La « mélodie infinie » comme synthèse musicale, par modulation…
(25 avril 2006)
François
Nicolas
Résumé
Quel
rôle musical la mélodie « infinie » joue-t-elle dans l’œuvre de
Wagner ? Quel rapport entretient-elle avec cette « mise
ensemble » du poème, du théâtre et de la musique que Wagner appelle
« drame » ?
S’il
est vrai que la voix est un opérateur privilégié de cette « mise
ensemble » musicale (à mesure du fait qu’en musique, c’est bien la même
voix qui chante et qui parle), alors
cette « mise ensemble » des arts s’avère, chez Wagner, moins une
« totalisation » qu’une synthèse.
Qu’est-ce
exactement que cette synthèse wagnérienne des arts et quel rôle y joue la mélodie
« infinie » ?
On
soutiendra que la mélodie infinie travaille à une telle synthèse par modulation, en une métaphore d’ordre acoustique (synthèse par
modulation d’amplitude et de fréquence)
plutôt qu’harmonique (modulation tonale) : la mélodie infinie peut être vue comme une onde sans fin,
synthèse de différentes ondes aux matérialités diverses : la matérialité poétique du texte signifiant, la matérialité théâtrale de l’intrigue signifiée, la matérialité musicale de l’évolution harmonico-tonale et des leitmotive…
On
analysera, pour ce faire, en détail le long monologue de Gurnemanz (acte I)
comme onde modulée produite par
l’empreinte d’une modulante
(l’onde orchestrale) sur une porteuse
(l’onde du texte). Analyser cette mélodie reviendra à démoduler la modulée que Wagner a composée dans cet
ordre : d’abord la porteuse
(le texte), puis simultanément la modulante (la particella orchestrale) et la modulée (la voix).
On
soutiendra au total que cette conception de la « mélodie infinie »
permet de la penser non comme une mélodie ordinaire dont on aurait supprimé la
fin (ou dont on diffèrerait interminablement la conclusion : cette mélodie
a bien une fin, qui se confond simplement avec celle de l’œuvre) mais comme
étant une mélodie d’un type singulier : un mélodie qui porte à tout
moment son épaisseur illimitée, faite
des « infinies » résonances qu’elle synthétise.
On
conclura sur les enjeux de cette mélodie infinie en matière d’écoute :
1)
la synthèse qu’opère cette mélodie infinie sera vue comme une manière
(immanente à l’œuvre) d’écouter la musique – s’il est vrai qu’écouter,
c’est synthétiser et non pas totaliser… - ;
2)
écouter l’œuvre du point de la mélodie infinie qui la traverse de part en part,
c’est alors bien s’incorporer à une écoute musicale toujours déjà à
l’œuvre ;
3)
au total la mélodie infinie trace un fil d’écoute constitutif d’une configuration de moments.
Problématique
La « mélodie infinie »
La « mise ensemble » chez Wagner…
Synthèse(s)
Mélodie infinie comme synthèse
Spécificité de la synthèse « vocale » : la
modulation
Rappels sur la modulation acoustique
Modulation d’amplitude
Rappel trigonométrique
Musicalement ?
L2 comme leitmotiv modulant
Modulation de fréquence
Musicalement ?
La modulation… tonale !
Modulation « rythmique »
Leitmotive modulants…
Cas d’une voix porteuse
La mélodie infinie comme synthèse modulante
Histoire de la mélodie infinie
Jean-Sébastien Bach
Récitatif ?
Arabesque
Au total…
Sans fin ?
Infinie ?
Remarques sur la modulation
Porteuse/modulante ?
Ordre de composition
Poème
Partition
Exemple de Parsifal
Poème
Partition
Création
Monologue de Gurnemanz
Texte
Première partie (I.506-545)
Deuxième partie (I.565-699)
L’informe de la mélodie infinie
Première partie du monologue
5° phrase
5 phrases
Seconde partie du monologue
Exemple : I.634-649 (phrases 10-12)
Plan
Logique générale
Rapport à « la forme »
Différences de phrasés
La voix ignore en général la forme en bar
Rapport aux leitmotive
Rapport au récitatif
Rapport à la tonalité
Enjeux pour l’écoute : la mélodie infinie comme fil
d’écoute
Programme
Annexe 1 : µ-analyse de Parsifal
Annexe 2 : Lohengrin
1. Esquisse de composition (1846)
2. Esquisse orchestrale (12 mai 1847)
3. Partition (1° janvier 1848)
[ Réduction piano ]
Annexe 3 : Monologue de Gurnemanz (acte I) – Voix seule
puis avec orchestre (réduction)
« Traverser en
un éclair toute la largeur du fleuve qu’encombrent d’agiles jonques chinoises
faisant voile en tous sens - ainsi naît le sens de la parole poétique. Cet
itinéraire, impossible de le retracer en interrogeant les bateliers : ils
ne sauraient dire de quelle manière ni pourquoi nous avons sauté d’une jonque à
l’autre. »
Mandelstam (Entretien
sur Dante)
Il s’agit de traiter aujourd’hui de la mélodie infinie chez
Wagner et plus particulièrement dans Parsifal.
On sait que l’opéra de Wagner s’est singularisé, entre
autres, d’avoir brisé la séparation théâtrale entre les scènes et,
concomitamment, le cloisonnement des arias.
Ce travail s’est déployé sous la catégorie wagnérienne de « mélodie infinie » :
unendliche Melodie.
Ce nom vient de Richard Wagner, qui l’emploie, semble-t-il,
une seule fois : dans son écrit « Musique de l’avenir » (Lettre sur la musique, à Fr. Villot, 1860).
« La grandeur du poète se mesure surtout par ce qu’il
s’abstient de dire afin de nous laisser dire à nous-mêmes, en silence, ce qui
est inexprimable ; mais c’est le musicien qui fait entendre clairement ce
qui n’est pas dit, et la forme infaillible de son silence retentissant est la mélodie
infinie [unendliche Melodie]. Évidemment, le
symphoniste ne pourrait former cette mélodie, s’il n’avait son organe
propre : cet organe est l’orchestre.
