Rapport
Pour un Samu-toxicomanie
(avril 2004)
de
Lionel Bonhouvrier
Daniel Dalbra
Jamal Faouzi
Franois Nicolas
Christian Poitou
Paris 10”-18”-19”
(ex-Collectif anti-crack de Stalingrad)
Pour tous renseignements
Lionel Bonhouvrier
42 ans, franais, enseignant
9, rue dÕAubervilliers (18”) — 01 40 36 19 68
lionel.bonhouvrier@ac-versailles.fr
Jamal Faouzi
44 ans, marocain, cadre commercial, 3 enfants
265, rue du Fg-St-Martin (10”) — 01 40 35 16 41
faouzi. jamal@wanadoo.fr
Daniel Dalbra
61 ans, franais, formateur prretrait, 2 (+3) enfants
20, alle des orgues de Flandre (19”) — 01 40 34 74 29
daniel.dalbera@noos.fr
Franois Nicolas (secrtaire)
56 ans, franais, compositeur, 5 (+3) enfants
265, rue du Fg-St-Martin (10”) — 01 44 65 01 40
fnicolas@ircam.fr / fnicolas@ens.fr
Christian Poitou,
51 ans, franais, informaticien, 2 enfants
2 bis, rue du Dpartement (19”) — 01 42 05 56 39
christian.poitou@noos.fr
ex-Collectif
anti-crack
Pour un Samu-toxicomanie
Notre exprience dÕhabitants
dÕun quartier parisien dont la vie est rgulirement intoxique par le trafic
du crack nous amne faire la proposition suivante : crer un
samu-toxicomanie qui aille dans la rue la rencontre des toxicomanes en leur offrant
la possibilit de sÕloigner quelques jours de la scne de la drogue.
De petites quipes de rue
iraient proposer aux toxicomanes dÕaller dormir deux ou trois nuits lÕcart
du trafic, dans des lieux prvus cet effet qui leur permettraient de se
reposer, de se reconstituer physiquement et dÕy rencontrer un personnel
lÕencourageant sÕengager dans cette longue aventure quÕest une sortie de la
drogue.
De telles possibilits pour
le moment nÕexistent pas.
„ Il existe des lieux o
les toxicomanes peuvent venir dormir gratuitement mais ces lieux (Sleeping) sont proximit immdiate des scnes de la drogue.
Si cette proximit facilite lÕaccs ces lieux de repos, elle facilite tout
autant la reprise de la consommation de drogues la sortie de la nuit ds les
forces reconstitues.
„ Il existe des quipes
allant dans la rue la rencontre des toxicomanes mais ces quipes sont au
service de la politique de rduction des risques cÕest--dire quÕelles
conseillent aux toxicomanes de se droguer propre (en particulier en changeant
rgulirement leurs seringues) mais ne les incitent gure se retirer du
traficÉ
Bref, nul ne va la
rencontre des toxicomanes pour les encourager cesser leur
auto-empoisonnement, sortir de leur servitude volontaire.
Un samu-toxicomanie nous
semble pouvoir rpondre ce manque criant.
DÕo nous vient cette
ide ?
DÕune srie de rflexions et
dÕenqutes qui dure dsormais depuis prs de trois ans.
Nous nous sommes en effet
constitus en Collectif anti-crack en septembre 2001 pour rpondre la
situation dgrade de notre quartier.
Le dtail de notre histoire
se trouve disponible de diffrentes manires :
En deux mots, nous avons d
dÕabord organiser une srie de manifestations locales pour obtenir que la scne
ouverte du crack soit disperse par la police. Nous avons ensuite t la
rencontre des toxicomanes pour mieux comprendre dÕo procdait la dgradation
connue par notre quartier. Nous avons alors dcouvert quÕau principe de ce
relchement du combat collectif contre la drogue se trouvait la politique de
rduction des risques qui nous est apparue comme une dmission collective dans
la lutte contre la toxicomanie au prtexte de concentrer toutes les forces
contre le sida. Convaincus que notre pays pouvait et devait mener la lutte sur
deux fronts la fois, nous avons travaill dgager la possibilit dÕune
politique de soins qui ne sÕaligne ni sur la politique strictement rpressive
des tats-Unis, ni sur la politique de rduction des risques de la Suisse et
des Pays-Bas.
Le tableau prsent la
suite de ce texte rsume notre propos.
CÕest dans ce cadre gnral
quÕil nous a sembl pertinent de proposer la cration dÕun samu-toxicomanie.
Il est clair quÕune telle
initiative ne peut venir que des pouvoirs publics mme si sa ralisation ne
saurait sans doute se passer de telle ou telle structure associative.
Nous sommes un groupe de cinq
habitants du quartier, la plupart pres de famille, tous engags dans des
activits professionnelles diverses. Nous ne sommes donc pas candidats
organiser un tel samu-toxicomanie et notre proposition est ainsi entirement
dsintresse : il sÕagit que notre pays se donne les moyens de combattre
la drogue en allant la rencontre des toxicomanes les plus gars pour les
encourager sÕen sortir.
Il est clair quÕun toxicomane
ne peut sÕen sortir que sÕil le veut bien et que, mme dans ce cas, le chemin
pour lui sera long et sem dÕembches. Raison de plus pour lui de sÕy mettre au
plus vite ; raison de plus pour nous de lui fournir au plus tt des
occasions saisir pour sÕy engager. CÕest ce titre quÕun Samu-toxicomanie
nous semble ncessaire.
Pratiquement, une telle
initiative pourrait commencer dÕtre teste, Paris par exemple, par une
petite quipe mobile de trois personnes, circulant de prfrence la nuit
tombe, condition que cette quipe soit en contact troit avec des structures
dÕaccueil situes distance du trafic.
Il serait bien sr de la plus
haute importance que le personnel dÕun tel samu-toxicomanie (quipes de rue
comme structures dÕaccueil) soit fermement convaincu de la ncessit dÕaider
les toxicomanes sortir de leur dpendance et ne soit pas, comme le personnel
des structures dites Ē bas seuil Č, conseiller au toxicomane de
se shooter propre, ou simplement substituer une drogue
Ē mdicalise Č une drogue illgale — Freud
crivait dj en 1887 [1] :
Ē La cocanomanie prend la place de la morphinomanie — voici les
tristes rsultats quÕon a obtenus en voulant faire sortir le diable lÕaide de
Belzbuth. Č
Nous avons voulu tester cette
proposition de samu-toxicomanie directement auprs des toxicomanes. Pour cela,
nous avons t leur rencontre lors de six soires (dÕoctobre 2003
mars 2004) pour leur prsenter notre projet et recueillir leur avis. Vous
trouverez ci-suit le compte rendu dtaill de nos changes et les propos
recueillis auprs de 45 toxicomanes. Il en ressort clairement la pertinence et
lÕurgence dÕune telle proposition : chacun pourra sÕen assurer en lisant
les avis formuls ces soirs dÕhiver dans les rues du XVIII” arrondissement.
Nous nous tenons bien sr
la disposition de tout responsable pour discuter de cette proposition et de ses
conditions concrtes de mise en pratique.
L. Bonhouvrier, D. Dalbra, J. Faouzi, F. Nicolas
et C. Poitou
Trois politiques publiques [2]
et une action collective [3]
|
|
Politique publique rpressive |
Politique publique de rduction des risques [4] |
Politique publique de soins |
Rsistance collective face au nihilisme de la drogue |
|||
|
||||||||
|
Pays Ē emblmatique Č |
tats-Unis |
Suisse |
? |
|
|||
Le toxicomane y est |
un dlinquant |
une victime |
un malade |
un nihiliste |
||||
Le corps du toxicomane y est un |
corps indisciplin enfermer |
corps agress protger |
corps souffrant gurir |
corps dsorient mobiliser |
||||
Le vis--vis du toxicomane y est |
le policier & le juge |
le travailleur social |
le mdecin |
le militant [5] |
||||
Formule |
Comme il nÕy a pas de drogues sans dgts, limitons les drogues ! |
Comme il nÕy a pas de socit sans drogues, limitons les dgts des drogues ! |
Limitons les drogues et leurs dgts ! |
On peut vouloir quelque chose ! On doit rsister ! Pas de socit sans lutte contre la drogue ! |
||||
Trois dimensions des politiques publiques |
Rpression |
de lÕoffre & de la demande |
[ Lgalisation tendancielle] |
de lÕoffre |
[ Le militant nÕen
est pas acteur] [6] |
|||
Soins |
primaires |
Non [7] |
Non (cf. dsintrt ou refus) |
Oui : dsintoxication |
||||
secondaires [8] |
Oui [9] |
Oui : fin (stratgique) en soi |
Oui : moyens (tactiques) |
|||||
Prvention |
Compatible |
essentiellement secondaire et tertiaire [10] |
primaire galement |
|
|
Collective ! |
||
Samu-toxicomanie |
||||||||
|
|
|||||||
Volont |
politique ? |
Non (gestion scuritaire) |
Non (pragmatisme Ē citoyen Č) |
Oui (choix public) |
Oui (pense mancipatrice collective) |
|||
du toxicomane ? |
Oui |
Non (survie) |
Non (cf. Ē maladie ČÉ) |
Oui |
Revue de presse
2001
į Le Parisien (9 septembre 2001)
į Le Parisien (10 septembre 2001)
į Le Journal du Dimanche (16 septembre 2001)
į Le Parisien (18 septembre 2001)
į Libration (19 septembre 2001)
į Le Figaro (19 septembre 2001)
į Le Parisien (19 septembre 2001)
į Le Parisien (22 septembre 2001)
į Le Figaro (25 septembre 2001)
į Le Parisien (26 septembre 2001)
į Libration (3 octobre 2001)
į Le Parisien (3 octobre 2001)
į Le Figaro (4 octobre 2001)
į France-Soir (10 octobre 2001)
į Le Figaro (10 octobre 2001)
į Zurban (17 octobre 2001)
į Le Nouvel Observateur (2 novembre 2001)
į Le Parisien (9 novembre 2001)
į France-Soir (12 novembre 2001)
į Le Journal du Dimanche (2 dcembre 2001)
į Le Figaro (4 dcembre 2001)
į Le Parisien (8 dcembre 2001)
į Le Figaro (8 dcembre 2001)
į Le Parisien (9 dcembre 2001)
į Libration (10 dcembre 2001)
į Le Figaro (10 dcembre 2001)
į La Croix (26 dcembre 2001)
į Le Figaro (27 dcembre 2001)
2002
į Le Parisien (20 fvrier 2002)
į France Soir (1” mars 2002)
į Le Parisien (11 mars 2002)
į La Croix (13 mars 2002)
į Le Figaro (14 mars 2002)
į Libration (14 mars 2002)
į Le Parisien (14 mars 2002)
į France Soir (14 mars 2002)
į LÕHumanit (19 mars 2002)
į Le Parisien (19 mars 2002)
į Zurban (27 mars 2002)
į Le Parisien (16 avril 2002)
į Le Parisien (18 avril 2002)
į Le Figaro (25 avril 2002)
į Elle (29 avril 2002)
į Le Parisien (1” juin 2002)
į Le Parisien (5 juin 2002)
į Le Nouvel Observateur (6 juin 2002)
į La Vie (6-12 juin 2002)
į Le Monde (8 juin 2002)
į Le Figaro (14 juin 2002)
į Le Parisien (14 juin 2002)
į Le Figaro (25 juin 2002)
į Slection du ReaderÕs Digest (juillet 2002)
į Libration (27-28 juillet 2002)
į Le Parisien (5 aot 2002)
į La Croix (12 aot 2002)
į 20 minutes (4 septembre 2002)
į 20 minutes (17 septembre 2002)
į AFP (20 septembre 2002)
į Le Parisien (21 septembre 2002)
į France-Soir (21 septembre 2002)
į Mtro (23 septembre 2002)
į Femme (octobre 2002)
į Maxi (23 au 29 dcembre 2002)
į Le Parisien (27 dcembre 2002)
2003
į Le Parisien (1” juillet 2003)
į Zurban (1” octobre 2003)
į Zurban (1” octobre 2003)
į Le Parisien (29 septembre 2003)
į Le Parisien (7 octobre 2003)
į Le Parisien (8 octobre 2003)
į Le Parisien (17 octobre 2003)
į Zurban (31 dcembre 2003)
2004
į Le Parisien (6 janvier 2004)
į Le Parisien (7 avril 2004)
Extraits
Tribunes libres :
–––––––
ANNEXES
Les six soires dÕenqute auprs des toxicomanes
Qui
sommes-nous ? Que voulons-nous ?
Questionnaire : Ė quelles conditions un
toxicomane peut-il en venir sÕmanciper du crack en voulant autre chose que
la drogue ?
Quatre
vĻux pour la nouvelle anne 2004
Statistiques
Nombre dÕentretiens
45 toxicomanes rencontrs en
6 soires (9+10+7+2+9+8) dont un seul alcoolique
Sexe
Sur les 45 personnes :
44 hommes et une seule femme
åge moyen
34 ans (carts : 24
43)
åge moyen dÕentre dans
les drogues dures
20 ans (carts : 15
25)
Dtail
|
åge |
åge dÕentre dans les drogues dures |
||
Andr |
38 |
18 |
||
Jean-Philippe |
40 |
17 |
||
Abdoulaye |
35 |
17 |
||
Denis |
31 |
|
||
Hamid |
37 |
|
||
Louis |
43 |
|
||
Ahmed |
30 |
|
||
Karim |
36 |
|
||
Guy |
36 |
17 |
||
Henri |
39 |
|
||
Bernard |
30 |
25 |
||
Lucien |
32 |
18 |
||
Eloi |
30 |
|
||
Kamel |
24 |
|
||
Douala |
31 |
25 |
||
Hafid |
37 |
|
||
Mahmoud |
26 |
|
||
Jacques |
35 |
|
||
Jean-Franois |
30 |
|
||
Hacne |
29 |
|
||
Franois |
32 |
|
||
Salem |
42 |
24 |
|
|
Sverine (femme) |
32 |
20 |
|
|
|
åge |
åge dÕentre dans les drogues dures |
Karim |
41 |
20 |
Nestor |
28 |
|
Benhamid |
38 |
|
Gilles |
35 |
|
Pascal |
41 |
|
Hamed |
39 |
22 |
Sad |
34 |
|
Alfredo |
30 |
|
Karim |
38 |
|
Raymond |
39 |
|
Sarama |
40 |
|
Abdel |
41 |
|
Sadek |
30 |
|
Louis |
34 |
18 |
Cyril |
32 |
20 |
Michel (alcool) |
25 |
|
Ahmed |
30 |
|
Aziz |
41 |
|
Amir |
28 |
|
Mustapha |
30 |
|
Dix |
30 |
25 |
Pierre |
40 |
15 |
TRACT (octobre 2003)
Recto
Qui sommes-nous ? Que
voulons-nous ?
Nous sommes un groupe dÕhabitants du quartier Stalingrad (10”-18”-19”) qui venons discuter avec vous de la manire de sortir de la drogue et particulirement du crack.
Nous sommes des gens soucieux la fois de lÕendroit o nous vivons et de lÕavenir gnral de ce pays, la France.
Notre travail ici dans la rue le soir est gratuit. Nous le faisons car nous sommes convaincus que la lutte contre la drogue est lÕaffaire de tous, pas seulement des pouvoirs publics.
Notre projet est de rflchir sur la politique mener contre la drogue et surtout contre le crack.
Nous avons dirig la mobilisation du quartier Stalingrad contre le crack de septembre 2001 juin 2002 dans le cadre du Collectif anti-crack. Notre exprience nous a montr que les dommages du trafic de drogue ne sÕarrtaient pas aux limites de nos rues et quÕil fallait aujourdÕhui en France mettre en place une vritable politique contre la drogue, la politique de rduction des risques pratique en France depuis 1995 nÕtant quÕune manire dÕabandonner le combat contre la drogue au nom de la seule lutte contre le sida. Pour notre part, nous pensons au contraire quÕil faut se battre la fois sur deux fronts, non un seul : contre le sida et contre la drogue.
Il nous semble possible dÕengager aujourdÕhui en France une politique qui refuse la fois la politique amricaine dÕemprisonnement des drogus et la politique suisse de rduction des risques en matire de sida. Cette autre politique comporterait deux volets :
„ un volet qui concerne les pouvoirs publics : il constitue une politique publique que nous appelons Ē politique de soins Č : cÕest une politique publique qui la fois renforcerait la rpression du trafic et des dealers, qui prviendrait la jeunesse dÕentrer dans la drogue et qui aiderait les toxicomanes se soigner de la drogue et pas seulement se protger du sida.
„ un volet qui concerne tout le monde : il constitue une politique collective consistant faire face au nihilisme. Il sÕagit l de soutenir quÕon peut vouloir quelque chose, aujourdÕhui en France, et non pas quÕon est condamn ne rien vouloir (en se conformant lÕtat du monde et le grant) ou vouloir le rien (lÕautodestruction).
Dans ce cadre, nous avons imagin la cration dÕun Samu-toxicomanie qui viendrait rgulirement sur le terrain proposer aux toxicomanes, en particulier aux Ē cracks Č, de prendre du recul par rapport leur situation en leur offrant quelques nuites lÕcart des lieux de trafic et de consommation. Cette Ē pause Č pourrait tre lÕoccasion pour chaque toxicomane de rexaminer sa situation personnelle et dÕenvisager si le moment nÕest pas venu pour lui de sÕorienter vers la dsintoxication.
Ce Samu-toxicomanie serait la premire ligne dÕune politique publique de soins en direction des toxicomanes. Il offrirait une occasion de rompre la rptition du shoot et peut-tre ainsi lÕoccasion au toxicomane de commencer une autre route : vers lÕabstinence mais surtout vers dÕautres manires, cette fois positives, dÕintensifier son existence.
Nous pensons en effet quÕun toxicomane se caractrise par le fait quÕil prfre vouloir la drogue plutt que ne rien vouloir, il prfre lÕintensit de la drogue plutt que de se rsigner lÕordre du monde, cÕest--dire de se conformer son dsordre. Il prfre vivre intensment dans la came plutt que simplement survivre en ne voulant plus rien. En ce sens le toxicomane nous semble pris dans le nihilisme plutt quÕil nÕest caractrisable comme dlinquant, victime ou malade mental.
Peut-on alors vouloir autre chose que lÕautodestruction ? Peut-on intensifier lÕexistence de chacun par autre chose que le shoot et le flash ? Est-il en particulier possible que lÕnergie que le toxicomane dirige contre lui se roriente pour quelque chose ?
Nous pensons quÕon peut vouloir quelque chose, aujourdÕhui et ici, quÕon nÕest pas condamn ne rien vouloir. Nous partageons donc avec vous la conviction quÕil y a lieu de vouloir, quÕon peut exister intensment et non pas seulement survivre. Nous voudrions discuter avec vous quelles conditions il deviendrait possible pour vous de vouloir quelque chose plutt que rien.
DÕo le questionnaire au dos que nous viendrons discuter dans la rue, un soir par mois, le premier mardi du mois.
Groupe
dÕenqute auprs des cracks du Nord de Paris
(ex-Collectif anti-crack de Stalingrad)
84, rue de lÕAqueduc – 75010.Paris Tl. : 06 76 58 18 27
Stalingrad@noos. fr www. entretemps. asso. fr/Stalingrad
Verso
Questionnaire :
Ė quelles conditions un toxicomane peut-il en venir sÕmanciper du crack
en voulant autre chose que la drogue ?
I : Vouloir
la drogue ?
Vouloir le crack ?
Soutenez-vous que vous Ē voulez Č la drogue que vous consommez ?
Concentrez-vous toute votre nergie sur cette pratique et sur le mode de vie qui en dcoule ?
LÕeffet des drogues doit-il tre pour vous renforc par certaines conditions de consommation ? Mettez-vous pour cela en Ļuvre certaines tactiques particulires : vous shooter dans tel lieu plutt que dans tel autre, avec dÕautres ou seul, etc. ?
Vouloir lÕautodestruction ?
La consommation de drogues est-elle pour vous associe lÕide dÕautodestruction ? Soutenez-vous que vous vous autodtruisez en consommant de la drogue ? Faites-vous, de ce point de vue, une diffrence entre hrone, cocane et crack ?
Si vous pensez que vous vous autodtruisez en consommant telle ou telle drogue, est-ce l pour vous une manire dÕintensifier le shoot ou est-ce plutt pour vous un dfaut invitable ?
Vouloir le rien plutt que ne rien vouloir ?
