Le Parisien (5 juin 2002)

(cliquer pour agrandir)


Stalingrad
Les habitants veulent déloger les dealers de crack


13, RUE D'AUBERVILLIERS (XVIII e ), HIER SOIR. Le collectif anti-crack a manifesté devant un immeuble qui tient lieu de repaire à des revendeurs de cette substance à base de cocaïne.   (LP/ANDY LECOQ.)

RUE D'AUBERVILLIERS, numéro 13. A Stalingrad, l'immeuble misérable sis à cette adresse est connu aussi sous le nom de « crackhouse », repaire des dealers de crack et abri des consommateurs. Hier soir, une cinquantaine d'habitants du quartier se sont rassemblés au pied de cet immeuble. La manifestation entendait appeler les dealers à quitter les lieux, toute en soutenant les familles africaines qui vivent dans les étages. « Les dealers dehors, relogement immédiat des familles. » Kadiatou scande sans réserve les mots d'ordre de la manifestation. Cette jeune Malienne habite au deuxième étage du bâtiment depuis sept longues années. « Mon enfant est à l'internat. Il ne peut pas vivre dans un endroit pareil. Lorsqu'il pleut, l'eau arrive jusqu'à mon appartement. On a peur d'être volé. Aucun habitant n'est en bonne santé. Certaines personnes qui viennent squatter les escaliers ont menacé de mettre le feu si on appelait la police. Il faut comprendre que nous vivons ici malgré nous et que nous aimerions nous payer un endroit convenable ». Son voisin, Haji vit dans cet immeuble depuis treize ans et a toujours subi la proximité avec les dealers. Aujourd'hui, sa femme et ses trois enfants l'ont rejoint dans un appartement de 30 mètres carrés sans eau ni toilettes. « Les toxicomanes viennent 24 heures sur 24. C'est très difficile pour nous. Ma femme ne peut pas sortir de la maison à cause des vols. Les enfants ne peuvent pas jouer dehors. Je suis fatigué et c'est normal, mais avoir peur sans cesse c'est grave », témoigne-t-il.
« En manifestant ici, nous perturbons les trafiquants » Le collectif anti-crack organisateur de ce rassemblement conserve les mêmes priorités qu'à l'automne dernier lorsque les premières manifestations d'habitants avaient accru la présence policière. « Nous nous donnons toujours des objectifs réalisables. Il n'est pas question de se substituer au DAL (Droit au logement). Nous voulons simplement aider ces familles prises au piège du trafic de crack. La préfecture et les maires d'arrondissement doivent s'occuper de leur cas rapidement. En manifestant ici, nous perturbons les trafiquants. Ils doivent quitter les lieux même si ça ne résoudra pas le problème sur le fond », précise François Nicolas membre du collectif. Après les marches anti-crack et les tournées de rues des pères de famille, les habitants se retrouvent donc désormais dans le « périmètre noir » du quartier Stalingrad, à la croisée des X e , XVIIIe et XIXe arrondissements. Deux autres « crackhouses » sont pointées du doigt par le collectif : au 9 rue d'Aubervilliers (XVIII e ) et au 13, rue Bellot (XIX e ). D'autres rassemblements y seront organisés ces trois prochaines semaines. Une nouvelle mobilisation qui souligne le ras-le-bol des riverains « abandonnés » comme le ressent ce jeune observateur de la manifestation. « Je vis dans cette rue depuis toujours et personne n'a jamais rien fait pour nous. Ça en arrange beaucoup que la misère se concentre sur cette zone. Quand on naît dans un quartier pareil, il faut beaucoup de volonté pour s'en sortir ».

Marie Ottavi