DÉCLARATION ADRESSÉE AU TOXICOMANE SILLONNANT LE QUARTIER
À L'OCCASION DE LA NOUVELLE ANNÉE 2002

 

Nous sommes des habitants qui avons manifesté cet automne contre les dealers et le trafic de crack dans le quartier Stalingrad. À toi, Pierre, Ahmed ou Mamadou, dont nous savons que tu es aussi toxicomane puisque nous te rencontrons parcourant les rues en quête de ta drogue, nous déclarons ceci :

· Nous ne sommes pas contre toi. Nous sommes contre le trafic de drogues et contre les dealers. Nous ne cherchons pas à ce que tu sois enfermé dans une prison ou un asile. Nous te demandons simplement de ne pas empoisonner la vie des gens du quartier sous prétexte de déjà t'empoisonner.

· Nous pensons utile que tu te protèges, comme tout autre, de la menace du Sida.
Nous estimons que, comme tout autre, tu as le droit d'être soigné (Sécurité sociale), d'être socialement aidé (assistance au logement) et financièrement soutenu (RMI, etc.).

· Sur tes pratiques de toxicomane, sache que nous sommes résolument contre la drogue et tenons ta dépendance pour un désastre.
Ce qui nous scandalise, ce n'est pas que tu refuses le « métro, boulot, dodo » ; ce n'est pas que tu te refuses à devenir « français moyen », petit bourgeois faisant petites affaires et petite carrière ; ce n'est pas que tu refuses l'horizon borné d'une simple survie dans une médiocre inexistence.
Ce qui nous paraît un désastre pour toi, c'est que ta toxicomanie tend à te faire abdiquer de ta liberté. Nous souhaiterions que tu arrives à sortir de cet enfer, à te sevrer et vivre intensément, dans l'abstinence à l'égard de cette merde qu'est la drogue. Mais nous savons que c'est là un but lointain et que sortir de la drogue est une dure épreuve dont tu as seul les clefs.

· Les hommes libres - nous pensons en être - se soucient de croiser d'autres hommes libres à qui serrer la main et avec qui s'entretenir, agir, penser.
Être libre, pour nous, ce n'est pas « pouvoir faire n'importe quoi », ce n'est pas se penser sans attaches et sans responsabilités. Être libre, c'est avoir décidé quelles seront ses contraintes, celles qui orienteront son existence. Être libre, c'est se tenir pour responsable de ses actes, de ce qu'on fait, sans accuser indéfiniment papa-maman, « la société » ou les autres. Être vraiment libre, c'est une fidélité qui intensifie l'existence, lui donnant goûts violents et couleurs âpres. Notre liberté, ce sont nos amours, notre musique et notre poésie, notre pensée et notre travail collectif émancipateur La drogue ne saurait être une contrainte libératrice, et la dépendance à la drogue rend irresponsable - tu le sais mieux que nous -.

· Que ta liberté soit gravement menacée par la drogue ne nous laisse pas indifférents, et c'est pour cela que nous nous adressons à toi. Nous nous sommes déjà adressés aux autres habitants et commerçants du quartier, aux policiers, aux responsables publics mais nous ne discutons pas avec les dealers car nous ne le faisons pas avec ceux qui enchaînent d'autres hommes et leur vendent une servitude. À l'occasion de cette nouvelle année 2002, nous nous adressons à toi qui erres dans notre quartier car, par-delà la menace que la drogue fait peser sur ta propre liberté, nous voudrions à tout le moins soutenir avec toi un rapport d'égalité, en face à face, si cela te semble possible, et profitable.

Aussi nous te proposons, à toi qui nous as lus jusqu'ici, de t'entendre et de te lire à notre tour. Il nous semble que, même au long d'une descente aux enfers, il doit être possible de parler, de crier peut-être, au moins de s'adresser à quelqu'un, fût-ce pour exprimer un « Au secours ! ». Ce que tu penses toi-même de tout cela nous intéresse. Tu as certainement des choses à dire, peut-être même à déclarer. Et cela nous importe : on n'arrivera à chasser la drogue de ce pays qu'en s'y confrontant ensemble, habitants et toxicomanes face à face.

Tu peux t'adresser à nous en nous écrivant à Entretemps, 84 rue de l'Aqueduc (75010 Paris) ou par courrier électronique à Stalingrad@noos.fr
Nous te publierons sur notre site www.entretemps.asso.fr/Stalingrad et nous te répondrons.

Des habitants du quartier Stalingrad (Paris 10ème-18ème-19ème)