Consommer de la drogue est-il pour vous une manire de vivre intensment en refusant une simple logique de survie, en cartant lÕide de grer une vie qui ne saurait rien vouloir ?
Que pensez-vous de lÕapproche soutenant que le toxicomane est moins un dlinquant, une victime ou un malade mental quÕun nihiliste ?
II : Arrter
ce vouloir/Vouloir arrter ?
SÕarrter ?
Connaissez-vous des Ē cracks Č qui ont arrt de se droguer ? Si oui, savez-vous dans quelles conditions ils ont russi le faire ?
Vous-mme avez-vous dj tent dÕarrter la drogue ? Comment cela sÕest-il pass ? Quel a t lÕvnement dclencheur ? Quels moyens avez-vous employs ? Combien de temps avez-vous tenu ? QuÕest-ce qui vous a fait ensuite revenir la drogue ?
Ė quelles conditions peut-on vouloir sÕarrter ?
Faut-il pour cela quÕil se passe quelque chose qui interrompe la rptition de la consommation et offre lÕoccasion de commencer autre chose ?
į Une rencontre ?
į Un sjour en prison ?
į Un accident physique ?
į Ē Toucher le fond Č ?
Les produits de substitution ?
Pensez-vous que mthadone et subutex sont des moyens dÕarrter la drogue (pas seulement lÕhrone) ou pensez-vous plutt quÕils installent le drogu dans une toxicomanie socialement contrle ?
En prenez-vous vous-mme ? Depuis quand ? Pourquoi ? Quelle valuation personnelle faites-vous de cet usage ?
Samu-toxicomanie ?
Un Samu-toxicomanie pourrait-il vous fournir lÕoccasion de prendre du recul et de rflchir tout cela ?
Pensez-vous que sÕcarter quelques jours des lieux de trafic et de consommation, rencontrer des gens attentifs votre situation, pourrait constituer pour vous lÕoccasion dÕentamer autre chose ?
Si un tel Samu-toxicomanie venait votre rencontre, accepteriez-vous sa proposition dÕaller dormir et vous reposer lÕcart de ces lieux ?
III : Un
autre vouloir/Vouloir autre chose ?
Par o commencer ?
Si vouloir sortir du crack, cÕest surtout commencer, par quoi selon vous commencer ?
Une fois commenc, quelles vous semblent pouvoir tre les tapes du chemin vers lÕabstinence ?
Connaissez-vous les Narcotiques Anonymes ? Avez-vous dj rencontr un de ses membres ? QuÕen pensez-vous ?
Vouloir autre chose ?
Peut-on selon vous vouloir autre chose que la drogue ? Par exemple :
į Ē Vouloir Č un amour ?
į Ē Vouloir Č un art : la musique, le thtre, la danse, la posie, etc. ?
į Ē Vouloir Č un artisanat ou un travail manuel : la sculpture sur bois ou la taille de la pierre, la menuiserie et lÕbnisterie, etc. ?
į Ē Vouloir Č une science ou une discipline intellectuelle : les mathmatiques, lÕastronomie, la chimie, lÕarchologie, la philosophie, etc. ?
į Ē Vouloir Č une pratique corporelle : un sport, un jeu, une activit dans la nature ?
į Ē Vouloir Č une pratique collective : un engagement politique, un travail associatif ?
į Ē Vouloir Č (tre guid par) une spiritualit ?
*
Avez-vous dj rencontr des gens, ou des circonstances particulires, qui pour vous ont indiqu une possibilit de vouloir autre chose que la drogue ?
––––––
Premire soire (mardi 8 octobre 2003)
Pour notre premire soire la rencontre des toxicomanes du nord de Paris, le temps tait en notre faveur : pas de pluie, et une temprature clmente ; le parcours nocturne des rues du 18” (rue Lon, rue Myrha, boulevard Barbs) en tait rendu moins aride.
Cette soire a donn lieu de trs nombreux changes avec les toxicomanes lesquels se sont avrs dsireux de parler longuement avec nous dans la rue. Beaucoup nous connaissaient dj (nous nous prsentions avec le tract recto verso : Ē Qui sommes-nous ? Que voulons-nous ? Č/Ē Questionnaire : Ė quelles conditions un toxicomane peut-il en venir sÕmanciper du crack en voulant autre chose que la drogue ? Č). Ė notre surprise, certains mme nous appelaient par notre prnom. LÕhistoire du Collectif anti-crack de Stalingrad est en effet bien connue et, plus encore, apprcie par les toxicomanes avec qui nous avons parl : ils nous flicitaient pour ce que nous avions fait dans notre quartier en 2002.
Sur cette base un peu inattendue, nous avons longuement discut avec une dizaine dÕentre eux, recueillant leurs avis partir du questionnaire que nous avions prpar et que nous leur remettions. Il ne sÕagit pas bien sr dÕun questionnaire dÕopinion, remplir point par point. Nous restituons donc ici les propos quÕil a t possible de consigner, dans la dynamique de lÕchange tel quÕil sÕest engag ce soir-l. Seuls les prnoms ont t modifis.
Suite ces propos recueillis, nous formulerons quelques remarques gnrales, une sorte de premier bilan de cette soire. Notre objectif gnral, rappelons-le, est dÕenquter auprs des toxicomanes sur leur rapport au Ē nihilisme Č et sur notre proposition de Samu-toxicomanie en sorte de rdiger au terme de ce travail (en juin prochain) un rapport qui pourra tre mis la disposition de tout un chacun.
[Petit, bonnet sur la tte, mince sans tre maigre, habill proprement, Andr ne ressemble pas aux cracks habituels de Stalingrad. Il parle trs aisment et veut trs vite nous expliquer ses positions par rapport notre questionnaire.]
Je suis tout fait dÕaccord avec ce que vous crivez sur le Subutex : cÕest une faon de contrler socialement les toxicomanes sans pour autant les soigner. Le Subutex, cÕest une drogue lgale, mais une drogue. Ceux qui lÕont mise en circulation, ils ont rien fait pour lÕarrter ensuite. Mais on va pas rester l-dedans vie !
Je suis aussi dÕaccord que le toxicomane ne doit pas embter les gens, ne doit pas se shooter dans les cages dÕescalier. CÕest l une trs mauvaise image du toxicomane. En fait, le toxicomane se cre lui-mme son image. Moi, je fais attention, et je ne fais pas nÕimporte quoi.
Est-ce que jÕai essay dÕen sortir ? JÕai dÕabord essay de sortir de lÕhrone. JÕy suis arriv en prenant un produit de substitution : le Subutex. Puis jÕai voulu dcrocher du Subutex mais cÕest dix fois plus dur que de dcrocher de lÕhrone : cÕest un produit qui est dans ton corps. Moi, je le prenais simplement comme garde-fous. JÕai russi en dcrocher. Puis cela a t le crack. Le crack, cÕest pire ! Pourtant je ne bois pas dÕalcool. Le crack, cÕest pire car a isole lÕindividu, a fait ressortir lÕagressivit, et aussi lÕgosme. Ca entrane des plans pas bons : cela pousse lÕarnaque, au vol, etc. et puis il nÕy a pas de produit de substitution au crack.
La substitution, a nÕarrange rien. CÕest un produit pour contrler. CÕest un programme pour remplacer une drogue par une autre, pas pour en sortir.
Aprs le Subutex, je suis reparti sur le crack parce quÕil suffit pour cela dÕun dsarroi. On est fragile, et ds quÕon a un problme, le crack, cÕest le plus facile pour oublier. Mais le crack, a fait quÕempirer les choses : avec le crack, tu as besoin de beaucoup plus dÕargent quÕavec lÕhrone.
Et puis il y a aussi le problme des mdicaments, avec le march des neuroleptiques quÕil y a ici. Les mdicaments, a fait beaucoup plus de dgts encore que le crack. Il y a les produits pour dormir qui sont dtourns : avec un cachet, tu tÕendors, mais avec dix cachets et de lÕalcool, cÕest un stimulant qui tÕembrouille lÕesprit et te fait un trou noir. CÕest pour cela quÕil y a des agressions : cÕest pas vraiment la drogue, parce que la drogue, cela tÕisole ; cÕest les cachets.
Les Narcotiques Anonymes ? Je les ai rencontrs il y a quelques annes, mais je nÕai pas senti de soutien de leur part : la runion passe, le problme est toujours l !
Le meilleur moyen pour dcrocher, cÕest de quitter la place. CÕest l le premier pas qui permet de savoir si quelquÕun veut vraiment dcrocher. Quand jÕai dcroch du Subutex, jÕai pass six semaines en Espagne. Ensuite je suis revenu ; jÕtais fier de moi. Puis il y a la routine qui sÕinstalle, et on revient o lÕon a ses repres. Six semaines, cÕest bien pour le corps, mais cÕest pas assez pour le psychique.
La meilleure arme pour dcrocher, cÕest une activit, peu importe laquelle. Si tu restes sans rien faire, cÕest sr : tu retomberas.
JÕai 38 ans, et jÕai commenc la drogue 18 ans. Je viens du Cap-Vert. JÕai une famille ici, et heureusement je lÕai pas perdue.
JÕai une formation dÕlectrotechnique et aussi dÕinformatique. Mon casier judiciaire est pas trop lourd ; cela fait dix ans que jÕai pas eu de vrai problme avec la Justice.
En fait, je suis ici un cas part. Je ne me laisse pas aller. Le seul problme, cÕest le crack ; je ne pourrais lÕarrter quÕen partant ailleurs. Mais il faudrait pour cela un dclic. Ca pourrait tre partir dix jours pour me refaire une sant.
Est-ce que jÕai conscience de mÕautodtruire ? Oui, il faut pas se voiler la face, mais je le fais petite dose. Il y en a qui le font haute dose, 24 heures sur 24. JÕai connu ce stade, mais cÕtait il y a longtemps. Maintenant, quand je fume du crack, je cherche simplement mÕoccuper. Pour le plaisir, je prfrerais en avoir en tant simplement avec des amis. Quand je fume, cÕest que quelque chose ne va pas. CÕest plus vraiment pour le plaisir, cÕest plus un automatisme, comme la clope. On fume parce quÕau dbut, a donne de lÕeuphorie, mais mon niveau, le plaisir est pass depuis longtemps, lÕeffet est plus le mme. LÕeuphorie est au dpart trs agrable, mais cÕest sur une courte dure.
Le meilleur moyen de comparer le crack, cÕest la clope. Tu fumes pareil. Sauf que le crack, cÕest illgal.
Avec le crack, le temps passe plus vite. Le crack, cÕest une faon de passer le temps. LÕeffet passe trs vite, mais le temps passe aussi trs vite ; cÕest un paradoxe. Le temps de la descente aprs lÕeuphorie est long mais on ne sÕen aperoit pas.
Je suis lucide ? Tout le monde me lÕa dit : Ē tu nÕas rien faire l-dedans ! Č.
Comment je suis tomb dedans ? Je le sais mais ce serait une longue histoire raconter. Peut-tre une autre foisÉ
Avec le crack, tu es tout seul, mais cÕest ce que tu as fait qui entrane que tu te retrouves tout seul. La vie, elle est dure pour tout le monde.
Ce que vous faites est courageux, car vous prenez sur votre temps.
[Grand, maigre (trop maigreÉ), les cheveux blonds, pas dglingu si ce nÕest un visage maci qui trahit quelques dures annesÉ]
JÕai pass mon enfance dans lÕOise et je suis mont Paris pour travailler dans lÕentreprise familiale comme ouvrier charcutier. a a dur quatre ans. a me plaisait pas trop comme boulot. Alors je suis rentr dans lÕhtellerie. Je bossais alors la brasserie du Louvre. JÕai mme fait lÕinauguration de la pyramide du Louvre. Le boulot tait trs dur ! Puis jÕai t licenci.
Durant cette priode, jÕhabitais Barbs et je me suis retrouv trs vite en contact avec la drogue, surtout lÕhrone. Or, jÕtais trs timide, trs introverti et les shoots me permettaient dÕoublier la timidit. Avec a, je me sentais trs puissant. a me donnait aussi la pche dans mon boulot. Je pouvais comme a affirmer ma personnalit ! Je travaillais alors encore plus vite, et je gagnais encore plus dÕargent.
Je me suis mari et nous avons attendu un enfant. En 88, jÕappris que jÕtais sropositif et mÕa foutu un sacr coup. Je craignais que lÕenfant le soit aussi. Notre fils est n quelques mois aprs, et par chance, il tait ngatif. Les mdecins mÕavaient donn six ans de survie. JÕtais compltement effondr. Je ne pouvais plus me projeter dans lÕavenir. Plus de projets, plus dÕavenir. Pour ma femme, cela a t pire encore : moi, je pensais que je nÕallais pas vivre, elle pensait que jÕallais mourir. Je voulais cette poque ouvrir un bar. Ma femme mÕa quitt et jÕai plong. Plus rien ne mÕintressait. Plus rien nÕavait dÕimportance. JÕavais lÕimpression dÕtre dj mort. Je suis tomb dans une sacre galre, aprs a.
Tu sais, les toxs comme moi, ils cherchent un peu lÕextrme, le bonheur absolu comme dans lÕamour. JÕai toujours t un peu extrmiste, chercher une espce dÕabsolu. CÕest un peu pareil comme trip. CÕest super fort. Et puis ils essaient de savoir jusquÕo ils peuvent aller. SÕils vont trop loin, cÕest alors la recherche du suicide, lÕenvie de ctoyer la mort.
AujourdÕhui, jÕai toujours des priodes de dpression. Alors, je fais le voyage jusquÕici. JÕhabite Nanterre mais je ne cherche jamais le produit vers chez moi. En ce moment, je recherche de la morphine et je prends toujours un peu de mthadone. Quand jÕai une priode de stress, je ne me sens pas bien, alors je retombe. a peut durer une quinzaine de jours.
Avec la mthadone, jÕai russi sortir de lÕhrone. Mais la mthadone cÕest dur aussi ; cÕest une drogue quand mme dure. Au bout dÕun an et demi – deux ans, jÕai voulu arrter la mthadone. Les mdecins voulaient pas me rduire mes doses de mthadone. JÕen prenais 80 mg par jour. Il a fallu que je me batte contre eux pour rduire ma dose, de 5 mg par mois. JÕai russi tout arrter comme a. CÕtait en janvier dernier. JÕai tenu jusquÕ lÕt, et depuis septembre, jÕai recommenc avec le Skenan. Mais jÕai presque arrt. Je fais des kilomtres pour venir ici chercher le produit, je prfre me dplacer plutt que dÕen prendre o jÕhabite car si tu prends la came dans le quartier o tÕhabites, cÕest foutu. JÕai connu a quand jÕhabitais dans le 18”, je veux pas retomber dans la galre, sans logement.
Pour arrter compltement, il faudrait que jÕai plus mes problmes : jÕai pas de travail, et plus de compagne. Je vis avec une allocation dÕhandicap (jÕai aussi lÕhpatite CÉ).
CÕest bien de parler ainsi. Jamais, je ne parle de tout a, nulle part. CÕest pas les flics qui vont le faire ! Pourtant, jÕaimerais bien parler de mes problmes, de ma sropositivit. Mais personne ne mÕcoute.
Les Narcotiques Anonymes ? Je les ai rencontrs une fois seulement, mais ils parlaient de Dieu, dÕun ętre suprme, dÕune force suprieure, je ne sais plus. a mÕa pas trop plu et pourtant je suis croyant. CÕtait pas mon truc.
JÕai maintenant 40 ans, et jÕai commenc la drogue 17 ans.
JÕai plus dÕides sur ce que je pourrais faire. Je connais plus le travail de lÕhtellerie. JÕai t faire un stage de rinsertion pendant trois mois Montreuil. CÕtait bien. On nous a fait faire des percussions, et de la sculpture sur fer. JÕaurais bien voulu continuer cela, comme mtier dÕart. Cela mÕintressait beaucoup. Mais le seul mtier qui existait pour trouver un boulot, cÕtait la soudure industrielle : jÕavais pas envie de me retrouver souder des sries de plaques de tleÉ
AujourdÕhui, mon moteur cÕest mon fils. Il a 14 ans et jÕai obtenu sa garde quinze jours par moi. a me fait du bien. Mais il reste toujours les quinze jours o il nÕest pas l ! En plus de la came, il y a aussi la tri-thrapie grer. a aussi, cÕest dur. Mais je crois que je vais en sortir, bientt. Je ne sais pas. CÕest vrai quÕen sortir, a voudrait dire retrouver lÕamour, un travail. Dj le travail, a serait pas mal. Peut-tre mi-temps au dbut. Je pense que cÕest possible. JÕy crois.
Mais cÕest sr que pour dcrocher, il faut sÕaccrocher un truc.
[Agit, la bouche pteuse, ses propos sont un peu dcousus, entrecoups par des absences]
Le toxicomane, cÕest quelquÕun qui a eu trop de problmes.
Le toxicomane vit une frustration. Il est pas le seul mais Dieu nous a diffrencis et on ragit pas pareil.
La came, cÕest une maladie dont il faut gurir.
Le Subutex, cÕest la drogue de lÕtat. En fait, cÕest la vraie drogue de lÕtat. On est tous dans la merde. La merde, cÕest le mot o il faut associer lÕtat.
Le toxicomane, il est sdf. Il lui faut une structure. La Croix Rouge pour cela fait un travail formidable : jÕai un frre [un ami du pays] qui a comme cela arrt depuis un an et demi ; il a eu une maison, un travail, a fait des responsabilits.
Le Subutex, cÕest de la morphine, comme dans lÕhrone. Les mdecins font nÕimporte quoi : il y en a qui mettent sur la mme ordonnance du Rohypnol et du Subutex, sur la mme ordonnance ! Comment un mdecin peut faire a ? Le premier est un calmant et le second un stimulant !
Je suis n en 1968, jÕai maintenant 35 ans, jÕai connu la drogue 17 ans.
Je me suis retrouv la rue, et la rue, cÕest comme les chiens : tÕattrape des puces !
Pour en sortir, il faut que tÕaies le maximum de problmes. Sinon, tu sors pas !
[Passent trois CRS pieds] Tiens voil la rpression ! Maintenant les CRS, ils vont mme mettre des P.V. sur les bagnoles ! Mais je suis pas anti-flics, parce que je me suis trouv dans des situations pas possibles.
[Grand, visage rieur, ne ressemble pas aux cracks sdf quÕon connat Stalingrad.]
CÕest difficile dÕexpliquer. Des fois je pense en tre sorti, puis je replonge pour affronter la ralit. Les drogus, ce sont des victimes. Il faut sÕoccuper dÕeux.
JÕai un petit frre – 29 ans – qui est dans le crack. Je voudrais lÕaider mais je ne peux pas. Je me sens mal plac parce que moi-mme je ne suis pas un bon exemple, une rfrence. Je ne suis pas assez clair, parce que je suis dans une situation complique, je ne mÕautorise pas le conseiller.
Ici quand on se shoote, on dit quÕon va au Japon. Quand un gars est parti pendant deux ou trois jours, on dit quÕil est all au Japon !
Une fois je voulais mÕen sortir, je suis all dormir dans une des structures quÕoffre le quartier, parce quÕon mÕa dit que cÕtait une solution. CÕest faux, cÕest pire que tout, cÕest une calamit. Tout le monde fumait en cachette. Ca donnait envie de recommencer. Mais moi, je nÕai pas voulu faire comme eux, parce que cÕest hypocrite. Mais quand tout le monde a fini, jÕai sorti mes [geste pour dsigner les galettes de crack] et jÕai fum pour les narguer. CÕest pas bien, parce que cÕest de lÕimitation, de la concurrence.
Les solutions ? Le Samu-toxicomanie, cÕest une bonne ide, mais pour aller o ? Je prfre squatter dans le quartier, pas loin, l-bas, dans ces immeubles. Tu squattes, et comme cela, tu quittes pas le quartierÉ
La drogue, cÕest affreux, a fait faire des chosesÉ Vous avez vu ce type qui en a poignard un autre pour 40 Ū ? CÕtait crit dans Le Parisien.
Et cette fille qui tait en manque et qui a laiss son enfant un type en lui disant de le garder pendant quÕelle allait en chercher. Elle nÕest jamais revenueÉ et le type a gard lÕenfantÉ
[Avec un grand rire] Peut-tre que mon petit frre, en fait cÕtait moiÉ
Comment je suis rentr dans la drogue ? Je menais une vie tranquille, comme Monsieur tout le monde. Je travaillais chez ma sĻur et son mari dans une boutique loue la RATP (dans le mtro). En raison de la baisse de lÕactivit commerciale, ils ont t obligs de vendre leur commerce. Avec mon divorce en plus, a a t le dbut de ma descente aux enfers.
