Le Point de vue des Cocaïnomanes
anonymes
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Ci-joint différents textes prélevés sur le site des Cocaïnomanes anonymes (C.A.). Textes passionnants. Disons-le tout net : voilà enfin des toxicomanes intéressants ! Ceux que nous croisons dans les rues ne le sont guère : aucun d’ailleurs n’a su pour le moment formuler quelque idée originale que ce soit (relisez nos chroniques !) là où n’importe quel enfant du quartier sait pourtant le faire, sans parler des mères, des femmes africaines, des gens qui travaillent… Les toxicomanes des C.A., eux, écrivent des textes fourmillant d’idées neuves, et fortes.
Quelques points remarquables tirés de notre lecture de ces textes.
1) Le point de départ subjectif pour s’engager vers la sortie de la drogue est de se dire toxicomane, de cesser de se mentir, de s’avouer la chose. Foin désormais des périphrases, du type « usager de drogue ». Être toxicomane, ainsi, devient une identité subjective, et non pas objective : ce n’est plus une identité venue de l’extérieur, une étiquette, mais le nom commun qu’on se donne.
2) Ce nom devient un nom pour la vie. L’alternative n’est plus « toxicomane ou non toxicomane » mais « toxicomane accro ou toxicomane abstinent ».
3) L’essentiel, c’est « quand un toxicomane parle avec un autre toxicomane ». La preuve en est bien faite dans ces textes dont l’impact est tout autre que ce que des habitants peuvent produire. Mais alors, qu’un habitant parle avec un toxicomane, est-ce donc sans portée ?
4) Entre toxicomanes s’établit une fraternité s’il est vrai que fraternité nomme adéquatement la solidarité qui s’instaure entre personnes partageant la même condition, la même situation. Mais alors habitants et toxicomanes ne sauraient connaître la fraternité puisqu’ils ne partagent pas la même condition.
5) Ce qui compte, dans le processus vers l’abstinence, ce n’est pas la volonté mais la décision. Et l’on peut toujours décider quelque chose, au moins pour les cinq minutes qui viennent, nous indiquent les C.A. Et pour décider quelque chose d’aussi minuscule, pas vraiment besoin de volonté.
6) La micro-décision ouvre à la confiance en soi. Elle ouvre à l’espérance que cette petite victoire déjà remportée a portée plus vaste que son microscopique objet.
Remarque :
hope, en anglais, désigne
aussi bien l’espoir que l’espérance.
Si
l’espoir est toujours espoir de victoires qu’on n’a pas
encore connues là où l’espérance au contraire vient
après une victoire pour en configurer l’horizon de
validité, alors hope devrait
être ici traduit plutôt par espérance…
Ces points nous instruisent, nous qui tentons de parler avec les toxicomanes dans un rapport qui soit exigeant, et orienté vers l’abstinence.
1) Les nommer usager de drogue serait une lâcheté, dissimulant ce dont il s’agit dans nos échanges. Le juste nom est bien toxicomane, même s’il revient à chacun d’eux, au moment qu’il décidera, de l’endosser à titre personnel et non plus comme une identification externe.
2) Qui a vécu la toxicomanie en reste marqué à vie. C’est une frappe dont il ne se défera plus, qui restera à jamais le repère auquel étalonner sa liberté. Gloire aux toxicomanes abstinents !
3) Il n’est pas encore attesté qu’un habitant puisse vraiment parler avec un toxicomane. On peut certes comme habitant lui parler, il peut en retour nous parler : ceci ne suffit pas à établir un « avec » lui…
4) Notre exigence avec les toxicomanes est celle du face à face, qui nomme l’égalité décidée de deux libertés postulées. Mais, à proprement parler, pas ici de fraternité à l’horizon puisque nos situations restent radicalement hétérogènes.
5) Cela ne sert pas à grand-chose d’appeler le toxicomane à un sursaut de volonté. Par contre, on peut décider avec lui pour le moment présent, par exemple l’encourager à quitter le quartier un moment, en lui offrant pour ce faire un ticket de métro…
6) Un chemin qui s’invente se trace pas par pas. Nous ne suivons aucune piste déjà balisée. Il s’agit pour nous d’ajouter une minuscule victoire à une autre. Ceci implique de notre part une attention extrême à ce qui se joue à chaque instant car c’est clairement à nous, non au toxicomane rencontré, de proposer le nouveau pas, celui qui, une fois gagné, ouvrira l’espérance d’une route plus longue.
Nous avons déjà gagné quelques points. Une saine et lucide espérance est donc légitimement ouverte.
Collectif anti-crack de Stalingrad (mai 2002)
Qui est
cocaïnomane ?