Mais, pour cela, il doit en faire un tout autre emploi que le compositeur
d’opéra italien, entre les mains duquel l’orchestre n’était qu’une
monstrueuse guitare pour accompagner les airs. […] L’orchestre du
symphoniste moderne, au contraire, est mêlé aux motifs de l’action par une
participation intime ; car si, d’une part, comme corps d’harmonie,
il rend seule possible l’expression précise de la mélodie, d’autre part, il
entretient le cours interrompu de la mélodie elle-même. […] La grande
mélodie, telle que je la conçois, qui embrasse l’œuvre dramatique tout
entière, […] doit produire dans l’âme une disposition pareille à celle
qu’une belle forêt produit, au soleil couchant, sur le promeneur qui
vient de s’échapper aux bruits de la ville. Cette impression consiste […] dans la
perception d’un silence de plus en plus éloquent. […] Celui qui se promène
dans la forêt […] distingue avec une netteté croissante les voix d’une variété infinie[unendliche], qui s’éveillent
pour lui dans la forêt ; elles vont se diversifiant sans cesse ; il
en entend qu’il croit n’avoir jamais entendue ; avec leur nombre s’accroît
aussi d’une façon étrange leur intensité ; les sons deviennent toujours
plus retentissants ; à mesure qu’il entend un plus grand nombre de voix
distinctes, de modes divers, il reconnaît pourtant, dans ces sons qui
s’éclaircissent, s’enflent et le dominent, la grande, l’unique mélodie
de la forêt. » (VI.239-241 ; en all. : VII.130-131)
Retenons quelques traits de cette unique description
wagnérienne de la mélodie infinie :
· elle
n’existe que dans et par un nouveau rapport à l’orchestre, lequel passe
lui-même par une nouvelle conception de l’orchestre : comme « corps
d’harmonie » entretenant le cours mélodique… ;
Comme on va le voir, la mélodie wagnérienne est bien une
sorte de courbe sismique de l’orchestre.
· la
mélodie infinie embrasse l’œuvre en son entier : elle l’enveloppe d’un
bout à l’autre ;
Point très intéressant : la mélodie infinie « fait
tout » de l’œuvre par globalisation (enveloppe intégrale : d’une
extrémité à l’autre) plutôt que totalisation…
Ceci thématise autrement la synthèse dans l’œuvre d’art dite
« totale » - attention : la Gesamtkunstwerk (L’Art et la Révolution) est une œuvre d’art collective - ou « d’ensemble » - plus que « totale »… Comme on
y reviendra, il y va de l’écoute en cette distinction de la synthèse et de la
totalisation (l’écoute musicale comme intégration synthétique plutôt que
totalisante…).
· sa
métaphore naturelle relève d’un crépuscule : le « soleil
couchant »… ;
Cf. grande importance de ce thème du crépuscule à propos de
l’œuvre de Wagner (ne serait-ce que l’idée que notre temps serait celui d’un
« crépuscule des dieux »). Cf. mon exposé sur la généalogie
wagnérienne de Schoenberg…
· sa
perception est intrinsèquement reliée à celle d’un nouveau type de
silence ;
Cf. la mélodie infinie est segmentée et pas
« continue ». Elle varie d’épaisseur et de
« nature » ; elle n’est pas homogène…
· cette
mélodie unique est faite du bruissement d’un ensemble de voix
distinctes, multiplicité non dénombrable (« variété infinie ») de
voix.
Ce point est pour nous décisif : la mélodie est une
unique voix faite d’une pluralité de voix distinctes. On peut l’écouter en
distinguant ses composantes, en analysant les différentes voix dont elle se
compose, en « démodulant » la synthèse par modulation qu’elle
constitue…
En vérité il va bien vite s’agir d’un multiple de résonances
plutôt que d’une pluralité de voix (le multiple est multiple de multiples,
quand le pluriel est pluriel d’uns…) : l’enjeu, en écoutant la mélodie
infinie, n’est pas de « démoduler » (et de reconstituer l’un de
chaque voix modulante ou porteuse) mais d’éprouver le passage des résonances.
Intérêt ultime : l’infini dont il est question dans la
« mélodie infinie » ne tient pas à ses extrémités – ses extrémités
sont celles de l’œuvre puisque cette mélodie « embrasse l’œuvre tout
entière » - mais à son épaisseur : à la variété « infinie »
des voix dont elle se compose, qui s’y mêle…
Ainsi – question essentielle – la mélodie infinie se
caractérise intrinsèquement en tout moment comme « mélodie infinie »,
et non pas seulement en ses extrémités : la mélodie infinie n’est pas une
mélodie ordinaire (« italienne ») dont on aurait ôté la fin. Elle est
« infinie » à tout moment (de même que la grande œuvre, ou la grande
musique, ne l’est pas par sa durée mais à tout moment : par sa composition
intrinsèque).
Comme indiqué précédemment, la Gesamtkunstwerk, œuvre d’art collective, renvoie moins à une totalisation qu’à une manière
de mettre « ensemble » différents arts : essentiellement
trois : le théâtre, le poème et la musique.
Il y a bien des manières de « mettre ensemble »,
et la totalisation n’en est qu’une. Il y a ainsi la fusion, la juxtaposition
(hétérophonie), l’interaction…
Je propose de penser l’œuvre d’art collective chez Wagner
comme synthèse.
La catégorie de synthèse
va me servir aujourd’hui en un sens très particulier : en un sens
métaphorique (ou analogique) emprunté au vocabulaire acoustique.
Avant de m’y engager, il faut rappeler que le terme de
« synthèse » a bien d’autres résonances, en particulier philosophiques,
et tout spécialement deleuziennes.
On sait ainsi - voir le séminaire Musique &
philosophie de cette année – que Deleuze a
proposé la distinction de trois types de synthèses (connective, conjonctive et
disjonctive) et que la synthèse disjonctive constitue un de ses principaux
concepts philosophiques.