Ce que jÕai fait pour mÕen sortir ? Pas grand-chose. JÕai pass plus dÕun an dans le centre du Patriarche. CÕtait trs difficile pour nous, mais cÕtait par contre la belle vie pour les stratges : ceux qui dirigeaient le centre.
Je me suis enfui du centre en 1988 et jÕai recommenc me droguer : hrone, cocane et enfin le crack. Aprs, je suis parti au bled deux ans mais l-bas, tÕas pas dÕargent, pas dÕactivit ; cÕest le calvaire et je suis rentr en juillet 2002.
Ce qui me ferait sortir de la drogue ? Avoir un travail, me reconstruire et avoir une vie normale.
Si votre Samu-toxicomanie est la mme chose que Mdecins du monde, cÕest de lÕargent de perdu parce que tous ceux qui frquentent ces structures reviennent sur le lieu de la drogue et donc ils ne sÕen sortent jamais.
[CÕest le plus g de ceux que nous avons rencontr ce soir. Il nÕest pas trs marqu physiquement]
Je ne dcouche jamais, je passe toujours la nuit chez moi, sauf si jÕai rat le train pour Brie-sur-Marne.
Je suis rentr dans la drogue cause de la musique, pour chercher de lÕinspiration.
JÕai commenc par lÕhrone et puis jÕai pass au crack parce le crack, je peux lÕarrter quand je veux, et je le reprends quand je veux. DÕailleurs a fait trois semaines que je nÕai pas touch au crack.
Mon problme moi, cÕest quÕ Stalingrad il y a une sorte de magntisme qui te pousse tenter le diable, cÕest--dire le crack.
Malgr que je ne sois pas un accro, je souhaite me sortir dfinitivement du crack juste pour mes enfants, qui ont 23 et 12 ans, pour quÕils ne suivent pas mon exemple.
Et jÕespre ne pas vous revoir lors de votre prochaine tourne.
Je suis trs conscient de la gravit de mes actes. Je suis rentr dans la drogue il y a trois ans (deux dans lÕhrone et depuis un an dans le crack) en frquentant de mauvaises gens et des mauvais endroits.
Tout ce que je souhaite, cÕest de sortir de cette galre, refaire face et retrouver mon fils. Je prie le bon Dieu pour quÕil mÕaide refaire face et devenir un autre homme et non pas un toxicomane. Je sais quÕil me faut beaucoup de volont mais surtout un coup de pouce.
CÕest quoi pour moi un coup de pouce ? Par exemple des gens comme vous qui me rappellent cet tat dÕautodestruction. JÕai lÕimpression de me suicider petit petit et je nÕai pas envie que ma vie se termine ainsi.
[Avec son physique discret, un
petit gabarit, il se prsente dÕabord comme un simple passant.]
Je ne touche pas la drogue. Je veux bien lire votre papier, cÕest tout.
[Comme nous lui expliquons
notre action, notre volont dÕenquter auprs des toxicomanes, Karim se
dcouvre un peu.]
JÕai pris du crack, mais jÕai arrt. CÕest fini tout a. Ca fait des annes que je nÕy touche plus.
[Nous lui demandons alors de
raconter son parcours. QuÕest-ce qui lÕa dcid arrter le crack ?]
JÕai arrt parce que ce nÕtait plus
possible. Ma sĻur est morte du sida. Oh, elle ne se droguait pas. Elle a t
sropositive cause de relations sexuelles.
CÕest donc le dcs de votre
sĻur qui vous a dcid arrter le crack ?
Mais non ! Pas seulement. Tout
allait de travers. Des amis moi ont t en prison. Moi, a nÕallait plus du
tout. Certains amis sont morts et je ne suis pas all leur enterrementÉ
Vous vous sentiez
coupable ?
Oui cÕest a, je nÕtais pas bien, je
ne pensais quÕ a, il fallait que jÕarrte. AujourdÕhui, je ne suis plus
dpendant, cela va beaucoup mieux.
[Et Karim retrousse ses manches, montrant ses bras. Pas
de trace de piqresÉ]
Bon, et que faites-vous comme
mtier, vous travaillez ?
Moi, je suis mcanicien dans
lÕautomobile. Pour lÕinstant, je suis au chmageÉ
Et cÕest dur ? Vous avez
un logement ?
Non, je suis sdf, cÕest dur de
trouver un boulot.
Et pourquoi tes-vous l ce
soir ? CÕest un coin connu pour la vente de produitsÉ
Je peux me passer de drogue. Mais je
viens ici pour du Subutex. On peut en acheter facilement. Mais je nÕen prends
pas tous les jours, je peux attendre trois jours. CÕest vraiment quand je
commence tre malade que je viens iciÉ
[Avant de nous quitter, il ajoutera :] CÕest vrai, de temps en temps, je prends encore du
crack. Mais je ne suis plus dpendant. Je peux
mÕarrter quand je veux.
[Silhouette lgante. Guy tient en laisse un chien-loup, ressemble un jeune bourgeois en promenade. Quand nous lui annonons notre action, il nous parle immdiatement de soins, comme si tout commenait pour lui ce moment-l.]
JÕai t soign Marmottan. cÕest trs bien l-bas, ils sÕoccupent de vous. Et jÕai fait une post-cure. Mais a nÕa pas march. JÕai voulu arrt pour ma copine, parce quÕelle ne se drogue pas. Mais quand je suis revenu ici, jÕai retrouv tout le monde, les habitudes, et jÕai replongÉ
Vous semblez trs jeune. Habitez-vous encore chez vos parents ?
JÕai 23 ans, jÕhabite avec ma copine. Elle est tudiante en arts plastiques. Elle ne se drogue pas. Ma mre est une prof dÕarts plastiques, mais je nÕhabite plus avec elleÉ
Comment faites-vous pour payer votre logement ?
On habite dans un squat, on ne paie pas de loyer, comme a, on peut sÕen sortir. Mais je vais retourner MarmottanÉ
Comment gagnez-vous de lÕargent ?
Je fais la manche, un peu partout, avec mon chien. Je peux payer lÕlectricit. Mais je dois y aller, je dois vous quitter maintenantÉ
[Avant de nous sparer, nous lui demandons dÕtre plus prcis sur sa toxicomanie : types de produits consomms, et quel ge.]
Ė 14 ans, jÕai commenc avec du shit. Vers 16-17 ans, jÕai continu avec des drogues dures : la cocane, de lÕecstasy, de lÕacideÉ Et aprs 18 ans, de lÕhroneÉ Maintenant, jÕai dcid de mÕen sortir pour moi-mme et pas seulement pour ma copine. Comme a, je serai plus motiv quand je vais revenir MarmottanÉ Cette fois, je veux vraiment mÕen sortir. Allez, au revoirÉ
Rappelons nos objectifs, et nos mthodes.
Il sÕagit pour nous dÕenquter auprs des toxicomanes, singulirement des Ē cracks Č, sur notre proposition de Samu-toxicomanie, plus gnralement sur les conditions runir pour quÕils puissent vouloir dcrocher.
Notre hypothse de travail, qui dicte aussi notre mthode : pour pouvoir lÕencourager se dsintoxiquer, il nous faut nous rapporter au toxicomane (celui des drogues dites Ē dures Č) moins comme un dlinquant, une victime ou un malade que comme un nihiliste cÕest--dire quelquÕun qui prfre vouloir le rien (lÕautodestruction, la mortÉ) que ne rien vouloir.
Ē Nous Č ? Nous ne sommes pas les pouvoirs publics. Nous ne sommes pas un dtachement de lÕappareil dÕtat. Nous sommes un groupe de gens dÕun quartier limitrophe, de gens de ce pays, qui venons l, porteurs dÕun point de vue labor au fil de nos mobilisations Stalingrad et convaincus que se battre contre la drogue (Ē Pas de socit sans lutte contre la drogue ! Č) ne peut tre que lÕaffaire de tous et non pas lÕaffaire exclusive des pouvoirs publics. Trs simplement dit, toute politique contre la drogue comporte trois volets : la rpression de lÕoffre (donc des dealers), les soins aux toxicomanes et la prvention de ceux qui ne sont ni dealer ni toxicomane. Il est clair pour nous que la rpression est lÕaffaire exclusive de lÕtat (pas de milices !), que les soins sont lÕaffaire du secteur public (hospitalierÉ) mais que la prvention est lÕaffaire de tout un chacun, donc aussi de Ē nous Č.
Le policier et le juge ont affaire au toxicomane comme dlinquant, le travailleur social tend considrer le toxicomane comme une victime, le mdecin psychiatre se rapporte au toxicomane comme malade (mental). Nous avons choisi de considrer le toxicomane plutt comme un nihiliste, cÕest--dire de prendre en compte la face Ē positive Č de son autodestruction : lÕexistence chez lui dÕun Ē vouloir Č, fut-ce un Ē vouloir le rien Č. Notre hypothse est en effet quÕun tel vouloir est au moins refus de la rsignation passive devant le dsordre du monde, de lÕacceptation vgtative et gestionnaire du Ē il y a Č.
Comment, faisant fond sur ce vouloir, crer les conditions pour que ce Ē vouloir le rien Č mute en un Ē vouloir quelque chose Č ? Un Samu-toxicomanie, proposant au toxicomane de sÕcarter quelques nuits de la scne de la drogue pour lui permettre de prendre un peu de recul, de se Ē refaire une sant Č, dÕexaminer si le moment nÕest pas venu pour lui de sÕengager dans la voie de la dsintoxication, de rencontrer des gens prts lÕaider pour cela (et ne se contentant pas de lui offrir la perspective dÕune toxicomanie vie dans la mthadone ou le Subutex), une telle proposition a-t-elle ou non une pertinence pour eux ?
Voil donc notre propos.
SÕil est trop tt pour tirer des conclusions sur tout cela, les changes de cette premire soire nous semblent indiquer les points suivants.
1. Le toxicomane comme dlinquant ?
Plusieurs toxicomanes rencontrs ce soir-l indiquent que devenir dlinquant leur semble bien tre le pril pour eux plus encore que pour les autres. Nous avions dj rencontr ce point Stalingrad : quand nous leurs disions Ē Ce nÕest pas parce que vous vous empoisonnez quÕil faut empoissonner la vie des gens du quartier Č, ils nous dclaraient leur accord sur ce point, ce qui confirme, une fois de plus, que toxicomane et dealer font deux et non pas unÉ
Comme nous a dit Andr, Ē le toxicomane se cre lui-mme son image Č : sÕil a une image de dlinquant, cÕest quÕil lÕa cre. DÕo une valuation (par chacun des toxicomanes rencontrs) des menaces respectives de chacune des drogues consommes : le crack et certains produits pharmaceutiques semblent ici les plus dsintgrateurs.
Ė ce titre, les produits de substitution apparaissent comme de simples moyens de contrle social de la dlinquance engendre par la toxicomanie : contrle qui nÕest pas en soi inutile, bien sr, mais qui ne saurait se prsenter comme un soin des toxicomanes : la bien nomme Ē substitution Č ne fait que dplacer les problmes en remplaant une drogue par une autre. Si cette substitution permet de gagner du temps, encore faut-il que ce temps serve quelque chose : runir les conditions pour une dsintoxication ; cette substitution ne saurait tre une fin en soi.
2. Le toxicomane comme victime ?
Denis fut le seul tenir ce soir-l un tel propos. Mais, point remarquable : il a caractris ainsi le toxicomane dans le mouvement mme o il se dissimulait comme tel sous le visage imaginaire dÕun petit frreÉ Bref, nÕosant pas se dire toxicomane, il a recouru lÕimage la plus convenue pour instaurer une complicit entre lui et nous, entre habitants face Ē aux toxicomanes ČÉ Ou encore : caractriser le toxicomane comme victime tait homogne son mouvement pour dissimuler lÕtat rel des choses. La caractrisation comme victime relevait donc ici de la fiction convenue, dÕun faire semblant plutt que dÕun faire face au rel.
Les autres (Jean-Philippe en particulier) affrontent lucidement leur histoire. Le mot Ē victime Č nÕa gure ici de vertu (si le toxicomane est victime, cÕest en gnral avant tout de lui-mme), ne permettant gure de comprendre les enjeux subjectifs rels pour le toxicomane.
Les toxicomanes rencontrs ce soir-l nous dclaraient leur responsabilit plutt quÕils nÕen appelaient dÕun apitoiement devant des Ē victimes ČÉ CÕest ce qui a rendu possible nos changes, galit de pense et de libert avec eux.
3. Le toxicomane comme malade ?
Tel est un des aspects de ce que nous a dclar Abdoulaye ce soir-l (au milieu de propos un peu dcoususÉ). Mais l encore, la suite de ses dclarations, orientes vers lÕimportance de lÕaide sociale plutt que de lÕaide psychiatrique, semble indiquer que le terme de Ē malade Č fonctionne pour lui comme nomination un peu convenue plutt que comme terme prcis.
Il faut dire, sans doute, quÕil doit tre difficile pour quelquÕun de se dire en cette circonstance un Ē malade Č (malade mental sÕentend, puisque les maladies physiques — sida et autres — sont bien sr releves comme consquences de la toxicomanie, l o la maladie mentale pourrait par contre tenir lieu de Ē cause Č).
Ceci dit, cette dimension de Ē maladie Č apparaissait dans les rflexions de Jean-Philippe qui indiquait quÕil tait tomb dans la drogue pour Ē oublier Č sa timidit, sortir de son introversion, affirmer sa personnalit et se sentir plus puissant. Pointe ici cette ambivalence originelle de toute drogue entre une fonction possiblement thrapeutique et un usage de plaisir auto-destructeur. Comme si toute drogue jouait dÕune perversion verbale (avant peut-tre dÕtre la mise en Ļuvre dÕune perversion plus effective) retournant le soin possible en un empoisonnement, renversant gurison et autodestruction ! Comme si toute drogue tait une exploitation perverse et sophistique de la dialectique (quand une chose serait indistinguable de son contraire)É
4. Le toxicomane comme nihiliste ?
Le parti pris de la plupart des toxicomanes rencontrs ce soir-l de se considrer comme des gens responsables de leur tat est une donne prcieuse. Se tenir pour responsables de lÕtat dans lequel on se trouve semble la condition mme pour pouvoir envisager de modifier cet tat.
Andr, comme Jean-Philippe, pose dÕailleurs quÕil auto-limite son empoisonnement. Il dclare savoir de quoi il retourne pour lui (point remarquable : personne nÕexalte une jouissance provoque par les drogues consommes ; il sÕagit seulement de plaisirs, parfois — cf. Andr — assez faibles, tel celui de la cigarette, mais pas dÕexpriences thmatises comme inoues). Il assume quÕun vouloir est bien chez lui lÕĻuvre, en sa double face : ngative (auto-empoisonnement) et positive (auto-limitation de cet auto-empoisonnement).
Le vouloir est donc bien scindable et rien nÕinterdit, les entendre, que ce Ē vouloir le rien Č ne puisse donc commuter en un Ē vouloir quelque chose Č.
Jean-Franois dit bien que Ē pour dcrocher, il faut sÕaccrocher un truc Č : il faut une volont positive (Ē pour quelque chose Č) pour arriver vouloir ngativement (Ē contre la drogue Č). Et en ce point, la situation des toxicomanes rencontrs ce soir-l est assez dure : il sÕagit dÕhommes approchant la quarantaine, et toxicomanes depuis prs de 20 ansÉ
Quel peut tre alors le dclic ? Dans quelles conditions leur vouloir existant peut-il commuter en un Ē vouloir dcrocher Č ? Plusieurs indiquent que le point de dpart peut tre (doit tre mme) un loignement de la scne de la drogue. De ce point de vue, la pratique consistant fixer les toxicomanes sur le 18” par des lieux de vie semble irresponsable pour qui veut vraiment lutter contre la drogue et pas simplement grer lÕtat des choses. QuÕil y ait sur place des lieux de rencontre est une chose — mais finalement, sÕil sÕagissait seulement dÕaller la rencontre des toxicomanes chacun pourrait le faire encore mieux comme nous le faisons : en allant sur place et la nuitÉ —, mais inciter les toxicomanes dormir sur place semble relever dÕune tout autre logique (voir ce quÕen dit dÕailleurs DenisÉ).
Des quipes dÕun Samu-toxicomanie, payant de leur personne pour aller la rencontre la nuit des toxicomanes (et non pas les attendant dans un local administratif), sembleraient pouvoir rpondre ce besoin de dclic par loignement (volontaire, bien sr) des lieux de deal et de consommation.
––––
Seconde soire (mardi 6 novembre 2003)
Le temps tait clment pour cette seconde soire la rencontre des toxicomanes du 18”.
Ė nouveau de trs nombreux changes, dont les toxicomanes sÕavrent trs demandeurs, comme si nous constitutions leurs seuls interlocuteurs dsintresss : ne venant rien leur offrir, ou leur vendre, nous tions simplement des gens venant discuter avec eux, dans la rue, la nuit, sur leur terrain.
Nous distribuions le mme tract que la fois prcdente. Cette feuille tait toujours trs prise, parcourue, puis plie dans la poche, Ē pour la lire tte repose Č.
Voici les propos recueillis ce soir-l dans les rues du 18”. Comme la fois prcdente, les prnoms ont t modifis.
Je prends du crack.
LÕtre humain est contradictoire. DÕun ct, il a conscience de ses responsabilits et de ses devoirs : jÕai une petite fille de 8 ans, et jÕai perdu ma femme cause du crack. DÕun autre ct, jÕai parfaitement conscience que tout cela devait se terminer par une dchirure. Tout a est contradictoire, mais cÕest le produit qui prend le dessus sur lÕhomme. Avec le produit, il y a des gens de toutes conditions sociales qui ont chou ici ; cela fait le malheur.
JÕai fait un trs long break pendant 10 ans. Chaque fois, jÕai t ramen ici.
QuÕest-ce qui mÕa permis de faire ce break ? Je suis parti aux Antilles pendant 2 ans, et jÕavais l-bas un soutien familial. Mais en Martinique, cÕest pire encore, pour le crack. Il mÕest arriv l-bas de le kiffer, mais cÕtait dans un cadre festif : je prenais 2 ou 3 cailloux dans une bote la nuit, cÕest tout. Le lendemain matin, jÕavais quand mme les yeux exorbits, et ma famille le voyait bienÉ
Pourquoi je suis pas rest l-bas ? Parce que je suis n ici, en France, et toute ma vie, cÕest ici.
Je suis revenu en France. Je travaillais pour Darty, dans le service aprs-vente. Cela a repris avec celle qui est devenue la mre de ma gamine. Pendant 2 ans cÕtait bien. Puis jÕai commenc reprendre du crack mais toujours dans un cadre festif, une fois par mois seulement. Ensuite je consommais plus, et beaucoup dÕargent y passait. Et puis, du jour au lendemain, je suis pass une consommation journalire excessive. JÕai eu un coup de blues. JÕavais plus de travail. Cela allait pas bien avec ma petite amie. Et voil. CÕtait il y a trois ans.
Pour dcrocher ? Il faut fuir ! Il y en a qui disent plutt quÕil faut rester l et affronter le produit. Pour moi cÕest non ! Plus tu es loin, mieux cÕest !
Je suis la rue maintenant. JÕai connu le crack depuis que jÕai 22 ans. Mais avant, 18 ans jÕavais connu lÕhrone lÕarme. Je mÕen suis sorti, comme jÕai dit, en partant aux Antilles avec ma mre. Et cÕest l-bas que jÕai connu le caillou, cause dÕun enfoir qui mÕa donn fumer un joint o il avait mlang du crack avec lÕherbe. Au bout de 2 ou 3 taffes, mon cerveau a enregistr le plaisir du crack — cela se rapproche de la coke —. Le type a fait cela exprs, pour mÕaccrocher, car il avait vu que jÕavais de lÕargent. Aprs avoir fum, jÕai mis la main la poche et je lui ai demand de me ramener du caillou. JÕavais pris got. Ensuite, je suis pass la pipe [ crack].
Est-ce que je veux ainsi mÕautodtruire ? Peut-tre quÕon sÕen veut dÕchecs accumuls et quÕinconsciemment on vient sÕen punir ; au moins comme a, on fait quelque chose.
