Propos de jeunes et
d’enfants, abandonnés par les pouvoirs publics en plein milieu du
trafic de crack
Ci-joints des propos de jeunes et d’enfants récemment recueillis par Christian Poitou (avril 2002). Ces petits habitent rue du Département, au cœur même de ce qui a constitué une « scène ouverte » du crack pendant tout l’été 2001.
Le moindre des méfaits du trafic de crack n’est pas les épreuves qu’il impose aux petits du quartier et dont ces propos recueillis témoignent. Comment les pouvoirs publics ont-ils pu laisser faire cela ? Comment rester indifférent à cette brutalisation de l’enfance, à ce qu’elle signifie pour les petits comme spectacle dégradant, menaces, angoisses ? Où sont les pouvoirs publics quand une telle violence s’exerce, à longueur de mois, sur les jeunes, sur les enfants, sur les petits ? Et s’ils ne protègent pas les innocents, comme leur mission les y oblige, qui le fera ?
Depuis un an bientôt, habitants et commerçants se sont dressés contre ce trafic criminel et n’ont eu de cesse de réclamer que la police, les municipalités et les ministères fassent leur travail. Les pères du quartier en particulier font leur devoir ; il serait temps que les pouvoirs publics fassent également le leur.
Que ces témoignages rappellent à chacun ses responsabilités face à la jeunesse du quartier !
Carla
(15 ans) :
« Les dealers me
font peur et me donnent envie de déménager. Un jour, il y a eu
une bagarre dans la rue et les toxs ont cassé la voiture de mon
père. Mes amies avaient peur aussi de venir me voir.
Il faut dire à tous les
jeunes de faire attention : ceux qui traînent le soir risquent de
rentrer dans la drogue. »
Daloba
(15 ans) :
« Les drogués
devant la porte, ça fait peur et ça empêche d’avoir des
relations avec les autres jeunes du quartier. J’aimerais bien avoir
davantage d’amis. »
Thomas
(11 ans) :
« Mes parents
viennent me chercher à l’école par prudence. Comme papa
n’est pas très zen, j’étais toujours inquiet quand on
passait devant les dealers. On les voyait avec des liasses de billets de
500 F et il y avait aussi des enfants autour d’eux. J’ai peur
quand je sors mon chien. »
Amadou
(12 ans) :
« J’évite
d’aller à la Bibliothèque car ça
m’embête de passer devant les drogués. Ma mère
m’a dit de ne jamais leur parler. J’ai peur d’aller à
l’école et de revenir chez moi. »
Gladys
(10 ans) :
« Je m’arrange
toujours pour rentrer de l’école avec des amis, mais jamais toute
seule.
J’essaie de ne pas trop
parler de la drogue avec mes copines car j’ai peur que ça rentre
trop dans la tête. Quand j’en parle c’est parce que je sais
que la situation est anormale.
Un jour, j’ai vu une dame
qui sortait un sac plastique de sa culotte avec de la drogue dedans et on lui a
donné beaucoup d’argent.
Je pense que les dealers
doivent arrêter car il y a beaucoup d’enfants dans le quartier. Ils
montrent le mauvais exemple. Certains enfants jouent devant eux et peuvent
être tentés de recopier ce qu’ils font.
Avec l’argent
qu’ils ont, ils devraient plutôt faire de bonnes actions ; au
moins de ne plus se bagarrer, de dire moins de gros mots et de se respecter
plus. »
Liliana
(13 ans) :
« Je ne vais pas
à la Bibliothèque quand il y a les dealers. Ma sœur me dit
de pas les écouter. J’ai vu une fille, il n’y a pas longtemps,
qui se droguait dans le recoin à l’entrée de mon immeuble.
J’ai eu très peur car il faisait noir. Elle était toute
seule. Elle s’est excusée en affirmant qu’elle ne voulait
pas nous faire du mal.
L’an dernier, j’ai
vu un dealer qui sortait des sachets bleus de sa bouche puis les a
confiés à un autre qui lui a donné de
l’argent. »
Brahim
(11 ans) :
« Quand les dealers
étaient là, je ne posais pas de question, car je pensais que
c’était un problème d’adultes. Mais ça me
semblait bizarre ! Plusieurs fois, mon père a été
obligé de se battre pour rentrer chez nous. »
Ania
(10 ans) :
« Les drogués
me regardaient bizarrement. Il n’y avait pas de sécurité
qui surveillait et j’avais très peur. Un jour l’un
d’eux m’a fait une menace de mort avec la main dans les escaliers
de mon immeuble puis m’a dit qu’il me tuerait si j’appelais
ma mère. Une fois, j’étais sortie pour acheter du pain, un
autre m’a suivi et a voulu rentrer de force dans mon immeuble. Ma
mère a appelé la Police. Mon frère également a
été frappé par un drogué.
Il faut que tout le monde
défende le quartier. La maîtresse me dit qu’à
l’école elle est responsable de nous et met en garde contre tous
ces problèmes. Il faut aussi que les enfants arrêtent de racketter
les plus petits qu’eux, qu’ils ne fassent plus des demandes de
remboursement. »
Gaétan
(8 ans) :
« J’ai vu des
gens bizarres qui échangeaient des billets et des sachets devant chez
moi.
J’aimerais bien que
l’on ferme le squat d’en face et qu’on mette les gens dans le
nouvel immeuble construit à côté.
Je voudrais qu’il y ait
moins de voitures dans le quartier, moins de pollution, moins de maisons et
surtout un terrain de foot. »
Kaïs
(11 ans) :
« Les personnes
avaient beaucoup de billets de banque et des sachets bleus. Ma mère me
disait de faire très attention. Il faudrait écrire un texte qui
parle de la drogue. On pourrait aussi faire encore des manifestations.
J’aimerais bien
qu’il y ait un gymnase dans le quartier. »
Mouloud
(12 ans) :
« J’étais
étonné de voir tous ces gens devant chez moi et ça me
faisait un peu peur. J’en parlais avec les copains.
Je pense que les gens peuvent
réagir, ne pas se laisser faire.
J’aime bien aller
à l’école. Mais il faudrait demander aux écoles de
faire sortir les enfants plus tôt le soir. Certains sortent à
19 heures quand il fait nuit.
J’aime bien aussi faire
du sport. Dans certains endroits, il y a des salles de sport qui permettent aux
jeunes de ne pas traîner dans les rues. »