Que fait vraiment Coordination
Toxicomanies 18 dans les quartiers du 18ème ?
Voyons pour cela comment un organisme officiel –
l’Ofdt - évalue son action.
L. Bonhouvrier (18°),
G. Chevalier (18°), D. Dalbéra (19°), J. Faouzi (10°), F. Nicolas (10°), C. Poitou
(19°)
(Collectif Stalingrad
contre le crack, mardi 7 novembre 2006)
Apparemment, les gens de Coordination Toxicomanies 18 [CT18] s’activent : ils collent des affiches, visitent les immeubles, vont voir les habitants et commerçants en colère, parlent aux médias, rencontrent des toxicomanes, organisent des réunions publiques (comme celle de ce soir…). Mais que font-ils exactement, et en fin de compte à quoi servent-ils réellement ?
Cette question, que tout un chacun se pose légitimement, le
très officiel Observatoire français des drogues et des toxicomanies (Ofdt) se l’est déjà posé il y a peu. Pour y
répondre, il a commandé une évaluation à trois personnalités [1]
qui, après large enquête sur le terrain, ont rédigé un rapport, publié en 2004,
dont nous conseillons vivement la lecture : Médiation et
réduction des risques – Évaluation du programme de réduction des risques et de
médiation sociale dans le 18° arrondissement de Paris. [2]
Voici ce qu’on peut y trouver qui éclaire
la nature véritable de CT18 [3].
Pour cela, examinons successivement comment ce rapport
1. évalue les effets réels du travail de CT18 : à quoi servent-ils réellement ?,
2.
rapproche ces effets des moyens effectifs mobilisés par
CT18 : qu’est-ce qu’ils font exactement ?,
3.
examine le rapport de ces moyens aux objectifs déclarés
de CT18 : qu’est-ce qu’en vérité
ils veulent ?,
4.
remonte ensuite à ce qui pour CT18 constitue les vrais problèmes des quartiers
légitimant qu’ils interviennent : pour CT18, qu’est-ce qui ne va pas dans le 18ème ?
5.
et pour finir avance une évaluation globale :
Finalement, cette action de CT18
est-elle une réussite et par là un modèle exportable ?.
Sur les habitants ? Les effets s’avèrent…
nuls !
Si « la Coordination a toujours répondu aux appels des
riverains, […] il est certain que ce mode de fonctionnement n’a pas toujours
contenté des habitants las de devoir faire de multiples réclamations pour vivre
dans des conditions décentes d’hygiène et de tranquillité. ». (66)
« La Coordination n’a probablement pas convaincu - parce que c’est indéfendable - du bien-fondé de la concentration des structures sur un périmètre restreint ». (65)
Sur les toxicomanes ? Les effets s’avèrent…
quasi-nuls !
« Les responsables des structures [de réduction des
risques dans le 18ème] n’ont pas un point de vue unanime sur la capacité
qu’a eu le dispositif d’améliorer la situation sanitaire et sociale des
usagers. » (43) [Doux euphémisme…]
« EGO et la Coordination ont mis en avant le fait que
le comité d’usagers de EGO avait placardé des affichettes visant à dissuader
d’autres usagers d’acheter ou de consommer leur produit devant des enfants.
L’initiative est louable mais d’une part le libellé n’est pas très explicite et
il n’est pas sûr qu’il soit compris pour son sens réel ; d’autre part, ceux qui
ont rédigé ou affiché ces exhortations peuvent très bien passer par des moments
où ils perdent de vue les recommandations qu’ils ont eux-mêmes formulées et
tomber dans des comportements peu éducatifs. » (80)
« La médiation n’a jamais permis un véritable dialogue entre usagers et riverains. » (88)
Seuls effets décelables : coordonner… les
nombreuses structures bas-seuil du quartier qui s’ignorent !