Je ne vais pas m’étendre ici sur ce point, pourtant fort
passionnant, en particulier pour nous musiciens.
Je me référerai ici à la synthèse au sens où l’on parle de
synthèse sonore, et en particulier par modulation d’amplitude ou de fréquence.
Mon hypothèse sera que la mélodie infinie est, pour Wagner,
un opérateur privilégié de synthèse des différents arts convoqués dans son
œuvre.
Je ne soutiens pas que la mélodie infinie est le seul
opérateur de synthèse chez Wagner : en un sens l’orchestre l’est
également, mais ici en un autre sens qu’acoustique.
Je propose simplement d’investir la mélodie infinie en la
comprenant comme un des ces opérateurs de synthèse, plus encore : comme un
opérateur privilégié.
Pourquoi ?
En raison d’abord de ce fait qu’on ne doit pas
sous-estimer : la voix est un opérateur de synthèse « naturel »
par le fait que c’est la même voix qui parle et qui chante ; ici
tout du moins, c’est bien la même voix qui parle le texte et exprime l’action
théâtrale et qui chante la musique. L’organe-voix est ainsi ipso facto un
organe synthétique, mettant ensemble
action, texte et musique.
Or la voix est chez Wagner productrice de la mélodie
infinie.
D’où l’hypothèse de travail suivante : la mélodie
infinie est l’opérateur privilégié de la synthèse entre arts visée par Wagner
et il nous faut comprendre la qualité propre de cette mélodie infinie comme
relevant d’une telle synthèse.
J’ai dit : il y a plusieurs opérateurs wagnériens de
synthèse, et la voix en sa mélodie infinie n’en est qu’un, même s’il est
prééminent.
Qu’est-ce alors qui caractérise la synthèse telle qu’opérée
par la voix, synthèse produisant la mélodie infinie ?
Ce sera l’opération particulière que j’appelle de modulation et que je vais maintenant détailler.
*
D’où le plan de ce cours :
· Présenter
succinctement ce qu’est la modulation au sens acoustique
· Analyser
la mélodie infinie comme synthèse par modulation musicale (c’est là qu’opère la
métaphore : il n’est pas question de soutenir qu’on transite entre espace
sonore et espace musical – Pierre Schaeffer, qui eut le projet le plus
conséquent d’établir une telle transitivité, a glorieusement échoué à le faire
dans son Traité des objets musicaux - ).
· Après
quelques considérations générales, je m’attacherai à une analyse du monologue
de Gurnemanz (début de l’acte I) par démodulation.
La modulation est
une opération qui porte sur une onde. On saisit que cette catégorie acoustique
d’onde est ajustée pour servir de métaphore à la catégorie musicale de mélodie
infinie : l’onde la plus simple est une sinusoïde. Elle est sans début et
sans fin.
Elle se distingue à
ce titre d’une ondelette qui s’étend sur un intervalle de temps délimité et
inclut ipso facto des transitoires d’attaque et d’extinction – c’est ce qui en
fait son intérêt spécifique pour la synthèse sonore -.
La modulation est
une opération de synthèse entre deux ondes ou plus. Elle consiste à transformer
une onde par une autre. On appelle porteuse l’onde
première, et modulante la seconde : une modulation est ainsi
l’opération de modulation d’une porteuse par une modulante, opération
produisant une nouvelle onde qu’on appelle modulée :
porteuse * modulante = modulée
Il y a plusieurs
manières acoustiques de concevoir ce « produit » entre la porteuse et
la modulante. Les deux principales sont la modulation d’amplitude et la modulation
de fréquence. Nous nous limiterons ici à ces deux cas, mais il existe également
des modulations de phase, en anneau, etc.
L’idée de base est
ici que l’amplitude de la porteuse est « modulée » par l’amplitude de
la modulante : ce qui de la porteuse est modulé, c’est son amplitude, pas
sa fréquence.
Si on pose que
porteuse et modulante s’écrivent – de manière simplifiée – ainsi :
P*cos(pt) et M*cos(mt),
alors la modulée
s’écrira
[M*cos(mt)]*[P*cos(pt)],
ou, plus
exactement, pour des raisons qui ne s’éclaireront que plus tard :
[1+i*cos(mt)]*P*cos(pt)
où i=M/P est l’indice de modulation.
Soit le schéma
suivant :
La formule de base M*cos(mt)*P*cos(pt)
est symétrique, donc la modulation d’amplitude, a priori, est symétrique :
on ne peut donc y différencier porteuse et modulante.
En fait l’intérêt de la synthèse par
modulation d’amplitude est de greffer sur une onde porteuse l’information
appartenant à la modulante (on crée ainsi la nouvelle onde appelée modulée)
en sorte de pouvoir ensuite démoduler cette onde modulée c’est-à-dire y séparer
l’information apportée par la modulante : il s’agit tout bonnement de
pouvoir à l’arrivée reconstituer la modulante à partir de la modulée.
Si la modulée s’écrit
P*M*cos(pt)*cos(mt)=K*cos(µt)
il s’agit pourrait-on dire de savoir
réaliser techniquement la division suivante :
K*cos(µt)/P*cos(pt)
en sorte de reconstituer M*cos(mt).
C’est le principe de la radio :
connaissant la fréquence p de la porteuse, le poste de radio, recevant l’onde
modulée, sait reconstituer le signal musical qu’il s’agissait de
transmettre : M*cos(µt).
Pour que cela marche, il faut
1) que la fréquence de la porteuse soit
beaucoup plus importante que celle de la modulante – ceci se comprend sur le
schéma présenté plus haut -,
2) et que le rapport entre les amplitudes
soit contrôlé en sorte d’éviter le phénomène de surmodulation – c’est pour cela
que l’indice de modulation i doit être inférieur
à 1 -,
3) au total que la fréquence et
l’amplitude de la porteuse soient beaucoup plus importantes que celles de la
modulante – soit le paradoxe : l’onde qui mobilise le plus d’énergie est
celle qui ne fait que transporter l’information, restant par elle-même d’une
information nulle -.
