TOUT COMMENCE par une réunion hebdomadaire au bar-tabac
de la place Stalingrad (X e ). Thème abordé : le
trafic de crack et ses conséquences sur la vie des habitants.
Chaque mardi, les riverains concernés venus des X e , XVIII
e et XIX e arrondissements échangent leurs impressions
et s'organisent. Depuis six semaines, les pères de famille,
membres du collectif anti-crack de Stalingrad, ont décidé
de sillonner ensemble, sans agressivité, les rues touchées
par le trafic. A la fin de l'été dernier, ils étaient
plusieurs centaines à manifester leur colère face
au trafic de drogue et à l'insécurité qui
en découlait. Six mois plus tard, le trafic semble s'être
dispersé mais reste très présent. «
En septembre 2001, nous manifestions notre colère pour
que la police agisse contre les dealers qui envahissaient Stalingrad.
Il s'agissait d'actions offensives, un coup de poing sur la table.
Aujourd'hui, le trafic est sur la défensive mais il est
latent. La situation s'est très nettement améliorée.
Avec le retour des beaux jours nous savons que la drogue va recommencer
à circuler plus fortement. Avec les tournées, nous
nous organisons de façon plus durable et à un niveau
préventif », explique François Nicolas, avant
le départ.
Les mères aussi pourraient agir à l'avenir
Après avoir défini le périmètre
de la tournée, les huit pères présents ce
mardi partent vers la rue d'Aubervilliers, coeur du trafic, salués
par quelques « bon courage » qui reviendront comme
un leitmotiv au cours de la soirée. Tous vont, pendant
plus de deux heures, munis d'un tract rédigé en
français, arabe et chinois, à la rencontre des habitants,
des commerçants et des toxicomanes ; jamais vers les dealers.
Sekou, Jean-Luc, François, Abdelhamid et quatre autres
pères de famille, venus de toutes les communautés,
abordent tous les passants et prennent le temps d'expliquer leur
démarche. « Nous sommes des parents du quartier.
Nous essayons de lutter avec nos moyens contre la drogue et le
trafic. Nous rencontrons les jeunes pour parler avec eux de la
vie collective dans le quartier et pour les prévenir de
se tenir à l'écart du trafic. Il y a aujourd'hui
mieux à faire... » Ce discours sera répété
des dizaines de fois, et à chaque fois des encouragements
et des témoignages viendront les conforter du bien-fondé
de leur initiative. Leur marche les mènera ce soir-là
à Abdoulaye, accro au crack. Sa silhouette fantomatique
s'explique par quatorze ans de toxicomanie et un parcours jalonné
de plusieurs cures de désintoxication et de passages en
prison. Le dialogue s'instaure en français, en peul, dialecte
guinéen. « Qu'est-ce que des gens comme nous peuvent
faire pour vous aider ? » demande François Nicolas.
« Je dois m'en sortir seul mais je suis trop faible pour
ça », répond Abdoulaye. Le groupe restera
une vingtaine de minutes avant de poursuivre la tournée.
Tous savent qu'ils recroiseront Abdoulaye un autre jour, une autre
nuit. Au métro la Chapelle, une jeune mère du quartier
souhaite participer à l'action du collectif. Un local ouvert
aux femmes pourrait voir le jour prochainement près de
la place de Stalingrad. La tournée s'achève rue
d'Aubervilliers sous les insultes de très jeunes dealers
perturbés, une fois de plus, dans leurs habitudes.
Le collectif anti-crack tient une permanence chaque mardi, de 19 heures à 20 h 30 au café le Rallye, place de Stalingrad (X e ). Renseignements : www.entre-temps.asso.fr/stalingrad.
Marie Ottavi
Le Parisien , jeudi 18 avril 2002