« La Coordination a eu un rôle de liaison entre les
structures à bas seuil. » (36)
« Il s’agissait en effet de mettre en réseau et coordonner les
structures spécialisées. » (38)
Le principal moyen d’action est la « médiation »,
ce mot-fétiche : « La médiation est
invoquée comme la nouvelle panacée du lien social » (11) avec des « médiateurs » plutôt
que de vrais éducateurs-rue :
« Les termes de référence du projet nommaient des éducateurs
qui finalement ont été appelés médiateurs ». (32)
Une « médiation » qui a pour principal outil le double langage : « L’ambiguïté de la mission se révèle dans le discours tenu par les équipes de rue au cours de leurs tournées, selon qu’il s’adresse à des riverains ou à des usagers. » (63)
Une « médiation » qui n’est pas neutre car elle privilégie le point de vue… des toxicomanes ! :
« L’usage du terme de médiation est souvent
abusif » (11)
« Il a été difficile à la Coordination de maintenir une
neutralité sur ces questions [de toxicomanie]. » (64)
Soit une « médiation » qui revient à se faire l’avocat des toxicomanes !:
Une « médiation » qui tente d’étouffer la colère
des gens du quartier contre le trafic : la « médiation » est
affichée « comme un moyen de réduire les
tensions entre habitants et usagers. »
(92)
Une « médiation » qui finalement sert d’arbitre… entre les nombreuses structures bas-seuil !:
« Ce n’est pas vraiment de la médiation mais une action
d’interpellation et de rapprochement de différentes institutions » (48)
Au total, une « médiation » inadaptée aux tensions générées par le trafic : « L’objectif de médiation est peu adapté aux tensions et aux conflits nés de la toxicomanie de rue dans des quartiers en difficulté de tous ordres. » (94)
Ainsi la « médiation » de CT18 déploie un édredon face à la colère des gens du quartier (constatant la main mise du trafic sur les espaces publics et privés) et résout les tensions… entre structures rivales !
Que veut vraiment CT18 ? D’abord CT18 ne le dit
pas clairement :
« Il serait hasardeux de se prononcer sur des résultats
en raison du peu de précision des objectifs assignés au dispositif » (61) [Avancer masqué, derrière un brouillard de
mots : comme chacun sait, Pierre Leyrit s’y entend…]
Il s’avère cependant qu’il s’agit pour CT18 de calmer le quartier en agissant… sur les habitants ! Il s’agit de
- « s’occuper des usagers et calmer les
habitants » (42),
- « calmer les esprits dans le quartier » (44).
Il faut pour cela changer le regard des habitants sur la drogue : le dispositif « se cantonne à une transformation de la vision que les riverains ont de la présence massive d’usagers de drogues dans leur environnement. » (27) en sorte que ces riverains acceptent le trafic et entérinent la présence du crack dans le 18ème. S’agit-il alors de lutter contre la toxicomanie ? Nullement !:
« L’option de la réduction des risques est plus proche de la réalité de l’action du dispositif pilote que de son intitulé : “dispositif pilote de lutte contre la toxicomanie”. » (27)
La « lutte contre la toxicomanie » déclarée a pour sens véritable, en alliance avec EGO, une intégration de la toxicomanie dans le quartier ! :
« Pour EGO, le dispositif permet d’avancer vers cette
utopie politique qu’est l’intégration de la toxicomanie dans le droit commun. »
(45) [Chacun appréciera ce qu’est une
« utopie politique »… pour EGO !]
et de faire croire que les « nuisances sont subies tant par les usagers de drogues que par les riverains » (19). La logique se dessine : CT18 dit d’abord que les toxicomanes subissent autant de nuisances que les habitants et ensuite attribuent ces nuisances subies par les toxicomanes… aux habitants ! En effet, voici ce qui pour CT18 ne va pas dans le quartier :
Le rapport rappelle les postulats que CT18 fait siens :
« Deux postulats. Le premier est que les problèmes de société
ne se résolvent pas par la négation des usagers (les chasser), mais par une
élaboration concertée de solutions ou de compromis. Le second est qu’il est
plus important de réduire les risques liés à la toxicomanie que de chercher à
éradiquer cette dernière. » (37)
• Le premier problème est donc que les toxicomanes risquent d’attraper le sida, non pas qu’ils s’intoxiquent.
