SIDA : Pour la production de médicaments gratuits par la France en direction de l'Afrique


Lettre de juin 2000 envoyée par Cécile Winter

 

Cher(e) ami(e)

 

L'épidémie du Sida, qui touche actuellement 35 millions de personnes dont 25 millions en Afrique sub-saharienne (la plus grande épidémie que le monde ait jamais connue) ne peut pas être considérée comme une catastrophe naturelle.

 

A échelle mondiale la maladie frappe les plus pauvres. Dans un livre intitulé Inegalities and Infectious Diseases, qui s'appuie entre autres sur une étude détaillée de la propagation du Sida en Haïti, l'américain Paul Farmer montre que, outre la pauvreté par elle-même, l'inégalité comme telle, plus précisément le voisinage géographique de la grande pauvreté et de la grande richesse, est un facteur déterminant du développement de cette épidémie. Le peuple haïtien souffre sa proximité des Etats-Unis. Outre Haïti, les pays les plus fréquemment cités pour le caractère explosif qu'y a pris ou qu'y prend l'expansion du Sida sont : l'Afrique du Sud, l'Inde, la Thaïlande et le Cambodge, aujourd'hui la Russie.

Il est remarquable que la très agressive campagne de propagande menée depuis de longs mois dans la presse scientifique occidentale contre le gouvernement sud-africain se soit récemment étendue à la grande presse en prenant comme cible principale la déclaration de Thabo Mbeki selon laquelle les conditions socio-économiques, et notamment la pauvreté, jouent un rôle essentiel dans le développement du Sida. Le président sud-africain se voit taxé d'arriération scientifique, et même de " révisionnisme ".

Le VIH n'a pourtant pas infecté le centième de la population d'un pays occidental. Que n'entendrions-nous pas si tel était le cas ! En Afrique du Sud, 40 % des travailleurs, 50 % des jeunes dans la région du Kwazulu Natal, sont infectés par ce virus. Bientôt, annoncent les journaux, il n'y aura plus de majorité noire dans ce pays. Comme dans d'autres pays d'Afrique, la situation est celle d'une destruction physique du peuple entier.

 

Des médicaments antiviraux utilisés en association permettent de contrôler l'infection par le VIH et d'empêcher l'évolution vers le Sida. Leur utilisation depuis 1996 dans les pays occidentaux a complètement transformé le pronostic de l'infection. Les pays gravement touchés par le Sida n'ont pas accès à ces médicaments, notamment en raison de leur coût prohibitif.

Quelques groupes militants en Amérique du Nord, Act Up en France, les militants de Treatment Action Campaign en Afrique du Sud, et quelques ONG font campagne pour le droit des pays à produire ou acheter des antiviraux génériques.

 

La situation présente est celle d'une destruction physique de peuples d'Afrique, destruction que les puissances occidentales et les instances internationales ne cherchent pas à empêcher, et à laquelle certaines collaborent activement.

 

 

La non-indépendance s'éprouve dans ses effets dramatiques et mortels. Il apparaît que cette notion avait force dans un champ politique configuré par la contradiction. Avec le balayage du système antérieur des balises, (voir par exemple le repérage chinois avec le triple dispositif peuple / révolution, nation / libération, pays / indépendance), il n'y a plus d'espace de la contradiction ; il n'y a plus d'indépendance.

 

 

Dans son intervention, Mandela a déclaré l'Afrique en état de désastre. (1)

 

La Conférence de Durban, tenue du 9 au 14 juillet 2000, la première des Conférences internationales sur le Sida à avoir lieu sur le sol africain, fut pour la première fois le lieu d'une occurrence qui peut se dire tout à la fois vide et cruciale. Elle eut, ou fut, sa propre lumière, provisoire et ténue, comparable à l'éclat fugitif d'une bougie qui pourtant un instant éclaire et institue sa propre scène.

 

Cette Conférence fut l'oeuvre de quelques-uns, à l'évidence hommes d'expérience, qui firent connaître un style fait d'opiniâtreté et de délicatesse, de goût et d'organisation, de fermeté et de subtilité, d'élégance attentive et de patriotisme : portant sur leurs deux bords, dans un appareillage finement calculé et quasi familial, leurs militants et leur gouvernement, et leur dispute parant l'angoisse par sa distinction même.