Donnons tout de
suite une interprétation musicale de cette modulation d’amplitude : c’est
le cas où la courbe mélodique d’un pupitre instrumental est affectée par la
dynamique d’un autre pupitre. Il suffit pour cela d’imaginer qu’une voix
chantée adapte son volume d’émission sonore en sorte de toujours surnager
au-dessus d’une masse orchestrale en mouvement, chantant plus fort quand
l’orchestre joue plus fort, chantant plus doucement quand le volume sonore de
l’orchestre est bas : on aura alors une réalisation musicale assez précise
de ce qu’est une modulation d’amplitude !
Finalement la
modulation d’amplitude est ce que font spontanément les amateurs quand ils
jouent ensemble, soit cet effet boule
de neige bien connu, tenant au caractère récursif de la
modulation : quand l’un joue plus fort, les autres le suivent, et le premier,
rétroactivement, augmente encore son volume – voir le stéréotype des
improvisations collectives… -.
Dans le cas du
réseau des leitmotive, on aura une modulation d’amplitude quand un
leitmotiv-porteur va adopter la courbe dynamique d’un leitmotiv modulant.
Par exemple L2 est
marqué par un crescendo conduit tout au long de l’octave ascendant
parcouru :
Tout autre
leitmotiv peut alors « adopter » ce profil, à rebours du sien propre,
en sorte d’être ainsi modulé en amplitude par L2.
*
Examinons
maintenant notre seconde modulation acoustique, qui sera pour nous aujourd’hui
la plus stimulante.
Dans la modulation
de fréquence, l’onde porteuse garde son amplitude mais voit modifier sa
fréquence. Corrélativement, la modulante a une amplitude constante mais une
fréquence variable. L’information qu’il importe de transmettre – donc de
greffer sur la porteuse en sorte de pouvoir ensuite la séparer – tient cette
fois aux variations de fréquence de la modulante.
|
amplitude |
fréquence |
Modulation d’amplitude |
variable |
fixe |
Modulation de fréquence |
fixe |
variable |
Soit le schéma
suivant :
Comme on le
pressent, pour que ceci marche, il faut que les variations de fréquence de la
modulante soient limitées autour d’une fréquence principale.
Il faut également à nouveau que la
fréquence de la porteuse soit beaucoup plus élevée que celle de la modulante.
Cette fois-ci,
l’équation de la modulée s’écrit ainsi :
P*cos[pt
+ M*sin(mt)]
Ici la dissymétrie des deux ondes est
frappante : nulle possibilité de confondre porteuse et modulante.
L’analogie musicale
est à nouveau stimulante.
Le premier qui
vient à l’esprit est celui de la modulation… tonale. D’ailleurs Lorenz prend
soin de dessiner ces modulations tonales dans un système de représentation
apparenté à notre schéma acoustique précédent : il dessine ainsi, en
avant-propos à ses études des opéras de Wagner (I.16), la tonalité comme espace
de modulation.
T = tonique = I / S = sous-dominante =
IV / D = Dominante = V
En effet une
modulation tonale (changement de tonalité par pivotement autour d’accords
jouant une double fonction harmonique) croise plusieurs niveaux : celui
des fonctions harmoniques dans une tonalité (sinusoïde T-S-D), et celui des
tonalités entre elles, les deux sinusoïdes se différenciant non par leur forme
(même logique T-S-D) mais par leur taille (c’est-à-dire leur fréquence).
Dans son schéma,
deux sinusoïdes de même forme mais de « tailles » différentes sont
modulées pour obtenir la nouvelle courbe en bas à droite. Soit :
I-IV-V-I
puis
I]-[IV]-[V]-[I
soit
I-[IV-VIIb-I-IV]-[V-I-II-V]-I
On voit que les
courbes dessinées par Lorenz portent sur des hauteurs musicales, et sont donc
bien un équivalent des fréquences.
De nombreux autres
cas musicaux de modulation de fréquence sont envisageables :
Celui qui vient le
plus immédiatement à l’esprit est celui du rythme : un rythme lent va
moduler un rythme porteur rapide.
Par exemple
ceci :
Mais encore ceci :
Les leitmotive,
surtout ceux de nature rythmique, génèreront une modulation de fréquence.
Voir par exemple
·
le flottement caractéristique du début de L1 qui peut
« s’appliquer » à un autre matériau,
·
le contrechant rythmique de L6 (qui joue souvent un
rôle indépendant de L6 proprement dit, par exemple en I.1635, pour noyer le
mètre, ou « dissoudre le temps pulsé » [1])
·
le rythme de L2
·
mais aussi celui de L8, ou de L25…
Le cas le plus
fréquent, qui va nous occuper aujourd’hui en détail, est celui d’une voix
reprenant un leitmotiv exprimé à l’orchestre (en l’espèce, tout autre matériau
musical conviendrait également) mais en le déformant à la marge : cette
déformation, qui se voit au fait que la voix ne reprend pas exactement le
leitmotiv tel qu’exprimé au même moment par l’orchestre, signe la modulation de
la ligne vocale par les hauteurs (donc les fréquences !) portées par
l’orchestre. Ici la voix est la porteuse, l’orchestre est l’onde modulante
riche d’information leitmotivique, la mélodie résultante est la modulée.
En voici un petit
exemple, prélevé dans la voix de Gurnemanz, avant son monologue qui va ensuite
nous occuper :
La voix modulée par
les leitmotive L1, L9, L7 et L3 apportés par l’orchestre, déforme ces
leitmotive (comme une modulée déforme l’onde modulante) ce qui se voit dans le
détail suivant, restituant les leitmotive L1 et L9 tels qu’énoncés par
l’orchestre :
*
Le cadre
métaphorique étant ainsi posé, passons à l’examen de la mélodie infinie comme
synthèse modulante.
