Lecture du texte «… on peut franchir le pas, faire en essai. »

de Bernard Bertrand (septembre 2005)

 

(15 novembre 2005)

 

Collectif Stalingrad contre les salles de shoot

 

Bernard Bertrand avait écrit un livre intitulé Le « tourisme d’assistance » des usagers de drogues. Vers l’ouverture d’une salle d’injection à moindre risque, (L’Harmattan, 2003) que nous avions discuté le 23 novembre 2004 :

http://www.entretemps.asso.fr/Stalingrad/Etudes/droguatoriums.htm

Depuis, B. Bertrand a rajouté un nouveau chapitre à ses études intitulé… on peut franchir le pas, faire en essai :

Act Up relève cette étude. On lit ceci sur son site :

« Une nouvelle étude menée par Bernard BERTRAND de l’association LUDIC (Mulhouse) fait le point sur les 87 lieux en service dans le monde et relance le débat. […] En France, aucune réflexion n’a été initiée de manière officielle et c’est finalement, le secteur associatif qui, une fois de plus, prend l’initiative et fait avancer la connaissance. L’étude de Bernard BERTRAND est accessible sur le site »

http://www.ludic-mulhouse.org/nouveautes.htm

 

Qu’en est-il de cette étude de Bertrand, à laquelle tout un chacun pourra aisément se rapporter pour en juger par lui-même ?

 

D’abord, il n’y est guère question de « point fait sur les 87 lieux » puisqu’il n’y est en vérité traité que de 3 situations, respectivement à Genève (Quai 9 dont il est régulièrement question dans les colonnes du journal d’EGO), Sydney et Vancouver.

Ensuite sur ces trois situations, « seul Quai 9 fait l’objet d’une observation particulière » (p. 18).

Ainsi, dès le départ, la baudruche se dégonfle : on est passé d’un coup de 87 lieux à 1 seul sérieusement examiné ! Cela donne une juste mesure de l’aisance avec laquelle la réduction des risques réduit en général toute exigence…

 

Ensuite il y est essentiellement question de présenter « l’expérience » suisse des salles de shoot, mais guère de l’évaluer.

 

On y apprend cependant des choses intéressantes :

·       D’abord un constat honnête de Fabrice Olivier, dont on peut saluer le courage et l’absence d’hypocrisie, ce qui le singularise fortement dans ce contexte sophiste :

« Soyons honnêtes. Je me souviens très précisément de ma visite au Fixpunkt de Bâle (Suisse), dirigé par Robert Hammig, un authentique humaniste à l’accent suisse. Ma première sensation en entrant fut tout de même la violence. La violence de la coke quand elle est fixée des heures durant, la violence du biseness relégué à 20 mètres du centre mais dont les remous viennent frapper à la porte. Violence de la misère surtout. Cette misère omniprésente dans le lieu avec sa crasse qui affleure sous l’odeur persistante du détergent, misère de la vie massacrée de ces femmes, de ces hommes souvent jeunes, rarement beaux, aux « chicots » noirâtres poursuivis par les « arnaques », le tapin et la tôle. Car les salles de consommation sont aussi des hangars à pauvres. » (pages XII-XIII)

·       On apprend ensuite par Bertrand

— que la consommation de drogues est déjà discrètement tolérée dans les boutiques : « Toute consommation de produit reste officiellement interdite dans ces lieux. Toutefois, comme l’a dit Malika Tagounit lors de la première journée-débat nationale organisée sur les salles d’injection à moindre risque [nom prude pour les salles de shoot], « il existe une tolérance sous-jacente dans les boutiques. Il s’agit pour les usagers de drogues de le faire le plus discrètement possible ». » (p. 12),

— que l’enjeu de la politique de réduction des risques est bien d’autoriser désormais « l’usage de l’espace public » aux consommations de drogues (p. 11),

— qu’il y a déjà des « shooting room » clandestines dans les squats (p. 13),

— que des équipes de réduction des risques ont déjà clandestinement encadré des salles de shoot, en particulier pendant plus d’un an (de 1999 à 2000) en un lieu que l’auteur préfère tenir secret (p. 28-29),

— que le passage à la salle de shoot n’est que la conséquence logique de la politique de réduction des risques jusque-là suivie : « Un intervenant fait remarquer que si nous donnons des seringues stériles, c’est bien parce qu’elles vont être utilisées. Alors pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique et éviter qu’ils aillent se cacher dans des lieux dépourvus de toute hygiène pour faire leurs injections ? » (p. 15),

— que le décret n° 2005-347 du 14 avril 2005 est bien reçu par les gens de la réduction des risques comme ce qui « couvre la possibilité d’expérimenter des salles de consommation » (p. 15)

 

Ce travail nous éclaire aussi sur ce que c’est concrètement qu’une salle de shoot.

