RUE D'AUBERVILLIERS, numéro 13. A Stalingrad, l'immeuble
misérable sis à cette adresse est connu aussi sous
le nom de « crackhouse », repaire des dealers de crack
et abri des consommateurs. Hier soir, une cinquantaine d'habitants
du quartier se sont rassemblés au pied de cet immeuble.
La manifestation entendait appeler les dealers à quitter
les lieux, toute en soutenant les familles africaines qui vivent
dans les étages. « Les dealers dehors, relogement
immédiat des familles. » Kadiatou scande sans réserve
les mots d'ordre de la manifestation. Cette jeune Malienne habite
au deuxième étage du bâtiment depuis sept
longues années. « Mon enfant est à l'internat.
Il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. Lorsqu'il pleut,
l'eau arrive jusqu'à mon appartement. On a peur d'être
volé. Aucun habitant n'est en bonne santé. Certaines
personnes qui viennent squatter les escaliers ont menacé
de mettre le feu si on appelait la police. Il faut comprendre
que nous vivons ici malgré nous et que nous aimerions nous
payer un endroit convenable ». Son voisin, Haji vit dans
cet immeuble depuis treize ans et a toujours subi la proximité
avec les dealers. Aujourd'hui, sa femme et ses trois enfants l'ont
rejoint dans un appartement de 30 mètres carrés
sans eau ni toilettes. « Les toxicomanes viennent 24 heures
sur 24. C'est très difficile pour nous. Ma femme ne peut
pas sortir de la maison à cause des vols. Les enfants ne
peuvent pas jouer dehors. Je suis fatigué et c'est normal,
mais avoir peur sans cesse c'est grave », témoigne-t-il.
« En manifestant ici, nous perturbons les trafiquants
» Le collectif anti-crack organisateur de ce rassemblement
conserve les mêmes priorités qu'à l'automne
dernier lorsque les premières manifestations d'habitants
avaient accru la présence policière. « Nous
nous donnons toujours des objectifs réalisables. Il n'est
pas question de se substituer au DAL (Droit au logement). Nous
voulons simplement aider ces familles prises au piège du
trafic de crack. La préfecture et les maires d'arrondissement
doivent s'occuper de leur cas rapidement. En manifestant ici,
nous perturbons les trafiquants. Ils doivent quitter les lieux
même si ça ne résoudra pas le problème
sur le fond », précise François Nicolas membre
du collectif. Après les marches anti-crack et les tournées
de rues des pères de famille, les habitants se retrouvent
donc désormais dans le « périmètre
noir » du quartier Stalingrad, à la croisée
des X e , XVIIIe et XIXe arrondissements. Deux autres «
crackhouses » sont pointées du doigt par le collectif
: au 9 rue d'Aubervilliers (XVIII e ) et au 13, rue Bellot (XIX
e ). D'autres rassemblements y seront organisés ces trois
prochaines semaines. Une nouvelle mobilisation qui souligne le
ras-le-bol des riverains « abandonnés » comme
le ressent ce jeune observateur de la manifestation. « Je
vis dans cette rue depuis toujours et personne n'a jamais rien
fait pour nous. Ça en arrange beaucoup que la misère
se concentre sur cette zone. Quand on naît dans un quartier
pareil, il faut beaucoup de volonté pour s'en sortir ».
Marie Ottavi