La Croix (13 mars 2002)

 

Des pères de famille se mobilisent contre la drogue

INSECURITE Le collectif anti-crack a organisé hier une première tournée dans les rues du quartier parisien de Stalingrad

 

Ils ont lancé leur première « tournée-rue ». Huit pères de famille ont sillonné hier le quartier parisien de Stalingrad, l'une des plaques tournantes de la drogue, afin de lutter contre les trafics et de se réapproprier leur quartier, situé au croisement de trois arrondissements de la capitale, le 10e, le 18e et le 19e.

S'inspirant d'une initiative similaire menée à Amsterdam par des pères marocains (lire La Croix du 4 septembre 2001), ces hommes _ quatre Français, trois Maghrébins et un Africain _ comptent ainsi « parcourir paisiblement » les rues du quartier tous les mardis, entre 20 h 30 et 22 heures. Le collectif a prévu de poursuivre ces tournées-rue jusqu'à l'été.

Leur objectif est triple : signifier que les rues de Stalingrad « appartiennent aux habitants et non aux dealers ». Aller à la rencontre des jeunes qui se regroupent le soir dans les cages d'escalier ou devant les immeubles pour évoquer avec eux « le piège de la drogue ». Engager la conversation avec les toxicomanes pour les encourager à « sortir de leur autodestruction ». « La situation était devenue invivable, explique François Nicolas, à l'initiative de ces tournées. Les dealers ont colonisé certaines rues du quartier. La nuit, des bandes organisent des combats de pittbuls. Un jour, ma femme a été agressée au cutter par un toxicomane en manque. Nous ne sommes pas motivés par la peur. Mais nous nous battons pour que ce quartier reprenne confiance en lui. »

Trafic de drogue plus mobile, bagarres de bandes

Au cours du dernier trimestre de l'année 2001, les riverains avaient organisé plusieurs manifestations afin de protester contre la recrudescence du trafic de crack dans le quartier. « Depuis, reconnaît François Nicolas, la police a effectué plusieurs opérations anti-drogue et la situation s'est un peu améliorée. » Mais de réels problèmes subsistent, affirment les responsables du collectif. Le trafic est devenu plus mobile et fluctuant et génère des bagarres de bandes.

« Nous ne formons pas une milice », tiennent à préciser les pères de famille, en ajoutant qu'ils ne cherchent en aucun cas à se substituer à la police et qu'ils parleront aux toxicomanes « mais pas aux dealers ». « Nous ne voulons pas nous laisser entraîner sur le terrain sécuritaire, indique en effet Jean-Luc Saget, membre du collectif et père de six enfants, dont deux toxicomanes. Nous voulons faire quelque chose pour tous ces êtres en errance et rassurer les habitants du quartier. »

Depuis plusieurs mois, le collectif anti-crack dénonce, en outre, la passivité des pouvoirs publics. « Quand un maire apprend qu'il y a une inondation sur sa commune, il y va, poursuit François Nicolas. Or, les élus savent très bien ce qui se passe dans certaines rues du quartier, mais personne ne fait rien. » De son côté, le maire du 19e, Roger Madec (PS), reconnaît le bien-fondé de cette initiative, tout en précisant que les maires des trois arrondissements concernés ne sont pas restés inactifs. « J'ai saisi le préfet de police pour qu'il nous accorde des renforts, explique-t-il. J'ai également fait remplacer les palissades qui entourent le terrain vague par des grillages, afin d'éviter que des trafics puissent s'y tenir. Mais ce n'est pas en claquant des doigts que l'on peut trouver une solution. » En attendant, les pères du quartier ont décidé de ne plus perdre de temps.

Solenn de ROYER

La chronique des « tournées-rue » sur le Net

Le collectif anti-crack de Stalingrad tiendra une chronique hebdomadaire de ses « tournées-rue » sur son site web (www/entretemps/asso/fr). Outre la présentation de l'association et de ses objectifs, ce site fait le lien avec d'autres associations de quartier sensibilisées au problème de la drogue et livre des pistes d réflexion sur ce sujet.