Je rappelle :
·
refus wagnérien (dès Opéra et Drame) de la
logique de mélodie accompagnée ou mélodie harmonisée
·
étonnement auquel l’invention de la mélodie infinie a
donné lieu (cf. Nietzsche)
·
caractérisations : « toute notion d’air a
définitivement disparu » [2], « un vaste récitatif » [3] et « une prose musicale
permanente » [4], sans morceaux de bravoure (cf. Parsifal
est ici plus radical que le Ring). Soit la mélodie infinie comme invention
wagnérienne prenant l’aspect initial d’un « informe »…
Wagner est nourri de Bach pendant qu’il
compose Parsifal. Wagner
note d’ailleurs que Bach module peu, comme lui dans le prélude de Parsifal. Et son intérêt se porte sur le dernier chœur de la Passion
selon Saint Matthieu au moment
même où il s’occupe de la disposition chorale de Parsifal. [5]
Deux références en effet chez Bach : le
récitatif, et l’arabesque.
Cf. cadences de
récitatif (VII-I-V) chez Klingsor : II.264-5, II.416-7
Le
récitatif est infini mais pas sans fin : cf. sa fonction cadentielle. Chez
Wagner, la cadence est presque toujours rompue, ce qui fait qu’une tonalité
s’affirme essentiellement par sa dominante (une pédale par exemple). D’où,
compte tenu de l’ambiguïté majeur/mineur, l’importance des degrés III (en
majeur) et VII (en mineur).
Le point important est qu’une mélodie sans
fin n’est pas une mélodie dont on a retiré la fin ou qu’on a prolongée par une
autre mélodie : une mélodie sans fin porte à tout « moment » de
manière immanente sa caractéristique de sinuosité.
Exemple de courbe sans fin : celle d’un
sismographe. La mélodie sans fin est la courbe sismographe de l’œuvre, portant
trace des différents ébranlements, mouvements…
L’écriture vocale de Wagner ressemble à
celle du récitatif traditionnel, par exemple chez Jean-Sébastien Bach où
manifestement, la profération du texte conduit à un rythme bien plus élevé que
celui des fonctions harmoniques qui scandent cette profération.
Voyez par exemple ceci (cantate n°117 Sei Lob und Ehr’ dem höchsten Gut)
Remarquons ce point important : le
récitatif est essentiellement fini en ce sens qu’il a une fonction cadentielle,
ici moduler (de Ré # majeur à fa # mineur) pour finalement affirmer la nouvelle
tonalité de Sol majeur d’où l’orchestre pourra ensuite repartir.
L’arabesque
mélodique wagnérienne : on pourrait l’analyser comme traversée d’un champ
harmonico-motivique (cf. solos de jazz be-bop ou modaux traversant une grille
mélodico-harmonique).
Proximité/différence
avec l’arabesque de Jean-Sébastien Bach…
L’arabesque pour sa part est sans fin (elle
peut toujours continuer) mais pas infinie (au sens d’une épaisseur synthétique
infinie à tout moment).
Exemple : Magnificat – Et exultavit
La mélodie wagnérienne est donc une mélodie
doublement infinie :
·
elle est sans fin,
·
mais elle est également infinie « en chaque
moment ».
Certes, il existe une fin de cette mélodie,
mais c’est celle de l’œuvre. Ce n’est donc pas une fin que la mélodie aurait en
propre, ce n’est pas à proprement parler « sa » fin. Cf. sa
différence d’avec le récitatif.
Cf. elle synthétise une multiplicité
indénombrée d’ondes différentes (cf. citation de Wagner plus haut).
Il
faut donc prendre au sérieux le fait que la musique de Wagner module
tout le temps : pas seulement tonalement mais au sens métaphorique
précédent.
Il y a donc une double modulation permanente
du discours wagnérien : une
modulation harmonique à l’orchestre et une modulation « acoustique »
dans la voix.
La
mélodie sans fin est ultimement une modulation du texte !
Que
ce soit la même voix en musique qui parle et chante tient au fait que c’est
bien le même corps qui l’émet, le même corps-accord.
Cette
voix musicale chantée a deux faces : le texte, la mélodie.
Noter que la voix musicale inscrit bien
cette double face puisqu’elle se note selon une double ligne : la ligne de
la mélodie et la ligne du texte !
La voix musicale est donc bien une médaille
à deux faces.
Question : Kundry représente-t-elle
cette voix ?
Où est la porteuse ? Où est la
modulante ?
Mon hypothèse : le poème est la
porteuse, l’orchestre est la modulante : la voix est la modulée.
Cf. la porteuse, dans sa logique acoustique,
est d’une fréquence plus élevée que celle de la modulée. On voit bien que, dans
l’écriture du moins de Wagner, le rythme du poème est bien plus rapide que
celui de l’orchestre.
Il est pour nous tout à fait intéressant de
remarquer que Wagner compose sa musique dans un ordre précis et immuable (cf.
l’exemple de Lohengrin en annexe).
Noter que Richard Wagner commence par
composer la modulante (le poème) puis la mélodie sans fin – la modulée – avec
la porteuse (réduction harmonique) :
porteuse |
texte |
modulante |
particella |
modulée |
voix |
Quatre étapes :
1. Brève esquisse en prose
2. Ébauche plus élaborée en prose
3. Ébauche en vers
4. Copie au net
Trois étapes :
1. Esquisse de composition : une seule
ligne mélodique + accompagnement de basses :
2. Esquisse orchestrale : esquisse
étoffée :
3. Partition (Pour Parsifal, Wagner mena en parallèle 1 – crayon - et 2 -
encre).
Ainsi dans le cas de Parsifal, voici le calendrier :
Esquisses
Premier projet provisoire en prose :
août 1865
Nouvelle esquisse (lue à Liszt) :
octobre 1872
Achèvement du poème : avril-Noël 1877
Esquisses :
septembre 1877-avril 1879
Acte I : 4 mois, fin le 31 janvier 78
Acte II : 9 mois (février-octobre 78)
Acte III : 6 mois, fin avril 79
Orchestration [6] :
août 1879-janvier 1882
Achèvement (13 janvier 1882) 4 ans et 3
trimestres après l’achèvement du poème (les répétitions ont démarré depuis
1881 !)
