Lutter contre le crack ne saurait être l'affaire simplement
de la police. Certes c'est à la police et à personne
d'autre de réprimer les dealers : de les interdire d'action,
de les conduire en prison. Le trafic de crack est criminel - il
ne s'agit pas de simple délinquance - et les truands doivent
être pourchassés et neutralisés par l'État.
Mais si le trafic de crack se développe, ce n'est pas parce
qu'il y a plus de dealers qu'avant ; c'est parce qu'il y a plus
de gens qu'avant pour demander du crack. Ainsi, en cette affaire
et sur le long terme, c'est la demande qui fait l'offre. Lutter
stratégiquement contre le crack - et non plus seulement
dans l'urgence, au coup par coup - implique alors de réduire
la demande ce qui ne saurait être une simple affaire de
police : emprisonner un toxicomane au seul motif qu'il se drogue
n'est guère productif ; les raisons que peut avoir le toxicomane
de se droguer restent en général intactes à
sa sortie de prison. En même temps qu'on réprime
sévèrement l'offre, il faut donc aussi s'attaquer
à ces raisons. Quelles sont-elles ?
La demande croissante de drogue matérialise la montée
d'un nihilisme contemporain dont la maxime a été
donnée par Nietzsche : «Plutôt vouloir le rien
que ne rien vouloir!», ce qui se dit ainsi pour le toxicomane
: «Plutôt vouloir ma drogue que ne rien vouloir!».
Extraire de la drogue ceux qui y sont englués, détourner
ceux qui seraient tentés d'y recourir implique de leur
proposer d'autres volontés que celles de mort, de destruction
et d'anéantissement. L'énergie de chacun est requise
pour opposer au nihilisme de la drogue l'intensité de projets
positifs d'existence car ceci est moins affaire d'écoles,
d'hôpitaux ou d'institutions que de parents, de frères,
d'amis, d'amants En ce point, l'État ne suffit pas et une
mobilisation de l'ensemble des forces sociales est nécessaire
: « Pas de société sans lutte contre la drogue
! ». Mobiliser comment?
Il faut d'abord prévenir les jeunes, les encourager à
se détourner du nihilisme de la drogue, moins en leur faisant
peur qu'en développant leur mépris contre cette
servitude volontaire et leur appétit pour une liberté
agissante.
Il faut aussi aider les toxicomanes, piégés dans
leur dépendance, à vouloir autre chose que le crack.
Pour ce faire le Collectif anti-crack propose la création
d'un Samu-toxicomanie qui irait à la rencontre des crackés
et autres toxicomanes en leur proposant les soins adaptés
à leur état et en leur offrant la possibilité
de s'écarter quelque temps de la scène de la drogue
sous forme de nuitées et courts séjours loin de
toute tentation, leur permettant ainsi de se reconstituer et de
réfléchir tranquillement à des propositions
durables de désintoxication.
François Nicolas (Collectif anti-crack de Stalingrad, Paris)