Est-ce que jÕai quelque chose qui pourrait me passionner ? La personne qui a la chance de trouver une passion, a lÕaide, mais cÕest pas moi. JÕai fait de lÕlectronique ; cela me plaisait, mais cÕest pas une passion. JÕaimais bien aussi les sports sensation, comme la moto.
Les produits de substitution ? JÕai pas eu besoin dÕen prendre pour arrter lÕhrone. Faut dire que lÕair l-bas, en altitude, sur la Montagne Pele, a aide beaucoup. JÕai bien eu quelques douleurs le troisime jour mais cÕest vite pass.
La prison ? Je lÕai connue cinq reprises, mais toujours pour de petites peines. Je suis pas quelquÕun de violent, qui se bagarre. Quand jÕtais en taule, je me disais que quand je sortirais, jÕarrterais. Mais non, finalement cÕest illusoire. Le bton de la prison te donne une force phmre : une fois dehors, elle part vite en fume, cÕest le cas de le dire, sans jeu de motsÉ
Les structures du quartier ? Je vais EGO. JÕai t un peu choqu du projet de kit-sniff (aprs le kit-kiff) : cÕest un ensemble qui te donnerait tout le ncessaire pour sniffer, avec le doseur pour prendre proprement le crack en vitant les hpatites. Ca a un bon ct, mais il faudrait au moins mettre lÕintrieur une petite note, un petit pome pour que lÕusager prenne conscience de cette situation et quÕil envisage de sÕarrter.
Cela fait un mois que jÕai pas pris de coke. QuÕest-ce qui sÕest pass ? Le ras-le-bol. Mais venir ici, cÕest dangereux.
Ē Usager Č ou Ē toxicomane Č ? Je nÕaime pas le terme de toxicomane ; il y a un ct dfinitif dans ce mot.
Les Narcotiques anonymes ? JÕen ai entendu parler, cÕest tout.
JÕavais le projet de partir Nantes mais jÕai fait une crise dÕpilepsie la veille du dpart. Je suis pileptique depuis tout jeune. On mÕa dit que si jÕarrtais de prendre des produits outrance, les crises dÕpilepsie pourraient disparatre.
Je sais trs bien que je suis dpendant dÕun produit — je prfre dire Ē dpendant Č que Ē toxicomane Č —. Je sais quÕil faut que je quitte ce quartier. CÕest l la premire tape. Mais jÕessaye de rester propre. Vous trouvez que jÕai mauvaise allure ?
Je fume le Subutex, mais je ne le sniffe pas. JÕai essay une fois, et jÕai saign du nez. Depuis, je fais que le fumer. Quand tu le sniffes, le nez ensuite rclame sa dose.
JÕaimerais bien partir loin dÕici. Mais cÕest un truc, cÕest psychologique : tu arrives l, tu es influenc par les gens.
Je viens l, jÕai pas trop le choix. JÕai des problmes familiaux. Je viens chercher ici le Subutex. Le Subutex, cÕest de la came en plus fort. Je le fume.
Maintenant, je ralentis. Je peux arrter quand je veux. Mais je suis sdf, et cÕest pour cela que je suis l.
JÕai russi dcrocher de la galette. Mais pour cela, il faut bouger du quartier. Quand tu es ici, ils te paient un petit morceau, et ensuite cÕest parti.
JÕai dcroch parce que jÕai rflchi : cÕest trop dÕargent qui partait. Je touchais les Assedic, et le lendemain, jÕavais plus rien, je pouvais mme pas mÕacheter une bouteille dÕeau, jÕavais perdu 5 000 F en une nuit. JÕai arrt, et maintenant au moins je suis toujours sur terre.
Est-ce que je mÕautodtruis comme a ? Oui, je considre que je mÕautodtruis. Je suis n en 1973. JÕai eu 30 ans en septembre. Avant jÕtais sportif. En 1995 je faisais du foot un bon niveau. CÕest lÕalcool qui a commenc de me dtruire : le whisky. JÕai t entran l-dedans par un ami. Ensuite jÕai arrt lÕalcool pendant 3 ans. Un autre ami mÕa fait connatre lÕhrone : il mÕemmenait quand il allait en acheter ; lui se piquait, et moi jÕai commenc sniffer. CÕest un ami dÕenfance, mais faut-il parler ici dÕĒ ami Č ! Cela dconnait pour moi : je me levais, je croyais quÕil tait 8 heures du matin et il tait en fait 7 heures du soir.
Ensuite a tait la galette, pour arrter lÕhrone. Et puis jÕai arrt aussi la galette et me voil au Subutex.
Cela fait deux ans que jÕai arrt le travail, et depuis 6 mois, je suis sdf. Avant, jÕtais magasinier cariste.
JÕai pas vraiment de famille sur qui mÕappuyer. Je suis fils unique. Mon pre vit avec une belle-mre qui a elle-mme deux enfants. Ils mÕont mis la porte quand jÕavais 15 ans.
Mon but, cÕest de trouver un boulot, et un endroit o dormir.
JÕessaye de ralentir le Subutex. JÕai dj meilleure mine maintenant.
De 1998 2003, je suis rest sans rien toucher. JÕtais agent hospitalier. JÕavais fait en 1998 une post-cure, puis jÕtais parti en Normandie. CÕest ce quÕil faut faire : il faut tout couper. JÕai fait ensuite une formation. JÕtais devenu clean. CÕest la sortie de prison que jÕavais fait ma post-cure, au Trait dÕunion [ Boulogne-Billancourt].
Depuis, jÕai replong : la galette, et le Subutex. Et me voil dans la rue. JÕai pas de papiers. JÕai eu des problmes familiaux : un dcsÉ JÕai pas pu grer. Je suis revenu Paris, et jÕai plong, il y a 9 mois. Je vis la rue.
Je vais pas dormir la nuit dans les structures du quartier : cÕest pire encore que la rue ! Tu te retrouves quatre par chambre, et on sÕy dfonce tire-larigot. Ce quÕil faut, cÕest sÕloigner du coin, se retrouver dans un endroit o on connat personne.
Je viens de Guyane, mais je veux pas y aller : je suis fch avec ma famille.
[Trs volubile et trs dcontract, il annonce quÕil
vient de fumer du crack.]
Comment je suis arriv au crack ? JÕai commenc fumer du shit 10 ou 11 ans. CÕtait au Maroc. Mon grand frre en consommait beaucoup et je lui en piquais un peu chaque fois pour fumer avec les copains. Puis jÕai commenc faire le shit moi-mme, le compresser. Ensuite nous sommes venus en France avec mes parents, et jÕai commenc la coke, lÕecstasy, lÕhrone.
Un jour, un gamin a trouv un sac dans un escalier, plein de petits sachets. Il ne savait pas que cÕtait de la drogue. Je lui ai achet. Il y en avait pour 20 ou 30.000 F.
Ė lÕpoque jÕhabitais dans un foyer seul, puis avec un ami. JÕai rencontr ma femme dans ce foyer. CÕest l que jÕai commenc fumer de lÕhrone. Je ne connaissais pas encore le crack. JÕavais vu quÕon le consommait sur de lÕalu, pas comme ceux qui utilisent des pipes.
JÕai un peu vendu de ce que jÕavais, mais jÕai beaucoup consomm. Je ne me suis jamais piqu.
Le crack ? CÕest de la merde. Je veux absolument en sortir. Si jÕai de lÕargent, jÕen achte. Je peux rester 3 ou 4 jours sans consommer. Par contre le Subutex je ne peux pas. LÕtat de manque avec le Subutex, cÕest affreux : tu as mal au dos, des diarrhes, tu piques du nez.
Le mdecin me prescrit des mdicaments et je les vends pour gagner ma vie. JÕai des clients ici, ils me connaissent. Ce qui nÕest pas bien cÕest quÕon se bagarre entre nous.
Il y a des gens qui prennent du crack pour planer, moi cÕest pour me soigner.
JÕai un fils. Ma mre vit avec nous aussiÉ
[Il sÕen va brusquement, interpell par un Ē client Č.]
Comment tu rentres l-dedans ? CÕest facile, mais pour en sortir, cÕest mort. JÕai fait de la prison. La rinsertion, cÕest de la connerie. On te propose une aide pendant un an et aprs plus rien. Quand on nÕest pas form, pas instruit, on nÕa pas le mot juste pour se prsenter. SÕen sortir ? On voudrait bien y croire, mais plein de gens sont dj venus, la Croix-Rouge et tout a — des mecs de la tl, des chanteurs connus, mais eux cÕtait pour chercher de la coke — et cÕest toujours pareil.
Les vieux, ils sÕarrtent pour parler avec nous. Eux personne ne les aide. SÕil nÕy avait pas de problme social, il nÕy aurait pas de crack.
Tu peux prendre du crack sans problme. Pour payer, tu te dmerdes. Ici il y a des flics partout parce cÕest le bordel sur un trottoir dÕune grande avenue, des gens se plaignent, a se voit, mais les gros dealers ils sont l, dans les petites rues, personne ne leur casse les couilles.
Avec le crack, tu oublies tout.
Moi je prends pas de drogue, juste des mdicaments. Je suis n ici, jÕai commenc vers 25 ans. JÕai perdu mes parentsÉ JÕai une fille qui a 6 ans, mais elle vit avec sa mre. Je voudrais sortir de cette merde pour rcuprer ma femme et ma fille. Je fume du shit de temps en temps, et je prends des cachets, pour oublier tout a. JÕoublie tout, je marche seul, je marche seul.
CÕest bien ce que vous faites, aidez-nousÉ
[Trs peu marqu mais avec un regard trs vif toujours la recherche de quelque chose, peut-tre le crack.]
Je suis venu du Maroc pour rejoindre ma famille installe en France mais comme je suis trs ttu, le rsultat est l. Je viens de sortir de trois mois de prison pour cambriolage avec escalade.
JÕai touch toutes les drogues : trois ans dÕhrone, la cocane, le shit et un peu plus de deux mois dans le crack.
Je suis rentr dans la drogue par ma petite amie qui mÕa fait goter une fois et je me suis dis : cÕest fini, cÕest la dernire fois ; et chaque fois, cÕtait la dernire fois jusquÕ ce que je sois devenu un accro et que le pige se referme autour de moi.
Je nÕai jamais t dans un centre mais par contre jÕai frquent une association dans le treizime, mais ce sont des solutions provisoires. Je suis all les revoir ce matin et ils mÕont dit quÕil faudrait revenir la semaine prochaine. On ne peut pas sÕen sortir avec ces moyens drisoires.
Il y a une chose que je ne me pardonnerai jamais : jÕtais tellement en manque que jÕai vol les conomies de ma mre et la pauvre, elle tait dmunie face ce problme, mes frres aussi, mais aucun ne touche la drogue ; il nÕy a que moi sur les quatre.
Je suis trs content de vous avoir parl et je trouve trs bien ce que vous faites. JÕespre que le dclic viendra grce vous.
[Trs marqu par la drogue malgr son jeune ge. Venu dÕAlgrie avec un bac + 3 (commerce international). Il a suivi le chemin habituel des toxicomanes savoir lÕhrone, la coke et le crack.]
Je ne suis pas souvent Chteau-Rouge ; je viens deux ou trois fois par semaine voir les copains.
Je sais que le fait de venir dans le quartier revoir les copains nÕest pas une bonne chose car a ne me laisse pas lÕoccasion de mÕen sortir. CÕest pour cela que je trouve lÕide dÕun Samu-toxicomanie est une bonne chose.
Il faut savoir que notre problme nous, cÕest la prcarit qui ne nous aide pas et du coup on se retrouve dans un cercle vicieux : on nÕa pas de logement, pas de travail, on erre dans les rues pour se retrouver, sans sÕen rendre compte, sur notre lieu habituel : celui du trafic.
Je connais les Narcotiques Anonymes et jÕai assist une de leurs runions, mais ces gens-l ne peuvent me trouver ni un logement, ni un travail : comment voulez-vous quÕils mÕaident ?
Je trouve votre ide trs bien. Quand est-ce que votre bus va commencer ?
Moi, je nÕai jamais t dans un centre pour les toxicomanes. Je consulte de temps en temps mon mdecin traitant qui me prescrit du Subutex que je complte avec du shit ou du crack.
Je sais que je suis jeune et je nÕai pas envie de continuer dans ce chemin ; jÕespre mÕen sortir le plus rapidement possible.
Merci de votre aide.
[Jacques refuse initialement dÕassumer sa position de toxicomane. Il avoue seulement prendre quelques joints de shit occasionnellement. Mais ses yeux embrouills, ses gestes un peu dsordonns, ses rires nerveux donnent penser quÕil est plutt accro au crack. Il semble mme que sa dernire dose ne soit gure ancienne. DÕailleurs, le copain qui lÕaccompagne, qui, lui, assume sa consommation de crack, semble sÕamuser de le voir jouer ce personnage et de lui voir commettre pas mal de bourdes.]
Je viens dÕHati. Je suis venu en France avec toute ma famille, il y a 19 ans, pour des raisons politiques, des problmes avec les Tontons Maccoutes. Je travaille depuis quatre ans dans le btiment, de huit heures du matin cinq heures le soir. La vie est difficile. Je gagne 8 000 F et jÕarrive pas payer mon loyer de 1 500 F.
Une chose est sre, vous ne pouvez pas changer ma vie. Pour les toxs, cÕest pareil. Il nÕy a quÕeux qui peuvent changer leur vie. Bien sr, vos conseils sont importants. Vous voulez leur apporter une aide. Mais sÕils nÕattrapent pas cette aide un moment donne, leur vie est foutue. Il faut que la personne ait confiance en elle-mme pour avoir confiance dans les autres.
Dans la socit, il y a une place pour tout le monde. Quand tu es un chien, tÕes pas un tranger. Tu as un matre qui te nourrit et tu es heureux. Mais quand tÕes un tox, tu es pire quÕun chien. Tu nÕes mme pas considr comme un animal. Et les gens ne prennent mme pas leur chance, en plus.
JÕai habit cinq ans rue dÕAubervilliers, quand jÕavais des problmes de papiers. Je voyais les gogos qui sÕen foutaient plein les poches. Ils croyaient que cÕtait Dieu qui les faisait travailler ! Mais ils sont pires que des criminels. Ils prennent la vie des gens pour rien. Pour un tox, au bout de cinq secondes, tÕas plus rien. Plus rien dans les poches et la fume est partie dans ton nez. Ils ont invent a pour claquer les pauvres. Dans toutes les communauts, il y a des tratres, des Satans. Ils ne recherchent que le portefeuille et sÕen foutent quand les gens trpassent.
Il y a beaucoup de rglements de compte dans la drogue. JÕaime pas beaucoup lÕinjustice. Mais les toxs, cÕest un monde de loups, cÕest le monde de la mort. Les gens y sont fous. Pour rien, ils te crvent. Des fois, ils ont des enfants. Vous imaginez lÕducation ?
Pour les toxs, il leur faut de lÕaide et quÕils prennent cette chance. Si quelquÕun rflchit bien, il comprend ce que vous dites. CÕest normal dÕavoir une aide, cÕest obligatoire. Mais le problme, cÕest la pression de tous les cts. SÕil y a une pression, lÕhomme ne comprend plus rien. Il nÕcoute plus. La pression, cÕest bien sr le besoin de se droguer. Mais ils nÕont rien dans la tte !
Ici, jÕappelle cet endroit le couloir de la mort. Y a plus dÕamis, plus de copains, que des traites. Mais si tu as de la tune, tu as plein dÕamis. Les gens viennent ici pour sniffer leur Subutex parce que a cote pas cher et cÕest facile se procurer. CÕest pas si bien que le crack. Enfin, je ne crois pas. Votre ide dÕun Samu, cÕest bien. Parce que les gens qui restent ici, ils restent dedans [rires]. Il faut casser leurs habitudes. CÕest a le plus important. Mais nÕy a quÕeux qui peuvent dcider.
Moi, vous savez, je crois en Dieu, sinon je serais tomb au fond de la merde Je sais que le Grand Matre est l. Si vous ne lÕcoutez pas, il vous tabasse, en utilisant vos Ē amis Č. La drogue, cÕest Satan. Il peut tenter nÕimporte qui. CÕest le mauvais chemin. Mais si vous faites des actions malhonntes, vous ne pouvez pas croire en Dieu.
Je connais bien le Vaudou. Ca fait partie des choses malfiques. Pour les marabouts, a ne sert rien. CÕest inutile.
Moi, jÕai une me. La drogue, elle, trahit lÕindividu. Elle nÕest pas honnte. Dtruisez les tres humains, dit Satan. Alors, il faut prendre conscience de tout a.
Moi, je crois que vous tes un messager de Dieu. Vous venez nous apporter un message.
CÕest sr, cÕest Dieu qui vous envoie. Je le sais !
Je pense constamment la drogue.
CÕest une grosse portion de ma vie.
La prvention est ncessaire, ds la
jeunesse. Personne nÕest lÕabri de la
drogue. Il suffit dÕune dprimeÉ Vers 14-15 ans, jÕtais anti-drogue. Je me suis mis vendre du shit. Ce nÕtait
pas de la drogue dure. Je faisais comme les autres,
cÕtait lÕpoque des concerts de reggae. Plus tard, jÕai pris de lÕhrone, de
la cocane, du crackÉ
Pourquoi prendre de la drogue ?
Parce quÕon ne sÕaime plus. Avec la drogue, on se sent plus fort, on prend des
risques, on met sa vie en danger, on se retrouve face face avec la mort.
Quelque part cÕest pervers, on se fait du mal.
LÕanne dernire, jÕai failli mourir.
Je buvais beaucoup dÕalcool et jÕai pris 5 gr de coke. Je suis sorti dans
la rue comme un fou, jÕhallucinais, je criais nÕimporte quoi, je dlirais
compltement. On mÕa retrouv sous un banc. Aprs je ne sais plus. Je me suis
rveill lÕhpital, on me faisait des lectrochocs. Ils mÕont vraiment sauv
la vieÉ
JÕai essay dÕarrter plusieurs fois.
Ma femme tait anti-drogue, elle a toujours voulu que jÕarrte. Moi je dpensai
tout lÕargent, jÕai liquid mon compte et son compte. JÕtais violent, jÕai
vraiment fait des conneries. JÕai eu une femme en or et jÕai tout perdu, ma
femme et mon fils. Ca a t entirement de ma faute. JÕavais des impays avec
le Trsor public, je ne me suis pas prsent devant le tribunal. JÕtais aussi
alcoolique, je buvais une bouteille de Ricard. Mes beaux-parents mÕont menac
de la prison. JÕtais dÕaccord pour aller en prison pour arrter la drogue. Cela
a t dur, cette cassure. JÕai arrt " la dure".
Je suis sorti de prison en
mai 2003. Depuis je suis sorti de lÕhrone. JÕavais un squat
Villeneuve, mais je nÕavais pas de serrure. Une famille dÕAfricains a occup
mon squat. En ce moment, je prends des galettes mais pas tous les jours. Il
faut que je quitte Paris. Je squatte dans une cave dans le quartier. Je ne
touche pas le RMI, je ne veux pas tre assist. Je ne prends pas de Subutex, ni
de Mthadone. CÕest de la came, mais cÕest tolr. Mais cÕest encore pire, on
est vraiment accro au Subutex. CÕest pire que lÕhrone. Psychologiquement,
jÕai trs peur de lÕhrone, elle a gch ma vie.
La cration dÕun
Samu-toxicomanie ? CÕest bien, cÕest une occasion de sortir de la drogue.
Aller se reposer lÕcart, ce serait un privilge. Le plus difficile est de
faire le premier pas. Si les gens qui soignent sont performants, on peut sÕen
sortir.
Pour dcrocher, il faut quitter les lieux de vente, avoir un travail et tre accompagn dÕune personne forte qui peut comprendre ce mal de vivre. JÕen ai marre de la drogue. Le problme cÕest que je fais du surplace. Je ne mÕoccupe pas de mes papiers. JÕaimerai mÕassumer moi-mme.
Les Narcotiques Anonymes ? Non,
je nÕai aucune information sur eux.
Pour sortir de la drogue, il faudrait
tre normal, se battre. Quand jÕtais jeune je
dessinais super bien, jÕaimais le thtre. Mais cÕest fini maintenant. Je nÕai
jamais su finir les choses. Parfois je me dis que je suis un rat. JÕai plein
dÕamis et souvent on mÕa tendu la percheÉ Mais jÕai une peur en moi. La nuit je
pense trop ce que je suis devenu. On nÕa pas eu de grands malheurs comme la
guerre, les camps de concentration, etc. Pourquoi se droguer ? CÕest une
nigme.
