (226)

Cf. horizon modal de cette dualité…

Wagner assume un climax orgasmique à ses progressions, pas Debussy (229)

Dans la musique française, chaque figure majeure est une loi à elle seule. (234)

Oui : il n’y a pas vraiment de généalogie « française » mais des singularités isolées et discrètes : Couperin, Rameau, Berlioz, Debussy, Ravel, Dutilleux…

Ceci consonne avec ma thèse qu’il n’existe pas de musique française : il existe une musique allemande non parce qu’il y a des Allemands qui composent de la musique (!) mais parce qu’il y a un concept musical (Durchführung) qui l’identifie. Il existe de même une musique italienne qui se cristalise autour du « concept musical » de bel canto. Il n’existe rien de tel pour identifier une « musique française » (ni le « timbre », le « bon goût sonore », etc.). Le résultat est que les compositeurs qui se rapprocheraient le plus de cette inexistante musique française composent un collier d’individualités disjointes sans pouvoir constituer une généalogie se transmettant une intension commune…

Oui, Debussy est bien le plus wagnérien de tous les compositeurs. (235)

Bilan de tout cela

Pourquoi Debussy camoufle-t-il ses références ?

Cf. le côté désagréable et duplice du personnage (voir dès sa jeunesse, ses rapports hypocrites et manipulateurs au mari de sa maîtresse Marie Vasnier en 1885). Mais la psychologie de l’individu Claude ne nous intéresse guère.

Plus essentiellement, Debussy déploie des rapports retors à Wagner car il est vrai qu’il y a un problème-Wagner singulier, qui n’a pas son équivalent par exemple chez un Schoenberg. Je le formulerai ainsi : la singularité Wagner prend la forme d’un continent-Wagner, continent non connexe (Australie plutôt qu’Europe - en prenant ici continent en un sens imagé -).

C’est ce continent-Wagner qui est ici la cible de notre réflexion (bien plus que la question-Debussy).

 

Le point qu’il s’agirait d’assumer ici serait que Wagner constitue bien un crépuscule plutôt que l’ouverture d’un processus subjectif (comme l’est la singularité Schoenberg) ce qui rend alors beaucoup plus opaque et difficile la question de sa généalogie descendante.

Il nous faut pour cela repenser ce qu’est un crépuscule.

Crépuscule

« Tout crépuscule est double, aurore et soir. » Victor Hugo (Critiques. p. 490)

« Pour l'aurore, la disgrâce c'est le jour qui va venir; pour le crépuscule c'est la nuit qui engloutit. Il se trouva jadis des gens d'aurore. À cette heure de tombée, peut-être, nous voici. » René Char (Dans la marche - Quitter - La Parole en archipel, 1960 ; p.411)

Subjectivement, le moment du crépuscule n’est pas un moment de renoncement, ou de nihilisme  (vouloir la nuit faute de ne plus pouvoir vouloir autre chose). Le moment subjectif du crépuscule est celui de l’urgence à parachever le processus du jour pour qu’il puisse traverser la nuit qui vient et menace de tout engloutir.

Subjectivement, le moment du crépuscule est donc celui d’une résistance affirmative à la nuit qui menace, nullement un abandon et une soumission à la disgrâce qui se répand.

Prophétie au futur antérieur…

Une figure subjective de moment, c’est un type bien particulier de prophétisme qui n’est pas l’annonce de ce qui vient, qui n’est donc pas la figure subjective de Cassandre annonçant les désastres de la nuit, mais l’annonce de ce qui restera du jour en train de s’achever.

D’où que la tâche propre du crépuscule soit de parachever ce qui doit l’être pour que la tâche du jour puisse être transmise moins comme projet à continuer que comme résultat sur lequel s’appuyer, comme « pas acquis ».

Ainsi le moment du crépuscule est celui d’une prophétie au futur antérieur, ce temps qui précisément nous a semblé musicalement à l’œuvre dès l’ouverture du Prélude de Parsifal.