Certains d’entre nous peuvent répondre sans
hésitation : « Moi ! » D’autres
n’ont pas la même certitude. Les Cocaïnomanes anonymes (C.A.)
sont d’avis que personne ne puisse affirmer qu’une autre personne
est toxicomane ou non. Pourtant, une chose est sûre : chacun
d’entre nous a déjà nié l’être.
« Je ne consomme que les week-ends » ou
« Ça ne nuit presque jamais à mon travail »
ou « Je peux arrêter, ce n’est qu’une
dépendance psychologique, pas vrai ? » ou
« Je ne fais que sniffer, je ne fais pas de freebase et je ne me
pique pas » ou « C’est ma relation qui me cause des
problèmes ».
Beaucoup, parmi nous, sont encore étonnés
du temps passé à rechercher le même effet qu’au
début, sans jamais le retrouver. Et nous avons continué de dire
et de croire — dans notre réalité déformée
— que la cocaïne nous donnait réellement ce qui nous avait
toujours échappé.
Nous ne reculions devant rien pour échapper
à nous-même. Les « lignes » devenaient plus
épaisses, les grammes disparaissaient de plus en plus vite, notre
réserve de la semaine disparaissait en une journée. Nous avons
raclé les sacs et les enveloppes de plastique avec des lames de rasoir,
nous avons gratté nos petites bouteilles brunes pour en extraire le
moindre grain, nous avons reniflé ou fumé le moindre grain blanc
que nous trouvions sur le plancher quand nous étions en manque. Nous qui
étions tellement fiers de notre esprit si équilibré !
Il n’y avait rien de plus important que notre paille, notre pipe, notre
seringue. Peu importe si ça nous rendait misérables, il nous en
fallait.
Certains d’entre nous mêlaient la
cocaïne, l’alcool ou les médicaments pour changer le mal de
place, mais en fin de compte, cela n’a fait qu’aggraver nos
problèmes. Enfin, nous avons essayé d’arrêter par
nous-même et avons parfois réussi pendant quelque temps.
Après un mois, nous avons cru reprendre le contrôle. Nous avons
cru que notre organisme s’était purifié et que nous
pourrions retrouver l’euphorie des beaux jours en réduisant la
dose de moitié. Cette fois, nous ferions attention de ne pas
dépasser la limite. Nous nous sommes pourtant retrouvés à
la même place et même plus bas.
Nous ne quittions jamais la maison sans d’abord
avoir consommé. Nous ne pouvions pas faire l’amour sans consommer.
Nous ne pouvions pas parler au téléphone sans cocaïne. Nous
ne pouvions plus dormir ; parfois il nous semblait même impossible
de respirer sans cocaïne. Nous avons essayé de
déménager, de changer de ville, de travail, de conjoint —
croyant que les circonstances, les lieux et les gens étaient
responsables de nos problèmes. Nous avons peut-être même vu
un ami cocaïnomane mourir d’arrêt respiratoire et,
malgré tout cela, nous avons continué de consommer ! En fin
de compte, nous avons dû faire face à la musique. Nous avons
dû admettre que la cocaïne était un grave problème
dans nos vies et que nous étions bel et bien cocaïnomanes.
Comment
sommes-nous arrivés aux Cocaïnomanes anonymes ?
Quelques-uns d’entre nous ont touché un
bas-fond physique qui s’est manifesté sous une forme ou
l’autre : un saignement de nez inquiétant,
l’impuissance sexuelle, une perte de sensation ou la paralysie temporaire
d’un membre, une perte de conscience et un séjour à
l’urgence, ou encore une attaque causée par la cocaïne qui
nous a rendus handicapés. C’était peut-être
finalement notre reflet décharné dans le miroir.
Pour d’autres ce fut un bas fond émotif ou
spirituel. La belle vie était finie, le temps de la coke était
révolu. Peu importait la quantité consommée,
l’euphorie d’avant nous échappait toujours. Nous trouvions
à peine une libération temporaire de l’abattement et
souvent, nous n’y arrivions même pas. Nous avions de violentes
sautes d’humeur. Peut-être reprenions-nous nos sens après
avoir menacé ou même blessé un être cher en exigeant
désespérément de l’argent que nous croyions
caché. Nous nous éloignions de nos amis, de ceux qui nous
étaient chers, de nos parents, de nos enfants. Nous fuyions la
société, nous nous éloignions du ciel, de tout ce qui
était sain. Même notre fournisseur, notre
« ami », devenait un étranger quand nous
l’abordions sans argent. Peut-être nous sommes-nous
éveillés horrifiés de l’isolement dans lequel nous
nous étions placés en consommant seuls, étouffés
par nos peurs égocentriques et notre paranoïa. Nous avons
même pensé au suicide et nous avons peut-être tenté
de mettre fin à nos jours. D’autres encore ont touché leur
bas-fond lorsqu’ils ont perdu leur emploi, leur crédit et leurs
biens à la suite de leurs folles dépenses et de leurs mensonges.