Je mÕen veux dÕtre devenu comme ca.
Un toxicomane ne veut pas assumer la vrit. CÕest un combat avec soi-mme.
Mon ex-femme a refait sa vie. Elle a
toujours travaill, elle veut une vie stable, pas une vie de nomade. Mon fils a
plus de 2 ans, je ne lÕai pas vu grandir. Je me promne avec lui dans les parcs.
Mon gamin cÕest sacr. Je ne prends jamais de drogue quand je le vois. Il est
veill, il parle bien. Il me manque normment, cela fait un mois que je ne
lÕai pas vu. Je lÕaime.
Quelques thmes constants ressortent de cette soire et de la prcdente.
Ē Il faut fuir ! Il y en a qui disent plutt quÕil
faut rester l et affronter le produit. Pour moi cÕest non ! Plus tu es
loin, mieux cÕest ! Č
Ē Venir ici, cÕest dangereux. Č
Ē Il faut bouger du quartier Č.
Ē Il faut tout couper. Č
Ē Ce quÕil faut, cÕest sÕloigner du coin, se retrouver
dans un endroit o on connat personne. Č
Ē Il faut que je quitte
Paris. Č
Ē Pour dcrocher, il faut
quitter les lieux de vente Č.
Pour dcrocher de la drogue, le point incontournable est de dcrocher du quartier. Corollairement, les structures et les professionnels qui fixent les toxicomanes dans le quartier ne les aident pas dcrocher.
Ē JÕespre que le dclic viendra grce vous. Č
Ē La cration dÕun
Samu-toxicomanie ? CÕest bien, cÕest une occasion de sortir de la drogue.
Aller se reposer lÕcart, ce serait un privilge. Le plus difficile est de
faire le premier pas. Si les gens qui soignent sont performants, on peut sÕen
sortir. Č
Dcrocher suppose un dclic. Rien ne peut garantir, en particulier de lÕextrieur, un tel dclic : il dpend de lÕexistence propre de chaque toxicomane, existence opaque celui-l mme qui la vit. SÕil nÕest pas possible de programmer un tel dclic, il doit cependant tre possible dÕen offrir lÕoccasion, et ce autant de fois que ncessaire. Tel est le but propre dÕun Samu-toxicomanie. Ce but est bien compris par les toxicomanes rencontrs.
Ē Une chose est sre, vous ne pouvez pas changer ma
vie. Il nÕy a que les toxs qui peuvent changer leur vie. Č
Ē Il faut casser les habitudes. CÕest a le plus
important. Mais il nÕy a que les toxicomanes qui peuvent dcider. Č
Ē JÕai vraiment fait des
conneries. JÕai eu une femme en or et jÕai tout perdu, ma femme et mon fils. Ca
a t entirement de ma faute. Č
Le point essentiel par o passe le courage de chaque toxicomane semble bien consister en un acte : accepter de se voir comme toxicomane, ou Ē dpendant Č (non comme Ē usager Č, manire insignifiante de se nommer qui vite le face face avec le problme), et se tenir pour responsable de cet tat. Certes, poser courageusement un tel acte de parole ne suffit nullement dcrocher mais tablit au moins un point — qui peut sembler minuscule mais ne lÕest nullement : preuve les difficults pour le poser — partir duquel il devient possible dÕengager quelque chose, ft-ce quelque long priple de 10 ans pour sÕen sortir. Nos rencontres avec les Narcotiques Anonymes nous ont rendus sensibles cet aspect subjectif des choses.
Corollairement, ceux qui poussent les toxicomanes biaiser sur la nomination de leur tat (en se nommant simplement Ē usagers Č), faire semblant que leurs actes sont la faute des autres plutt que ne relvent prioritairement de leur responsabilit, ceux qui orchestrent le toxicomane comme victime, par exemple victime de la prohibition (comme si cÕtait la prohibition qui faisait le danger principal du crackÉ), tous ces gens ne font que prolonger la situation dans laquelle les toxicomanes sont enferms.
Ē Est-ce que je veux ainsi mÕautodtruire ?
Peut-tre quÕon sÕen veut dÕchecs accumuls et quÕinconsciemment on vient sÕen
punir. Č
Ē Il y a une chose que je ne me pardonnerai
jamais ČÉ
Ē Parfois je me dis que je
suis un rat. JÕai une peur en moi. Je mÕen veux dÕtre devenu comme ca. Č
Certains toxicomanes thmatisent leur autodestruction comme une sorte de punition quÕils sÕinfligeraient.
Il apparat ici clairement que Ē culpabilit Č nÕest pas Ē responsabilit Č : la culpabilit est plutt destructrice.
Dans les toxicomanes rencontrs (ils sont tous gs, entre 30 et 40 ans, et connaissent la drogue depuis leur majorit, soit des parcours dans la drogue dÕune moyenne de quinzaine dÕannes !), peu de Ē revendication Č de la drogue, comme plaisir, moins encore comme jouissance, et aucune comme puissance mais plutt comme une impuissance triste, difie sur fond de grande culpabilit au regard du profond gchis que la drogue signifie.
Cette culpabilit est-elle un levier ? Peut-elle lÕtre ? Sans doute pas.
Il semble que chaque fois que quelquÕun dit avoir pu dcrocher, cÕest plutt dans la joie dÕune nouvelle puissance, certes valide par le dgot de la came mais cependant joie en elle-mme de pouvoir enfin poser un acte libre et responsable, de pouvoir envisager autre chose.
Bref, le dclic recherch ne semble pas pouvoir provenir dÕune exploitation Ē positivante Č de la culpabilit.
Ē Oui, je considre que je mÕautodtruis. Č
Ē Pourquoi prendre de la
drogue ? Parce quÕon ne sÕaime plus. Avec la drogue, on se fait du
mal. Č
Lucien le dit le plus clairement : Ē On veut inconsciemment se punir. Mais au moins comme cela on fait quelque chose. Č Au moins se dtruire, on fait quelque chose, on agit, on veut.
SÕil faut prendre appui sur quelque chose dans cet tat, cÕest peut-tre sur ce point, qui nÕest pas, lui, de culpabilit : au moins le toxicomane met en Ļuvre une nergie importante. Certes cette nergie est Ē mal tourne Č, dsoriente, mais cette nergie, voil peut-tre lÕesquisse possible dÕun point dÕappui.
Ē JÕessaye de rester propre. Vous trouvez que jÕai
mauvaise allure ? Č
Ē JÕai meilleure mine maintenant. Č
Plusieurs toxicomanes rencontrs nous ont dit faire attention leur corps, leur allure, ne pas vouloir ressembler des clochards. Visiblement ils travaillaient positivement leur image dÕeux-mmes et taient ainsi fiers dÕun point gagn, quÕils voulaient tenir contre vents et mares.
Ce type de point dÕappui semble de grande importance ; il peut patiemment tresser les conditions pour quÕau bon moment, le fameux dclic se produise.
Le point essentiel est aussi que le toxicomane puisse rencontrer des gens qui lui font face, non seulement croiser le policier et le juge (qui se dressent en travers de leur route) mais rencontrer des travailleurs sociaux, des mdecins et des militants qui ne marquent aucune complaisance son endroit et cependant se disposent pour lÕaider. Encore faut-il quÕil sÕagisse bien pour ces gens de lÕaider dcrocher. Un Samu-toxicomanie nÕaurait de sens que si y agissaient des gens convaincus de tout cela, des gens Ē performants Č comme disait Jean-Franois, et non pas des gens tentant dÕamnager la consommation de drogues dans cette socit et profitant de la situation pour se tailler une sincureÉ
––––
Troisime soire (mardi 2 dcembre
2003)
Le temps tait une fois de plus en notre faveur, mais il y avait moins de monde que dÕhabitude, vers 22 heures, dans les rues du XVIII”. Voici les propos recueillis lors des changes autour de notre tract.
JÕai 29 ans et je suis n Cambrai. Mes parents sont tunisiens. CÕest dur pour moi. Rcemment jÕhabitais un studio que je louais 397 euros et je ne touchais que 410 euros de RMI. Faites le calcul : il ne restait que 13 euros pour vivre. Je vends des cachets pour vivre et acheter mon crack. Mais pas tous les jours. Je peux dpenser 300 euros en une soire mais aussi rester quinze jours sans prendre de crack. CÕest pas automatique.
JÕai commenc me dfoncer lÕhrone Cambrai. Au bout dÕun moment, jÕtais trop mal. On mÕa conseill dÕaller Marmottan pour une post-cure. Mais Marmottan il nÕy a pas de place. Il faut attendre. Et puis, avant la post-cure, il faut suivre une priode de sevrage lÕhpital. Les structures du coin vous envoient en hospitalisation pour quinze jours et puis lÕhpital vous remet dans la rue car il nÕy a de place nulle part.
Il me fallait sortir la fois de lÕhro et du Subutex. Pour lÕhrone, le sevrage physique a t trs rapide, environ une semaine. En revanche, pour le Subutex, il a dur quatre semaines ! Au dpart, on mÕa prescrit 12 milligrammes par jour de Subutex. Les mdecins mÕont demand de diminuer de 2 mg par mois. Ė Marmottan, je devais atteindre 8 mg pour tre pris en post-cure. Ils refusaient de me prendre en charge avec un dosage suprieur. Durant cette priode de sevrage progressif, personne ne me venait en aide. Il nÕy avait aucun encadrement. Je nÕy arrivais pas. Je me rptais souvent au fond de moi-mme : pourquoi souffrir ?
Malgr tout, jÕtais prt faire cet effort. Je me disais que celui qui ne tente rien nÕa rien. Il fallait que je me soigne avant tout. JÕtais motiv. JÕavais la chance de pouvoir manger et dormir quelque part. Je voulais fonder une famille et surtout quitter Paris et partir dans le sud. Si je restais ici, cÕtait foutu jamais.
JÕai beaucoup souffert avec le Subutex. Je nÕarrive toujours pas mÕen dfaire.
Ė Marmottan, jÕattends beaucoup dÕheures dans la salle dÕattente. Il faut vraiment en vouloir. JÕai demand avoir un appartement thrapeutique dans le centre mais en vain, jusquÕ prsent. Il faut attendre. Toujours attendre. Mais attendre quoi ?
On peut se sevrer physiquement assez rapidement. Ca, cÕest assez facile. Mais aprs, il y a le sevrage psychologique et l, cÕest trs dur. On ne peut pas y arriver tout seul. Et les moyens sont inexistants. Les mdecins nous reoivent en consultation. Ils nous prescrivent sans problme mais il nÕy a aucun dialogue. On ne parle de rien. Ė croire quÕils font tout a pour nous laisser dedans. Ils ne se rendent pas compte que dcrocher du Subutex, cÕest trs dur. Jamais, ils ne parlent de thrapie. Actuellement je fonctionne au Sknan 100 mg. CÕest super-puissant. Ca contient de la morphine. Je le paie dix euros la plaquette de sept. Et sÕil le faut, je peux faire quatre ou cinq toubibs dans la journe pour avoir les ordonnances. Peu importe. JÕai la carte Vitale et je bnficie de la CMU.
JÕai 32 ans et vous avez compris mon accent que je suis originaire de Toulouse. JÕai une copine et je suis pre dÕun petit garon. Je ne le vois pas trs souvent car ma copine a disparu et je ne sais pas o elle est. Je suis venu l pour me taper une petite galette. Ca fait du bien et jÕen ai besoin. Ca me monte la tte, dure environ cinq minutes puis a redescend brusquement. CÕest trs dur, ce moment-l. On a envie dÕen reprendre aussitt. CÕest pour a que jÕachte carrment une galette.
Je frquente rgulirement le centre de la Croix-Rouge dans le 5me. On sÕoccupe bien de moi. Un psy et un docteur mÕassistent tout instant. Pour le moment, cÕest toute ma vie.
Je suis constamment un traitement par mthadone, pour enlever le manque. Ca mÕaide beaucoup. JÕai essay le Subutex pendant trois ans mais je ne mÕen sortais pas. AujourdÕhui, je me sens en meilleure forme.
Je vous quitte car je me sens un peu mal. CÕest sympa de venir nous parler. Mais moi, je suis encore fond dedans. Je prends du crack.
Je suis dans la rue depuis 8 ans, et dans la drogue depuis 18 ans.
JÕai pris de lÕhrone, puis jÕai arrt avec la mthadone. Aprs, jÕai arrt la mthadone mais ensuite je suis pass au crack, depuis 8 ansÉ JÕespre un jour mÕarrter aussi pour le crack.
Faut dire que jÕai eu un problme : jÕai un enfant qui est dcd. JÕai arrt lÕhro cause de a : jÕtais pas l quand il est mort, et il avait besoin de moi. Il avait 9 mois. JÕai jur ma femme dÕarrter et jÕai tenu, 5 ans. JÕai pris pour cela de la mthadone, et jÕai arrt aussi la mthadone. Ensuite jÕai pris du Sknan et puis le crack. Maintenant jÕai laiss ma femme, et mes enfants.
JÕai 42 ans, et jÕai commenc 24 ans. CÕtait dj dans le quartier. JÕai commenc avec des gens qui mÕont dit : Ē cÕest bien Č. JÕai commenc par lÕhrone.
Pour arrter, jÕai t ct de la gare du Nord Fernand Vidal [lÕhpital] ; ils mÕont aid. Mais cÕest moi qui ai arrt. Ils mÕont jamais propos de post-cure.
Maintenant, si je trouve une post-cure, jÕarrte. Pour moi, 18 ans, cÕest comme 3 mois : je peux arrter, mais je peux pas y arriver dÕun seul coup. Le crack, tu as a dans la tte.
Si tu veux arrter, tu sors de Paris, tu es tranquille. Tu cherches plus lÕhrone, tu connais personne. Ici tu connais tout le monde, tu vas aller en chercher.
Je suis marocain. Je suis ici depuis 1979. JÕai des enfants et une femme. Je connais plus personne au Maroc : cela fait 24 ans que jÕy ai pas t.
JÕai plusieurs mtiers : maonnerie, cariste, prparateur de commodes (jÕai travaill trois ans dans les meubles)É JÕai tout le temps travaill, sauf depuis sept mois. Mme en vivant dans la rue, jÕai travaill : je me levais le matin pour prendre le train et aller au boulot. Mais quand ils ont su que je fumais, ils mÕont vid.
Je vis droite gauche. Pour le repas, je vais la mosque.
QuÕest-ce que je cherche fumer le crack ? Ė la vrit, jÕai rien trouv dedans, mais dans la tte, il faut que je fume, il faut que je me calme avec a. Il y a pas de dfonce avec le crack. Au dbut, oui. Mais maintenant, rien ! Tu fumes juste pour tenir debout.
Je vais EGO : ils discutent avec les gens, mais je sais pas ce quÕils font. De toutes faons, si je sors de tout a, il faut que ce soit moi tout seul.
Les Narcotiques Anonymes ? Je connais pas. Mais cÕest intressant de sÕentraider.
Pour sortir de a, il faut un coup de pouce. Pour moi, le plus important, cÕest le boulot. Si je trouve un boulot, je peux oublier tout. CÕest vrai quÕil y a sept mois, on mÕa vir du travail parce quÕils ont vu que je fumais ; mais depuis sept mois, jÕai beaucoup rflchi. Et jÕai diminu la dose : avant je fumais 10 13 fois par jour ; aujourdÕhui, jÕai fum seulement une fois, cÕest tout.
Pourquoi alors je suis encore l dans la rue cette heure ? JÕattends encore un peu avant dÕaller trouver un endroit pour dormir.
Est-ce que je cherche mÕautodtruire ? CÕest possible, je dis pas le contraire. Mais cÕest pas tout le monde pareil. Il y en a qui disent : Ē je veux mÕen sortir ; il faut que je trouve quelquÕun et jÕoublie le crack Č. Il y en a beaucoup qui sÕen sont sortis, et qui sont partis loin dÕici. Ils ont quitt Paris.
Le truc intressant, cÕest a : tu quittes Paris, tout est effac ; tu peux oublier cela, la galre du crack : mais si on reste ici, cÕest toujours pareil. Tu restes sur Paris : tu sors jamais de cette galre.
JÕespre que votre Samu-toxicomanie, a va marcher pour tous les gens comme moi. CÕest bien ce que vous faites.
[Cette jeune femme, qui ne semble pas trop marque physiquement par ses pratiques, est la premire femme toxicomane avec qui nous discutons longuement dans la rue. Elle tournait depuis quelque temps autour de notre attroupement, attendant le moment propice pour engager la conversation et raconter son histoire. L voici.]
La seule solution pour sÕen sortir, cÕest partir de Paris. Tant que la personne reste ici, cÕest impossible : elle retombera chaque fois. Et pour oublier le crack, il nÕy a aucun traitement.
Je suis partie pendant un moment de Paris, jÕai pas voulu continuer jusquÕau bout mÕenfoncer. Au bout de trois ans de crack, jÕtais mal dans ma peau. Avant, jÕtais aux cachets, et puis jÕai russi mÕarrter. Ensuite le crackÉ JÕy touche encore, mais cÕest plus comme avant.
Mon corps est habitu au crack, a me manque. Mais cÕest plus pour le plaisir : tout est dans la tte, cÕest trs trs dur.
Je suis entr dedans car jÕai vu une copine le fumer. Quand jÕai vu que cÕtait un bon dbut, cela me faisait oublier les problmes que jÕavais.
Avant je fumais 4 ou 5 galettes. AujourdÕhui, je fume plus quÕune galette [a fait environ 4 prises par galette]. CÕest dj pas mal.
Pour vivre, je tapine. Mais cÕest dangereux.
JÕai pas de famille, je suis de la DASS, jÕai 32 ans.
Ė 20 ans, jÕai commenc direct par le crack. JÕtais avec des copines qui touchaient que cela. JÕtais dj alcoolique, mais je me suis fait soigner pour a.
JÕai senti un moment le danger. Je suis partie dans le Sud en voyage pendant trois mois. Quand je suis revenue, je suis retombe, mais pas comme avant. Maintenant je pense mon htel, je pense manger. Je garde pour cela de lÕargent. JÕai senti que si je continuais comme avant, je serais morte, ou en prison.
Les NA ? Je connais pas.
Le Samu-toxicomanie ? CÕest une bonne ide, cÕest la seule solution.
Comment aprs une post-cure, on peut ne pas retomber si on est amen revenir dans le quartier ? Celui qui revient de post-cure, il lui faut un suivi, il lui faut quelquÕun avec qui parler quand il va pas. Alors, mme sÕil revient dans le quartier, il retombera pas. CÕest a dont on a besoin : parler avec des gens. Avec le crack, on perd la mmoire ; mais en parlant, on retrouve la volont.
Celui qui veut vraiment sÕen sortir, cÕest parce quÕil a touch le fond.
Moi, je compte entrer dans un centre. En attendant, je touche un peu.
JÕai travaill dans la restauration. Mes seuls amis, cÕest les gens de la rue.
Je connais EGO, ils mÕont dit que quand je serais prte, ils me trouveront peut-tre un stage, et un appartement.
Mais personne ne peut vous aider, sauf vous-mme ; et si vous dites Ē Stop ! Č, cÕest stop !
Merci dÕavoir parl ensemble. Ca me fait du bien.
[Karim est une pharmacie ambulante. Il sÕest spcialis dans la revente de toutes sortes de mdicaments : on trouve sur lui des produits pour lÕestomac, le stress, les maux de tte — doliprane —, des produits de substitutions, etc...]
JÕai fait plusieurs fois de la prison pour dtention de produits illicites, mais la premire fois, cÕtait en 1984 pour revente de la drogue au sein de lÕuniversit de la Sorbonne o je prparais un DEUG ; jÕai pris de la prison pour un an ferme.
Je suis mari une ex-toxicomane qui essaye de sÕen sortir depuis quelques mois et elle refuse de me revoir de peur de replonger dans la drogue. Elle a dcid de sÕen sortir toute seule sans aucune aide extrieure, mais il faut dire quÕelle a vraiment touch le fond et tout a, cÕest par ma faute : cÕest moi qui lÕavais fait entrer dans la drogue quand elle avait 16 ans. Les premires semaines de son abstinence taient trs dures mais grce sa volont et sa mre, elle a pu sÕen sortir ; maintenant elle fait une formation en informatique.
Nous avons deux filles de 7 et 8 ans qui sont places par la DASS dans une famille dÕaccueil.
