Le Parisien + Aujourd'hui la France (14 mars 2002)

Père de huit enfants, François « se bat » contre les dealers


SON APPARTEMENT résume à lui seul la vie iconoclaste de François Nicolas. Situé à quelques mètres du quartier de Stalingrad à Paris, où sévissent dealers et toxicomanes, ce polytechnicien, diplômé de philosophie, compositeur de musique contemporaine, a entassé près de 10 000 livres, casé six de ses huit enfants, placé un piano et un orgue et accroché un trapèze et une corde dans la salle à manger.

La vie de ce père de famille, responsable du collectif anti-crack qui organise depuis mardi des « tournées rues » contre la drogue, a basculé le jour où il a eu des triplés et est venu s'installer dans cet arrondissement « sensible », le seul où il pouvait trouver une grande surface (160 m 2 ) à un prix raisonnable. Seul problème : les trottoirs sont envahis par les toxicomanes. « Ma femme s'est fait agresser. La nuit, il y avait des dizaines de dealers dans la rue. On ne pouvait plus passer. Je me suis retrouvé à la tête d'une famille nombreuse avec des responsabilités. Il fallait se protéger. Soit on partait, soit on se battait. J'ai décidé de réagir. »

Issu du mouvement soixante-huitard, François Nicolas a l'habitude du terrain social. Il a exercé pendant trois ans l'activité d'éducateur de rue avec les « blousons noirs » dans le quartier de la Bastille.

A l'âge de 54 ans, « celui d'être grand-père et d'en profiter paisiblement », il reprend son bâton de pèlerin social et rassemble les pères de famille du quartier. « Notre objectif est d'aller discuter avec les toxicomanes, explique-t-il. Nous leur disons qu'ils peuvent s'empoisonner, mais qu'ils ne doivent pas empoisonner notre vie. Par ailleurs, on essaie aussi de leur faire comprendre qu'il faut qu'ils essaient de sortir de ça. » Pas de morale ni de discours sécuritaire. Le dialogue s'instaure. Sans complaisance.

« Nous n'avons pas voulu créer une association, car nous espérons que dans un an nous ne serons plus là »

La première manifestation rassemble une dizaine de personnes. A la quatrième, ils étaient un millier. Le député-maire (PS) de l'arrondissement, Tony Dreyfus, commence à « s'intéresser » à eux : « Alors qu'avant, ils nous prenaient pour des blaireaux. » Les premiers effets se font sentir. Le quartier retrouve un certain calme, même si le trafic continue à prospérer. « Mais cet aspect-là, on le laisse aux policiers. » François Nicolas n'est pas dupe. Le combat sera long : « Nous n'avons pas voulu créer une association, car nous espérons que dans un an nous ne serons plus là. Mais ce sera difficile... »

L'exemple d'Evreux, où un père de famille a été tabassé à mort par une bande de jeunes, le laisse perplexe : « Je pense qu'il fait faire très attention à ce genre de situation. Il n'aurait peut-être pas dû aller seul là-bas. Il aurait fallu une réaction collective avec les professeurs du collège, les parents... Je sais par expérience que ce genre de démarche peut se révéler très dangereuse. »

Pour trouver un sens à sa démarche, François Nicolas cite volontiers Nietzsche et Jean Cavaillès, un philosophe qui prônait la « résistance logique ». Une résistance exercée en douceur, là-haut au sixième étage, au-dessus de la place de Stalingrad, au milieu d'enfants qui jouent. Insouciants.

QUARTIER DE STALINGRAD A PARIS, HIER. « Notre objectif est d'aller discuter avec les toxicomanes. Nous leur disons qu'ils ne doivent pas empoisonner notre vie », explique François Nicolas, à l'origine du comité « anti-crack ».

Christophe Dubois