Avril 1882 : partition chant et piano
26 juillet 1882 (Bayreuth [7])
Dans chacune des ces étapes, Wagner n’hésite
pas à corriger localement le poème comme la voix, pour les ajuster
minutieusement à l’orchestre.
On peut dire que Wagner compose à la fois modulante
et modulée. Plus encore, et Wagner s’est souvent expliqué sur ce point, quand
il compose la porteuse, il a déjà en tête l’opération de modulation qui aboutira
à déposer une mélodie sur ce texte. Étant à la fois le poète et le musicien, il
compose en fait texte & musique en ayant simultanément en tête les trois
composantes.
Prés d’un quart
d’heure !
Cf. celui
d’Amfortas (I) ne dure que 8 minutes.
Il occupe plus de
200 mesures : mes. 506-736 (sauf 546-564)
Cela représente 3
périodes de Lorenz :
PI.8 |
La Sainte Lance |
499-558 |
do |
|
Transition |
|
559-564 |
|
|
PI.9 |
Titurel et
Klingsor |
565-709 |
Sol b |
4/4 |
PI.10 |
La sainte
promesse |
710-741 |
Ré |
4/4 |
1 |
Oh,
wunden-wundervoller heiliger Speer! Ich sah dich schwingen von unheiligster
Hand! |
Cause de tant de plaies, de tant de miracles, ô sainte
lance ! Je t’ai vue brandie par la main la plus sacrilège ! |
2 |
Mit ihm bewehrt,
Amfortas, allzu kühner, wer mochte dir es wehren den Zaub’rer zu beheeren? |
Amfortas, par trop téméraire, qui pouvait t’empêcher, avec
cette arme, d’anéantir le magicien ? |
3 |
Schon nah’ dem
Schloß wird uns der Held entrückt; ein furchtbar schönes Weib hat ihn entzückt;
in seinen Armen liegt er trunken, der Speer ist ihm entsunken. |
Arrivé près du château, le héros nous est enlevé : une
femme d’une effrayante beauté l’a ravi ; il repose dans ses bras, ivre
d’amour, la lance a échappé à sa main. |
4 |
Ein Todesschrei!
Ich stürm herbei: von dannen Klingsor lachend schwand, den heiligen Speer hat
er entwandt. |
Un cri de mort ! J’accours ; Klingsor s’est éloigné
en riant : il nous avait volé la sainte lance. |
5 |
Des Königs Flucht
gab kämpfend ich Geleite; doch eine Wunde brannt’ ihm in der Seite: die Wunde
ist’s, die nie sich schließen will. |
Combattant, je couvris la fuite du roi ; mais une plaie
le brûlait à son côté : c’est cette plaie qui jamais ne veut se
refermer. |
1 |
Titurel, der fromme
Held, der kannt’ ihn wohl. |
Titurel, le preux héros, l’a bien connu. |
2 |
Denn ihm, da wilder
Feinde List und Macht des reinen Glaubens Reich bedrohten, ihm neigten sich
in heilig ernster Nacht dereinst des Heilands selige Boten: |
Alors que la ruse et la violence de cruels ennemis menaçaient
le royaume de la pure foi, vers lui descendirent en une nuit sainte et grave
les bienheureux Envoyés du Sauveur : |
3 |
daraus der trank
beim letzten Liebesmahle, das Weihgefäß, die heilig edle Schale, darein am
Kreuz sein göttlich’ Blut auch floss, dazu den Lanzenspeer, der dies vergoß,
der Zeugengüter höchstes Wundergut, das gaben sie in unsres Königs Hut. |
le vase sacré , la coupe noble et sainte à laquelle il but
lors du dernier repas d’amour, et où son sang divin a coulé sur la croix,
ainsi que la lance qui répandit ce sang – trésor suprême, miraculeux, objets
rendant témoignage, ils les confièrent à la garde de notre roi. |
4 |
Dem Heiltum baute
er das Heiligtum. |
Pour ces reliques salutaires, il construisit le sanctuaire. |
5 |
Die seinem Dienst
ihr zugesindet auf Pfaden, die kein Sünder findet, ihr wisst, daß nur dem Reinen
vergönnt ist sich zu einen den Brüdern, die zu höchsten Rettungswerken des
Grales Wunderkräfte stärken. |
Vous qui êtes arrivés à son service par des voies qu’aucun
pêcheur ne trouve, vous savez que seul un homme pur peut s’unir aux frères,
que fortifie la puissance miraculeuse du Graal ; pour les plus hautes
œuvres de Salut. |
6 |
Drum blieb es dem,
nach dem ihr fragt, verwehrt, Klingsor’n, wie hart ihn Müh’ auch drob beschwert. |
C’est pourquoi cette faveur fut refusée à Klingsor dont nous
nous enquérez, malgré sa peine et ses efforts. |
7 |
Jenseits im Tale
war er eingesiedelt; |
Il s’établit dans la vallée, au-delà de ces monts ; |
8 |
darüber hin liegt
üpp’ges Heidenland; |
là-bas s’étend, luxuriant, le pays des païens. |
9 |
unkund blieb mir,
was dorten er gesündigt; |
Je n’ai jamais appris quel y fut son péché. |
10 |
doch wollt’ er
büßen nun, ja heilig werden. |
Mais il voulut expier, bien plus, se sanctifier. |
11 |
Ohnmächtig, in sich
selbst die Sünde zu ertöten, an sich legt’ er die Frevlerhand, die nun, dem
Grale zugewandt, |
Impuissant à tuer en soi le péché, d’une main sacrilège, il se
mutila lui-même puis se tourna vers le Graal ; |
12 |
verachtungsvoll
des’ Hüter von sich stieß. |
mais le gardien du Graal le repoussa avec mépris. |
13 |
Darob die Wut nun
Klingsor’n unterwies, wie seines schmählichen Opfers Tat ihm gäbe zu bösem
Zauber Rat; |
La rage alors instruisit Klingsor, lui apprit comment de son
ignoble sacrifice tirer un pouvoir maléfique ; |
14 |
den fand er nun. |
