François Nicolas
Collectif anti-crack, habitant du quartier de Stalingrad,
à Paris
LIBRE OPINION
Le discours plaidant l'inanité d'un combat contre les drogues
ronge les consciences.
La prévention ne viserait plus à détourner
de la drogue mais à éviter les dommages collatéraux.
Le quartier de Stalingrad à Paris s'est mobilisé
contre le trafic de crack. La population s'est réapproprié
l'espace public que les dealers s'étaient accaparés.
La police a dû se remettre au travail pour disperser les
bandes criminelles. Mais il n'est pas sûr que dure cet effort.
Pourquoi ?
La démobilisation des pouvoirs publics n'était pas
fortuite car un discours ronge les consciences, plaidant l'inanité
d'un combat « contre » les drogues, en appelant d'un
pragmatisme du « faire avec » la drogue puis passant
allégrement au pur et simple « laisser-faire »
: celui de la « politique de réduction des risques
», « paradigme » en matière de toxicomanie
depuis 1995.
Ce consensus se flatte de « désidéologiser
» les discours, de les aborder « sans a priori dogmatique
et moral », d'analyser techniquement les problèmes
pour dégager pragmatiquement les solutions les plus
efficaces. Pour désactiver les consciences, ce discours
corrompt le langage par une rhétorique jouant sur les mots
et révisant les nominations établies. Ainsi l'expression
« usager de drogues » remplace celle de drogué.
Mais de la drogue, on n'use pas ; c'est elle qui vous use, et
le cracker est un cracké ! Tout le vocabulaire se
trouve ainsi perverti : les risques à éviter
ne seraient plus d'introduire un poison dans le corps mais tiendraient
aux infections opportunistes. La prévention ne viserait
plus à détourner de la drogue mais à éviter
les dommages collatéraux. L'« usager de drogue »
devrait responsabiliser son auto empoisonnement et non plus ambitionner
une abstinence.
Tout ceci ne peut tenir que si le crack devient autorisé,
ce qui paraît extravagant ! En vérité, cette
« politique de réduction des risques »
n'est cohérente qu'à une double condition : d'abord
l'organisation de centres officiels où consommer le crack.
Ceci suppose des « maisons closes » où le cracké
puisse se shooter, agrémentées d'un contrôle
médical s'assurant que la dose n'est pas mortelle et que
l'empoisonnement n'infecte pas ! Ceci s'accompagnerait d'une patente
citoyenne accordée aux dealers alimentant le centre
en crack ! Comment accepter cela si ce n'est au prix d'une lâcheté
? D'où le second volet : pour faire adopter de telles mesures,
ce discours mise sur un lobbying d'habitants excédés
par le trafic. Que les habitants en aient assez, nous en savons
quelque chose ! Mais miser sur leur lâcheté en leur
conseillant de tout apprécier à hauteur de leur
paillasson abaisse ceux qui le proposent plutôt que ceux
à qui ils s'adressent.
Nous ne saurions accepter que notre mobilisation puisse aujourd'hui
servir à une telle politique. Si la population d'un quartier
croit pouvoir acheter sa tranquillité par son silence sur
les méfaits d'une telle politique, alors elle sera bien
en mal d'exiger de la police qu'elle fasse son travail pour réprimer
les dealers, des municipalités qu'elles rénovent
les quartiers populaires sans en chasser la population existante,
des services publics qu'il préviennent les jeunes des dangers
de la drogue et aident les toxicomanes à sortir de l'enfer.
Nous avons manifesté le samedi 8 décembre devant
la mairie du 18° arrondissement pour que ce pays se batte
à la fois sur deux fronts : contre la drogue et contre
le sida sans abandonner le premier combat sous prétexte
de mieux mener le second. Pas plus contre le sida que pour d'autres
combats, la fin ne justifie les moyens ! La protection par une
hygiène des seringues ne doit pas s'accompagner d'un enfermement
des toxicomanes dans le nihilisme de la drogue.