« On
est tous dans le brouillard » ?
Quelques questions claires pour en sortir !
(16
octobre 2005)
On connaît le sophisme : la
toxicomanie configurerait une situation « complexe » où l’« on
serait tous dans le brouillard ». D’où l’on infère les vertus d’un
pragmatisme sans principe et « sans idéologie ».
À quoi il est facile
d’objecter :
1) Toute situation par définition
est complexe (peut-on en citer une seule qui soit « simple » ?).
2) La situation de la toxicomanie
étant, comme toute situation, complexe, raison de plus d’y intervenir avec des
objectifs clairs, à charge ensuite pour l’intervenant de s’adapter, sinuer et
inventer : il le pourra d’autant mieux et d’autant plus librement qu’il
saura ce qu’il vise.
3) Le pragmatisme sans principe
n’est en vérité que l’idéologie du « sans foi ni loi », du « quartier
libre »… au néolibéralisme.
Les orientations de notre collectif
contre les salles de shoot sont claires.
Le brouillard volontairement
répandu en guise de campagne idéologique par les partisans des salles de shoot
nous incite à leur poser quelques questions précises.
Questions à EGO
Vous avez modifié récemment vos
statuts (Assemblée générale extraordinaire du 20 avril 2005) pour y
ajouter la possibilité de mener « des initiatives ou programmes pilotes
à caractère expérimental dans le domaine de la consommation de drogues. ».
1) Ce nouveau volet sur la
consommation de drogues étant clairement distingué dans vos statuts des
objectifs en matière de soins, pourriez-vous préciser le type d’expérience en matière
de consommation (spécialement de crack) que vous comptez
promouvoir ?
2) Pourriez-vous préciser votre
position actuelle sur les salles de shoot réclamées par Act Up (association
dont des militants déclarés participent étroitement à votre action) ?
Question à la Mairie de Paris
Dans le cadre du Forum parisien sur
les drogues que vous avez organisé les 7 et 8 octobre 2004 et dont vous
avez publié les actes en mai 2005, vous avez choisi de donner un large
écho à l’expérience genevoise d’une salle d’injection d’héroïne (voir
pp. 15 à 20).
Considérez-vous qu’il serait
« innovateur » aujourd’hui de créer à Paris un tel type de salle?
Questions à France-Culture
Vous consacrez quatre heures de
votre antenne à une série d’émissions sur le crack sous le titre « On est
tous dans le brouillard » (!). Force est de constater que ces heures
d’antenne sont dédiées à la promotion de l’idée suivante : la situation du
crack, concentré dans le nord de Paris, imposerait de nouvelles initiatives
« audacieuses », « innovantes » et bien sûr
« citoyennes » pour lesquelles l’association privée EGO se porte
candidate.
1) Pourquoi n’avez-vous pas voulu
donner la parole aux gens opposés à ces nouvelles initiatives et qui sont
pourtant nommément attaqués au cours de ces émissions ?
2) Considérez-vous qu’il fasse
partie de votre mission d’intervenir ainsi de manière partisane dans un tel
débat en laissant dire que les salles de consommation pourraient constituer une
solution à l’intoxication par le crack ?
Questions à Daniel Vaillant
Vous déclariez, en
octobre 2004 lors du Forum parisien sur les drogues organisé par la Mairie
de Paris (voir les actes publiés en mai 2005, p. 43) : « Un
toxicomane est un malade, les trafiquants sont des salopards ».
1) Pourriez-vous préciser dans ce cas
les soins proprement médicaux qui vous paraissent requis pour soigner cette
maladie (et pas seulement pour traiter les maladies opportunistes telles le
sida et les hépatites) ?
2) Considérez-vous qu’un médecin,
prenant la tension d’un toxicomane pour s’assurer que son prochain shoot
n’entraînera pas d’overdose, le soigne ainsi de sa maladie, la
toxicomanie ?
Questions à Anne Coppel
1) Vous déclariez, en
octobre 2004 lors du Forum parisien sur les drogues organisé par la Mairie
de Paris (voir les actes publiés en mai 2005, p. 40) : « Les
mesures politiques prises – boutiques, distributeurs de seringues – se sont
faites quasi-clandestinement. »
Pourriez-vous vous engager à rendre
publique toute nouvelle mesure, en particulier toute éventuelle ouverture de
salle de shoot (ou salle de consommation citoyenne), à laquelle vous seriez
d’une façon ou d’une autre associée ?
2) Dans le numéro d’automne 2004 de
la revue Vacarme (page 82), vous
écriviez : « Michel Foucault ne s’est pas exprimé sur les
drogues, si ce n’est quelques phrases dans une interview de 1984 ». Nous sommes contraints de vous démentir sur ce
point et de vous conseiller la lecture des nombreuses pages consacrées par
Foucault aux politiques en matière de drogues dans son cours au Collège de
France (en particulier la leçon du 21 mars 1979 – in Naissance
de la biopolitique).
Pourriez-vous nous indiquer si vous
vous accordez à son diagnostic (c’est le néolibéralisme qui prône en matière de
drogues une politique divisant la population en deux : pour la majorité -
les non-intoxiqués - des drogues à très haut prix qui les dissuadent
d’essayer ; pour la minorité - les toxicomanes endurcis - des drogues
à bas prix en les abandonnant à leur sort) ?
Questions à Pierre Leyrit
Vous déclariez, en
octobre 2004 lors du Forum parisien sur les drogues organisé par la Mairie
de Paris (voir les actes publiés en mai 2005, p. 41) l’importance
selon vous de « vivre ensemble »
dans les quartiers.
1) Pourriez-vous nous indiquer s’il
s’agit ainsi pour vous d’obtenir des habitants du 18° leur accord pour
désormais « vivre ensemble » avec la drogue et son trafic, y compris
au milieu des périmètres scolaires ?
2) S’il ne s’agit pas de promouvoir
un « vivre ensemble avec les trafiquants », s’il ne s’agit pas pour
vous d’obtenir que le quartier arrête de lutter contre la drogue et accepte
l’incrustation du trafic, comment Coordination toxicomanie 18 compte-t-elle agir concrètement dans ce sens ?
Questions à Act Up
1) Dans
votre communiqué du 14 septembre 2005, vous incitez la France à s’inscrire
en matière de drogues dans le prolongement des politiques mises en place en
Allemagne, en Espagne, aux Pays-Bas, en Belgique, en Norvège, en Suisse et au
Luxembourg et déclarez « progressistes » ceux qui suivent le train
européen, « réactionnaires » ceux qui s’en écartent.
À
quelles conditions selon vous le « progressisme » peut-il consister à
suivre les orientations européennes s’il est vrai que le récent référendum
semble bien attester de l’exact contraire ?
2) Dans
ce même communiqué, vous présentez les salles de shoot comme ayant pour
avantages « de réduire la consommation de drogues dans les espaces publics
et les cages d’escaliers, également de réduire les déchets potentiellement
contaminés (seringues) » et vous précisez que ces avantages devraient
intéresser les habitants des quartiers concernés.
Si
vous nous accordez d’appeler « pétainiste » une politique qui offre
la tranquillité des affaires à la majorité en échange de son silence sur les
abjections qui s’organisent ailleurs contre une minorité, ne pensez-vous pas
qu’offrir aux habitants la sécurité et la propreté de l’espace public en
échange de droguatoriums pour les toxicomanes récidivistes relève d’un nouveau
pétainisme ?
Stalingrad
contre les salles de shoot