Est-ce que je veux la drogue ? La drogue nÕest pas vraiment un besoin pour moi. CÕest vrai que je nÕarrive pas dcrocher mais je vous assure que chaque soir avant de mÕendormir je me culpabilise et je me dis : demain, a va tre une nouvelle vie, une vie sans drogue ; mais malheureusement la tentation est norme et la machine repart et cÕest pratiquement tous les soirs comme a. Et tout a me fait de la peine parce que jÕai une sĻur qui mÕhberge chez elle et je vois que malgr son salaire de smicarde, elle arrive payer son loyer, subvenir ses besoins mais aussi me dpanner souvent et elle me dit : Ē essaye de tÕen sortir et je ferai tout pour toi : ramener ta femme, tes enfants et de lÕargent si tu en as besoin Č. Mme ma femme mÕencourage parce quÕelle reprsente tout pour moi et vice versa, mais comme je vous lÕai dj dit : la tentation est trs grande et je ne trouve personne qui mÕaide mÕen sortir, je parle de professionnels. Je sens que ma vie se dtruit petit petit et jÕai peur quÕ la fin, il nÕy ait plus rien reconstruire.
Je pense que votre ide de Samu-toxicomanie va aider des gens comme moi pour dcrocher parce que ce qui nous manque, cÕest une main qui nous soit tendue sur le terrain. Moi, je nÕai pas le temps de penser aller voir des associations ou des centres ; toute ma pense est concentre sur la drogue et cette discussion avec vous mÕa permis dÕextrioriser ce que jÕavais sur le cĻur. Merci !
Je pense que le tox peut tre un malade mental : quand on voit lÕtat de certains toxs aprs leur consommation, on se demande vraiment o il est le plaisir ; mais il y a aussi des victimes parmi eux, des gens qui nÕont pas choisi la drogue mais qui sont tombs dedans par amour ou par trahison (les amis). 90 % si ce nÕest pas plus des tox sont des dlinquants, parce que pour subvenir leurs consommations, ils doivent passer par toutes sortes de trafics. Quand un tox a dpens toutes ses conomies et celles de ses proches, il se retourne vers lÕextrieur et cÕest le dbut de la drive.
Les produits de substitution ? JÕai essay la mthadone mais cÕtait la pire des expriences parce que je suis devenu trs dpendant, autant quÕavec la vraie drogue. Le Subutex, cÕest moins grave parce quÕil est souple, et je complte avec le crack.
Le problme, cÕest que ma discussion avec vous mÕa mÕencourag sur le champ mais par la suite tout va tre gomm comme si je nÕavais jamais rien entendu. DÕo la ncessit dÕune quipe sur place.
Je nÕhabite pas ici, je viens de la banlieue parce quÕici on trouve tous les produits au noir (Sknan, Rohypnol, RivotrylÉ).
JÕavais commenc avec lÕhrone et la coke, ensuite je me suis mis au crack.
Comment jÕai commenc ? JÕai rencontr une fille. On a sniff, puis a a t le premier shoot. Ensuite on sÕest spar.
JÕai vraiment envie de mÕen sortir. Je diminue progressivement.
Quand je veux tre bien, me Ē speeder Č un peu pour
une soire, je prends un caillou, mais je ne suis pas dpendant de la galette.
En fait il faudrait que je suive une cure de dsintoxicationÉ (il sÕen va
prcipitamment)
Mon pre est maghrbin, ma mre franaise, et moi entre les deux.
JÕai deux enfants dÕun premier mariage, mais je ne les vois plus, je ne sais mme pas ce quÕils sont devenus.
JÕai deux autres enfants de cinq ans et trois ans. Ils habitent tout prs dÕici, je les vois mais ma femme ne veut pas se remettre avec moi.
Au dbut, je buvais beaucoup, je prenais des cachets, du Sknan. JÕai eu un coup de dprime et jÕai commenc le crack. Je me suis spar de ma famille et jÕai replong.
Rien ne me retient ici. Je vole un peu, je vends des cachets, a me permet de mÕhabiller et de payer mon htel.
Les flics voudraient quÕon dnonce les dealers, cÕest trop dangereux. Des fois ils nous prennent nos mdicaments et les pitinent.
Je veux vraiment arrter, retrouver ma femme et mes enfants mais un sevrage serait trop rapide.
Quand je ne mÕoccupe pas de mes gosses, a me tue. Il faut que quelquÕun dise ma femme que je suis prt tout arrter. Elle ne me croit pas. Moi jÕai la volont, maisÉ
I. Un Samu-toxicomanie, locomotive dÕune politique
de soins
Cette soire nous apporte peu dÕlments vraiment nouveaux :
— Toujours le mme refrain, lancinant : quitter le quartier, pour dcrocher, pour sÕen sortir. Impossible de se dsintoxiquer en restant sur place.
— Toujours galement ce constat : rien ne peut arriver de durable si ce nÕest pas le toxicomane qui dcide que cÕest le moment de dcrocher. Cependant un Ē coup de pouce Č peut aider au Ē dclic Č, peut tre pour le toxicomane lÕoccasion de prendre une dcision, dÕamorcer la sortie du monde de la came.
DÕo lÕintrt vident dÕun Samu-toxicomanie.
Mais nos changes ont abord pour la premire fois la difficile question du Ē et aprs ? Č. Que se passe-t-il si le toxicomane, sÕtant Ē refait une sant Č en vivant quelques jours hors de la scne du crack, dcide de dcrocher ? La rponse est bien sr : il faut quÕil aille dans un centre de post-cure.
Mais y a-t-il encore suffisamment de tels centres ? Combien y en a-t-il encore o le personnel se batte vraiment pour lÕmancipation du toxicomane, pour lÕabstinence et non pas sÕaccommode de la perspective dÕune toxicomanie vie en Ē mdicalisant Č simplement la consommation de toxiques ?
Et puis, aprs le centre de post-cure, o le toxicomane aura pass, 3 mois, 6 mois, un an, que se passera-t-il ? Il faudra bien que la personne dsintoxique, remise sur pieds, reparte sur ses propres forces dans la vie, dans la ville, dans la socit, dans le pays. Et si cette personne est amene revenir, un moment ou un autre, dans le quartier de la came, comment ne sera-t-elle pas gravement menace de replonger ?
La femme toxicomane rencontre ce troisime soir nous a rpondu : il faut au toxicomane un suivi, quelquÕun en qui le toxicomane ait confiance, quelquÕun qui accepte dÕtre rquisitionn quand la situation redevient trop dangereuse, quelquÕun qui serve dÕappui durable, en somme une sorte de Ē parrain Č — comme disent les Narcotiques Anonymes — pour le toxicomane dans son mancipation.
Autant dire quÕun Samu-toxicomanie ne peut tre quÕune locomotive pour un convoi beaucoup plus vaste, lÕamorce dÕune chane thrapeutique (re) constituer depuis que la politique de rduction des risques a dmantel des pans entiers du dispositif de soins. Faut-il ainsi rappeler, une fois de plus, que soigner les toxicomanes, cela doit tre les soigner avant tout de la toxicomanie, comme on soigne les diabtes avant tout du diabte, les gripps de la grippe, et les sropositifs du sida. La lutte contre le sida a servi de Cheval de Troie pour dmanteler la lutte contre la drogue. Il sÕagit aujourdÕhui de reconstruire un dispositif de soins cohrent pour soigner les toxicomanes de la toxicomanie et pas seulement des autres maladies.
Il faut rinvestir dans des post-cures srieuses et non pas complaisantes. Et le combat contre la drogue ne pourra tre consistant que sÕil mobilise tout le pays, pas seulement les pouvoirs publics. O lÕon retrouve que le combat contre la drogue, qui est aussi un combat pour aider le toxicomane dcrocher (et pas seulement un combat contre les dealers pour les empcher de nuire), est un combat qui concerne tout le monde, les gens de ce pays et pas seulement les pouvoirs publics, les bnvoles et pas seulement les professionnels pays pour cela, les amis de la libert du toxicomane et pas seulement les responsables de la sant publique.
II. Le statut des propos recueillis
Comment entendre, comprendre, ce que nous dclarent dans la rue les toxicomanes rencontrs ?
Bien sr, leurs dclarations sont clairement influences par notre prsence, par notre intervention. Et sÕils avaient devant eux des militants de la politique de rduction des risques — au passage, on ne les voit gure dans la rue, le soir, discuter sur le terrain avec ces toxicomanes quÕils aiment dclarer comme des Ē victimes Č —, ces mmes toxicomanes ne diraient pas exactement la mme chose.
Pour autant, ne font-ils que nous retourner ce quÕils estiment devoir nous faire plaisir ? Ceci supposerait dj que les toxicomanes cherchent nous faire plaisir, ce qui en soi ne serait dj pas tout fait rien : les toxicomanes pourraient en effet choisir lÕinverse de nous envoyer balader. SÕils prennent le parti de nous dire ce quÕils nous disent, cÕest donc bien que ce quÕils nous disent formule bien pour partie ce qui pour eux est le vrai de leur situation, de leur dsir.
Que nous les influencions par notre prsence nÕest pas pour nous dplaire : nous ne nous prsentons par comme des enquteurs faussement objectifs, neutres et transparents. Nous nous prsentons comme militants dÕune politique de soins, comme propagandistes dÕun Samu-toxicomanie, comme habitants rvolts par le dfaitisme de la politique de rduction des risques.
Or il faut bien constater que tous les toxicomanes rencontrs ont dclar leur accord avec notre objectif et quÕils ont mme pris soin dÕargumenter leur accord. Ils auraient pu faire autrement. Ils ne lÕont pas fait. Et ceci est un fait, qui dit bien quelque chose de ce quÕils pensent.
QuÕest-ce que cela dit ? Cela dit que le dsir de sÕen sortir, de dcrocher, de conqurir lÕabstinence, de sÕmanciper du monde de la came est actif chez chacun dÕeux. Certes, il nÕy a pas que ce dsir, et il y a galement le dsir de continuer dans la came, le dsir de persvrer dans lÕautodestruction, lÕenvie de sÕenfoncer un peu plus. Mais somme toute, nÕest-ce pas la loi de tout dsir quÕil rencontre face lui un dsir contraire ?
Nos rencontres donc ne mentent pas en ce quÕelles relvent bien quÕil y a l, chez les toxicomanes, ce dsir dÕmancipation. Et cÕest ce dsir bien vivant que nous venons attiser, quand dÕautres — les militants de la politique de rduction des risques — tentent a contrario de lÕtouffer, de le dnigrer, de plaider quÕil suffirait de grer mieux la dfonce, et de se shooter plus propreÉ
Certes, mettre au jour ce dsir dÕmancipation ne suffit nullement le faire triompher. Sinon, les victoires seraient bien simples obtenirÉ
Que le chemin pour sortir de la drogue soit long et douloureux, aussi long que celui quÕil a fallu parcourir pour sÕenfoncer, marche aprs marche, produit aprs produit, dans la galre de la came — chemin qui se chiffre communment pour nos interlocuteurs 15 ans — ne veut nullement dire quÕil ne faut pas sÕy engager, ou quÕil est impraticable. Tout au contraire, cela indique quÕil nÕest que trop temps de sÕy engager !
QuÕun combat soit long et difficile ne signifie pas quÕil ne faut pas le mener — comme sÕil ne fallait sÕengager que dans les combats faciles et gagns dÕavance ! — mais, tout au contraire, quÕil faut sÕy lancer au plus vite : somme toute, plus le chemin de lÕmancipation sÕannonce long, plus il vaut la peine de le prendre tout de suite.
III. Ē Mdicaments Č ? !!!
Nous intervenons en priorit proximit du Ē march aux mdicaments Č. Ce nÕest pas un choix : il se trouve que cÕest l que les changes sont les plus nombreux et les plus faciles. Les toxicomanes craignent moins dÕtre contrls par la police dans la mesure o la dtention de ces mdicaments ne saurait tre assimile la dtention de came : ces produits sont licites, et diffuss par la pharmacie dÕ ct, sur ordonnanceÉ
Comment ne pas sÕtonner de la complaisance de tant de mdecins rpandre ainsi dans la rue de tels Ē mdicaments Č ? Encore sÕagit-il au moins dans la plupart des cas de vritables mdicaments destins soigner et qui se trouvent ici dtourns de leur finalit thrapeutique originale.
Mais que dire de la mthadone et du Subutex dont les flacons et tuis jonchent le trottoir et qui sont prescrits, par wagons entiers, par quantit de mdecins ? Comment oser appeler ces produits des Ē mdicaments Č alors quÕils ne soignent rien et ne font quÕalimenter le toxicomane en sa drogue favorite ? Or cette drogue, ce produit, intoxique le corps de qui lÕingurgite et non pas le soigne.
Il y a eu en France un procs du sang contamin. Ė quand un procs pour lÕintoxication volontaire, sur grande chelle et sur longue dure, de dizaines de milliers de toxicomanes par un pan entier du corps mdical et ce pour le plus grand profit de certains laboratoires pharmaceutiques ?
IV. Statistiques
En trois soires, nous avons recueilli les propos de 26 toxicomanes dont 25 hommes.
åge moyen de ces 26 toxicomanes : 34 ans (de 24 42).
åge moyen dÕentre dans les drogues dures : 20 ans (de 17 25). Ceci suggre le caractre reprsentatif de notre Ē chantillon Č puisque la moyenne des hronomanes commence gnralement le cannabis 14 ans, les stimulants et hallucinognes 17 ans pour passer lÕhrone vers 20 ans (voir par exemple lÕtude de lÕOFDT en 2003 sur les Ē Nouveaux usages de lÕhrone Č par C. Reynaud-Maurupt et C. Verchre, page 31).
––––
Quatrime soire (mardi 6 janvier 2004)
Nous sommes partis la rencontre des toxicomanes avec un nouveau tract leur prsentant nos vĻux pour la nouvelle anne (voir ci-dessous).
Ce papier prsentait un premier bilan de notre enqute. Celle-ci est base sur lÕhypothse du toxicomane comme nihiliste, cÕest--dire de quelquÕun voulant la drogue plutt que de ne rien vouloir. Nous opposons ce nihilisme quÕil est possible de vouloir quelque chose dÕautre que la drogue, quÕil est possible de vouloir quelque chose plutt que de vouloir le rien ou de ne rien vouloir, bref quÕil est possible dÕexister intensment en sÕmancipant dÕune conception drogue de lÕexistence.
Nos discussions dans la rue ont ainsi dgag quatre vouloirs qui sont dÕores et dj praticables pour chaque toxicomane et cela constitue une premire rponse que nous sommes alls proposer dans la rue. Voici donc le papier que nous avons distribu pour la nouvelle anne.
Quatre
vĻux pour la nouvelle anne 2004
Nous venons, le premier mardi du mois, discuter avec vous, le soir dans la
rue, de notre projet de Samu-toxicomanie. Vous le savez : nous sommes un
groupe dÕhabitants du quartier Stalingrad ; nous nÕavons aucun pouvoir, ni
municipal, ni gouvernemental et nous sommes indpendants de tout parti ou
institution. Notre seul atout, ce sont nos ides, notre dtermination, nos
pratiques. Comme notre histoire en atteste, cela nÕest pas rien.
Nous avons recueilli les propos de 26 dÕentre vous,
gs en moyenne de 34 ans et ayant commenc les drogues dures en moyenne 20
ans, ces donnes confirmant ce que lÕon peut savoir, par ailleurs, de la
moyenne des hronomanes en France.
Quelles perspectives se dessinent au travers de ces entretiens ?
Sur cette base, que pouvons-nous vous souhaiter pour cette nouvelle
anne ?
Nous voulions discuter avec vous : comment vouloir autre chose
que la drogue ?
Nos changes ont dgag quÕil tait possible pour un toxicomane de
vouloir immdiatement les quatre points suivants :
1) Vouloir faire attention son allure,
rester propre et correctement habill.
Vouloir faire attention son apparence, la manire dont on se
prsente. Vouloir soutenir une image de soi non dgrade. Vouloir ne pas
devenir clochard.
2) Vouloir tenir sa position de pre pendant
les moments o lÕon doit sÕoccuper de son enfant.
Vouloir assumer ses charges de parent pendant les heures o lÕon est
avec son enfant. Vouloir tenir son enfant lÕcart de la galre du toxicomane.
Vouloir lui donner la possibilit dÕavoir, pendant quelques heures, un parent
Ē normal Č.
3) Vouloir pratiquer lÕabstinence pendant de
brves priodes prdfinies : une heure, une soire, une journe.
Vouloir sÕaccoutumer ainsi lÕide que lÕabstinence nÕest pas un
horizon inatteignable, mais peut aussi se conqurir pied pied — les
Narcotiques Anonymes difient ainsi pas pas leur mancipation : une
heure aprs lÕautre, une journe suivant lÕautre —.
4) Vouloir parler avec des gens.
Vouloir ne pas sÕenfermer dans le Ē monde de la drogue Č et
garder contact avec des gens situs en dehors de ce cercle, changer, parler et
discuter avec eux.
Ces quatre vouloirs sont praticables dÕores et dj par tout
toxicomane : chacun de vous peut vouloir faire bonne figure, tenir sa
position de parent, dcider une abstinence intermittente, parler avec des gens
sans avoir eu besoin, au pralable, de dcrocher dfinitivement de la came.
SÕexercer vouloir ainsi autre chose que la drogue, auto-apprendre un
nouveau type de volont pour commencer de sÕmanciper, voil ce que nous vous
souhaitons pour cette nouvelle anne.
De notre ct, nous allons, pendant cette anne, approfondir notre
proposition de Samu-toxicomanie. Il est apparu clairement dans nos rencontres
que cette ide correspondait un rel besoin, et quÕelle permettrait de
multiplier les occasions pour le toxicomane de dcrocher. Il nous faut
maintenant mieux prciser ce qui doit suivre un tel Samu-toxicomanie si lÕon
veut que le toxicomane, ayant dcid dÕarrter, puisse ensuite russir :
dÕo par exemple la ncessit de multiplier en France les places de post-cures,
et de redonner confiance aux centres qui voudraient vraiment soigner la
toxicomanie sans se contenter de distribuer mthadone et SubutexÉ
Nous irons cette anne porter ces propositions devant les responsables
institutionnels aptes les mettre en Ļuvre : Prsident de la Rpublique,
Premier Ministre et autres ministres responsables, Maire de Paris, Directeur de
la MILDT, et nous vous tiendrons au courant des rsultats de ces dmarches.
Groupe dÕenqute
auprs des toxicomanes du Nord de Paris (ex-Collectif
anti-crack de Stalingrad)
Comme les autres fois, nous tions ce soir-l accompagns de nouvelles personnes souhaitant sÕassocier notre travail dans la rue. Le temps mtorologique tait en notre faveur. La soire sÕannonait sous les meilleurs auspices. Mais, surprise, les toxicomanes nÕtaient gure ce soir-l au rendez-vous : les rues habituelles taient dsertes ! tonns de cette nouvelle situation, nous en avons vite compris la raison : la police tait exceptionnellement active ce soir-l, avec forces patrouilles, contrles et fouilles au corps. Sans doute lÕeffet inattendu de lÕarticle paru le matin mme dans Le Parisien qui annonait notre sortie le soir mme !
Les dealers et leurs rabatteurs taient sur leurs gardes : lÕun dÕeux est venu nous dclarer quÕeux aussi lisaient le journal, manire pour les truands de se tenir rgulirement au courant des marges de manĻuvre pour leur commerce. Ce mme rabatteur, croyant sans doute pouvoir tablir avec nous le mme type de complicit qui prvaut avec les militants de la politique de rduction des risques, est venu nous expliquer quÕil trafiquaitÉ par piti pour les toxicomanes, par compassion devant leur dtresse lorsquÕils se prsentaient lui en tat de manque. Bref la figure du dealer humanitaire et citoyen — on sait quÕelle fait cole : certains voudraient la lgaliser par une politique de rduction des risques quÕils disent plus Ē audacieuse Č et qui vise crer des salles de shoot humanitaires, des droguatoriums citoyensÉ —. Bien sr, nous ne lui avons pas rpondu : notre principe est de ne pas parler avec les dealers, de les ignorer mais la rciproque ce soir-l nÕtait pas vraie.
