DECLARATION DE CANGE (HAÏTI)

 
Partners In Health

Le 24 août 2001, plus de 2 000 personnes (soignants, patients et militants) se sont rassemblés dans notre hôpital de la campagne haïtienne pour prolonger le débat engagé sur le droit pour les pauvres de survivre. Un groupe d'environ 60 patients vivants avec le VIH a préparé une déclaration touchant au droit des gens pauvres ayant le Sida à recevoir une thérapie efficace et moderne. La « Déclaration de Cange » a été lu par Nerlande Lahens à tous les participants, dont Mildred Aristide, et ce devant un millier de visiteurs venus de tout Haïti, des collaborateurs venus du Pérou, de Boston, de Cuba et de la République Dominicaine.
Nous avons traduit ce document du créole haïtien en français, anglais et espagnol. Diffusez ce document auprès de tous ceux qui se soucient du droit aux soins en matière de santé.


Nous, les patients de Cange, avons une déclaration dont nous voudrions faire part à vous tous. C'est nous qui sommes malades; c'est donc nous qui prenons la parole pour clamer notre souffrance, notre misère, notre douleur autant que notre espoir. Nous entendons beaucoup de belles déclarations sur notre situation, mais nous ressentons l'obligation de dire quelque chose de plus catégorique, qui résonne davantage que ce que nous avons entendu.

Nous, les patients de "Partenaires pour la santé", avons la chance de recevoir des médicaments et des soins même si nous n'avons pas d'argent. Beaucoup de nos problèmes de santé ont été résolus grâce à l'accès aux médicaments.

En plus de nos problèmes de santé, nous avons d'autres causes de désarroi. Il est difficile de nous payer un logement, de trouver un emploi, d'envoyer nos enfants à l'école et de les soutenir. Ne pas être capable de nourrir nos enfants est le plus grand défi auquel nous devons faire face, nous les mères et les pères à travers toute la nation d'Haïti. Nous avons appris que de telles calamités sévissent également dans d'autres pays. Alors que nous réfléchissons à propos de toutes ces tragédies, nous devons demander: tout être humain ne compte-t-il pas?

Oui, chaque être humain compte. C'est nous les affligés qui parlons. Nous sommes venus ensemble à Cange pour exposer les doléances des malades. Et nous avons aussi quelques idées dans nos besaces que nous souhaiterions partager avec vous qui avez l'autorité, pour voir ce que vous pouvez faire pour résoudre les problèmes de santé des pauvres.

Lorsque nous, les malades, qui vivons avec le Sida, nous nous exprimons sur le sujet de "La santé et les droits de la personne", nous voyons deux points qui devraient être inaliénables :

- Ceux qui sont malades devraient avoir accès aux soins. Nous qui sommes déjà infectés, nous croyons aussi à la prévention. Mais la prévention ne guérira pas ceux qui sont déjà malades. Nous avons besoin de traitement quand nous sommes malades; mais pour les pauvres, il n'y a pas de cliniques, pas de médecins, pas d'infirmières, etc. En plus, les médicaments coûtent trop cher. Pour le traitement du VIH, par exemple, on voit dans le journal que cela devrait coûter moins de 600,00$ US par an. C'est ce qui est publié dans la presse. Mais, ici dans un pays pauvre, petit comme en Haïti, cela coûte deux fois plus cher. Pourquoi cela ?

- Le droit à la santé est le droit à la vie. Tout le monde a le droit de vivre. Et nous ne serions pas tant malades si nous ne vivions pas tant dans la misère. Ne pas avoir de ressources est un problème plus grand encore pour les personnes pauvres, surtout pour les femmes et celles avec de jeunes enfants. C'est ce qui en Haïti se traduit par : « le combat pour la vie mortifie ».

Si chacun avait le droit à la nourriture, à l'instruction, à la santé ­ tel que cela devrait être ­ nous ne vivrions pas dans de si terribles conditions. Il est aussi impératif que nous résolvions les problèmes des routes, de l'eau et de l'électricité afin que nous tous puissions vivre comme des êtres humains.

