Le Monde (8 juin 2002)

 

 


CARNET DE CAMPAGNE,

« Je veux rouvrir la question du combat contre la drogue en France »

Pendant que d'autres sont occupés par le foot ou les législatives, François Nicolas continue, imperturbable depuis quelques mois, à jouer les « Zorro » de Stalingrad. Tous les mardis soir, ce polytechnicien, devenu compositeur de musique contemporaine, fait la tournée du quartier à pied, à la tête d'un « collectif anti-crack ». Pas pour jouer aux gros bras, juste pour signifier aux dealers, qui se sont enkystés ici, à l'été 2001, entre métro aérien et bassin de La Villette, qu'ils ne sont pas totalement propriétaires des lieux. Certains ont cru qu'il commençait vraiment tôt sa campagne en vue des législatives et attendaient qu'il se déclare officiellement. D'autres se demandent pourquoi il ne se range toujours pas sous l'étendard d'un vrai candidat aux élections à la recherche d'une cause à défendre dans le Nord-Est parisien, dans les 5e, 19e et 20e circonscriptions. Mais le quinquagénaire ne veut plus entendre parler des politiques et tente juste d'accorder ses actes à ses pensées.
Stalingrad, été 2001. Monsieur Nicolas revient de vacances avec sa femme et ses huit enfants - deux d'une première femme, trois d'un premier homme et des triplés faits ensemble. Le quartier a changé. Madame est agressée au cutter par un « tox » au bas de l'appartement. Monsieur, en allant inscrire un de ses aînés à la bibliothèque Hergé, rue du Département, constate, effaré, que le crack s'y deale au nez des enfants. Il en fulmine encore : « Je ne suis pas du genre à m'engager dans des associations. J'ai mieux à faire qu'à perdre mon temps dans ces machines à obtenir des subventions. Mais la situation était révoltante. Une activité criminelle en plein Paris, dans des arrondissements gérés par des mairies socialistes ! Une pareille démission était honteuse. Je n'ai pas pu ignorer la réalité plus longtemps. J'avais six de mes gosses scolarisés dans le quartier, je devais agir. »
L'intello descend donc dans la rue, rassemble des voisins pères de famille, organise les premières tournées de quartier. L'initiative prend, les médias suivent. Contre toute attente, les « fachos », dit-il, sont tenus à distance. François Nicolas s'en réjouit : « On aurait pu penser qu'avec un pareil thème, l'insécurité, nous allions tous les rameuter. Mais nous leur avons coupé l'herbe sous les pieds. Nous n'avons jamais été ambigus. Nous ne demandons pas un doublement du nombre des policiers, mais juste que ces derniers fassent leur travail ordinaire, qu'ils patrouillent. »
Aujourd'hui, il passe à un autre mode d'action : le meeting sous les fenêtres des immeubles-épaves où s'est circonscrit le trafic, pour que les dealers quittent définitivement les lieux.
Ne serait-il pas temps de passer la main à un élu ? Pas question d'aller pleurer auprès de Roger Madec, Annick Lepetit ou Tony Dreyfus, les maires des trois arrondissements concernés. François Nicolas les tient en piètre estime. « Je n'ai pas envie de dépenser en vain mon énergie pour déplacer des paquets de nouilles. Si le fils de Fabius avait fréquenté la bibliothèque Hergé, le ménage aurait été fait en une semaine. De toute façon, ils ont complètement abdiqué sur la drogue, au nom de la priorité donnée à la lutte contre le sida. Du coup, mon combat est jugé dangereux. On m'accuse de me contenter de faire le ménage sur mon paillasson. Je ne supporte pas cette accusation. De mon paillasson aussi, je peux parler au monde entier. Je veux donc rouvrir la question du combat contre la drogue en France. »
Pourquoi ne pas se servir du bulletin de vote, les 9 et 16 juin, pour réconcilier l'action locale et l'expression de convictions plus universelles ? François Nicolas balaie l'hypothèse. Il est resté fidèle au soixante-huitard, au marxiste-léniniste, à l'éducateur de rue qui allait au-devant des blousons noirs de Bastille en 1970. Il n'a jamais voté de sa vie. Les présidentielles ne l'ont pas fait changer d'avis : « Ces dates ne sont rien, pas en tout cas des événements que j'attends pour rouvrir une vraie période politique comme au début des années 1970. Depuis Mitterrand, il n'y a plus de politique en France. Quant au vote, ce n'est pas un acte de liberté, c'est un acte qui déresponsabilise parce qu'on n'a pas à en répondre publiquement ou a posteriori. » En attendant le véritable électrochoc politique, « le nouveau Mai 68 », Monsieur Nicolas ne lâche pas les dealers. « Ici au moins, je suis dans la France telle qu'elle est. C'est un endroit dur mais vrai. »


CÉCILE DUCOURTIEUX

(LE MONDE INTERACTIF)