« Le postulat de base est que les solutions sont à
chercher ensemble et que les usagers de drogues ne sont pas des parias à chasser. »
(61)
Soit le vieux chantage au sida de la politique de réduction
des risques : « acceptez la drogue, sinon c’est le sida ! »
• D’où le second problème qui est que les gens du quartier ne sont pas prêts à vivre avec le trafic, que les habitants et des commerçants refusent de vivre avec la drogue dans leur quartier ! Ainsi, pour CT18, ce qui ne va pas dans le 18ème, ce n’est pas l’omniprésence du crack mais les gens qui refusent de vivre avec…
Contre les habitants qui refusent une « concertation » pour institutionnaliser le crack, CT18 exhibe un maigre cortège d’associations-croupions où
quelques rares militants, toujours les mêmes, déguisés en naïfs habitants,
déclarent « quartier libre au crack ». L’Ofdt ne se laisse pas
prendre à cette manipulation : « Les
associations impliquées dans le dispositif [de réduction des risques] ne sont
certes pas représentatives de l’ensemble de la population. » (96)
Au total, pour l’Ofdt, le bilan de CT18 n’est guère satisfaisant : « Le bilan du dispositif est contrasté. » (87) Derrière l’euphémisme, l’Ofdt rappelle qu’il s’agit là d’un « engagement militant » (85), d’une « organisation militante » (49), non pas d’une institution neutre et professionnellement compétente, et que ce travail partisan n’est ni gratuit, ni désintéressé : selon l’Ofdt, son coût en 2001 s’élevait à 343 000 euros…
En conclusion, l’Ofdt se demande : compte tenu de tout
ce qui précède, faut-il étendre ce « dispositif-pilote » à d’autres
arrondissements de Paris ? Le diagnostic des évaluateurs est ici
formel : non ! « Une des attentes
face à l’évaluation est de savoir si ce dispositif est reproductible. Au risque
de décevoir, nous dirons qu’il l’est difficilement. » (99)
Puisque CT18 ne sert à rien d’autre qu’à orchestrer
la politique de réduction des risques dans le 18ème - d’un côté
à étouffer la colère des habitants et commerçants (sans grands succès, comme on
l’a vu…) et d’un autre côté à coordonner les nombreuses structures bas-seuil
qui prolifèrent dans le 18ème et se disputent la clientèle des
crackés et les fonds publics -, une telle « coordination » n’aurait
aucun sens dans un autre arrondissement où n’existe (heureusement pas !)
un tel entassement de structures rivales.
Corollaire : si les structures bas-seuil en
venaient enfin à être délocalisées, plus besoin de CT18 pour « coordonner » leurs
chamaillades !
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Quelle est, pour l’Ofdt, et par-delà ce qu’en dit CT18, la véritable situation du quartier ? L’Ofdt a
pris soin de vérifier que, pour les gens du quartier, la toxicomanie est bien
le principal problème :
« Pour 27% des gens [majorité
relative], la toxicomanie vient en tête des problèmes ressentis dans le
quartier. Au cœur du trafic, le pourcentage des gens qui trouvent que la
toxicomanie est le premier problème du quartier passe à 42%. » (71) « Une moyenne de 87% (92% au cœur du
trafic) déclare avoir déjà rencontré des usagers. » (71) « 5% déclarent avoir été agressés,
presque toujours dans l’espace public. » (71)
5% : cela veut dire qu’un habitant sur vingt a été agressé dans la rue par
un toxicomane !
Pour l’Ofdt, cette réalité, insupportable pour les habitants
« pauvres et honnêtes » (62) de ces quartiers, ne relève pas d’un
fantasme, d’un simple « ressenti », mais de pratiques bien réelles :
Il y a bien une « explosion de la consommation de crack » (56, 88). « L’étalage public du trafic de stupéfiants demeure une des caractéristiques des quartiers concernés. » (63) « Les pouvoirs publics et la police tolèrent le trafic afin de le circonscrire aux quartiers déjà atteints. » (21) « La concentration, dans le même lieu, de la vente et de la consommation de stupéfiants traduit la tolérance à l’égard de pratiques qu’on ne souhaite pas déplacer vers d’autres lieux. » (39) « La vente des produits et leur consommation se pratiquent aussi aux abords des structures, c’est indéniable. » (29)
Voilà la toxicomanie que CT18 voudrait faire accepter au quartier, par « concertation » et
« coordination » ! Quand tout le monde voit clairement que le
crack pourrit les quartiers où il s’infiltre, CT18 s’affaire, depuis bientôt dix ans, et sur fonds publics,
à faire prévaloir un « Pas de 18ème sans
crack ! » (transposition sur
l’arrondissement de l’ancien mot d’ordre de la Mildt « Pas de
société sans drogues ! »). Comme
le rapport de l’Ofdt le montre bien, les habitants et commerçants du 18ème
ne s’y résignent pas et résistent sans relâche à Coordination
Toxicomanies 18. Gageons que leur
résistance n’est pas prête de s’arrêter !
[1] une sociologue
(S. Fayman), une anthropologue (C. Salomon) et un médecin (P. Fouilland), au
demeurant tous favorables à la réduction des risques (ce qui rehausse leur
sévérité à l’égard de CT18).
[2] Le rapport
est disponible à www.drogues.gouv.fr
[3] Pour plus de
précisions, on pourra se reporter aux deux textes suivants :
www.entretemps.asso.fr/drogues/2004.2005/12.mai.htm (École des Mines de
Paris, 12 mai 2005) et
www.entretemps.asso.fr/Stalingrad/Etudes/CT18.htm (Stalingrad, 15 février 2005).