Au toxicomane sillonnant le quartier…

(juin 2002)

 

Pendant six mois, nous avons été le mardi soir à ta rencontre, toi — Cyril, Hassan, Jean-Marc, Mansour, Abdou, Sadi, Marco, Abdoulaye… — qui sillonnes le quartier Stalingrad, la nuit tombée, pour y trouver ta drogue.

 

• Nous t’avons abordé en te disant : « Ce n’est pas parce que tu t’empoisonnes qu’il faut empoisonner la vie des habitants ! ». Tu nous as en général répondu : « Oui, vous avez raison ! »

• Nous t’avons alors demandé : « Que pouvons-nous faire pour t’aider à ne plus t’empoisonner ? ». Tu nous as dit, le plus souvent : « Pas grand-chose ! Seulement parler. ». Nous t’avons répondu : « C’est précisément ce que nous sommes venus faire avec toi, et nous voulons le faire sérieusement. »

 

Nous avons alors consigné tes propos, écrit ce que nous pensions de ces rencontres, rédigé des chroniques que nous t’avons lues quand nous te retrouvions, au fil de tes soirées d’errance. Nous t’avons proposé d’écrire à ton tour ce que tu pensais de ces échanges, mais aucun d’entre vous n’a su, n’a pu, n’a voulu le faire…

 

Nous avons réfléchi ces rencontres, nous avons pensé tes paroles, nous avons travaillé nos réponses. Au contact des Narcotiques Anonymes nous avons appris que l’essentiel pour un toxicomane est de parler avec un autre toxicomane, surtout quand il s’agit de sortir de la dépendance et de se battre pour l’abstinence.

 

Nous suspendons aujourd’hui notre travail avec toi dans la rue. Voici pourquoi.

 

Nous t’avions abordé, en janvier 2002, en te disant :

• « Nous ne sommes pas contre toi. Nous sommes contre le trafic de drogues et contre les dealers. Nous ne cherchons pas à ce que tu sois enfermé dans une prison ou un asile. »

• « Nous pensons utile que tu te protèges, comme tout autre, du Sida. »

• « Sache que nous sommes résolument contre la drogue et tenons ta dépendance au crack pour un désastre car elle tend à te faire abdiquer ta liberté. Nous savons que te sortir de cet enfer est une dure épreuve dont toi seul as les clefs. »

Nous te confirmons tout cela aujourd’hui en y ajoutant ceci :

• Nous aimons rencontrer le plus possible d’hommes libres dans notre quartier. C’est aussi pour cela que nous avons été à ta rencontre, au titre de cette part de liberté qui te reste et sur laquelle nous avons parié.

• Autant qu’il nous a été possible, nous avons pratiqué avec toi l’égalité de pensées, sachant que l’égalité existe, car elle se décide plutôt qu’elle ne se prouve, car elle est un point de départ, non d’arrivée.

• La fraternité, par contre, qui est solidarité entre personnes partageant une même condition, n’a pas vraiment place entre habitants et toxicomanes car leurs situations ne sont nullement les mêmes et pour notre part nous ne songeons aucunement à partager ta condition de toxicomane. Nous pensons donc que la fraternité pour toi se joue en vérité entre toxicomanes, c’est-à-dire avec ces toxicomanes abstinents des Narcotiques anonymes (01 48 58 38 46) qui sont les courageux parmi vous. Nous te souhaitons de pouvoir les rencontrer et pour cela nous te communiquons quelques adresses à proximité de notre quartier où tu pourras les trouver :

- Lundi 12 h 15 : 127, rue Marcadet (M° Jules-Joffrin)

- Mercredi et Vendredi 12 h 30 : 46, rue Montorgueil (M° Les Halles)

- Mercredi 19 h 30 : 90, bd Barbès (M° Marcadet)

- Jeudi 12 h 30 : 92, rue St-Denis (M° Les Halles)

 

Nous avons compris cela : si le premier pas pour toi est bien d’accepter de te nommer toxicomane pour enfin reconnaître ton état et ton impasse, s’il est vrai qu’il te faut commencer ainsi pour engager ce long mouvement d’indépendance apte à te mener à l’abstinence, alors il est clair que ce n’est pas en notre présence que tu pourras vraiment le faire mais plutôt en celle d’un toxicomane ayant déjà conquis son abstinence. C’est donc qu’en ce point précis, nous devenons pour toi un obstacle plutôt qu’un levier. Il faut donc que les pères s’effacent pour que puisse se constituer une solidarité entre frères toxicomanes, accros et abstinents.

Ainsi les pères se retirent. Place aux frères !

 

Suspendant nos tournées-rue du mardi soir, nous te serrons la main, te souhaitant de bâtir cette fraternité qui t’aidera à reconquérir ta liberté.

 

Les pères de famille du Collectif anti-crack de Stalingrad

06 76 58 18 27   Stalingrad@noos.fr  www.entretemps.asso.fr/Stalingrad