HABITANTS CONTRE LA TOXICOMANIE : QUINZE ORIENTATIONS
(8 décembre 2001)


Des habitants du quartier Stalingrad (Paris 10ème-18ème-19ème)

Que peut-on attendre d'un habitant en matière de lutte contre la toxicomanie ? Que doit-on lui demander ? Les points suivants sont des propositions, dégagées de notre mobilisation récente, qui précisent et délimitent le rôle et la place des habitants dans cette lutte.

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Positions de principe
· Un habitant n'est pas un professionnel : il n'est pas payé pour s'occuper de toxicomanes. Il ne vit pas de la toxicomanie.
· Un habitant n'est pas un responsable public : il n'a pas choisi d'assumer un pouvoir officiel en matière de toxicomanie.
Il n'est donc pas convenable de demander un travail de professionnel ou de responsable public à un habitant. Ce n'est pas à lui de prendre en charge les toxicomanes ni de définir ce que doit être une politique étatique en matière de toxicomanie. Un habitant ne s'intéresse aux questions de toxicomanie que parce qu'il rencontre (contre son gré !) des dealers et des toxicomanes.

1. Un habitant s'opposera aux dealers en exigeant qu'ils quittent le quartier. Comme cela ne peut se faire que par la force, non par la persuasion, l'habitant fera à ce titre appel à la police, non à des milices privées.

2. Un habitant fera face aux toxicomanes qu'il rencontre pour exiger d'eux le respect élémentaire des règles de civilité et de vie commune : que le toxicomane s'empoisonne ne légitime aucunement qu'il empoisonne la vie des autres. L'habitant traitera le toxicomane auquel il fait face en personne responsable de ses actes (non en « victime »), sans lui accorder de privilèges. Nul besoin pour cela de « médiateur » (il n'y a aucune symétrie entre position d'habitant et position de toxicomane qui nécessiterait l'intervention d'un troisième terme « neutre »), mais seulement, dans certains cas, d'un policier ou d'un pompier (qui ont d'autres fonctions que de médiation). Ultimement, l'habitant sera indifférent au fait que la personne qu'il a en face de lui est ou non toxicomane : il lui accordera les mêmes égards qu'à n'importe qui et lui demandera en retour le même respect.

3. Un habitant pourra aider Pierre, Paul ou Jacques, qu'il connaît personnellement et qui s'avère toxicomane. Il ne s'agit pas, pour un habitant, d'une aide aux toxicomanes en général, mais d'un rapport individualisé à une personne donnée.

4. Un habitant exigera des pouvoirs publics (police, maires, etc.) qu'ils fassent leur travail. Il pourra également exiger que les professionnels de la lutte contre la toxicomanie fassent correctement le leur. Il ne vise à se substituer à aucun d'eux : pas plus qu'il ne remplacera la police en organisant des milices privées, il ne va remplacer les psychiatres, assistantes sociales ou éducateurs chargés des toxicomanes en s'occupant lui-même des drogués qui sillonnent son quartier.

5. Un habitant exigera que la réduction des risques pour les toxicomanes s'accompagne d'une réduction des risques pour la population du quartier, non d'une aggravation.

6. Un habitant soutiendra la nécessité de se battre sur deux fronts : contre le sida et contre la drogue. Il n'acceptera pas la démission publique consistant à abandonner le combat contre la drogue au nom du combat, nécessaire, contre le sida.

7. Dans son quartier, un habitant protégera des dealers et drogués les enfants - les considérant tous comme il considère les siens -, les vieux - les considérant tous comme il considère ceux de sa famille -, et les femmes : ce sont sur eux que pèsent le plus fortement les conséquences du trafic. Il aidera les plus démunis de son quartier (personnes âgées) à faire face collectivement aux dealers et drogués qui les importunent.

8. Un habitant préviendra les jeunes de ne pas entrer dans la drogue. Il le fera en les informant des dangers de la toxicomanie mais surtout plus généralement, en leur ouvrant des perspectives positives : en organisant avec eux activités sportives, projets culturels et actions collectives.

9. Un habitant se souciera d'agir avec les commerçants de son quartier. Plus généralement, un habitant se souciera de rassembler toutes les composantes de la population : plus un quartier sera vivant, plus un quartier brassera ses composantes et moins la drogue pourra s'y installer.

10. Un habitant traitera chaque situation concrète pour elle-même, se souciant de ne pas tout mélanger, en particulier de ne pas mettre dans un même sac alcool, tabac, haschich et drogues « dures ». Chacune de ces dépendances relève d'un problème subjectif différent qu'il faut traiter comme tel, non en vrac. Un habitant refusera tout amalgame obscurcissant l'intelligence des situations concrètes et destiné à instrumenter sa colère, à manipuler ses initiatives.

11. Un habitant posera la question du pourquoi : il exigera que soient précisés les objectifs à long terme d'une politique publique. Il discutera des projets pour le pays et pas seule-ment d'une gestion de l'état des choses (d'un « faire avec », au jour le jour). Il n'aura pas peur qu'on lui reproche d'idéologiser les débats sur la toxicomanie. Il ne s'en laissera pas compter par les avis techniques d'experts, par les consensus de spécialistes et professionnels. Un habitant exigera que les plans élaborés par les pouvoirs publics en matière de lutte contre la toxicomanie soient cohérents et efficaces, que leurs moyens soient en relation intelligible avec des fins explicites. Un habitant soutiendra que le principal objectif doit être d'aider les toxicomanes à sortir de la drogue, sachant pertinemment qu'en sortir passe par un sevrage, non par une modération « citoyenne » de la dépendance. Que pour chaque toxicomane cet horizon soit lointain et difficilement accessible n'empêche nullement (tout au contraire !) qu'il soit celui qui vaille vraiment la peine d'être retenu.

12. Un habitant discutera des moyens mis en uvre par les pouvoirs publics pour combattre la drogue et en particulier pour convaincre le toxicomane de s'en sortir, pour lui redonner goût à l'existence hors du nihilisme. Un drogué ne pouvant s'en sortir s'il ne le veut, un habitant sait bien que la subjectivité du toxicomane est toujours décisive : on ne saurait la court-circuiter par un simple enfermement (dans une prison ou un asile). Un habitant refusera que la fin justifie les moyens. Il refusera en particulier les maisons closes de la drogue, les usines à shoot, les centres citoyens du crack, fussent-ils en lointaine banlieue.

13. Un habitant se tiendra pour responsable en premier lieu de ce qui se passe dans son quartier. Sa vraie responsabilité s'exerce en organisant d'abord l'endroit où il habite. C'est là qu'il doit commencer. Sans cela, il ne ferait que des déclarations vaines et creuses.

14. Un habitant se souciera également de ce qui se passe dans les autres quartiers en se coordonnant avec eux. Il élargira son rayon d'action en ayant commencé par le plus proche.

15. Un habitant soutiendra que son quartier relève de la loi commune : si celle-ci passe par l'établissement dans chaque quartier de son pays d'un centre d'accueil, il en admettra le principe. Mais un habitant n'a nulle raison d'accepter que son quartier accueille de manière privilégiée les toxicomanes : pour les toxicomanes qui y habitent, le problème ne se pose pas ; et pour ceux qui n'y habitent pas, le problème doit se traiter globalement, non en les fixant dans un quartier.