Pour écrire le blâme de la came…

(Stalingrad, mai 2002)

 

 

 

Questions aux jeunes

 

• Pourquoi êtes-vous contre la drogue, contre la came ?

Que veut dire pour vous « être contre la drogue, contre la came » ?

 

• Pourquoi pensez-vous que d’autres jeunes touchent à la came ?

Comment selon vous les dissuader d’y toucher ?

Que leur dire ?

 

• Que voudriez-vous dire à ce sujet

à vos parents ?

à vos copains ?

 

• Quand on est contre la came, on est pour quoi ?

 

 

 

Propos de jeunes

 

• Un jeune : « Oui, la drogue ça bousille le quartier ».

 

• Un jeune (20 ans ?) :

« La drogue, ça pardonne pas ! Si tu rentres dedans, tu n’es pas prêt d’en sortir ! »

« Il faut que mon père soit fier de moi. Moi, j’ai réussi à m’arrêter du shit. C’est pas difficile : j’ai fait de la piscine. Et quand j’ai encore envie de fumer, je vais nager. »

 

• Un groupe de jeunes (au collège ?) :

« La drogue, c’est de la mort ! », « La drogue, c’est simplement l’argent ! »

 

• Une lycéenne (17 ans ?) :

— « Contre la came ? Alors là, pas de problème ! ».

« Le cannabis, c’est autre chose. Mais la came, ça, par contre, il faut faire quelque chose. Je suis tout à fait d’accord avec vous ».

« Le cannabis, si tu en prends à 13 ans, c’est foutu. »

— « Pour la came, Stalingrad, c’est trop. La rue d’Aubervilliers, ça fait peur. C’est dangereux. »

— « Il faudrait écrire le blâme de la came »

« Il faudrait montrer la dégradation physique que cela entraîne. »

« Il faut dire que tous ceux qui y rentrent n’en sortent plus qu’en dégradation totale. Et puis qu’on peut s’amuser de façon différente, et que pour devenir cool, il y a d’autres façons que de prendre un pétard. »

— « À ton avis, pourquoi des jeunes y rentrent ? » « C’est l’engrenage, par des copains. Ou alors c’est l’envie : l’idée « je veux voir ce que ça fait ». Ou alors c’est qu’ils ont des problèmes psychologiques et ils pensent que la came, ça soulage. »

 

• Un ancien « anti-came » (24 ans) :

« Le crack, ça me fout la rage. Avant le quartier était bien. Maintenant on ne croise plus que des croque-morts ou des poubelles ambulantes. Les toxs, c’est des malades. Mais ceux qui vendent le crack, ils ont pas de cœur car ils vendent la mort : quand vous prenez le crack, votre vie, vous la voyez pas partir ! »

 

• Un jeune (19 ans) :

— « On essaye de ne pas rester avec des gens qui prennent de la drogue. On peut fréquenter « Bonjour, bonsoir », mais sans plus, sans rester avec ces gens. »

— « La « beue », ça c’est simple, c’est juste pour se sentir bien, tu peux prendre ça avant un examen quand t’es stressé. Je mets ça au même titre que la cigarette. Les jeunes prennent cela comme ils prennent la cigarette. Le cannabis, c’est déjà plus dur : si je fume ça, je pourrai pas tenir sur le terrain de foot. Mais c’est pas vraiment de la drogue. »

— « Il ne faut pas trop jouer avec la drogue car le gars sinon, il risque d’avoir des problèmes, pas au début mais surtout au fur et à mesure qu’il en prend. Il peut frôler la mort. Et cela, il s’en rend pas compte au début car il voit son copain qui est pas encore abîmé. »

— « C’est vrai qu’il peut être intéressé de savoir qu’est-ce qu’on ressent quand on frôle la mort, comme dans le jeu du foulard. Qu’est-ce qu’on ressent quand on perd conscience ? C’est vrai que dans la vie, il faut aussi des haut et des bas, et pas toujours pareil. »

— « L’été dernier, il y a eu des bagarres entre jeunes et toxs dans la rue du département : un jeune de 13 ans s’est fait planter par un dealer car le jeune refusait de faire une mission pour lui. Il a prévenu ses copains et ils sont revenus en bande contre les dealers. »

 

• Une jeune (22 ans) :

