L'État et la toxicomanie. Histoire d'un singularité française
Soigner la toxicomanie. Les dispositifs de soins entre idéologie et action
Henri Bergeron (PUF / sociologie, 1999 - L'Harmattan, 1996)

 

EXTRAITS

Toxicomanes
6 phases dans la vie de tout gros consommateur d'héroïne : expérimentation, escalade, maintenance, dysfonctionnement, arrêt, ancien toxicomane (1-2)
La dépendance physique (le sevrage physique dure de 7 à 10 jours pour l'héroïne) se distingue de la dépendance psychologique. (3)
En 1998 48000 héroïnomanes sont sous produits de substitution. (12, 22) (297)
Boutiques, « sleep-in »
Les « boutiques » se situent très en amont de la chaîne thérapeutique (7) (295) Ce sont des structures de première ligne (297)
Cf. la chaîne thérapeutique a 5 étapes : accueil (ou première demande de soin) - sevrage (physique) - hébergement thérapeutique - réinsertion - sortie. (L'Harmattan, 27-29)
Loi
1970 : Cette loi est fondatrice. D'où la constitution d'un secteur spécialisé et l'établissement d'un champ institutionnel (20)
Le paradigme français du soin
Le paradigme français du soin s'adosse au paradigme psychanalytique qui en constitue l'aspect théorique (13, 17).
Ordre principalement curatif + idéal d'abstinence (16) (324)
[Il s'impose au tournant des années 80] (305) Phase de stabilité de cette politique de 1980 à 1993. (323)
Pour les tenants d'une politique de soins, « il vaut mieux ne pas consommer de drogues ; si on en consomme, il vaut mieux ne pas le faire par voie injectable ; si on consomme des drogues par voie injectable, il vaut mieux utiliser une seringue propre une seule fois ; si on utilise un seringue, il vaut mieux la désinfecter »
Spécificité française
La tradition publique de santé en France a toujours privilégié le volet curatif de l'intervention sanitaire. (326)
Importance du rôle de la centralisation en cette affaire (326)
2 voies dans les produits de substitution
Programmes de haut seuil (hypothèse haute) : la population visée est réduite (cf. phase 4 : dysfonctionnement + volonté formulée) de bas seuil (hypothèse basse) : administration de méthadone sans souci de désintoxication et seulement dans une perspective palliative. (5-7)
Conversion du paradigme français du soin au paradigme anglo-saxon de réduction des risques
Cf. modification des caractéristiques épidémiologiques des toxicomanes pendant les années 80. (16) Les caractéristiques épidémiologiques des toxicomanes se transforment considérablement. Le drogué est devenu [depuis les années 80] le « paumé » des banlieues. (233)
Ce qui a fait exploser le consensus des années 70 est l'irruption de deux mondes jusqu'alors absents du champ de la toxicomanie :
1) Le médical, qui mobilise les arguments de santé publique, de survie et de protection de la communauté ;
2) l'économique qui insiste sur une vision rationnelle du recours aux drogues (stratégie de survie économiquement rationnelle). L'usage de drogues devient susceptible d'une régulation fondée sur une optimisation économique. (248)
Réduction des risques
Cf. réduction des risques = recherche du moindre mal (7) cf. programme de bas seuil
Introduction à grande échelle de la méthadone en 1995-1996. Cf. décision d'une politique française de réduction des risques. (12)
La réduction des risques a été élaborée en Grande-Bretagne et en Hollande (273)
Le vocabulaire change : on parle de risques sanitaires, de stratégies palliatives, de toxicomanes rationnels, de moindre mal, de santé publique, d'accueil dit de bas seuil, d'usagers de drogue, etc. Ce que certains appellent les indicateurs rhétoriques. L'expression « usager de drogue » reflète ainsi une position idéologique qui oppose une conception ascétique de la liberté conçue comme un progrès vers la maîtrise de soi, une lutte contre les aliénations, à une conception libérale et individualiste. (274)
Avec l'Association de toxicomanes ASUD, on substitue à un drogué irrationnel, manipulateur et « malade » un usager de drogue, capable de prendre en main sa santé et sa vie sociale et surtout de faire entendre son opinion et ses besoins. (291)
Abandonner les objectifs d'abstinence et reconstruire l'ordre des priorités : « Je me rendais compte que l'abstinence n'était pas préférable à tout : la dépendance demeurait préférable à la mort. » (275)
L'adoption de la réduction des risques fait glisser les acteurs d'une morale de la conviction à une morale de la responsabilité. (276)
« Ce sont des lobbies d'inspiration libérale qui souhaitent appliquer à ce fait de société [la toxicomanie] un remède d'économiste. » Paul Quilès en 1993 (278)
Sida et drogue
C'est le sida qui introduit la logique de la réduction des risques en Grande-Bretagne vers le milieu des années 80. Les Anglais ont considéré que la diffusion du sida était une menace plus importante pour la santé de la nation que ne l'est l'abus de drogue. (9)
Redéfinir la hiérarchie des priorités (10)
« A l'exception des Pays-Bas, les changements ont été adoptés sous la menace du sida. Ces nouvelles stratégies se sont imposées d'autant mieux que le bilan des années de guerre à la drogue n'a rien de glorieux. » A. Coppel (11)
