Bulletin de l'AFP du 13 mars 2002

 

"C'est un peu la deuxième bataille de Stalingrad !" Exaspéré par le trafic de drogue qui prospère sous ses fenêtres, Jamal Faouzi est, avec d'autres pères de famille, allé mardi soir à la rencontre des jeunes et des toxicomanes d'un quartier populaire de l'est de Paris.
Ce responsable de direction, habitant place de Stalingrad, a rejoint le "collectif anti-crack", rassemblement de riverains qui se mobilise pour une tournée nocturne tous les mardis.
"Bravo!," les encourage une beurette. Une dame dit se sentir "plus en sécurité dans la rue que dans le hall de (son) immeuble, envahi de drogués". Un autre raconte les agressions, les enfants qu'on n'ose sortir.
Le quartier, plaque tournante des trafics au milieu des années 90 avant d'être réhabilité, a vu ces derniers mois un retour du crack. Des dizaines d'usagers en errance se retrouvent dans les squatts des rues adjacentes.
Pleins d'allant, tracts en français, arabe et chinois sous le bras, les huit pères se défendent de vouloir constituer une milice.
"Nous ne sommes pas motivés par la peur. Nous venons dialoguer, dire que la rue n'appartient pas aux dealers", dit un des initiateurs, François Nicolas. "Pas question de prendre une arme ou d'aller au contact des dealers, c'est l'affaire de la police."

"Les gens ne sont pas résignés"

Le tract explique leur souci de débattre avec chacun de la vie collective et du piège de la drogue.
"Je suis juste un citoyen", dit Christian Poitou, un informaticien. "Nous voulons dire à tous, élus, toxicomanes, résidents, que les gens ne sont pas résignés."
La police souligne ses "efforts constants". "On a accéléré la répression du deal. 740 dealers ont été arrêtés en 2001. On essaie aussi de diluer cette présence grâce à des patrouilles fidélisées", explique le contrôleur général Roland Maucourant, responsable des 10, 18 et 19e arrondissements. Selon lui, un millier de policiers supplémentaires sont en déploiement dans la capitale.
Responsable du Forum pour la sécurité urbaine, qui réunit 140 communes, le magistrat Michel Marcus se dit "très favorable" à l'initiative, une première en France selon lui.
"On se plaint que plus personne n'ose réagir face aux incivilités. C'est formidable de voir que des adultes refusent de démissionner. Leur présence changera les choses", dit-il.
A condition qu'ils soient soutenus pour engager au mieux ce dialogue, ajoute le magistrat, citant les exemples suédois et anglais où des pères sont formés par des professionnels.
La sociologue Nicole Le Guennec voit une démarche "courageuse", mais qui ne peut rester isolée, au risque de voir se produire des drames comme celui d'Evreux, où un père est mort en défendant son fils racketté.
En attendant, les pères de Stalingrad font le tour des magasins, interpellent des ados à leur balcon ou sur le terrain de basket sous le métro aérien.
Appuyé aux grilles d'un terrain vague, Medhi, 15 ans, est sceptique. "Les toxicos, ce qu'ils ont en tête, ils le font. Les parents ne pourront pas chasser les doums" (dealers).
De fait, le dialogue n'est pas toujours aisé avec les toxicomanes. "Vous connaissez le délai d'attente pour une cure? Un an", assène une jeune femme. "Au lieu de nous emmerder, allez voir le gouvernement," s'énerve son compagnon.


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AFP