il y est parvenu. |
15 |
Die Wüste schuf er
sich zum Wonnegarten, drin wachsen teuflisch holde Frauen; |
Du désert, il s’est fait un jardin de délices, où fleurissent
des femmes d’une beauté diabolique ; |
16 |
dort will des
Grales Ritter er erwarten zu böser Lust und Höllengrauen; |
il y attend les chevaliers du Graal pour de funestes voluptés,
d’infernales orgies ; |
17 |
wen er verlockt,
hat er erworben; |
tous ceux qu’il peut séduire, il les fait siens. |
18 |
schon viele hat er
uns verdorben. |
Il a déjà corrompu bon nombre des nôtres. |
19 |
Da Titurel, in
hohen Alters Mühen, dem Sohn die Herrschaft hier verliehen; Amfortas ließ es
da nicht ruh’n, der Zauberplag’ Einhalt zu tun. |
Quand Titurel, peinant sous le poids des années, céda la
royauté à son fils, Amfortas n’eut de cesse qu’il n’eût endigué ces
maléfices. |
20 |
Das wisst ihr, wie
es dort sich fand; der Speer ist nun in Klingsors Hand, |
Vous savez ce qui là-bas est arrivé : la lance est
maintenant aux mains de Klingsor ; |
21 |
kann er selbst
Heilige mit dem verwunden, den Gral auch wähnt’ er fest schon uns entwunden! |
comme il a pu, avec cette arme, blesser même des saints, il
s’imagine aussi nous ravir le Graal à jamais. |
Pour prendre mesure
de « l’informe » de cette mélodie infinie – par contraste avec la
« forme » des airs traditionnels d’opéra, écoutons la ligne mélodique
seule de ce monologue : on est effectivement confronté à un discours dont
les repères sont difficilement décryptables.
L’onde modulée…
Cf. exemple de la
5° phrase :
L’onde modulée
synthétise plusieurs périodes :
·
chaque phrase littéraire est une grande période ;
·
chaque période-phrase est déjà l’union de deux
périodes ;
·
et la subdivision continue…
Ici l’onde modulée
peut être vue comme synthèse modulante d’au moins 6 ondes (cf. décomposition Fourier !).
Cf. pour les 5
phrases littéraires de cette première partie :
Au total, on peut
établir le petit tableau suivant de « démodulation » :
Phrase littéraire |
1° |
2° |
3° |
4° |
5° |
Nombre de mesures |
6 |
5 |
22 |
7 |
10 |
Nombre d’impulsions (silences intérieurs compris) |
24 |
31 |
46 |
29 |
39 |
Ratio (par mesure) |
4 |
6 |
2 |
4 |
4 |
Nombre de petites périodes |
4 |
5 |
7 |
6 |
8 |
Nombre de périodes « moyennes » |
4 |
5 |
7 |
4 |
5 |
Nombre de grandes périodes |
1,75 |
1,75 |
1,75 |
1,75 |
1,75 |
Nombre de très grandes périodes |
0,75 |
0,75 |
0,75 |
0,75 |
0,75 |
On va ici démoduler
selon d’autres principes musicaux : selon les dimensions suivantes
·
phrases littéraires
·
forme : petits bars, bars moyens, grand bar (cf.
analyse de Lorenz)
·
leitmotive
·
tonalités : chez Wagner (attention : chez
Wagner, la tonalité est surtout affirmée par sa dominante, les cadences étant
généralement rompues, grâce en particulier aux septièmes diminuées).
On trouvera en
annexe la partition détaillée qu’on peut résumer par le tableau suivant :
Il en ressort les
traits suivants de la synthèse par modulation.
Le phrasé du texte
ne correspond pas toujours au phrasé musical de la forme en bar : par
exemple les phrases littéraires n°2 & 3 chevauchent des grandes périodes
musicales différentes ; plus en détail, les phrases n°9 & 10, 11 &
12 partagent autrement les deux premières strophes d’un grand bar.
Surtout la voix
n’épouse pas en général la forme en bar. Exemples :
·
I.581-585 = I.586-590 en L1 ; la voix, toute
occupée à son texte, ignore cette séquence.
·
I.637-638 = I.639-640 en L12 : id. pour la voix.
·
I.641-642 = I.644-645 en L12 : id.
·
I.662 = I.663
·
I.665-666 = I.667-668
Seule exception
notable : sur L12 en I.649-654
Cependant, même si
la voix ne suit pas la forme en bar, cette forme porte bien son empreinte sur
(module bien) l’onde vocale. Ex. I.670 et I.671 (pendant L17)
Comme on le sait,
dans Parsifal, tous les leitmotive viennent de l’orchestre (à la
seule exception de L7).
La voix porte
l’empreinte de certains leitmotive : ici 4 (L2, L3, L12, L15) parmi 9 (en
plus : L1, L9, L14, L16, L17).
Point
remarquable : la voix ne fait que reprendre les leitmotive exprimés d’abord
par l’orchestre :
·
d’une part, elle n’énonce pas un leitmotiv que
l’orchestre ignorerait ;
·
d’autre part, elle n’initie pas un énoncé orchestral
mais opère toujours en écho (L3 : I.575 ; L12 : I.636) ou
en simultanéité (L2 : I.578, I.609 ; L12 : I.649) -
exception : L3 en I.565 où l’orchestre ne joue que la première et la
dernière note de la quarte, ce que la voix faisait pour sa part en
I.514-515) ;
·
parfois enfin, la voix n’énonce que le squelette
(première et dernière notes : L14 : I.506 ; L9 : I.673,
I.693) ;
·
bien souvent, la voix paraît – en son contour
mélodique, non en son signifié parlé -
en indifférence au leitmotiv : ex. indifférence musicale à L1 en
I.581 (changement seulement en I.588) ;
·
cas singulier : un leitmotiv (L12) se continue dans
la voix (I.644-645/646).