Dpits devant lÕimpossibilit dans laquelle nous tions de parler dans les rues habituellement frquentes par les toxicomanes, nous sommes alls explorer dÕautres quartiers : porte de la Chapelle, boulevard Ney, porte dÕAubervilliers, mais l aussi, les rues taient dsertes. Il y avait bien le cortge habituel des prostitues attendant le client mais, depuis le dbut de notre travail dans la rue, nous avons pris le parti de ne pas discuter avec elles : outre le fait quÕelles ne sont pas disponibles pour cela et quÕ le faire nous les drangerions dans leur Ē travail Č, il y a surtout quÕil nÕy aurait pas sens ne discuter avec elles que de la question de la drogue, lors mme que notre groupe nÕa pas de point de vue propre faire valoir sur la question de la prostitution.
Au total, nous nÕavons pu discuter quÕavec deux toxicomanes (dont les propos recueillis suivent). Nous comptons bien, notre prochaine soire du mardi 3 fvrier, renouer un contact plus nourri avec les toxicomanes et discuter avec eux notre nouvelle proposition des Ē quatre vouloirs Č.
[ Lgrement chancelant, trs dent, le regard la fois
malicieux et mfiant]
Je ne suis pas mari, je nÕai pas dÕenfants. Mes parents sont au bled en Martinique. Je ne suis pas du tout drogu. JÕen prends juste un peu. Pas de crack, surtout pas, je ne suis pas toxicomane.
CÕest juste quand jÕai des problmes. Je peux rester un mois ou deux sans rien prendre et puis quand a va mal jÕen reprends. Du cannabis, de lÕhro. Je la sniffe, je ne me pique pas, je ne suis pas accro. Ca dure juste une journe et aprs je peux tenir jusquÕ ce que jÕaie encore des petits problmes. Ca me fait oublier mes problmes mais ds le lendemain, je regrette.
Je suis chmeur, je touche le RMI, mais jÕai dj travaill et je peux mÕarrter de prendre des produits quand je veux. JÕai des activits, je fais du sport.
Oui, je voudrais en sortir. Pour a il faudrait que je trouve une femme qui mÕaime, un travail.
Non, ce nÕest pas une demande au pre Nol. Ca peut venir de moi, jÕen suis capableÉ
[ Il prtexte un appel pour sÕen aller et ne pas rpondre la question sur son propre Ē vouloir Č l-dedans]
[ Au dbut, Pascal nous annonce quÕil attend son frre, qui se drogue. Quand nous prsentons notre travail de rue, il nous reprend :]
Drogus, toxicomanesÉ Moi je prfre Ē usagers de drogues Č. CÕest un meilleur termeÉ
Moi, je suis Ē substitu Č. Ce que ca veut dire ? Que je prends de la mthadone.
Comme beaucoup de gens, jÕai pris du cannabis quand jÕtais au collge. Mais ma dcouverte des stups, cela remonte mes tudes lÕcole Normale. Pendant une fte, un concert, jÕai pris pour la premire fois de lÕhrone. Quel ge jÕavais ? 21 ans je crois.
CÕtait un tat dÕesprit, li des difficults vivre, pour soulager des difficults vivre. Des problmes avec ma famille, par exemple — je suis fils de militaire —.
Au dbut, tout parat idyllique avec lÕhrone. Pendant cinq ans, jÕen ai consomm. Ė 25 ans, jÕai eu un premier poste dÕenseignant lÕcole franaise de New-Delhi. En Inde, cÕtait trs bien. Pendant les vacances, jÕallais en Thalande acheter de lÕhrone. Je la revendais en France, cela me rapportait beaucoup dÕargent. Vers 31 ans, jÕai t arrt Paris par la brigade des Stups avec 3 grammes. Ca a t un avertissement.
Un psychothrapeute me suit depuis 11 ans. JÕen avais vu deux avant ; a nÕallait pas, par exemple avec une femme, mais il y avait un rapport de sductionÉ Avec ce mdecin, jÕai beaucoup avanc, beaucoup appris sur moi-mme. Je continue le voir, cÕest ncessaire.
Depuis des annes, je prends de la mthadone. Je suis arriv peu peu diminuer les doses. Pour moi, cela va mieux, je travaille comme instituteur. Mais je prpare un DEA dÕhistoire contemporaine, sur le terrorisme international. CÕest un sujet la modeÉ
Bon, mon frre nÕest pas venu, je dois y allerÉ
––––
Propos recueillis lors de la cinquime
soire (5 fvrier 2004)
Moi, je comprends tout fait les habitants. Quand je consomme, je ne le fais pas dans la rue, pour les enfants. Dj il y a le regard des autres, et a cÕest dur.
Je prends du crack, mais occasionnellement. Je le fais depuis 10 ans, mais cÕest par priodes.
JÕai 39 ans. JÕai commenc lÕhro 22 ans. JÕai arrt 25 ans, comme cela. Ensuite je suis pass au Subutex, mais cÕest pas une bonne chose : on est encore plus dpendant.
Des fois, les gens viennent ici dans le quartier pour la substitution, pour avoir le Subutex car ils ont pas dÕordonnance. Et puis, ils tombent sur autre chose, un autre produit : on tombe sur un pote, il vous invite et cÕest parti. Quand on est invit, cÕest dur de dire non. CÕest souvent comme a : quand vous essayez de vous en sortir, cÕest l quÕil y a des occasions, mais quand tu en veux vraiment, cÕest l la galre pour en trouver !
JÕessaye de mÕen sortir. Je suis lÕhtel. JÕai pas de boulot.
Le fait dÕhabiter dans le 18”, cÕest pas vident. Ici on est trs sollicit.
Je veux partir en province. Le travail, tu ne tiens pas longtemps quand tu es tox.
JÕai un enfant de 13 ans. Il sait rien. Je le vois, je lÕappelle. Il est en Normandie vreux.
JÕessaye dÕtre propre.
JÕai t Orlans, dans une post-cure. JÕy ai pass deux mois. CÕtait difficile. JÕai pas russi rester plus, jÕai t oblig de revenir Paris car je pouvais plus me concentrer. CÕtait invivable Il y avait une sale ambiance : il y a l-bas de tout, des engueulades, des vols. CÕest dur. L o jÕallais, ils ne faisaient pas grand-chose. Ils faisaient parler ; il y avait une runion une fois par semaine, mais quand la runion tait finie, cÕest comme sÕil y avait rien eu.
JÕai fait une demande dÕappartement thrapeutique.
Je prends du Subutex, et du crack mais en occasionnel. JÕaurais pas de mal arrter le crack. JÕai eu une poque o je contrlais pas. Maintenant, jÕai chang.
JÕattends que cela, partir dÕici. De toute ma famille, je suis le seul avoir merd. Ils ne savent rien pour moi. Ils ne mÕaident pas. JÕai pas eu cette chance dÕtre aid par quelquÕun.
Le Subutex, je pourrais arrter mais en diminuant. Je suis plus quÕ 2 mg/jour. Cela ne me donne aucun plaisir, mais si jÕen prends pas, je ne suis pas bien. Le Subutex, cÕest pire que lÕhro. Le manque est plus dur : avec lÕhro, tu souffres une semaine, et puis cÕest termin. Le Subutex, cÕest une bombe retardement. Avec lui, le manque commence tre grave au bout dÕune semaine, et cela peut durer plus de six mois, avec des hauts et des bas : a va, a revient ; tu crois que cÕest termin, et puis non. Je lÕai su en lisant un article, propos de toxs qui taient partis en Thalande, dans un temple bouddhiste, pour dcrocher : ils font cela la dure, avec des herbes. Il parat que cÕest efficace. Ils ont vu que cÕtait beaucoup plus dur de dcrocher du Subutex que de lÕhro.
Le Subutex, cÕest un mdecin qui me lÕa donn au dbut.
Le Samu-toxicomanie ? Je trouve cela bien ; tout ce quÕon peut essayer est bon. Il faudrait continuer la pression sur le gouvernement, surtout pour notre gnration : la gnration suivante, les jeunes, eux cÕest lÕecstasy.
Les Narcotiques Anonymes ? Je connais, mais je nÕai jamais t les voir. Mais jÕai les adresses, par Marmottan. JÕai le papier, avec les horaires. [Il sort le portefeuille de sa poche : le papier des NA y est consciencieusement pli.] Chaque fois je me dis : jÕy vais, et puis finalement, je le fais pas.
JÕai quitt le Maroc pour la France 13 ans. Je suis arriv trs vite dans la rue, et l, avec les frquentations, jÕai t tent.
Le crack, cÕest un pige : ds que tu as fum une fois, tu es pig. Tu as le flash, et tu as envie aussitt dÕen reprendre. CÕest pas comme a avec la coke.
Je fume du shit depuis lÕge de 17 ans. Mais je ne prends de la cocane que depuis 1998. Au dbut, je voulais faire comme tout le monde, cause de mon travail de barman dans la restauration, cause du milieu de la nuit. Mais depuis deux ans, ma vie tourne autour de la cocane. CÕest le centre de ma vie. JÕessaye de mÕen sortirÉ
Maintenant, jÕen prends pour me sentir bien. Sinon, cela ne va pasÉ
Je nÕai pas touch lÕhrone ou au crack. Je ne me considre pas comme un malade mental, ou un dlinquant, ni comme une victime, car cÕest moi qui lÕai voulu. Personne ne mÕa forc.
Je connais des drogus qui ont arrt. Certains cause de la prison. DÕautres par eux-mmes, grce des traitements.
JÕai essay quatre fois de mÕarrter. En 2001, grce un voyage au Maroc (2 mois) et au retour en France (1 mois). Aprs jÕai rencontr un mec, qui mÕinvite et jÕen reprendsÉ En 2002 et 2003, jÕai arrt 3 fois mais moins longtemps : une semaine 10 joursÉ
Comment je pourrais arrter ? Je croise les doigts, la naissance de mon enfant dans trois mois. CÕest mon premier enfant. JÕai fait la promesse ma femme. Mais jÕai menti, je suis sr quÕelle sÕen douteÉ
JÕai essay le Subutex, cela ne mÕa pas russi. Mon mdecin me lÕa fourni, mais cÕest pour les gens qui prennent de lÕhro. Eux peuvent sÕarrter avec la mthadone et le Subutex.
Le Samu-toxicomanie est une bonne ide. Pour les gens, il leur faut un dclic pour sÕen sortir. Mais je refuserai de suivre une quipe pour quelques jours, car jÕai un chez moi. Mon but est dÕarrter, mais je ne sais pas commentÉ
Les Narcotiques Anonymes ? JÕen ai vaguement entendu parler. JÕaimerai bien les connatre. Comment en sortir vraiment ? LÕamour ? JÕaime ma femme. Chaque week-end, on sort ensemble. Cela aideÉ Je me vois mal faire un enfant et chercher toujours de la drogueÉ
[Alfredo ne ressemble gure au
crack habituel. Il a le geste sr et alerte, la dmarche agile et sportive, la
parole facile et volubile. Il est habill avec got. Peut-tre peut-on
seulement relever dans son regard un soupon de trouble qui trahit une prise
rcente de crack ou dÕalcool.]
Je suis originaire de Guyane. Je suis n Kourou et je suis venu en mtropole lÕge de 7 ans. JÕai aujourdÕhui 30 ans.
Je suis accro au crack depuis un an et demi. Je viens ici mÕacheter une galette qui me cote 30 euros. Avec a, je peux faire 5/6 cailloux. Mais je ne viens pas souvent. LÕavantage avec le crack, cÕest quÕon peut grer sa consommation. Je peux rester plusieurs semaines sans en prendre, faire une coupure pendant trois ou quatre mois. Ca, cÕest possible avec le crack. Il nÕy a pas une vraie envie de crack. Mais tt ou tard, a revient dans la tte. Le crack, a conditionne. CÕest uniquement psychologique. Mme pour oublier, cÕest encore dans la tte ! Je sais que cÕest pire avec lÕhro car on nÕen sort jamais.
Je suis rentr dans le crack parce que jÕai eu un problme dÕemploi et que jÕai fait une mauvaise rencontre. Un copain mÕa propos a un jour, gratuitement, et depuis je suis dedans. Fallait pas commencer. Mais je sais que tout a ne mne rien sinon en prison, un jour ou lÕautre.
Durant trois ou quatre ans, jÕai travaill comme prparateur de commandes dans des magasins dÕalimentation. Je me suis mari et jÕai eu deux enfants qui vivent Aubervilliers. AujourdÕhui, cÕest difficile parce que je suis en fin de droit et que ma femme commence en avoir sacrment marre de moi.
Ma famille est actuellement ma motivation principale. De toute faon a ne peut plus durer de mener cette vie de con. Je suis sr que je vais en sortir : dÕabord retrouver un job. JÕai fait une demande lÕANPE et dans des associations Aubervilliers pour avoir un stage, des formations. JÕaimerais bien bosser dans les espaces verts, dans la nature.
Et puis, jÕai un hobby : ce sont les courses de chevaux, le PMU. CÕest vrai quÕon y dpense aussi beaucoup de tunes mais au moins a fait monter lÕadrnaline et jÕaime a.
Il y a aussi le sport : courir, faire du foot avec les amis, se dfoncer. Ca cÕest super !
Je suis venu en France lÕge de 15 ans. Je ne prends aucune drogue. Si jÕai lÕair comme a cÕest parce que jÕai pris 2 rivotryl. Je suis inquiet parce que mon fil est lÕhpital et ce mdicament me calme. Je ne prends pas de crack, cÕest de la merde et aprs a met des annes disparatre. Mais cÕest vrai que a calme, quand on a des problmes.
JusquÕ il y a deux ans jÕtais veilleur de nuit puis jÕai perdu mon boulot. CÕest pour a que je reviens dans ce quartier. En fait jÕhabite en banlieue mais je viens ici parce quÕon rencontre des amis.
Aprs 15 ans, je pouvais boire 6 12 bires par jour et un litre de rhum, mais je contrlais bien et je pouvais mÕarrter.
Mon pre tait adjudant-chef aux Invalides. Moi je parle quatre langues – italien, anglais, arabe littraire – mais je ne trouve pas de travail cause du racisme. Ė lÕANPE, il suffit que je donne mon nomÉ
Pourquoi je prends des produits ? CÕest quand je suis dprim. Ė ce moment je ne parle pas, je me lve la nuit et je demande de lÕaide Dieu. La dernire fois, en 48 heures jÕai obtenu un billet dÕavionÉ Je prends du rivotryl pour ne pas gueuler, pour me dtendre. JÕai beaucoup de dettes, de crdits sur le dos.
Le mois dernier, je suis rest quatre jours dans le coma, lÕhosto. On mÕa vol mon portable et mon argent.
Mon fils de 12 ans est lÕhpital mais jÕai un autre fils de 6 ans. Ma femme est la maison, elle sÕen occupe, elle lui fait faire ses devoirs. Il nÕy a pas de tl chez nous.
Rentrer chez moi, arrter ? CÕest quand je veuxÉ cÕest dans la tte. Mais jÕai dj refus un traitement parce quÕon voulait me donner un remde pour soigner les fous.
Alors je viens ici parce quÕil y a des mais, pour me changer les ides.
JÕaime bien bouquiner. coutez a :
Ē Une hirondelle a deux
ailes pour voler
Mais moi jÕai un seul cĻur
pour tÕaimer.
Mme si la neige est noire
Et les gourbans (?) sont
blancs
Et que mon cĻur sÕarrte de
battre
Je tÕaimerai toujours Č.
JÕai lu Les Fleurs de mal 15 ans.
Et a :
Ē Une femme sans sourire, cÕest comme une fleur sans odeur Č V. Hugo
Un de ses copains, qui nous coute depuis le dbut,
commente :
Ē Ca cÕest important ! Ė lÕcole, on nous bassine avec des conneries qui ne nous servent rien au lieu de nous apprendre des choses comme a. Č
[Raymond a un physique un peu
ingrat : petit, grassouillet, et avec, de surcrot, les stigmates dÕune
consommation intense de substances diverses qui marquent son visage. Il se
dplace lentement dÕun pas mal assur. Il prouve des difficults sÕexprimer.
Ses yeux sont exorbits et trs assombris. Il est sans doute en plein trip ou
imbib dÕalcool.]
JÕai 39 ans et je viens des Antilles. Ma femme est allemande et jÕai une petite fille. Toutes deux vivent en Allemagne et ne tiennent pas trop me voir. Je ne sais dÕailleurs pas si je pourrais les revoir un jour. Pourtant, ce problme de famille est essentiel pour moi et srement le plus important dans ma vie. Plus que la came. La came, cÕest rien, juste de la saloperie. On est l comme des btes. On se dgote soi-mme.
L, je sors de taule et les keufs mÕont lÕĻil. Avec nous, ils sont trs rpressifs. Ils veulent nettoyer la place. Pour a, ils ont souvent des comportements dgueulasses, agressifs et tiennent des propos racistes. Pour eux et pour tous les gens dans la rue, on nÕest que de la merde. Jamais un peu de respect. Ca non, jamais !
Je lirai votre papier plus tard. [Il le plie avec prcaution et le fourre dans sa poche].
LÕidal serait que la Mairie de Paris mette notre disposition un immeuble dsaffect, un lieu que les toxs pourraient rhabiliter, o ils pourraient loger et mme louer.
Je reviens tout de suite. [On ne le reverra pas].
Je suis tout seul ici. Ma mre est reste en Afrique. Je dors dehors. JÕai des papiers. Je ne sais pas ce qui mÕa pouss dans cette merde-l.
Je suis en France depuis 1983. Depuis 1988, je suis dans cette merde. Je rentre, je sors du pays. Maintenant jÕai un papier, je demande lÕaide au logement.
JÕaime pas emmerder les habitants. Cela me gne, les gens qui ne peuvent pas passer cause des attroupements de toxs.
JÕai t une fois en prison. Quand je suis sorti, jÕai pas eu le courage de trouver une occupation. Je suis rest dehors, je suis retomb.
Le Samu-toxicomanie ? CÕest une bonne ide. Ca me fait envie.
Je suis n en 1963. JÕai vraiment rflchi : comment je vais arrter ? Il faut quitter Paris, aller loin de toute cette merde. Mais comment quitter ? Qui va venir me chercher ? Je sais pas. Je voudrais quitter pour aller dans un centre pour arrter la drogue.
CÕest ce que je pense dans ma tte, mais jÕai jamais essay.
[DÕorigine ivoirienne, clibataire, carrossier de mtier. Il a sjourn plusieurs annes en Espagne o il a commenc se droguer. Il sÕest fait attraper pour trafic de drogue et expulser. Il a ensuite regagn la France et continuer se droguer en diversifiant les produits. Abdel donne lÕimpression de quelquÕun qui en a marre de continuer dans cette voie. Actuellement il est sous Subutex depuis environ un an.]
Mme ce dernier jÕessaye de rduire la dose en prenant de moins en moins, gnralement le soir et jÕai mme demand mon mdecin de me prescrire des somnifres pour dormir le plus longtemps possible et ne plus penser la drogue la journe.
Personnellement je ne dors pas dehors, je squatte un logement dans un immeuble insalubre, que le propritaire mÕa demand de quitter pour le louer dÕautres personnes. JÕessaye de rester propre pour quÕon ne dise pas que je suis un Ē clochard Č. Au dbut je ne prenais pas soin de moi, je sentais mauvais mais maintenant jÕarrive grer ma vie de toxicomane.
JÕai fait plusieurs tentatives pour arrter la drogue. Pour a, jÕai une grande volont mais je nÕavais pas le courage de prendre la dcision dÕarrter et cÕest le cas de la plupart des toxs. Ma dernire dcision a t prise en janvier 2003 lorsque la prfecture de police mÕa donn un titre de sjour pour des raisons de sant. Malheureusement ils ne mÕont pas autoris travailler et mÕont demand dÕapporter un contrat de travail, ce qui est impossible puisque personne ne voudra faire travailler quelquÕun sans autorisation et cÕest un cercle vicieux. Actuellement je vis de la revente des mdicaments de substitution. Je me rappelle quand je me droguais : si jÕavais de lÕargent dans poche et donc le choix entre la drogue ou manger, je prenais la premire mme si jÕavais trs faim.
[Ė part son visage trs ple, ce jeune homme bien habill ne laisse rien apparatre de sa toxicomanie malgr ces dix ans de drogue derrire lui. DÕaprs lui il souffre de troubles psychiatriques. Il est sous traitement.]
Je fais attention mon allure. CÕest trs important pour moi vis--vis de ma famille, mes amis et mon entourage. Pour vous parler franchement, cÕest un camouflage, a mÕaide cacher ma toxicomanie.
Je nÕai besoin de personne pour mÕen sortir. En fait, a ne dpend que de moi. Le jour o je le dciderai, je le ferai sans aucune difficult. Et en plus pourquoi mÕen sortir, pourquoi faire ? Je nÕai pas de travail, pas dÕenfants ; si je dois partir, a sera seul comme en ce moment.