« Ceux qui ont plongé dans la drogue, après avoir pris du cannabis, c’est parce qu’ils avaient des problèmes familiaux que personne ne pouvait résoudre : ils ont vu que la drogue comme issue. C’est un truc psychologique, ça veut dire qu’il y a un problème profond. »

 

• Une jeune (15 ans) :

— « C’est pas bien ce que font les dealers. Ils font peur aux petits. Ils nous regardent d’une drôle de façon. Ils sont toujours bloqués devant la porte. Il faut leur demander de bouger pour pouvoir rentrer. Alors ils font peur. »

— « La police, faut pas compter sur eux : le soir, de toutes les façons, ils partent. »

— « On a eu une information dans notre collège. Mais je savais déjà qu’il faut pas rentrer là-dedans car c’est dangereux. »

 

• Un jeune (12 ans) :

— « Une fois, un dealer m’a demandé de descendre dans la rue pour voir s’il y avait des flics. Je l’ai fait et il m’a donné cinq euros. » « Il faut faire attention, surtout dans ce quartier, qui est plus sensible que les autres, que le VIII° arrondissement par exemple. On se trouve plus facilement piégé. »

— « Ce jeune qui passe là-bas, il est avec les dealers. Il a douze ans ; il demande de l’argent aux maudous et ceux-ci lui en donnent car il leur rend des services. À l’école, il avait des problèmes : il était battu par ses copains, il était considéré comme un minable. Alors il s’est mis avec les dealers, pour qu’ils lui servent comme de gardes du corps. Avant il était habillé comme un clochard ; maintenant il est bien habillé. Il sèche beaucoup de cours à l’école. Un jour, il a quand même refusé un service. Il s’est pris un coup de couteau en représailles. Il a appelé des grands et ça s’est terminé en bagarre. »

— « Il y a un enfant de huit ans, les drogués lui ont demandé de transporter quelque chose, sinon ils le tuent. Le petit l’a fait. Il s’est fait prendre par la police et emmener au commissariat qui a ensuite convoqué ses parents. Il y a plein de petits qui sont pris là-dedans. »

— « C’est les grands frères plutôt que les parents qui nous protègent ».

— « Ce qu’il faudrait, ce serait un stade dans le quartier, ou un terrain de sport. Il y a les terrains de basket sous le métro, mais c’est pour les grands. Il y a rien pour les enfants. »

 

• Une jeune (15 ans) :

— « Pourquoi on est contre la drogue ? Parce que la drogue, ça donne ce que sont devenus les gens d’à côté. ça crée une atmosphère malsaine dans le quartier. S’il y avait pas la drogue, ça ferait moins de mafia, et moins de suicides. La drogue, ça crée trop de problèmes. »

« Pourquoi pense-t-on que certains touchent à la came ? Les drogués, ils ont pas fait attention. Leur problème, ça vient d’eux. Au début, ça commence entre potes : tu as envie de te t’amuser, de te déchaîner. Mais après, il faut savoir ses limites. Ceux qui sont là-dedans, ils ont envie d’oublier. Au début ça va, et c’est après que ça part en couilles. J’ai vu comment ils finissaient les gars. C’est nul pour la santé. »

« Comment dissuader d’y toucher ? Si les gens comprennent, ils devraient arrêter. Sinon, ça veut dire qu’on ne peut rien pour eux. Simplement, après ils vont regretter. Vous, vous faites des trucs pour les écarter, mais l’État, il en fait pas des trucs. Il devrait en faire, même s’il faut pour cela punir plus, car c’est pour leur bien. »

« Quand on est contre la drogue, pour quoi est-on ? On est pour la vie, la vraie vie, pas la vie qu’on s’imagine quand on est drogué. Les drogués, ils veulent s’échapper. La came, ça fait pas vraiment partie de la vie. La came, ça t’énerve pour rien. »

 

• Un jeune (12 ans) :

« Votre première question : Pourquoi êtes-vous contre la drogue ?, elle est bête ! Je suis contre parce que j’ai pas envie de pourrir ma vie ! J’ai envie de profiter des choses. Les drogués, eux, ils ont rien réussi dans la vie. Ils sont malheureux. »

 

• Une jeune (15 ans) :

« Il faut dire à tous les jeunes de faire attention : ceux qui traînent le soir risquent de rentrer dans la drogue. »

 

• Une jeune (10 ans) :

« J’essaie de ne pas trop parler de la drogue avec mes copines car j’ai peur que ça rentre trop dans la tête. Quand j’en parle c’est parce que je sais que la situation est anormale.

