«Il faut des mesures sociales, et une
réhabilitation du quartier. Et vite.»
Une employée municipale
Black blanc beur contre le crack. Du côté de la place
Stalingrad, la protestation contre le trafic de drogue prend de
l'ampleur. Pour le troisième mardi consécutif, plusieurs
centaines d'habitants et de commerçants du XIXe arrondissement
de Paris sont descendus dans la rue pour crier leur ras le bol.
Coincé entre la rue de Tanger et la rue du Département,
«leur» îlot est devenu, selon la préfecture
de police, «un abcès de fixation du crack».
Larbi Kachat, recteur de la mosquée de la rue de Tanger,
s'est adressé à la foule pour la première
fois: «L'instruction islamique rime avec instruction
civique. Nous entendons jouer pleinement notre rôle. Nous
disons "non à la drogue" et invitons tous
les habitants à réfléchir sur les causes
réelles qui poussent à la consommation. Ce fléau
social ne fait aucune différence entre les stratifications
sociales.»
Communautés. Vendredi dernier, jour de la grande
prière, le recteur avait déjà entamé
ce travail de sensibilisation. En deux axes: «Sécuriser
d'abord, pour trouver ensuite les causes psychosociales d'une
pratique qui fauche beaucoup de jeunes qui ont perdu le sens de
la vie.» Et pour bien faire comprendre son engagement
au côté des autres associations de commerçants
et riverains, les responsables de la mosquée ont fait traduire
en arabe l'appel à la manifestation. François Nicolas,
instigateur des manifestations, se félicite que ce mouvement
se diversifie de plus en plus: «C'est peut-être
parce qu'on a décidé de rentrer dans des rues qui,
jusqu'à présent, appartenaient aux dealers.»
Car, pour se réapproprier le quartier, le cortège
n'a pas hésité hier soir à s'enfoncer dans
les ruelles insalubres, repères traditionnels des scènes
de deals. Et plus les manifestants avançaient, plus leur
nombre augmentait.
Paul Tiang, à la tête de la représentation chinoise, n'en démord pas: «La sécurité appartient à tout le monde. Dans ce combat, il n'y a pas de guerre entre les communautés.» Main dans la main, Alexandre et Neusa, 25 ans, affichent leur solidarité: «On manifeste tous les huit ans, et, à chaque fois, ça recommence. Entre les Xe, XVIIIe et XIXe arrondissements, on joue au ping-pong.» Selon de nombreux manifestants, ce sont bien les dealers chassés de Château Rouge à la veille des élections municipales de mars dernier qui sont de retour à Stalingrad. Pourtant, après l'agression d'une puéricultrice en juillet dernier, qui avait déclenché les protestations, la situation s'est nettement améliorée (Libération du 7 juillet). Le dispositif policier a en effet été renforcé. Sur les huit premiers mois de l'année, 300 trafiquants auraient été interpellés.
Réhabilitation. «Les policiers font leur
boulot, confirme Chantal Mahier, une habitante du quartier. Désormais,
ils n'hésitent plus à rentrer dans les cages d'escalier,
à contrôler les grosses cylindrées des dealers
présumés. Mais il faut franchir une nouvelle étape,
il est temps de penser réhabilitation et prise en charge
des toxicos.» Roland Maucourant, chef du troisième
secteur de la police urbaine de proximité, ne crie d'ailleurs
pas victoire: «Je n'ai pas la prétention d'éradiquer
le problème de la drogue. J'ai juste la prétention
de limiter les désordres et la violence induits par la
toxicomanie.»
La bibliothèque municipale Hergé reste le point de rencontre des dealers et des acheteurs «dès que les forces de l'ordre ont levé le camp». Selon une employée, le personnel note une petite amélioration: «Les choses se tassent peu à peu, mais les dealers ne sont jamais loin.» «Toujours les mêmes têtes», lance une autre. Mais, ici plus qu'ailleurs, on sait que la répression ne suffit pas. «La drogue, c'est quand même la misère. Il faut de vraies mesures sociales, avec une réhabilitation du quartier. Et vite.» Et, pour bien marteler la nécessité de faire vite, les instigateurs du mouvement ont redonné rendez-vous mardi prochain aux manifestants.