LÕide du Samu-toxicomanie ? CÕest trs bien pour les gens qui nÕont pas de logement ou qui nÕarrivent pas prendre une dcision. Ė mon avis il y aura beaucoup de travail vu le nombre de nouveaux toxs qui arrivent dans le quartier mais je pense quÕil faudrait installer un mobil-home ouvert 20 heures sur 24 au cas o une personne voudrait parler quelquÕun. Pour mon cas, je vis une solitude profonde qui nÕarrange pas mes problmes psychiatriques. CÕest pour cela que jÕai envie de parler aux gens mme je dois raconter ou couter nÕimporte quoi.
Excusez-moi, on mÕappelle. Ė bientt !
JÕai commenc 13 ans au hachisch, 14 ans, je suis pass lÕhrone, je sniffais et 18 ans, un soir de Nol, jÕai commenc me shooter. Je suis sorti de lÕhrone depuis 1997.
Je suis SDF depuis 2 ans. Des jeunes lascars mÕont cram mon duvet en me traitant de sale toxico, cÕtait dans le Val dÕOise ; cÕest pour a que je suis revenu Paname.
Ici, je prends du crack de temps en temps mais je suis sous Subutex. Le Subutex, cÕest Ē la came de lÕtat Č, cÕest de la merde, on est encore plus accro, mais eux, ils sont tranquilles.
JÕai fait tous les centres dÕaccueil et de dsintoxication. Y a pas de structures adaptes. Marmottan, cÕest pas mal, dommage que a ne dure que 10 jours. Pour dcrocher du Subbu, il faudrait des sjours de deux trois semaines, et au moins deux ou trois mois de post-cure.
Quand on tombe l-dedans, cÕest souvent parce que la famille vous lche, on a besoin dÕtre entour. De temps en temps, je vais aux NA [Narcotiques Anonymes]. Mais jÕaime pas trop la prire : Ē Bonjour, je mÕappelle untel et je suis dpendant Č. Je vais pas l-bas pour pleurer, je veux juste dcrocher. Ce quÕils font, cÕest du bourrage de crne. Pour sortir de cette merde, la volont ne suffit pas.
––––
Propos recueillis lors de la sixime soire
(2 mars 2004)
Avec les huit tmoignages de cette sixime soire, nous avons recueilli les propos de 45 personnes.
Nous avons dcid dÕarrter l notre enqute et de rdiger sur cette base notre rapport conclusif.
Nous comptons le mardi 6 avril aller prsenter nos conclusions aux toxicomanes rencontrs lors de ces tournes nocturnes puis dÕaller remettre en mains propres notre rapport diffrents responsables des pouvoirs publics.
Nous vous tiendrons informs de la prochaine parution de notre rapport et de la suite de notre action.
[Claude ne ressemble pas aux gens qui circulent, la recherche du dealer. Il a bonne allure, le visage ouvert et vif. Il engage lui-mme lÕchange.]
Je prends du Subutex depuis 97. JÕai commenc par lÕhrone en 91-92 et puis je suis pass au Subutex. Cela mÕa permis deux mois aprs de travailler : je faisais des dmnagements. En 2001, la boite a ferm et jÕai eu un licenciement conomique. Depuis, je nÕai plus de travail.
JÕai commenc le Subutex en me le piquant. Maintenant, je lÕavale. JÕai eu du mal diminuer les doses. AujourdÕhui, je prends seulement un cachet tous les trois jours, seulement pour le manque : jÕai des douleurs, je suis nerv, alors je prends un cachet.
Le Subutex, cÕest bien pour le travail, mais le manque est pire que pour lÕhrone.
Heureusement quÕil y a ma mre qui me soutient depuis toujours. CÕest pour elle que jÕai arrt lÕhrone.
JÕai commenc par curiosit, cause de mauvaises frquentations. JÕtais avec un ami dont le cousin tait dans lÕhro. Il lui en avait donn plusieurs fois et un jour, jÕen ai pris pour voir. La premire fois tu te sens tout-puissant, mais jÕai t trs vite accro. Aprs cÕest le manque qui commande, pas le plaisir. En fait cÕest plutt un besoin quÕun plaisir. JÕtais devenu esclave de a.
En 97, jÕavais la carte Paris-Sant. JÕai got le Subutex : cela enlevait le manque. Alors je lÕai pris, a mÕa permis de travailler. Mais cÕest embtant dÕarrter un truc pour en prendre un autre !
Le crack ? JÕen ai pris quelquefois, mais a mÕa pas plu. Et puis jÕai vu les lascars dÕici qui taient accro : a mÕa refroidi : ils ramassaient les trucs par terre, ne faisaient plus attention rien dÕautre. JÕai pas voulu devenir comme a.
Au dbut, lÕhrone, cÕest la belle vie. JÕavais un cousin qui mÕen donnait. En fait, cÕtait un salopard. Il mÕen donnait quelques doses et je les revendais en en gardant une pour moi. Comme a, cela me revenait gratos. Et puis quand jÕai t bien dedans, il a fallu que je paye moi-mme. Cela a mal fini avec lui et je le revois plus.
Ma mre mÕa toujours soutenu. Je lui ai fait beaucoup de peine. JÕai aussi un petit frre, qui a sept ans dÕcart, et puis des demi-frres et des demi-sĻurs qui sont rests au pays. JÕai t incarcr plusieurs fois. Ma mre est toujours venue me voir. Elle mÕapportait de lÕargent.
Le Samu-toxicomanie ? CÕest une trs bonne ide.
CÕest mme rare quÕil y ait des gens comme vous. Il y a peu de gens qui sÕoccupent des toxs. JÕadmire votre travail.
JÕai connu Stalingrad il y a quelque temps : cÕtait Chicago ! Comme habitant de l-bas, je vous tire mon chapeau.
Le Subutex, jÕai eu beaucoup de mal diminuer. JÕen prenais avant beaucoup, et avec le crack. Quand je prenais du crack, je prenais ensuite du Subutex pour me dsangoisser, dans les descentes.
Le crack, je nÕai jamais t accro. JÕen vais pas les moyens et cÕest pas trop mon truc.
Heureusement je suis pas tout seul. CÕest pour ma famille que jÕai fait tout a. Si jÕavais t seul, je ne crois pas que jÕen serai l. Il y a beaucoup dÕchecs pour ceux qui veulent en sortir.
Je viens ici chercher du Subutex car jÕai pas de carte pour avoir droit au mdicament. Mais cÕest de ma faute : il suffirait que jÕaille la Mairie pour avoir la carte. Je viens acheter ici le Subu, mais cÕest trop facile de mettre a sur le dos des autres.
Vos propositions ? Oui, cÕest important de parler. CÕest important aussi de faire attention son allure, cÕest se respecter soi-mme. Il faut aussi de lÕoccupation : cela permet dÕoublier. Mais a dpend des personnes. Pour moi, le dmnagement, jÕen ai bav au dbut. Avec lÕhro, je me suis bousill le foie mais je lÕai pas senti dans le travail. JÕai bien aim ce boulot parce que je me dpensais.
Quand jÕtais dans lÕhro, je pensais quÕ ma dose. Mais tout a, cÕest de ma faute. Je suis pas dÕici. Je viens du XV”, pas du XVIII” ; jÕai pas dÕexcuses. Ma famille sÕoccupait de moi. JÕai essay lÕhro par curiosit, une fois, deux fois, trois fois. Au dbut, je croyais que jÕtais Superman. CÕtait en 92, jÕavais 21 ans. Je faisais quelques TUC mi-temps, jÕavais pas de qualification. Et puis jÕai eu un chagrin dÕamour, et je me suis rfugi dans la drogue.
Ensuite jÕai pass quelque temps dans la rue, mais cÕest moi qui le voulais.
Les Narcotiques Anonymes ? JÕen ai entendu parler par le camion de Mdecins du monde.
Vouloir se dtruire par la drogue ? Oui, a doit tre a, mme si cÕest inconscient. Faut dire que lÕhro, le crack et tout a, cÕest pas des smarties, des bonbons. Il y a de cela, cÕest un peu mon cas. Et lÕhro mÕoccupait la vie : je passais mes journes chercher la drogue, chercher de lÕargent pour cela. Tout le reste, cÕtait secondaire.
Franchement, vous mÕavez tonn, venir parler comme a dans la rue. Il y a des gens qui ont du cĻur. Mais vous savez, faut vous attendre tomber sur des checs, parce quÕil y en a beaucoup ici.
[Marcel titube, une bouteille de rouge la main. Il a le regard vitreux, lÕlocution pteuse. Intrigu par lÕchange prcdent, il veut aussi quÕon transcrive ses propos. CÕest le premier alcoolique avec qui nous discutons lors de ces soires.]
Moi, je suis accro lÕalcool. Depuis 10-11 ans. Je vois deux litres de vin par jour, mais je suis pas encore la bouteille en plastique, quand mme. [Sa bouteille, en verre, contient du vin de Cahors].
JÕtais amoureux dÕune fille. Son pre a pas t content de a. CÕtait Montpellier. JÕai essay de me suicider. Et voil.
Arrter ? JÕai pas trop envie. JÕaime bien boire.
Ma famille ? JÕai pas envie quÕelle mÕaide. JÕai surtout pas envie quÕelle essaye de mÕaider.
CÕest compliqu.
[Il demande dans quelle direction est Barbs et sÕen va dans ce sens.]
[Petit, le nez cras, Abdel porte
un bonnet noir bien enfonc sur la tte ; il a des vtements sales et
dpareills. Dans sa main, une grande canette de bire].
JÕai 30 ans. Je viens du Maroc. Je
suis en France depuis lÕge de 13 ans. JÕai un peu de famille, ma mre et des
frres qui vivent la porte de Clignancourt. Mon pre est mort. JÕespre que
vous nÕavez pas de micro ou un truc comme a. Ca, je ne veux pas.
JÕai de graves problmes
psychiatriques. Je souffre surtout de paranoa aigu. Mais jÕtais dj malade
quand jÕtais au bled. Ca nÕa pas chang depuis. JÕai un psy qui me suit et me
prescrit du valium pour oublier mes angoisses et aussi du calcium pour tenir le
coup.
Faut dire que ma vie, cÕest dans la
rue. Tous les jours, je me demande o je vais coucher. JÕai un sac de couchage
autour de la taille. Souvent, je mÕenroule dedans et je dors sur le trottoir.
Des fois, je vais lÕhpital pour essayer de passer la nuit mais quelquefois,
ils me jettent dehors. Il faut dire que pas mal de clodos font pareils et que
des bagarres se dclenchent frquemment dans la salle dÕattente des urgences.
Je demande aussi aux associations quÕelles me trouvent un lit pour la nuit mais
elles nÕont jamais de place. Et puis, elles ferment souvent 17 heures et
aprs tu peux crever. Quand au sleep-in, je nÕy vais plus : cÕest toujours
plein.
Mais la rue, cÕest trs dur. Ca
empche de rflchir. CÕest impossible. On ne cherche quÕ survivre.
JÕai consomm pas mal dÕhrone une
poque, pour oublier la maladie. Maintenant, mon mdecin me prescrit 12 mg
de Subutex par jour. JÕen vends aussi un petit peu pour manger. Mais je ne
mange pas beaucoup : quelques gteaux comme a. Pratiquement jamais de
viande. CÕest trop cher et je nÕen ai pas envie.
Je suis clibataire. Je nÕai jamais
eu ni femme ni enfants. CÕest pas mon truc, lÕamour. En fait, je nÕai pas bais
depuis 98. JÕen ai pas non plus vraiment envie. Si je trouvais une femme bien,
je pourrais peut-tre changer mais a mÕtonnerait.
Je sais quÕil faudra bien que je mÕen
sorte. Alors votre Samu-toxicomanie, cÕest trs bien car a me permettrait de
rflchir. Vous savez, pour rflchir, il faut sortir dÕici. Par contre, je
nÕai jamais entendu parler des Narcotiques Anonymes.
Je nÕai jamais vraiment travaill de
ma vie. Non, je me souviens pas. Quelquefois, jÕaide un peu mon oncle qui tient
une confiserie. Mais, cÕest rare et il nÕa pas trop envie de me voir.
JÕai 41 ans. Pour moi, tout a bascul
en 99. JÕtais alors en concubinage avec une jeune femme charmante, une
polonaise. Nous venions dÕavoir un enfant, un garon. JÕavais un boulot de
peintre-dcorateur en btiment. Puis soudainement, elle mÕa abandonn. Elle est
partie avec lÕenfant. Je ne les ai plus jamais revus. Ė ce moment-l, je suis
tomb en pleine dprime. JÕai commenc consommer de lÕhrone puis je suis
venu au crack deux ans aprs. videmment, je ne travaille plus depuis cette
poque. JÕai fait de la taule pour vol encore rcemment mais cÕtait une
erreur. On mÕa pris pour un autre. Peu importe. Je ne suis quÕun chien parmi
les chiens.
Actuellement, je prends 16 mg de
Subutex par jour. CÕest pas mal. Et aussi du crack : de 2 3 galettes par
jour. Mais cÕest le petit modle qui me cote que 20 euros pice. Mais le Subutex,
a me fout en lÕair et a me prend vraiment la tte.
Souvent je couche dans la rue.
Quelquefois, jÕappelle le Samu social mais cÕest souvent complet. JÕai aussi un
dossier Charonne qui sÕoccupe de me trouver un logement.
Ici, cÕest un pige. JÕaimerais bien
arrter car je suis mal maintenant. Mais il faudrait aussi que jÕoublie toutes
mes galres.
Il faudrait quÕil existe des gens qui
viennent nous voir dans la rue, comme vous le faites. Mais des personnes qui
auraient connu les mmes galres que nous et qui nous serviraient de modle.
Je suis Algrien, je suis arriv en
France 13 ans. Mais jÕai vcu aussi six ans en Italie du nord. L-bas,
pendant 8 mois, jÕai pris de la cocane. Cela assche le nez, alors je buvais
pas mal de bire. Cela a mal tourn, jÕavais un Golf, jÕai eu plusieurs
accidents. Un matin, je me suis rveill, jÕavais un pistolet prs de moiÉ Je
ne savais plus ce que je faisais. Mais, bon, jÕavais de lÕargent. Le problme
avec la police italienne, cÕest quÕils passent pour te vider le portefeuille.
Alors je suis revenu en France pour
avoir une meilleure vie. Mais cela nÕa pas marchÉ Je sors de prison
aujourdÕhui ! Pendant 18 mois, jÕtais Fleury cause dÕune bagarre avec
un policier. JÕtais tranquille, lui arrive, me dit : Ē Eh
bonjour ! Comment a va, fils de pute ! Č JÕai pas support
lÕinsulte. Insulter ma mre ! Alors jÕai tir 18 mois et aujourdÕhui, je
suis de nouveau en libertÉ
Ici, je nÕai pas dÕami, je suis seul,
sans famille. JÕai pas de logement, jÕai juste un bon dÕachat, tiens
regarde ! [Il montre un bon dÕachat].
Avec a, je peux me payer lÕhtel. En France, la prison est trs dure, la
mentalit est pourrie. JÕavais dj t condamn avant, pour trois mois, pour
possession de shit.
En Italie, un toxico dans les
prisons, on lui donne 15 g de mthadone, puis on diminue les doses peu
peu. Et alors, il ne se drogue plus. Mais en France, les psy dans les prisons
te donnent du Subutex jusquÕ la sortie, pour des priodes de 3 ou 4 jours.
CÕest pour te calmer, pour viter les problmes dans les prisons.
AujourdÕhui, je fume du shit chaque
jour. JÕai pas la volont dÕarrter, mais je risque un cancer. Je connais des
gens qui peuvent mÕen vendre.
Je connais un ami qui est sorti de
lÕhrone. Il a t 15 jours en Algrie. Maintenant, il a une famille, il a
arrt de se droguer. Sa mentalit a chang. Pour moi, cela va tre difficile.
Peut-tre que je vais retourner en Italie, o jÕavais une copine.
Je suis dans la drogue depuis 1988. Je travaille avec ma famille dans leur restaurant, mais je replonge sans arrt. Je travaille un jour ou deux, je prends de lÕargent et je recommence.
JÕai vraiment envie de mÕen sortir, jÕen ai vraiment assez, mais chaque fois je me retrouve ici. Parce quÕune fois quÕon a a dans la tte, cÕest comme une obsession.
Je sais que je gche ma vie ; la drogue, cÕest un enfer.
Si on veut sÕen sortir, il faut un soutien efficace. Par exemple, je suis all dans une structure du quartier ; a mÕa aid un moment et puis je me suis retrouv dans la mme situation et jÕai replong. La famille ne suffit pas, il faudrait autre chose. Dj, pouvoir quitter cet endroit o on est attir comme par un aimant. Mme si dans ma tte jÕai envie de mÕen sortir. Ce nÕest pas parce que je veux la drogue plutt que de ne rien vouloir, cÕest plutt que je suis attir, malgr moiÉ
Je fume du crack depuis lÕge de 25 ans. JÕai dj arrt : je suis parti au pays (au Mali) et je suis rest trois ans sans rien toucher. Je me suis mari puis jÕai perdu ma petite fille de deux ans. JÕai replong. On mÕa mis la rue. Mon pre ne comprend pas quÕon se drogue ; il croit quÕon peut sÕarrter aussi facilement quÕavec la cigarette.
Moi, jÕai vraiment envie de mÕen sortir. Pour a, il faudrait que ma femme puisse venir ; je lui envoie de lÕargent, mais si elle tait ici, a pourrait mÕaider. Mais il faudrait aussi que je puisse quitter cet endroit o chaque fois que je reviens, je recommence.
Je suis dj parti : lÕanne dernire une assistante sociale mÕavait trouv un hbergement Marseille, dans lÕassociation Entracte : je faisais de la plonge sous-marine, du yoga, des randonnes. JÕtais sous mthadone et jÕai rduit ma consommation pratiquement zro.
Je crois que loin de Paris, on peut sÕarrter. CÕest ici quÕon est pris comme par un vertige.
CÕest bien ce que vous faites. JÕaimerais faire de la prvention.
JÕai commenc fumer du cannabis quatorze ans. Ė quinze ans je prenais dj de lÕhrone. JÕai fait de la prison, jÕai obtenu une probation mais la seule aide que jÕai cÕest trois euros par jour pendant trois semaines.
Ė dix-huit ans jÕai connu une nana qui mÕa coll le Sida. JÕai t malade pendant cinq ans. JÕavais aussi lÕhpatite C. Je suis la rue, pour lÕinstant je nÕai pas de squat.
JÕai fait un coma, jÕtais en tat de mort clinique. Et puis jÕai comme ressuscit.
Bien sr que je voudrais arrter tout a. Ceux qui disent que la drogue cÕest le paradis ne savent pas ce que cÕest ou ils se racontent des histoires. On ne peut pas avoir envie de drogue, on en a besoin, cÕest tout. DÕailleursÉ [il rejoint quelquÕun qui lÕappelle]
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[1] Cocanomanie
et cocanophobie (juillet 1887) in De
la cocane, crits runis par Robert Byck
(ditions Complexe, 1976) p. 171
[2] cÕest--dire affaire essentiellement des pouvoirs publics
[3] cÕest--dire affaire de tous, donc de quiconque
[4] La politique de rduction des risques nÕa pas plus lÕexclusivit des mesures de rduction des risques que la politique rpressive nÕa lÕexclusivit des mesures de rpression. La politique de rduction des risques se caractrise par sa manire propre dÕarticuler rpression, soins (dont mesures de rduction des risques, ou Ē soins secondaires Č) et prvention.
[5] cÕest--dire celui qui veut quelque chose et non pas rien : le militant du sport, de la musique, de lÕamour, du thtre, de la danse, de lÕastronomie, de lÕentomologie, de la splologie, etc.
[6] Il lui revient cependant de dclarer : Ē Les agents publics doivent faire leur travail (dans le cadre dÕune politique publique de soins) Č.
[7] Cf. proprement parler la dlinquance ne se soigne pas.
[8] Ē Mesures Č de rduction des risques (produits de substitution et changes de seringuesÉ) en vue de Ē soigner Č non la toxicomanie mais le sida, les hpatites, etc.
[9] Cf. on y soigne les prisonniers de leurs maladiesÉ
[10] Cf. freiner lÕaggravation des consommations (prvention secondaire) ou viter leurs effets latraux (prvention tertiaire).