Je pense que les dealers doivent arrêter car il y a beaucoup d’enfants dans le quartier. Ils montrent le mauvais exemple. Certains enfants jouent devant eux et peuvent être tentés de recopier ce qu’ils font. »

 

• Une jeune (10 ans) :

« Il faut que tout le monde défende le quartier. La maîtresse me dit qu’à l’école elle est responsable de nous et met en garde contre tous ces problèmes. Il faut aussi que les enfants arrêtent de racketter les plus petits qu’eux, qu’ils ne fassent plus des demandes de remboursement ».

 

• Un jeune (17 ans) :

« La drogue ? C’est clair que cela bousille le quartier. Tous nos potes sont embarqués dedans, mais pas moi. Pourquoi ? Pourtant tout le monde a le même cerveau, mais ça dépend comment tu t’en sers. Celui qui se drogue, c’est qu’il est influençable. Et peut-être qu’il a pas eu, lui, de grands frères pour lui dire de se tenir en dehors de ça. Moi j’ai deux grands frères. Ils ont bien fait eux-mêmes quelques conneries, mais c’est avec les conneries qu’on apprend. C’est eux qui m’ont appris à me tenir à l’écart de ça. Je fais de la danse hip-hop. ça m’occupe vachement. C’est tout une hygiène de vie. Il faut de l’endurance… ».

 

• Un jeune (22 ans) :

— « Pour faire du hip-hop, il n’y a pas besoin de centres sociaux ; les jeunes, ils peuvent s’en sortir tout seuls. C’est simplement une affaire de motivation. C’est comme pour les sportifs — les boxeurs, les coureurs… — qui n’ont pas besoin de grand-chose pour s’entraîner. J’ai pas très envie de parler de drogue parce que si je fais tout cela, si je donne ces cours de hip-hop aux jeunes comme lui, c’est pour leur mettre dans la tête des images positives. J’ai pas envie de parler de la merde. J’ai envie de parler du positif. »

— « La culture hip-hop, c’est quatre activités : le graphe, la musique, la danse et le chant. Ça peut plaire à tout le monde, c’est déjà s’occuper.

La danse, c’est comme une drogue saine. On y trouve des sensations qu’on peut pas trouver ailleurs, par exemple quand tu tournes sur la tête. Quand on a fini, on a qu’une envie, c’est de recommencer. Et quand ça marche, tu as envie que ça s’arrête pas.

Ceux qui sont pas sportifs, ils ont le dessin. Chacun trouve son truc.

Ceux qui scratchent, quand ils commencent avec les platines, ils y mettent tellement que c’est un truc qui fait crier le public et ça, c’est de l’adrénaline.

Le tag vandale, c’est pareil. ça fait quelque chose, ça fait un truc. Il faut le vouloir, il y a un risque quand tu vas sur les rails du métro avec l’électricité, ou la nuit en un endroit interdit et dangereux. C’est un petit jeu avec ce qui est risqué. Alors on est fier. On ressent que des trucs positifs. On montre qu’on existe. Et on est reconnu.

— « Je peux pas dire que c’est ça qui m’a empêché d’aller dans la came. De toutes façons, je voulais pas tousser, je voulais être bien physiquement. Et je voulais pas dealer. Je voulais par ramener de l’argent sale. Rien qu’à voir les dégâts que fait la came, ça te dégoûte : tu vas tirer le sac d’une vieille dame et si ça se trouve, c’est peut-être ta voisine. Rien que d’y penser, pour moi c’est la haine.

J’organise des trucs pour qu’il se passe des choses. Moins tu as de choses à faire, et plus tu as de chances de tomber là-dedans. Et plus tu as de choses à faire, moins tu as de chances de tomber là-dedans.

Il faut essayer de mettre d’autres images devant eux.

Pour que les jeunes tombent moins facilement, il faut qu’ils trouvent une activité très tôt, un truc à faire. Le hip hop, c’est bien, c’est pas payant. Tu peux faire ça dans la rue. Tu peux danser partout.

Pour moi, la came, c’est tellement pas présent que j’en parle pas. ça existe pas. Quand on met trop en avant les choses, on peut avoir envie d’y toucher.