L’onde modulée
prend de temps en temps la forme d’un récitatif. Ce qui caractérise ces
périodes consiste alors :
·
en une simplification verticale du discours orchestral
qui se limite à scander d’harmonies la ligne vocale ;
·
en une disparition du travail leitmotivique ;
·
au total, cette partie de l’onde vocale n’est plus une
synthèse mais une simple arabesque.
Dans l’ensemble la
voix suit les modulations harmoniques. Dans un cas, c’est elle qui initie la
modulation (I.685).
La voix cadence
parfois (I.541, 606-607, 624-625, 633, 665) mais pas toujours : cf. ovales
entourés sur la partition.
Point
important : la mobilité harmonico-tonale est moins le fait de la voix
(comme dans le récitatif : ex. I.624) que celui de l’orchestre.
Rappels :
Wagner évite presque toujours les cadences parfaites (cadences presque toujours
rompues). Ce qui énonce une tonalité, c’est la dominante (ex. pédale de V).
Grand rôle des septièmes diminuées, mais aussi de l’accord de Tristan (qu’on
peut comprendre comme II- 5b/7) qui « se résout » en septième diminuée
(cf. tête de L9 !) conçue comme V7…
L’enjeu de l’écoute
est de tracer un fil d’écoute traversant l’œuvre de part en part : un fil
donc global (qu’on distinguera soigneusement d’une totalisation de
l’œuvre : une telle totalisation est l’affaire de l’audition qui vise à
intégrer la totalité des constituants de l’œuvre).
Un véhicule
privilégié de ce fil d’écoute est la mélodie infinie, qui dans Parsifal est
particulièrement radicale puisque cet opéra est encore plus radicalement que le
Ring « privé » d’airs.
Ce fil, comme
synthèse : cf. image (métaphore cette fois d’ordre mathématique) d’une
intégrale curviligne.
L’enjeu de l’écoute
le long de la mélodie infinie n’est pas la démodulation (analyse !) mais
d’incorporer l’écoute de la musique par l’œuvre qui se joue en cette ligne.
La thèse est
finalement que la mélodie infinie, techniquement synthèse par modulation, est
esthétiquement la ligne d’écoute tracée par l’œuvre elle-même et qu’il est donc
loisible d’écouter Parsifal en s’incorporant à cette ligne, en écoutant
l’ensemble du point de cette mélodie infinie, en la chevauchant, en ressentant
l’ensemble de l’action (musicale, poétique et théâtrale) du point mobile de
cette voix.
Bien sûr, il n’est
pas impératif d’écouter Parsifal du point de cette ligne vocale mais à tout le
moins de mesurer sa propre ligne d’écoute à cette ligne immanente.
Voir, au total, en annexe,
la nouvelle grille de µ-analyse…
1.
11 octobre 2005 - Introduction : Parsifal, quels
enjeux aujourd’hui ?
2.
8 novembre 2005 - Moment-analyse (1). Écouter Parsifal à partir de son moment-faveur
3.
22 novembre 2005 - La structure globale : musicale (Alfred Lorenz) / théâtrale (Wieland Wagner)
4.
6 décembre 2005 - Moment-analyse
(2). De quatre moments relayant
l’écoute : Prélude de l’acte I, Filles-fleurs, Prélude de
l’acte III, musique de la transformation (acte III)
5.
10 janvier 2006 - Théorie « néphologique » du réseau des leitmotive
6. 24
janvier 2006 - Moment-analyse (3) :
les moments du sublime dans Parsifal.
7. 21
février 2006 - Généalogie ascendante : le moment-Parsifal dans l’Œuvre de
Wagner
8. 7
mars 2006 - Généalogie descendante (1) : Debussy
9. 4
avril 2006 - Généalogie descendante (2) : la musique de film
10.
25 avril 2006 - Synthèse par modulation : la
« mélodie infinie »
11.
1 mai 2006 [New York] - Généalogie descendante (3) : Schoenberg
12.
6 mai 2006 (Journée « Parsifal, une œuvre pour notre temps ? ») – « Écoutez Parsifal ! »
13.
16 mai 2006 – Bilan :
« Qui est Kundry ? »
––––––
Types de moments (µ) |
Acte I (Gurnemanz) |
Acte II (Kundry) |
Acte III (Parsifal) |
||||||||||||||||||||||||||||
µ-limite |
Pré-lude |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
‘ |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Rédemp-tion au rédemp-teur |
|
µ-faveur |
|
|
|
|
|
|
Transfor-mation (1) |
‘ |
|
|
|
‘ |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
µ-relais |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Filles-fleurs |
|
|
|
|
|
Pré-lude |
|
|
|
Transfor-mation (2) |
|
|
|
|
|
µ du sublime |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Amfor-tas ! |
|
Arrêt de la lance |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Arrivées de Parsifal |
|
|
|
|
1 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
2 |
|
|
|
|
|
|
|
|
3 |
|
|
|
|
|
|
|
µ choral |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Mélo-die infi--nie |
Mono-logues |
|
|
|
Gur. |
|
|
|
|
Amf. |
|
|
|
Klin. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Confron-tations |
|
|
|
|
|
Gur. / Par. |
|
|
|
|
Gur. / Par. |
|
|
Klin. / Kun. |
|
|
Kun. / Par. |
|
Par. / Kun. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Amf. / Par. |
|
|
Autres |
|
G. |
K. |
|
|
|
|
|
|
|
|
Pré-lude |
|
|
|
|
|
|
|
|
Coda |
|
G |
|
G/P |
|
|
A |
|
|
Début de l’acte I :
1. Esquisse de composition.
1846
2. Esquisse orchestrale. 12 mai
1847
3. Partition. 1° janvier 1848
+ réduction piano
Une seule ligne mélodique +
accompagnement de basses :
Esquisse étoffée :