En quête de respect
Le crack à New York
Philippe Bourgois
(Seuil, 2001)

L'auteur, chercheur et professeur d'anthropologie, a vécu cinq ans (1985-1990) parmi les dealers d'Harlem. Son livre, publié en 1995 en anglais, décrit la vie du quartier et les ravages qu'y entraîne le crack.

EXTRAITS


Le cyclone du crack (29-30)
Je n'avais jamais entendu parler du crack avant d'arriver dans ce quartier. Personne alors ne connaissait cette substance, composé friable de cocaïne et de bicarbonate de soude transformé en boulettes fumables, qui n'était pas encore disponible en quantités industrielles sur le marché. A la fin de l'année, la plupart de mes amis, voisins et connaissances étaient emportés dans le cyclone ­ multimilliardaire en dollars ­ du crack : ils en vendaient, en fumaient et ne pensaient qu'à ça.
En le suivant, j'ai pu observer l'envolée du taux d'homicide dans les grands ensembles en face de mon immeuble délabré : la zone était devenue l'une des plus meurtrières de Manhattan.

Les habitants (33)
Des trafics d'une valeur de plusieurs millions de dollars se font sous le nez des jeunes qui grandissent dans les cités de East Harlem. Pourquoi prendraient-ils le métro pour gagner le salaire minimum, ou même le double, dans les bureaux du centre-ville, alors qu'ils peuvent sans difficulté gagner plus, du moins à court terme, en vendant de la drogue au coin de la rue, devant leur appartement ou en face de leur école ? Je suis d'ailleurs toujours surpris que tant d'habitants des cités demeurent actifs, travaillant de neuf heures à dix-sept heures, dans l'économie légale, sans compter les heures supplémentaires, et pour une revenu qui leur permet à peine de joindre les deux bouts.

Les dealers, une petite minorité ayant pris le contrôle de l'espace public (37-38)
La plupart des habitants du quartier n'ont rien à voir avec la drogue (a). Le problème est que cette majorité respectueuse de la loi a perdu le contrôle de l'espace public. Malgré leur nombre absolu, ou leur proportion relative, les habitants de Harlem qui ont des emplois réguliers et n'usent d'aucune drogue sont sur la défensive. La plupart vivent dans la peur, voire le mépris de leur quartier. Dans leur zèle à protéger leurs enfants de cette culture de la rue, des parents inquiets les enferment dans leurs appartements, espérant pouvoir un jour quitter le quartier.
Si les dealers de drogue dont il est question ici ne représentent qu'une petite minorité des habitants de East Harlem, ils sont néanmoins parvenus à donner le ton de la vie publique, en particulier après le coucher du soleil, où les habitants du quartier, notamment les femmes et les personnes âgées, ne peuvent faire autrement que de craindre une agression. Le spectacle de drogués décharnés se regroupant impunément à un coin de rue soulève des réactions de rejet, de tristesse et de colère chez la majorité des habitants de East Harlem qui ne sont pas des consommateurs. Mais les dealers offrent quotidiennement aux jeunes qui grandissent à proximité la tentation d'un mode de vie alternatif, quelque violent et autodestructeur qu'il soit.

La culture de la terreur (67)
La nature traumatisante des incidents violents et leur éminente visibilité renforcent l'omniprésence d'une réalité menaçante qui va bien au-delà de la probabilité statistique d'en être la victime. Un anthropologue forgea l'expression « culture de la terreur » pour rendre compte du pouvoir considérable de la violence sur une société fragilisée. Dans le quartier de Harlem, l'une des conséquences de la dynamique de la « culture de la violence » est de réduire au silence la majorité pacifique des habitants du quartier.

La responsabilité des dealers (89)
Quand on rencontre des individus comme les dealers, on a l'impression qu'aucune dose de « justification historique » et de « victimisation structurelle » ne peut les excuser des conséquences de leurs actions de parasites souvent violents et autodestructeurs. Ce sont toujours les individus qui sont responsables.

(a) Un symbole de la présence d'une population « ordinaire », y compris dans les quartiers les plus actifs dans le trafic de drogue de East Harlem, est qu'au plus fort de l'épidémie de crack l'épicerie tenue par un Palestinien au coin de la 110° Rue et de Lexington vendait 120 exemplaires de l'édition du dimanche du New York Times. (399)


NOS COMMENTAIRES



Constat

1. Le trafic de crack corrompt la jeunesse, pourrit la vie collective du quartier. Il répand le crime.
2. Les dealers sont une petite minorité qui prend le contrôle de la rue.
3. Les habitants sont la grande majorité, qui travaillent et élèvent leurs enfants. La peur tend à les enfermer chez eux, le temps de quitter le quartier, s'ils le peuvent...


Ntotre réponse

- Sortir de la défensive et prendre l'offensive dans l'espace public.
- Ne pas avoir peur de la peur qu'entretiennent les dealers.
- Les habitants doivent reprendre l'initiative dans les rues : en discutant, affichant leurs convictions, manifestant. Ils peuvent le faire le jour et contraindre la police à reprendre le contrôle de l'espace public, tout spécialement la nuit.
- Chacun a ses responsabilités propres. Les nôtres dans le quartier : soutenir les femmes et les personnes âgées. Protéger les enfants. Redonner confiance collective dans le quartier et ses habitants.
- Contraindre la police à patrouiller jour et nuit rue du Département.


Nos mots d'ordre

Non au trafic de crack à Stalingrad !
Le crack ne passera pas !

Dealers dehors !
Les rues sont à nous : aux habitants, non aux dealers !