La Croix (26 décembre 2001)

Se mobiliser contre la drogue

François Nicolas
Collectif anti-crack, habitant du quartier de Stalingrad, à Paris

LIBRE OPINION
Le discours plaidant l'inanité d'un combat contre les drogues ronge les consciences.
La prévention ne viserait plus à détourner de la drogue mais à éviter les dommages collatéraux.

Le quartier de Stalingrad à Paris s'est mobilisé contre le trafic de crack. La population s'est réapproprié l'espace public que les dealers s'étaient accaparés.
La police a dû se remettre au travail pour disperser les bandes criminelles. Mais il n'est pas sûr que dure cet effort. Pourquoi ?
La démobilisation des pouvoirs publics n'était pas fortuite car un discours ronge les consciences, plaidant l'inanité d'un combat « contre » les drogues, en appelant d'un pragmatisme du « faire avec » la drogue puis passant allégrement au pur et simple « laisser-faire » : celui de la « politique de réduction des risques », « paradigme » en matière de toxicomanie depuis 1995.
Ce consensus se flatte de « désidéologiser » les discours, de les aborder « sans a priori dogmatique et moral », d'analyser techniquement les problèmes pour dégager pragmatiquement les solutions les plus efficaces. Pour désactiver les consciences, ce discours corrompt le langage par une rhétorique jouant sur les mots et révisant les nominations établies. Ainsi l'expression « usager de drogues » remplace celle de drogué.
Mais de la drogue, on n'use pas ; c'est elle qui vous use, et le cracker est un cracké ! Tout le vocabulaire se trouve ainsi perverti : les risques à éviter ne seraient plus d'introduire un poison dans le corps mais tiendraient aux infections opportunistes. La prévention ne viserait plus à détourner de la drogue mais à éviter les dommages collatéraux. L'« usager de drogue » devrait responsabiliser son auto empoisonnement et non plus ambitionner une abstinence.
Tout ceci ne peut tenir que si le crack devient autorisé, ce qui paraît extravagant ! En vérité, cette « politique de réduction des risques » n'est cohérente qu'à une double condition : d'abord l'organisation de centres officiels où consommer le crack. Ceci suppose des « maisons closes » où le cracké puisse se shooter, agrémentées d'un contrôle médical s'assurant que la dose n'est pas mortelle et que l'empoisonnement n'infecte pas ! Ceci s'accompagnerait d'une patente citoyenne accordée aux dealers alimentant le centre en crack ! Comment accepter cela si ce n'est au prix d'une lâcheté ? D'où le second volet : pour faire adopter de telles mesures, ce discours mise sur un lobbying d'habitants excédés par le trafic. Que les habitants en aient assez, nous en savons quelque chose ! Mais miser sur leur lâcheté en leur conseillant de tout apprécier à hauteur de leur paillasson abaisse ceux qui le proposent plutôt que ceux à qui ils s'adressent.
Nous ne saurions accepter que notre mobilisation puisse aujourd'hui servir à une telle politique. Si la population d'un quartier croit pouvoir acheter sa tranquillité par son silence sur les méfaits d'une telle politique, alors elle sera bien en mal d'exiger de la police qu'elle fasse son travail pour réprimer les dealers, des municipalités qu'elles rénovent les quartiers populaires sans en chasser la population existante, des services publics qu'il préviennent les jeunes des dangers de la drogue et aident les toxicomanes à sortir de l'enfer.
Nous avons manifesté le samedi 8 décembre devant la mairie du 18° arrondissement pour que ce pays se batte à la fois sur deux fronts : contre la drogue et contre le sida sans abandonner le premier combat sous prétexte de mieux mener le second. Pas plus contre le sida que pour d'autres combats, la fin ne justifie les moyens ! La protection par une hygiène des seringues ne doit pas s'accompagner d'un enfermement des toxicomanes dans le nihilisme de la drogue.