Une prophétie au futur antérieur : « En vérité, je vous le dis : quand viendra le nouveau jour qui suivra nécessairement la nuit qui vient et semble devoir tout engloutir, ceci et ceci que nous avons fait aujourd’hui et que nous sommes en train de parachever n’auront pas été inutiles, car ceci et ceci auront produit des conséquences que nous ignorons aujourd’hui et que nous ne saurions, elles, prophétiser. »

Bref, « Quand la nuit menace et qu’il devient urgent de protéger le jour en sorte qu’il puisse avoir été, cela s’appelle le crépuscule… »

 

En ce sens, Parsifal serait bien une œuvre de crépuscule, et l’ensemble de l’œuvre de Wagner aussi (le crépuscule d’un certain type d’opéra), comme sont des œuvres de crépuscule l’Art de la Fugue (avant la grande coupure de 1750), les dernières sonates de Beethoven (avant le torrent nocturne du romantisme), les Chants de l’aube ( !) de Schumann et le trio à cordes de Schoenberg…

Nuit musicale

De 1883 à ? (cf. de 1750 à ?)

Quelle aurore ?

Debussy

Debussy serait-il alors une aurore après cette nuit ? Mais aurore de quoi ?

Plusieurs généalogies descendantes de Debussy sont avancées :

·       Varèse-Scelsi-L’Itinéraire : généalogie du son élevé à la dignité de timbre…

·       Ravel - les jolis navets français [8] : généalogie de la modalité…

·       généalogie hybridée de celles de Schoenberg et Stravinsky…

Schoenberg

Aurore du nouveau siècle musical ?

Il faudrait pour cela scinder le concept d’aurore comme on l’a fait pour celui de crépuscule, mais tout ceci est une autre histoire…

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Programme

1.     11 octobre 2005 - Introduction : Parsifal, quels enjeux aujourd’hui ?

2.     8 novembre 2005 - Moment-analyse (1). Écouter Parsifal à partir de son moment-faveur

3.     22 novembre 2005 - La structure globale : musicale (Alfred Lorenz) / théâtrale (Wieland Wagner)

4.     6 décembre 2005 - Moment-analyse (2). De quatre moments relayant l’écoute : Prélude de l’acte I, Filles-fleurs, Prélude de l’acte III, musique de la transformation (acte III)

5.     10 janvier 2006 - Théorie « néphologique » du réseau des leitmotive

6.     24 janvier 2006 - La question du sublime dans Parsifal. Moment-analyse (3) : les moments du sublime

7.     21 février 2006 - Généalogie ascendante : le moment-Parsifal dans l’Œuvre de Wagner

 

8.     7 mars 2006 - Généalogie descendante (1) : Debussy

9.     21 mars 2006 - Généalogie descendante (2) : la musique de film

10.  4 avril 2006 - Drame (1) : l’informe (musique & poésie). Modulations « mélodiques » (la mélodie sans fin & la musique modulée par le poème). Les moments de la mélodie infinie (les grands monologues de Parsifal)

11.  1 mai 2006 (New York) - Généalogie descendante (3) : Schoenberg

12.  7 mai 2006 (Journée « Parsifal : une œuvre pour notre temps ? ») – Qui est Kundry ? 23 thèses sur Parsifal. Pourquoi Parsifal est un opéra pour notre temps, musical et politique…

13.  16 mai 2006 - Drame (2) : l’hétérogène (musique & non-art : érotico-politique). Modulations « rythmiques » (rythme, mètre et tempo…). Les moments de synthèse dramatique (les grandes confrontations dans Parsifal)

14.  x juin 2006 - Bilan : Écouter Parsifal ?

Enjeu de ce dernier cours récapitulatif : peut-on écouter Parsifal ? Plus généralement peut-on écouter Wagner ? ou est-on condamné à s’immerger dans la mer-Wagner, à s’agenouiller devant Parsifal, à se laisser intoxiquer par le dealer Wagner ?

Comment alors écouter Parsifal ?

 

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[1] Au moins 3 périodes :

1) 1888-1903 : période des poèmes symphoniques (ensuite passage à l’opéra)

2) Salomé (1905), Elektra (1908)

3) à partir du Chevalier à la rose (1910)

[2] Voir mes textes sur cette trilogie conceptuelle…

[3] saturation du grand orchestre et de la totalisation : voie de l’œuvre d’art totale

[4] systématisation de la voie de la miniature dans l’ordre d’une synthèse notes-mots

[5] Lockspeiser, 138

[6] Lockspeiser, 241

[7] Lockspeiser, 125

[8] généalogie au demeurant tout à fait injuste pour Ravel…