Quelques-uns d’entre nous en sont même arrivés à ne
plus être capables de vendre pour supporter leur consommation, car ils
consommaient leurs propres stocks. Nous n’avions plus les moyens de
consommer. Parfois même, la justice s’en mêlait. La plupart
d’entre nous ont dû s’avouer vaincus par un mélange de
problèmes financiers, physiques, sociaux et spirituels.
Lorsque nous avons rencontré les C.A., nous avons
appris que la dépendance à la cocaïne était une
maladie progressive, chronique et potentiellement mortelle. Notre
expérience nous avait déjà enseigné que,
contrairement aux croyances populaires, la cocaïne est probablement la
substance qui crée la plus grande dépendance chez les humains.
Nous avons appris avec soulagement que la dépendance n’est pas
seulement un problème moral ; il s’agit d’une
véritable maladie contre laquelle la volonté seule ne peut rien.
Malgré cela, chacun d’entre nous doit assumer la
responsabilité de son rétablissement. Il n’y a ni secret,
ni magie. Nous devons tous arrêter et demeurer abstinents ; mais
nous ne sommes pas obligés de le faire seuls.
Que faire en
premier lieu ?
Au nouveau qui se demande quoi faire en premier lieu pour
devenir abstinent, nous répondons qu’il a déjà fait
ce qu’il fallait en s’avouant et en avouant maintenant à
d’autres qu’il a besoin d’aide, en assistant simplement
à une réunion ou en demandant des renseignements sur le programme
des C.A.
Nous lui disons aussi qu’il fait en ce moment ce
qu’il faut pour demeurer dans la bonne voie : il ne consomme pas.
Notre programme fonctionne un jour à la fois. Nous vous suggérons
de ne pas songer à demeurer abstinent pour le reste de votre vie, ni
pour un an, ni même pour une semaine. Une fois que vous avez
décidé d’arrêter de consommer, il ne faut pas
s’inquiéter du lendemain. Vous n’êtes pas
obligé de consommer, pour aujourd’hui seulement. Il arrive
cependant que même une journée sans consommer de drogue soit un
trop grand défi pour nous. Qu’importe ! Ne pensez
qu’aux dix prochaines minutes. Vous pouvez en avoir le goût, mais
l’important est de ne pas consommer pendant ces dix minutes. Après
dix minutes, voyez où vous en êtes. Vous n’avez
qu’à répéter cette simple procédure aussi
souvent que nécessaire en prenant le temps qui vous convient. Pour
aujourd’hui seulement, vous pouvez vous abstenir de consommer !
Nous décourageons l’utilisation de quelque
substance psychotrope (qui modifie l’équilibre mental) que ce
soit, y inclus l’alcool ou la marijuana. L’expérience des
toxicomanes qui se sont engagés dans notre programme, ou dans un autre,
démontre clairement que la consommation de toute drogue peut amener une
rechute ou créer une autre dépendance. Si vous êtes
dépendants d’une autre substance, il vaut mieux y voir. Si vous ne
l’êtes pas, vous n’en avez pas besoin, et il n’est donc
pas utile de tenter l’expérience. Nous vous suggérons
vivement de suivre ce conseil qui émane de l’expérience
douloureuse d’autres toxicomanes. Vous croyez-vous différents
d’eux ?
Nous avons cru que la cocaïne nous rendait
très heureux, mais ce n’était pas le cas. Chez les C.A., nous
apprenons un nouveau mode de vie. Nous disons qu’il est spirituel mais
non religieux — l’athée comme le croyant le plus fervent
peuvent découvrir nos valeurs spirituelles. Nous sommes des
cocaïnomanes reconnaissants d’être en rétablissement et
nous vous demandons d’écouter attentivement le récit de nos
vies. Bien écouter, c’est là la chose la plus
importante ! Nous savons d’où vous venez parce que nous y
étions, nous aussi. Malgré tout, nous faisons maintenant partie
du monde des vivants, libérés de la drogue et, en prime nous
sommes heureux ; plusieurs d’entre nous n’ont jamais
été si heureux de leur vie. Rares sont ceux qui
échangeraient les derniers six mois ou la dernière année
dans le programme de rétablissement des C.A. contre leur ancienne vie.
Personne ne prétend qu’il est facile de
casser la dépendance. Nous avons dû changer notre ancienne
manière de penser et de nous conduire. Il nous a fallu être
disposés à changer. Et c’est ce que nous faisons, avec
gratitude, un jour à la fois.
