Sauvons les vies, non les brevets!

 

 

Des millions d'Africains sont en danger de mort. La pandémie du sida les attend. Nous le savons et, nous aussi, nous attendons.

Un tremblement de terre en Inde prend le monde par surprise - le sida, non : son développement est suivi, prévu, chiffré. Une guerre au Rwanda engage, certes, la responsabilité de plusieurs Etats, de marchands de canons, mais aussi celle des belligérants - le sida n'est voulu par quiconque. Car nul ne s'accommode de perdre un parent ou un ami, car nul ne consent à mourir du sida.

Cette pandémie est en outre d'une échelle sans précédent dans l'Histoire de l'humanité. Nelson Mandela a déclaré l'Afrique en état de désastre. Il est d'une extrême urgence d'intervenir.

Nous attendons.

Comme si nous étions impuissants, comme s'il n'existait à ce jour aucun traitement. Et pourtant, quelques groupes pharmaceutiques les produisent et les vendent, mais à des tarifs prohibitifs pour nombre de pays en développement. Le Brésil a bien décidé de fabriquer lui-même des médicaments anti-viraux génériques. Il est déféré devant l'Organisation Mondiale du Commerce par les Etats-Unis, pour avoir contrevenu aux lois sur les brevets. Le Sénégal a négocié et finalement obtenu une baisse des prix de ces médicaments. Le risque est grand de voir chaque pays africain se présenter seul devant les groupes pharmaceutiques et tenter sa chance, solliciter leurs bonnes grâces et se soumettre à leur bon vouloir. Quarante ans après la décolonisation, que restera-t-il de l'indépendance de ces pays ? Et ces firmes industrielles du Nord deviennent ainsi détentrices d'un droit de vie ou de mort sur des millions d'Africains. Qu'est-ce, sinon un nouvel esclavage ? Voulons-nous un trafic négrier du XXIème siècle, dont l'alternative serait : " payer ou mourir " ?

Attendrons-nous encore ?

Comme si ce drame ne nous concernait pas, comme si n'était " mondiale " que la circulation économique des marchandises et des intérêts ou une compétition de football. Il ne peut y avoir plusieurs mondes, les nôtres abrités et individualisés, et celui des Africains confusément relégué aux confins de la planète, où l'on ne veut trop savoir ce qui s'y passe. Le monde est un.

Dans un message du Président de la République Jacques Chirac, adressé à la conférence mondiale sur le sida qui s'est tenue à Durban en juillet 2000, la France, seule parmi les pays du Nord, a souligné la gravité de la situation et l'impérieuse nécessité de mettre un terme à l'inégalité dans l'accès aux soins. Dans le prolongement de cette déclaration, par cette pétition, nous demandons aux autorités françaises de mettre gratuitement à la disposition des pays africains ces médicaments et la logistique nécessaire. La France le peut. Elle en a les moyens techniques et financiers.

Le seul obstacle est juridique : les brevets déposés concernant ces médicaments sont protégés par des lois internationales. Le Brésil est passé outre. S'il le faut, que la France aussi les enfreigne ! L'urgence commande. A respecter une loi internationale sur les brevets, on contreviendrait à une autre qui exige de porter assistance à toute personne en danger. A protéger les droits de la propriété commerciale en de telles circonstances, on commettrait un crime. Que la France ne craigne pas d'être désignée à la vindicte publique de groupes d'intérêts et d'Etats les relayant. Elle le sera. Mais elle ne sera pas seule. Elle aura le soutien des peuples, notamment des Africains. Et, solidaire dans l'épreuve, elle témoignera ainsi de l'attachement qu'elle dit avoir pour ce continent.

Les lois sont faites par les hommes pour les hommes. Sauvons les vies, non les brevets !

C'est l'évidence. Lorsque surgissant de l'indifférence, elle éclate, elle en devient si étrange qu'il faut longuement l'expliquer.

Mais désormais, n'attendons plus !

 

John Baude

(envoyé à Libération, février 2001)