— « Pourquoi je m’en suis sorti et pas eux ? C’est une question de volonté, et aussi c’est plus profond : il y a l’entourage, les influences, les plus grands, l’histoire des grands frères, l’exemple. Moi, mon exemple, c’était quelqu’un de positif. Le « grand frère », c’est quelqu’un du quartier, pas forcément quelqu’un de la famille. Mais c’est pas ton père. Mon père il est trop vieux pour servir d’exemple. Il a pas vécu les mêmes choses que moi. Le père en plus, il est pas tout le temps là. Généralement, il coupe l’enfant de la réalité. Alors l’enfant il reste rebelle dans lui, mais il voit pas le monde réel. À la majorité, il va prendre ses ailes d’un coup et vouloir faire tout et n’importe quoi.

Mon père, il m’a laissé le maximum de liberté. Il m’a mis à six ans une cigarette dans la bouche. Ça m’a dégoûté, et pour moi, c’est terminé pour la vie. Ma mère m’a fait goûter le verre de vin. Pareil. Pas de censure chez moi. Mais ça, ça marche pour les trucs légaux, ça marche pas pour le reste.

— « Ceux qui prennent la drogue dure, ils essaient parfois d’arrêter en voulant danser. On voit que c’est trop dur pour eux. Après, c’est sa volonté à lui si il arrête. C’est personnel. Peut-être il a été dans la rue trop tôt. C’est chacun sa vie.

Les grands, ils ont tellement repoussé la drogue dure que les plus jeunes ont pas été formés. Maintenant tu vois des jeunes qui disent : « Je te laisse dealer au bas de la tour si tu me donnes un billet ». ça, ça existait pas avant parce qu’avant, vendre la drogue dure, c’était vendre la mort. »

 

• Une jeune, 22 ans :

: « La drogue, c’est un fléau social. On a quand même remarqué sur le quartier qu’il y a un progrès depuis un an. Pourquoi je suis contre la drogue ? Parce que j’aurais pu y passer ! Cette substance est présente dans les collèges et lycées, chez les jeunes de 12 à 16 ans. À cet âge, on est des bonnes proies. On ne connaît rien. La drogue, c’est dû à un manque d’activité, et à l’environnement social et familial. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir une maman qui a couru derrière moi et je la remercie : c’est pas si facile que ça aujourd’hui d’élever des adolescents ! Je connais des gens qui sont tombés dans l’héroïne et le crack et je n’aurais jamais imaginé que cela puisse leur arriver. Qu’est qu’on peut leur conseiller ? Il faudrait leur parler en connaissance de cause, et je ne peux le faire : je ne connais pas bien tout ça. Je dirais simplement que la drogue, c’est un cercle vicieux. La première fois, c’est pas forcément la dernière. C’est comme la cigarette : si la cigarette, c’est dur d’arrêter, alors comment le jeune va arrêter facilement le shit ? »

 

• Une jeune, 20 ans :

« Pourquoi être contre la drogue ? Je suis contre car les jeunes entraînent là-dedans des plus jeunes. Et ça fait un cercle vicieux car les petits veulent faire comme les grands. Et puis il y a la violence. Pourquoi on touche à la drogue ? C’est à cause du chômage, et puis parce qu’ils sont dans la rue. Qu’est-ce qu’on pourrait leur dire ? Il faudrait donner des exemples dans le quartier : un tel est en prison, un tel est mort. En parler aux parents ? Moi, je ne leur en parle pas, parce qu’on n’est pas touché directement par la question. Mais il ne faut pas laisser les enfants trop sortir, il faut leur trouver des activités parallèles à l’école pour les occuper.

 

• Un jeune, 18 ans :

« Pourquoi êtes-vous contre la drogue ? C’est pas une question à poser ! J’ai pas de raison valable de prendre de la drogue : quand je me vois et que je vois les drogués, je me sens mieux ! La came, c’est pas comme les autres drogues. Déjà la came, ça devrait même pas être inventé. En général, c’est pas les jeunes qui prennent le crack. Parmi tous les toxicos, j’en ai jamais vu que deux qui avaient moins de 18 ans. Le crack, c’est pas une question de jeunes. C’est des gars de 25-30 ans. C’est même des gens qui travaillent : on les voit, rue d’Aubervilliers ; ils passent le matin, en voiture, bien habillés, en prendre avant de partir au travail. »

 

 

 

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Le Collectif anti-crack de Stalingrad

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