Le Point de vue de François (22 ans) *

enseignant la danse hip-hop (15 mai 2002)

 

« La culture hip-hop, c’est quatre activités : le graphe, la musique, la danse et le chant. Ça peut plaire à tout le monde, c’est déjà s’occuper.

La danse, c’est « comme une drogue saine », c’est une hygiène de vie. On y trouve des sensations qu’on peut pas trouver ailleurs, par exemple quand tu tournes sur la tête. Quand on a fini, on a qu’une envie, c’est de recommencer. Et quand ça marche, tu as envie que ça s’arrête pas. Ces sensations sont tellement fortes qu’on a pas besoin de drogues.

Ceux qui sont pas sportifs, ils ont le dessin. Chacun trouve son truc.

Ceux qui scratchent, quand ils commencent avec les platines, ils y mettent tellement que c’est un truc qui fait crier le public et ça, c’est de l’adrénaline. Et c’est pareil pour les rappeurs.

Le tag vandale, c’est pareil. ça fait quelque chose, ça fait un truc. Il faut le vouloir, il y a un risque quand tu vas sur les rails du métro avec l’électricité, ou la nuit en un endroit interdit et dangereux. C’est un petit jeu avec ce qui est risqué **. Alors on est fier. On ressent que des trucs positifs. On montre qu’on existe. Et on est reconnu.

 

Je peux pas dire que c’est ça qui m’a empêché d’aller dans la came. De toutes façons, je voulais pas tousser, je voulais être bien physiquement. Et je voulais pas dealer. Je voulais par ramener de l’argent sale. Rien qu’à voir les dégâts que fait la came, ça te dégoûte : tu vas tirer le sac d’une vieille dame et si ça se trouve, c’est peut-être ta voisine. Rien que d’y penser, pour moi c’est la haine.

J’organise des trucs pour qu’il se passe des choses. Moins tu as de choses à faire, et plus tu as de chances de tomber là-dedans. Et plus tu as de choses à faire, moins tu as de chances de tomber là-dedans.

Il faut essayer de mettre d’autres images devant eux.

Pour que les jeunes tombent moins facilement, il faut qu’ils trouvent une activité très tôt, un truc à faire. Le hip hop, c’est bien, c’est pas payant. Tu peux faire ça dans la rue. Tu peux danser partout.

Pour moi, la came, c’est tellement pas présent que j’en parle pas. ça existe pas. Quand on met trop en avant les choses, on peut avoir envie d’y toucher.

 

Pourquoi je m’en suis sorti et pas eux ? C’est une question de volonté, et aussi c’est plus profond : il y a l’entourage, les influences, les plus grands, l’histoire des grands frères, l’exemple. Moi, mon exemple, c’était quelqu’un de positif. Le « grand frère », c’est quelqu’un du quartier, pas forcément quelqu’un de la famille. Mais c’est pas ton père. Mon père il est trop vieux pour servir d’exemple. Il a pas vécu les mêmes choses que moi. Le père en plus, il est pas tout le temps là. Généralement, il coupe l’enfant de la réalité. Alors l’enfant il reste rebelle dans lui, mais il voit pas le monde réel. À la majorité, il va prendre ses ailes d’un coup et vouloir faire tout et n’importe quoi.

Mon père, il m’a laissé le maximum de liberté. Il m’a mis à six ans une cigarette dans la bouche. Ça m’a dégoûté, et pour moi, c’est terminé pour la vie. Ma mère m’a fait goûter le verre de vin. Pareil. Pas de censure chez moi. Mais ça, ça marche pour les trucs légaux, ça marche pas pour le reste.

 

Ceux qui prennent la drogue dure, ils essaient parfois d’arrêter en voulant danser. On voit que c’est trop dur pour eux. Après, c’est sa volonté à lui si il arrête. C’est personnel. Peut-être il a été dans la rue trop tôt. C’est chacun sa vie.

Les grands, ils ont tellement repoussé la drogue dure que les plus jeunes ont pas été formés. Maintenant tu vois des jeunes qui disent : « Je te laisse dealer au bas de la tour si tu me donnes un billet ». Ca, ça existait pas avant, parce qu’avant, vendre la drogue dure, c’était vendre la mort. »

 

* Cf. la neuvième chronique

 

** Attention : les jeunes se trouvent coursés par les flics parce qu’ils ont dessiné, pas parce qu’ils ont volé un sac à main !

 

 

 

Collectif anti-crack de Stalingrad (mai 2002)