 

Une grosse partie des habituels ténors américains, suivant l'appel au boycott lancé par la conscience américaine (qui est allée jusqu'à lancer l'idée d'une comparution devant le tribunal international des droits de l'homme de la ministre de la santé d'Afrique du Sud, pour avoir refusé d'acheter l'AZT de la firme Glaxo Wellcome), ne vint pas. Suivant sa trouille ou sa conscience intime d'appartenir aux rangs des criminels, une bonne partie des troupes européennes s'abstint aussi. (beaucoup de bruits, fort colportés et amplifiés par le réseau des délégués des firmes pharmaceutiques, avaient couru sur la dangerosité extrême du voyage à Durban). Ce fut peu glorieux pour la science.(2) Par contre ce fut peut-être une bonne chose pour Durban : car les 12 000 et quelques qui étaient là (l'affluence habituelle, voire un peu plus, d'une conférence internationale sur le Sida, mais pour une fois pas tout à fait les mêmes, 4 000 venaient d'Afrique, 3 000 d'Europe et 3 000 d'Amérique) eurent de ce fait peu d'occasions de scissionner et durent se rendre à leur propre présence

 

Ainsi ce fut une authentique situation de masse, avec une foule qui se levait en ovation à des propos la dépassant, (3) des inconnus s'interpellant dans tous les sens et des prises de parole au pied levé dans l'autobus. Mais une foule en même temps émiettée par sa sensible inconsistance, une espèce de buée à mille lieues du rivage de la situation désespérée qui l'entourait et l'avait suscitée : une inconsistance faite de politique absente, même de l'évidement présupposé de son hypothèse même, qui se faisait sentir comme joug, le joug de l'impuissance et plus encore le joug de l'imbécillité.

Ainsi on vit de hautes figures, on entendit de significatifs propos individuels (4). Mais en même temps à la tribune, représentant la Banque Mondiale, un gros lard sûr de lui s'adressait méprisant et tranquille au troupeau : " donc vous avez bon coeur : nous en sommes très contents. Nous sommes pour. Et mettez donc la main dans votre poche. Il faut développer la charité. Et que les ONG grandissent et aident les pauvres. C'est leur travail, et elles le font très bien, elles ont cette compétence. Tandis que nous, nous n'y connaissons rien, ce n'est pas notre job ".

 

Surgissant improbable la dernière diapositive de Durban (résumant les travaux du " track " E, intitulé " rights, politics, commitment and action ", et créé pour la circonstance) portait ces quelques mots : " il faut s'engager dans l'action politique et idéologique ". Une conclusion tant improbable qu'adéquate pour cette conférence, dont on sait que comme telle elle restera sans lendemain, au terme de laquelle son président, le Dr. Coovadia, déclarait : " Quelque chose s'est passé. Est-ce un état d'esprit ? Ou peut-être quelque chose qui aura une portée historique ? "

Reste à tenir le fil d'improbabilité.

 

 

* * * *

 

La proposition est de lancer en France une campagne publique sur le thème : la France peut et se doit de produire elle-même des antiviraux génériques afin de les fournir gratuitement, avec la logistique nécessaire, à ses anciennes colonies.

 

 

Possibilité

Jacques Chirac est le seul chef d'état étranger à avoir adressé un message à la Conférence de Durban. Il fut lu lors de la séance plénière du lundi 10 juillet par le ministre français de la santé, quasi la seule aussi parmi ses homologues à avoir fait le voyage de Durban, et en tout cas la seule porteuse d'un message politique. Le contenu en était à peu près celui-ci : la France adresse son salut à cette conférence et en attend beaucoup. La situation créée par l'épidémie du Sida est très grave. La France ne peut pas accepter que perdurent la situation présente d'inégalité face à la maladie, et l'inégalité dans l'accès aux traitements. Il faut qu'il y ait production des nouveaux médicaments dans les pays en voie de développement eux-mêmes.

Suivaient, au chapitre des propositions : la France va obtenir l'engagement de l'Union Européenne ; la France va proposer la tenue d'une Conférence mondiale sur l'accès aux traitements ; la France va s'adresser au G7.

 

Il s'agit donc de faire campagne pour que la France tienne la conséquence de la déclaration de Jacques Chirac. Le mot d'ordre avancé peut en effet seul soutenir la conséquence de la position française, lui assurer réalité, rayonnement et efficience.

 

 

Paradoxe et difficultés

Le moins que l'on puisse dire est que le président de la République n'a pas cherché à donner grande audience en France même au discours de Durban. Le soutien éclairé, résolu, de l'opinion publique à ce qui serait, s'il était recherché, un engagement d'importance de notre pays, semble plutôt vouloir être évité à tout prix, et non seulement la discrétion, mais la contre-campagne et contre-information sont chez nous de rigueur. La presse française a fait montre pendant très longtemps d'une rare vigilance à ne pas laisser affleurer la question cruciale de l'accès aux traitements en Afrique, et à présent que celle-ci est devenue plus ardue à éviter, elle ne la traite que très parcimonieusement et dans un style toujours à la fois évasif et technique, et sans jamais laisser percer l'hypothèse d'une possible implication de notre part.. A quelques jours de la Conférence de Durban, la télévision a, sur la chaîne TF1 au journal de 20 heures, programmé une campagne quotidienne au sujet de l'inexistant vaccin, en appelant à la contribution financière des téléspectateurs pour ce qui était présenté comme " l'espoir de millions de séropositifs dans le monde ".

