INTERROGATIONS SUR LE PRÉSENT DE LA MUSIQUE CONTEMPORAINE

Défis actuels pour le jeune compositeur: la forge de nouvelles écoutes.

 

Hèctor Parra. 20 décembre 2003, Paris.

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1.        Difficultés de la situation actuelle et possibles actions

 

Être et exercer en tant que compositeur n’est pas une entreprise facile aujourd’hui. En laissant de côté les difficultés d’ordre économique, social et de «marchandisage culturelle» on se trouve, dans les domaines strictement esthétiques et musicaux, face à des défis très difficiles d’affronter au début du 2ème millénaire.

À la fin du XXème siècle, l’influence croissante du  relativisme esthétique dans le domaine de la création artistique et musicale, a permis le développement de tendances nihilistes favorisant l’élimination absolue des catégories valables pour la création et la compréhension de l’œuvre. Le double résultat, seulement à première vue étonnant, de ce « tout est permis »  a été non seulement de paralyser les critères des récepteurs permettant une prolifération excessive de la médiocrité, mais aussi le blocage effectif «par manque de repérage» de la puissance créative émergent d’un grand nombre de jeunes créateurs. Au début du nouveau siècle il faut mener une lutte active contre cette façon de penser et d’agir des années 80’ et 90’. Les moyens pour livrer ce combat sont et seront, comme toujours, les actes de création musicale eux-mêmes, la richesse et la densité des contenus de nouvelles œuvres qui, par leur propre existence exemplaire ou « paradigmatique », finiront par bâtir de nouveaux échafaudages pour une création riche en maîtrise technique et éloignée de la « boutade ».

Au moyen de la réflexion concernant les processus de création de mes compositions, je constate que pour atteindre cet objectif on a parfois fort besoin d’intégrer de façon productive dans ses pièces certains contenus esthétiques qui aujourd’hui sont déclarés (ou nous semblent) très éloignés ou même opposés. Je pense par exemple à la découverte ou à l’invention de nouveaux rapports qui sont au-delà de l’intégration éclectique du bon artisan, donc gardant une certaine radicalité de base. Soyons des « radicaux intégrateurs » plutôt que des apocalyptiques intégrés!

Aujourd’hui on arrive à la conclusion que la meilleure, et peut-être l’unique façon d’éviter les dramatiques isolements et les incompréhensions des temps présents c’est d’avancer avec décision vers la création d’une culture globale unique mais multiforme, où chacun des habitants de la planète pourra développer ses capacités innées. Dans la création de cette culture, unique antidote contre la globalisation de la culture-zéro dénoncée par Saramago, tous les intellectuels y sont appelés : les scientifiques qui font des modèles compréhensibles du réel, les artistes qui créent de nouvelles réalités au-delà du hasard et du besoin de la nature non-humaine, et les humanistes qui cherchent un sens ou un modèle valable pour l’Humanité. Donc, dans un énoncé symbolique, une affirmation polyédrique de l’Être face au Néant ou au Vide.

Concernant l’aspect spécifique de la création musicale les jeunes compositeurs sommes très souvent conseillés par « l’opinion dominante » attribuée au public (au marché) de soumettre et limiter nos exigences expressives et esthétiques en accord avec certains critères préétablis d’accessibilité à la compréhension (la joie, du plaisir de l’écoute). Ma réponse à ce type de pressions c’est que l’approche très vitale établie et vécue par le compositeur avec la matière acoustique ne doit pas mener, au travers de l’action compositrice, à une simplification du tissu acoustique et conceptuel de l’œuvre initialement conçue/créée. Je pense plutôt au contraire, qu’on doit avancer au-delà en complexité (pas en complication). L’idée est d’essayer d’établir des nouvelles connexions entre la création originaire et l’action communicative au public. Il s’agit surtout de « faire vibrer » l’écoute dans toutes ses dimensions et échelles temporelles, jusqu’aux les plus petits possibles (micro tonalité, micro temporalité, entre elles). La recherche de l’accomplissement d’un équilibre-résonance multiparamétrique est orientée à pousser au maximum la perception et la compréhension de l’auditeur, sans jamais les saturer.

Mais en quoi consiste vraiment cette «vibration de l’écoute», cette espèce de canal de communication ou de résonance entre la création et l’écoute? Quelles sont les catégories parmi lesquelles elle peut être analysée? À nouveau je pense que pour développer de nouvelles conceptions musicales et définir de « nouvelles catégories » avec lesquelles on puisse construire une démarche, un champ de création et de compréhension, productif et significatif, on doit dépasser le domaine clos de (la réflexion de) la musique par elle même.

Une voie d’accès possible et d’intégration des autres aspects de la réalité consiste à penser comment changer et mettre en rapport notre écoute interne en tant que compositeurs et l’écoute du public ou du récepteur.

 

2.        Interaction entre son et image : Spectacles musicaux avec image 

 

À mon avis, on doit repenser musicalement le concert à partir d’une considération productive et créative (technique et artistique) des rapports vivants entre pensée musicale et autres modes de penser. La pensée plastique et visuelle ainsi que la pensée poétique et dramatique théâtrale peuvent s’impliquer dans la recherche et la création de nouvelles formes de spectacle musical et contribuer à l’émergence des nouvelles formes d’écoute.

