Bientôt il
fera jour
Christian Poitou
Je te dédie ce poème, jeune femme fantôme
au milieu des ombres,
qu’un soir de printemps nous avons croisé, et qui,
à la tombée du jour, erre désespérément,
en portant son enfant, dans les rues du quartier Stalingrad,
à la recherche des doses de la mort…
(17 juin 2002)
Maman, arrêtons-nous, je t’en supplie, j’ai
faim.
Du courage, ma
fille, on est tellement loin.
Je n’ai que
six pièces pour tenir ce matin.
Je dois toujours
chercher car j’en ai grand besoin.
Il sera temps
demain, de prendre un peu de pain.
Bientôt il
fera jour. Serre-toi contre moi.
Les
fantômes s’enfuient, la peur disparaîtra.
Des ombres
fugitives, allons vers l’au-delà,
Oublier le
brouillard et sortir du trépas.
Surtout ne pleure
pas, c’est juste un mauvais rêve.
Tu peux ouvrir
les yeux, vois-tu : le jour se lève !
Essuie donc tes
larmes, le cauchemar s’achève.
Vois la rue qui
renaît, la clameur qui s’élève.
Maman, oh je t’en prie, je voudrais tant dormir.
Tout au fond de l’oubli, ranger nos souvenirs.
Qui troublent tant mes yeux. Je n’ai plus qu’un
désir :
Partir vite d’ici, je suis las de souffrir
Toi ma fille
chérie, je suis dans l’agonie,
Et n’ai
plus la force de pouvoir dire oui.
Ma vie n’a
plus de sens, et n’a plus aucun prix.
Elle semble la
mort, et toi tu es ma vie.
Au fond de ma
prison, je ressens bien ta peine,
Toi qui n’y
es pour rien et que pourtant j’entraîne.
Il faudrait tant
qu’un jour je brise enfin mes chaînes,
Pour toi, ô
mon amour, pour toi qui es ma reine.
Puis-je encore
une fois donner quelques caresses ?
Et te faire rire,
pour garder ta jeunesse ?
Une mère
être enfin pour t’offrir la tendresse,
Et cacher
l’abandon, que montre ta tristesse.
Qu’as-tu soudain Maman, pourquoi cette
piqûre ?
De ton bras plein de sang, je vois cette blessure.
Appuie-toi bien sur moi, restons tout près du mur.
Si jamais tu tombes, ô mon dieu que c’est dur.
Vois ma solitude,
mon âme est en partance.
Le ciel est bien
trop lourd et couvre ma démence.
Mon sang sur tes
habits salit ton innocence.
Seule dans ma
folie, je vis en pleine errance.
Et mon cœur
est absent, je sais, j’en suis témoin
Au milieu du
gouffre sans avoir de chagrin.
La raison
m’a quittée sans voir le lendemain,
Sans regarder la
vie, sans nourrir de desseins.
Des souvenirs
enfouis ! images éphémères !
Et l’amour,
autrefois, d’un mari et d’un père,
Parti, je ne sais
où, vers quelque autre galère,
Manquent
cruellement en ces temps de misère.
Viens, avec moi Maman, fuyons et prends ma main
Je suis sûr qu’à côté, il
existe un chemin
Les enfants vont jouer, et rire dans un coin.
Allons-y ensemble, profitons du matin.
Hélas je
ne peux pas t’offrir ce doux message.
Ma douleur est
trop forte et crispe mon visage.
M’accable
l’obsession, je sens monter la rage.
Pour toi, je
voudrais tant pouvoir fermer la page.
Vois-tu mon
désespoir avec tes yeux humides ?
Je voudrais
t’emmener, loin des ombres livides,
Au moins quelques
instants sortir enfin du vide,
Taire enfin ma
douleur, oublier mon sordide.
Ah suis-je ta
mère, le monde est invisible ?
Et du lait
maternel mes seins sont si stériles.
Suis-je
responsable, ma vie est si futile,
De fuir tant les
choses, ma souffrance indicible ?
Je ne suis qu’une enfant, et j’ai seulement quatre
ans
Et si malheureuse de voir ainsi Maman.
N’y a-t-il personne, pour m’aider, moi,
enfant ?
Je suis trop petite pour comprendre les grands.
Ma fille,
écoute-moi, mes brûlures s’éveillent.
L’aube une
fois de plus a la saveur pareille.
Je vois ta
détresse, c’est l’enfer que je paye.
Ne t’en va
pas trop loin, pour que je te surveille.
Je sais
qu’un jour prochain la liberté viendra ;
Je ne peux
endurer ma peine et mon effroi
De te laisser
seule, si tu ne sais pourquoi.
Es-tu
auprès de moi, je n’entends plus ta voix ?
Qu’arrive-t-il
soudain, oh non surtout pas lui.
Je crois que Dieu
me veut, j’ai si mal cette nuit.
Peut-être
on m’a vendu quelque mauvais produit.
Reste tout
près de moi, c’est ma vie qui s’enfuit.
Maman, parle, réponds, mais qui y a-t-il,
réponds !
Tu es tombée si vite en traversant le pont.
Tes yeux ne bougent plus, pourquoi est-ce si long ?
Ne t’en va surtout pas, pourquoi dis-tu pardon ?