Que sont les
Cocaïnomanes anonymes ?
Nous sommes une association d’hommes et de femmes
qui partagent entre eux leur expérience, leur force et leur espoir dans
le but de résoudre leur problème commun et d’en aider
d’autres à se rétablir. Nous ne demandons ni cotisation ni
droit d’entrée. La seule condition pour devenir membre est le
désir d’arrêter de consommer et d’assister aux
réunions.
Les Cocaïnomanes anonymes sont ouverts à
toute personne qui désire en finir avec la cocaïne, y compris sous
forme de crack, et toutes les autres substances qui altèrent le
comportement. Nous subvenons à nos besoins grâce aux contributions
volontaires de nos membres, nous refusons poliment toute contribution
extérieure. Nous ne sommes associés à aucune secte,
dénomination, groupe ou parti politique, organisation ou institution.
Nous sommes tous sur le même pied
d’égalité. Aucun thérapeute n’offre de
traitement et personne ne « dirige » le groupe. Tous ceux
et celles qui assistent aux réunions le font parce qu’ils
désirent individuellement cesser de consommer de la cocaïne. Nous
sommes des hommes et des femmes de tous âges, de toutes races et de
toutes conditions sociales, dont la maladie est le lien commun. Nous avons
emprunté notre programme, les Douze Étapes du
rétablissement, aux Alcooliques anonymes à qui nous sommes
redevables. Leur expérience de plus de 60 ans (depuis 1935) dans le
domaine d’abus de substances nous enseigne que la meilleure aide
qu’un toxicomane puisse recevoir est celle d’un autre toxicomane et
voit dans le service aux autres un chemin vers la libération de la
dépendance Certains arrivent aux C.A. alors qu’ils suivent une
cure de désintoxication ou une thérapie individuelle. Nous leur
disons : « Très bien. Faites ce que vous croyez utile
pour vous. Cependant notre expérience nous a enseigné qu’un
toxicomane risque de rechuter sans l’appui de ses
semblables. »
Nous pensons que quand un toxicomane parle à un
autre toxicomane, il peut s’opérer un niveau de
compréhension mutuelle et une fraternité difficiles à
atteindre autrement. Le fait qu’un individu se soit rétabli de sa
dépendance et qu’il le transmette gratuitement à un autre,
voilà un puissant message à l’adresse de quiconque cherche
désespérément une issue à sa propre
dépendance. C’est là un lien qui nous unit par-delà
toutes les différences sociales.
Nous recevons les nouveaux membres avec beaucoup plus de
chaleur et d’accueil qu’ils ne peuvent l’imaginer car ils
sont la vie même de notre programme. C’est principalement en
transmettant le message de rétablissement à nos semblables que
nous pouvons demeurer abstinents. En aidant les autres, nous nous aidons
nous-mêmes.
Les Cocaïnomanes anonymes ont débuté
à Los Angeles en 1982. En 1996 l’association comptait environ
30 000 membres répartis dans plus de 2 000 groupes.
Douze
Étapes
Les Douze Étapes décrivent le Programme de
Rétablissement utilisé par les Cocaïnomanes anonymes.
1. Nous avons admis que
nous étions impuissants devant la cocaïne et toutes les autres
substances qui altèrent le comportement — que nous avions perdu la
maîtrise de nos vies.
2. Nous en sommes venus
à croire qu’une Puissance supérieure à
nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.
3. Nous avons
décidé de confier notre volonté et nos vies aux soins de
Dieu tel que nous Le concevions.
4. Nous avons courageusement
procédé à un inventaire moral, minutieux de
nous-mêmes.
5. Nous avons
avoué à Dieu, à nous-mêmes et à un autre
être humain la nature exacte de nos torts.
6. Nous avons pleinement
consenti à ce que Dieu élimine tous ces défauts de
caractère.
7. Nous Lui avons
humblement demandé de faire disparaître nos déficiences.
8. Nous avons
dressé une liste de toutes les personnes que nous avions
lésées et consenti à leur faire amende honorable.
9. Nous avons
réparé nos torts directement envers ces personnes partout
où c’était possible, sauf lorsqu’en ce faisant, nous
pouvions leur nuire ou faire tort à d’autres.
10. Nous avons poursuivi
notre inventaire personnel et promptement admis nos torts dès que nous
nous en sommes aperçus.
11. Nous avons
cherché par la prière et la méditation à
améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions,
Lui demandant seulement de connaître Sa volonté à notre
égard et de nous donner la force de l’exécuter.
12. Ayant connu un
réveil spirituel comme résultat de ces Étapes, nous avons
alors essayé de transmettre ce message à d’autres
cocaïnomanes et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines
de notre vie.
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