On peut très raisonnablement penser que le public musical d’aujourd’hui, habitué à filtrer de façon continue une grande quantité d’information et à recevoir une vraie polyphonie de stimulations, a besoin d’une stimulation de la perception plus intense et à la fois plus « polyédrique ». Peut-être, il faudra adapter la façon d’exposer la musique actuelle à cette nouvelle structuration sensorio-perceptive: la musique doit s’adresser et occuper effectivement une plus grande partie de l’ambitus perceptif de l’auditeur. Dans ce but notre propos est loin de la «tradition» de mettre en place une polyphonie d’éléments orthogonaux. Pour nous musique et image, produites par le même artiste ou par des artistes différents, doivent partager certaines catégories et interagir dans un nombre plus grand d’espaces. Il s’agit que, toujours en accord avec sa nature et ses qualités intrinsèquement musicales, les différentes dimensions sonores de ce type de spectacle musical agissent sur le domaine de la perception auditive de façon structurellement parallèle à la façon d’agir des dimensions plastiques sur la perception visuelle. La très forte orthogonalité entre voir et entendre sera évitée au travers d’un  tissu complexe de connections entre les deux champs, et grâce à une souplesse relative du dispositif visuel par rapport au dispositif acoustique.

En ce qui concerne l’opéra contemporain, nous proposons de ne pas disperser l’écoute et de ne pas affaiblir la concentration musicale du public avec des éléments qui appartiennent à des dimensions trop éloignées ou orthogonales à la production du son, comme peuvent être les rapports verbaux, sentimentaux et créatifs entre les personnages exprimés sous une forme théâtrale. Notre objectif est plutôt le contraire: faciliter au public l’ambiance intégrale nécessaire pour aboutir à une hyper concentration dans la musique qui, de cette façon, peut être très articulée, dense et complexe sans renoncer à ses objectifs dramatiques. Le drame ne doit pas être «imposé» au public (l’histoire par elle même), mais plutôt «exposé». L’idée n’est pas de récréer ou de re-articuler, dans une temporalisation et localisation définies par un argument qui se déroule dans un scénario, une histoire vraie ou inventée par la littérature, mais d’obtenir un tissu dramatique/musical abstrait et complexe à partir d’un processus d’abstraction partant des personnages, de ses relations, de ses créations… Ce tissu, d’une grande densité, sera capable d’induire au public la sensation que « cela se passe ici et pour la première fois » en vivant le processus même de création artistique.

Mon but est que tous les éléments soient véhiculés vers la création d’une expérience dramatique d’un haut niveau d’abstraction propre à la création musicale contemporaine: le texte et leur traitement, le son, l’image et l’espace scénographique seront traités et mis en relation de telle façon que le noyau de l’élément dramatique soit le propre déroulement sonore et sa relation avec celui de l’image et l’espace psychoacoustique. Ainsi, je crois, le public peut être amené à percevoir le drame de façon polyédrique et abstraite. Tel sera le résultat de son immersion dans un espace «vivant» dont les dimensions acoustiques, visuelles et architecturales sont elles mêmes soumises au développement dramatique.

 

3.        Réalisation des objectifs artistiques par le biais des nouvelles technologies appliquées à la création musicale. Conclusion.

 

Pour réaliser une production dramatique en accord avec les objectifs exposés il est nécessaire de modeler, concrétiser et mettre en évidence au cours du spectacle, toute une suite de relations significatives entre les différents domaines artistiques impliqués: la musique, la peinture, la poésie, la dramaturgie... C’est dans ce but que l’utilisation des nouvelles technologies appliquées à la création musicale devient une nécessité presque absolue.

Et c’est justement l’analyse de la façon dont les outils de captation, de transformations et de synthèses du son, du geste et de l’image sont amenés par le créateur musicale à la production des espaces fertiles pour la création de dramaturgies spécifiquement musicales, qui fournira les matériaux théoriques de base pour formaliser des nouvelles catégories émergentes. Avec elles, nous serons capables d’exprimer à un niveau réel, au-delà de la métaphore,  l’intégration des différents domaines acoustiques, visuels et dramatiques qui sont devenus possibles grâce à l’utilisation dans le spectacle musical de toute sorte de nouveaux outils technologiques. On pense ici au rôle que jouent des logiciels comme Max/MSP-Jitter ou OpenMusic : au début ils étaient des moyens de travail, mais ils sont déjà devenus d’authentiques langages à travers lesquels des centaines de compositeurs du monde entier formalisent, réalisent et développent leurs idées compositrices. Un étude comparative de la manière dont des mentalités créatrices très différentes ont développé et développent leur pensée au moyen d’un même logiciel peut être, à mon avis, un bon outil pour essayer de donner des réponses significatives à la question posée au début : « est-il encore possible de réfléchir collectivement sur la composition musicale ?». Ce sont les raisons pour lesquelles je crois que l’utilisation chaque fois plus généralisée des nouvelles technologies parmi la génération la plus jeune de compositeurs fournit un bon contexte commun dans la situation dispersée actuelle.

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