 

La ligne du gouvernement français en la matière a été jusqu'à présent d'étouffer cette affaire dans l'opinion publique et, là comme ailleurs, de donner gage de soumission servile à la puissance américaine. L'appareil médico-étatique français, sous emblème kouchnérien, est pour l'essentiel nettement engagé dans ce sens, dans un mélange typique de ratiocination pseudo économico instruite et de petit affairement colonial (rappelons que la grande entreprise kouchnérienne du Fonds de Solidarité Thérapeutique International, relayée par l'Onusida, ayant concentré ses efforts sur la Côte d'Ivoire, a finalement réussi à traiter... un peu moins de 5 % des patients du service élu à Abidjan comme le bénéficiaire de cet effort). A Durban même, les médecins français brillaient par leur absence lors des deux réunions militantes qui encadrèrent la conférence. Exemple restreint mais significatif : en décembre dernier, un groupe de jeunes médecins lançait une pétition qui, quoique modeste et peu précise, avait le grand mérite de porter en exergue l'énoncé : égalité dans l'accès aux traitements pour tous les patients atteints par le VIH, au Nord comme au Sud. En quelques jours, elle réunit plus de 800 signatures venant des milieux professionnels français, d'Afrique de l'Ouest et d'autres pays d'Europe. A réception d'une méchante lettre d'intimidation émanant de Michel Kazatchkine, président de l'ANRS (Agence Nationale de Recherche sur le Sida), l'appel fut enterré par ses initiateurs. Hormis une revue spécialisée et très confidentielle, il ne parvint même pas jusqu'aux journaux.

 

 

Il y a donc bien sûr une épaisseur de consensus et de lâcheté à traverser et à forcer. Mais si cela se fait, cette campagne trouvera son audience et son mot d'ordre porte une forte éclaircie.

 

Une telle position et action de la France transformeraient réellement la situation au niveau mondial et modifieraient globalement le rapport des forces en faveur de l'accès au traitement sur tous les continents. Même en tant que mot d'ordre et campagne, l'efficace sera grande. Les crimes ont besoin de silence, les turpitudes occidentales de dictature propagandiste. Parler publiquement est une force en soi.

 

Ce mot d'ordre porte la nécessité d'une position politique et d'un engagement des gouvernements. Ceci contre la thèse selon laquelle le vrai terrain de l'affrontement est celui de la confrontation avec les firmes pharmaceutiques, portées au rang de puissance et de conscience mondiale. D'apparence radicale, cette thèse fait de l'affaire un exercice moucheté entre initiés dans les salons des grands hôtels, (voir la vogue qu'ont acquise les mots anglo-américains lobby, ou advocacy,), une discussion sérieuse chez les puissants, autant dire peu.. Cette affaire mondiale relève de l'action publique et engage les pays.

 

Ce que le Brésil peut, la France doit le pouvoir. Outre les difficultés logistiques, financières et techniques, il serait fort paradoxal de proposer que les plus faibles et les plus pauvres mettent en fabrication chez eux des molécules dont la production offense le Maître américain, tout en soutenant que la France, pour ce qui la concerne, ne pourrait se risquer à la faire..

 

Enfin, ce dernier point n'est pas le moindre, il s'agit d'assumer la question historique de l'Afrique. C'est un peu fort d'entendre ces messieurs responsables, qui d'organisation internationale, ou qui de sa boutique, déclarer grassement : les Africains sont indépendants, c'est leur affaire, que leurs gouvernements se démerdent. On voudrait dire : le prédateur occidental mériterait bien de rendre gorge pour ces paroles. Mais l'argumentation est politique, et sans aller à l'esclavage, la question est de l'effacement ou non de l'histoire coloniale. Vus au travers de la lorgnette des rapports médicaux, il apparaît en tout cas clair que les pays d'Afrique de l'Ouest restent toujours nos colonies. La France a donc la responsabilité de fournir les traitements antiviraux à ses ex-colonies dévastées par l'épidémie.

 

Voici, à titre d'engagement, un texte de déclaration possible. Etes-vous d'accord pour le signer ? Souhaitez- vous discuter son contenu ? Quelles seraient vos propres propositions et perspectives ?

Merci d'avance de vos réponses et avis.

 

Cécile Winter

27, rue Saint-Ambroise

75O11 Paris (France)

linaressud@hotmail.com ou campagne.sida@noos.fr


Notes