À partir de la fin des années 80, on montre l'efficacité des programmes méthadone dans la réduction de la diffusion du sida. (248)
La première offensive : la méthadone au titre de la prévention du sida. Le premier tournant est marqué par l'arrivée de Bernard Kouchner au poste de ministre chargé de la Santé, au début de l'année 1992. Il lance ce qui va devenir une véritable bataille. (277)
Au moment où il meurt chaque jour un toxicomane sidéen de plus, soigner la toxicomanie à proprement parler est une luxe, affirment les contestataires à la politique des soins. (279)
Chantage au désastre, redéfinition des problèmes et de leur hiérarchie (279)
Isabelle Stengers avait écrit une analyse sévère de la politique française des soins. (279)
Constitution en 1993 du collectif « limiter la casse » (279)
Les « humanitaires » mobilisent sur le thème de la prévention de la diffusion du sida. (280) Les principes de la réduction des risques, incarnés à l'occasion par ces médecins humanitaires (Médecins du monde) (286)
Médecins du monde : « Le projet d'ouverture de places de méthadone ne se situe plus dans un objectif thérapeutique par rapport aux problèmes de la dépendance mais vise de manière quasi exclusive la prévention du VIH et l'accès aux soin des toxicomanes vivants avec le VIH ; » 18 mai 1993 (286)
Un psychiatre : « À partir du moment où Kouchner est devenu ministre, Médecins du monde est devenu 'le petit prince'. » (290)
Priorisation de la gestion de l'épidémie de VIH sur le soin de la toxicomanie : la lutte contre la toxicomanie et la politique sanitaire en la matière risquent bientôt de ne plus être abordée que sous le seul angle de la prévention du sida et de la gestion des risques sanitaires et sociaux. (292)
Mais pourtant sida et drogues font 2
« Les 'toxicos' ne sont pas identiques aux malades du sida car les raisons d'être 'toxico' subsistent malgré la séropositivité. » Claude Olievenstein en 1991 (239)
La lutte contre le sida et la lutte contre la toxicomanie sont deux objectifs de santé publique bien différenciés. (240)
La libéralisation de la vente de seringue (décret du ministère de la Santé du 13 mai 1987 : Mme Barzach) fut présentée non comme une mesure concernant le soin de la toxicomanie mais comme une mesure de lutte contre le sida. (243)
Médecine
À partir du milieu des années 80, déplacement dans la médecine : remplacer un modèle curatif par un modèle préventif. Au lieu de se contenter d'intervention dans l'après-coup, lorsque la pathologie s'est déjà installée, il faut agir en amont de l'épisode pathologique pour l'éviter. (247)
Les opposants à la politique de réduction des risques ont peur de voir advenir un système dans lequel des médecins s'en tiennent au discours manifeste de leurs patients pour décider la prescription. (288)
La carrière des médecins !
« Quand on est jeune médecin, on a tout intérêt à s'intéresser à la toxicomanie, à ouvrir un centre méthadone. Il y a de l'argent, on a un pouvoir médical et une reconnaissance facilement. C'est un secteur dans lequel, av un peu d'énergie, on peut faire facilement carrière, être reconnu socialement et diriger une équipe. La toxicomanie est un raccourci de carrière évident. Dans la psychiatrie ou dans la médecine générale, avant de sortir une thèse ou une approche originale, il faut se lever de bonne heure. » (316)
Maladie et alors maladie chronique ?
En dehors de tout traitement de la toxicomanie, l'hypothèse basse sur la méthadone est un outil supplémentaire indispensable dans certains cas : femmes enceintes, malades en phase terminale, vieux toxicomanes incurables, etc. (252)
La méthadone va se rendre indispensable dans les hôpitaux pour sa capacité à « lubrifier » la sociabilité des toxicomanes. (257)
L'existence des « scènes » (en Suisse) va faire progressivement passer de la figure d'un drogué « criminel » à celle d'un malade. (260)
Efficacité de ce nouveau paradigme ?
- Quant au sida

Aujourd'hui, des experts de tous bords, et pas seulement français, font valoir que les programmes de bas seuil ne sont pas complètement « rentables » au regard de l'objectif sida. (281)
La prévalence du sida dépendrait plus d'un gradient Nord / Sud que de la mise à disposition extensive du produit de substitution. Cf. différence Nord / sud en France même. Cf. différence Italie, Espagne / Pays-Bas La causalité entre faible diffusion de l'épidémie et distribution extensive et indifférenciée de méthadone ne serait pas confirmée. Et l'exemple de New York prouverait que la méthadone n'est pas une solution radicale. (281-282)
La causalité entre faible prévalence du sida et disponibilité extensive des produits de substitution n'est pas avérée scientifiquement. L'argument d'efficacité ne permet pas de trancher en l'état actuel des connaissances. (299)
- Quant à la sortie de la toxicomanie
Les programmes de substitution à la méthadone n'apportent pas de résultats supérieurs à ceux obtenus par les techniques concurrentes. L'argument d'efficacité ne permet pas de trancher en l'état actuel des connaissances. (299)
Divers
La répartition des positions concernant la drogue ne répond pas strictement à l'opposition droite / gauche. (285)