Pourquoi nous détruit-on ainsi? Est-ce parce que nous sommes les plus pauvres que nous sommes marginalisés, qu'on ne s'intéresse pas à nous?

Nous avons un message pour les gens qui sont là et pour ceux qui sont capables d'entendre notre plaidoyer : Nous recherchons votre solidarité. La lutte dans laquelle nous nous sommes engagés afin d'obtenir les soins adéquats pour ceux atteints du Sida, de la tuberculose et d'autres maladies, est la même que celle qui a été menée par les peuples depuis longtemps afin de permettre à toute personne de vivre comme un être humain.

Pour ceux qui écoutent aujourd'hui, nous avons un autre message : ce message s'adresse à ceux qui fabriquent les médicaments : Nous voudrions vous encourager à continuer de développer et produire des médicaments et à continuer de faire de la recherche. Mais si vous ne baissez pas les prix, nous les pauvres nous ne serons pas capables d'acheter les médicaments essentiels à notre survie et, inévitablement, ce sont les pauvres qui deviendront encore plus malades. Nous continuerons de mourir sous vos yeux. Or, notre situation empire de jour en jour.

Nous adressons un appel à vous, Mme Aristide : Nous, les patients de Cange, vous levons notre chapeau pour vos courageuses déclarations aux Nations Unies. Nous savons que vous avez la conviction et la volonté; nous savons que vous vous battez pour nous. Cependant, nous demandons que le gouvernement fasse encore plus d'efforts pour nous venir en aide. Nous avons besoin de bons docteurs, de bonnes infirmières, de bons médicaments. Nous adressons cette même requête au ministre de la santé publique. Il serait bon pour vous qui détenez l'autorité de faire ce travail rapidement avant que davantage d'entre nous, les pauvres, mourions.

Nous avons un message pour tous ceux qui se sentent concernés par nous, qui se préoccupent de notre santé : nous voudrions vous remercier de porter ce lourd fardeau avec nous. Nous qui sommes malades, nous vous aimons beaucoup, et nous vous demandons de rester ici, de persévérer avec nous. Nous reconnaissons qu'il n'est pas facile de trouver des personnes dévouées comme vous. Nous pensons en particulier aux "accompagnateurs", auxiliaires, infirmières, docteurs, administrateurs et tous ceux qui nous soutiennent, y compris ceux qui cuisinent pour nous, lavent et repassent le linge pour nous.

Nous avons un message pour vous qui souffrez de la même maladie que nous : nous voudrions vous dire de ne pas vous décourager à cause du fait que vous n'avez pas de médicaments. Nous faisons le serment de demeurer résolus et de ne jamais nous fatiguer dans la lutte pour obtenir, pour tous, les médicaments nécessaires et les soins adéquats.

Nous avons un message pour les dirigeants, ceux des autres pays, ceux d'Haïti, ceux des grandes organisations comme la Banque Mondiale et l'ONUSIDA. Nous vous demandons de prendre conscience de ce que nous endurons continuellement. L'égoïsme doit être banni, car tout être humain compte. Nous vous supplions d'arrêter de gaspiller des fonds importants pour acheter de grosses voitures, de grands immeubles et pour payer d'énormes salaires. S'il vous plaît, arrêtez de nous mentir, à nous pauvres gens. Vous avez affirmé que ça ne vaut pas la peine de nous donner des médicaments que, soi-disant, nous ne serions pas capables de prendre. Arrêtez de nous accuser injustement et de propager des présomptions erronées sur notre droit à la santé et notre droit inconditionnel à la vie. En effet, nous sommes pauvres, mais le fait d'être pauvres ne signifie pas automatiquement que nous soyons aussi stupides!

Notre ardent voeu est que ce message ne soit pas pris que comme un simple bout de papier. Comme la sagesse populaire haïtienne l'affirme, tant que la tête n'est pas coupée, l'espoir de porter un chapeau subsiste.