C’est une pièce de 10 m2, pas plus (p. 27).

Voici quelques plans de salles de shoot existantes – qu’on peut au passage comparer aux plans déposés par EGO pour son projet d’extension - :

Quai 9 (Genève, Suisse)

Medically Supervised Injecting Centre (Sydney, Australie)

Plan d’une salle de shoot « idéale » (p. 81)

Plan de la pièce de « relaxation » prévue par EGO :

Quelques détails savoureux.

·       À l’entrée de Quai 9, un panneau d’affichage avec un message qu’un humoriste n’oserait inventer :

·       « Stop à la fumée passive au Quai 9 ! Dès lundi, si vous faisiez une petite pause sans clop et sans alcool ? Pour une injection à moindre risque, nous nous réjouissons de continuer à vous accueillir dans un lieu sans fumée ! » (p. 35) Surréalistes ces Suisses, pris en modèle par Act Up et les Verts, isn’t it ?

·       Dans le local, un médecin est présent trois fois par semaine (p. 39). Est-ce trop de parler ici de « médecin abaissé et corrompu » quand on sait (p. 40) qu’il s’agit en cette affaire d’injecter de l’héroïne et de la cocaïne ? Bertrand argumenterait sans doute que ce médecin participe ainsi de la courageuse lutte citoyenne… contre le tabagisme passif !

·       « Une partie importante des consommateurs de drogues ne manifeste clairement pas [sic !] le souhait d’arrêter sa consommation. Il est donc normal que la salle n’ait pas d’influence sur une démarche potentielle d’arrêter leur consommation. » (p. 43) Toute cette phrase semble une plaisanterie à la Woody Allen : en tous les cas tout ceci « ne manifeste clairement pas le souhait » sans faille de Quai 9 d’influencer sa clientèle dans le sens d’un arrêt de sa consommation !

·       Voici un détail de l’argumentation selon Monsieur Bertrand : « Même s’il y avait une insuffisance de preuves empiriques solides pour démontrer l’efficacité des SCMR à prévenir les surdoses, la logique et l’expérience indiquent que certains utilisateurs de drogues bénéficient de l’existence de tels lieux. » (p. 61) ! Autant dire : « même si aucune preuve ne vient valider ce qu’on veut, cela ne change rien pour nous » (il est vrai qu’il est indubitable que « certains utilisateurs de drogues bénéficient de l’existence de tels lieux », ne serait-ce en effet que pour pouvoir y consommer tranquillement leur drogue !

·       Bertrand rappelle que pour l’économiste néo-classique Pierre Kopp, l’avantage essentiel de tout ceci, est ultimement de ne pas coûter cher, moins cher en tous les cas qu’un centre de post-cure : comme l’écrit cyniquement P. Kopp, « soigner, c’est économique » (p. 65) : il faut dire que « soigner » ici reste compatible avec l’idée qu’un dealer « soigne » ses clients… en leur fournissant à temps un bon produit !

·       Quelques propos rapportés de toxicomanes, eux-mêmes effarés devant la perspective de salles de shoot : « Déjà euh, pour moi, ça paraissait ahurissant quoi, qu’ils ont pu faire un endroit comme ça pour euh, pour les toxicomanes, pour qu’ils puissent shooter en, on va dire en toute sécurité et puis en toute tranquillité tu vois sans que, ils soient dérangés par quelqu’un s’ils le font dehors et tout. » (p. 76) « Je pense que c’est (silence) pas bon. C’est la zone autour de ces structures, elles sont pas respectées. Vaut mieux laisser les gens chez eux. » (p. 77)

·       Enfin, Bertrand confirme qu’une salle de shoot, pour être efficace, doit être située près des scènes de la drogue, à proximité des lieux habituels de consommation. (p. 86)

 

Au total, on a là, une fois de plus un pseudo-travail de recherche et d’évaluation, qui fait surtout avancer dans la connaissance… de la propagande actuelle pour les salles de shoot.

 

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