S'APPUYER SUR LA COLLECTIVITE POUR TRAITER L'INFECTION VIH
SUIVI QUOTIDIEN DES TRAITEMENTS ANTI-VIRAUX EN REGIONS PAUVRES

 

 

Paul Farmer, Fernet Léandre, Joia S Mukherjee, Marie Sidonise Claude, Patrice Nevil , Mary C Smith-Fawzi, Serena P Koenig, Arachu Castro, Mercedes C Becerra, Jeffrey Sachs, Amir Attaran, Jim Yong Kim

 

Lancet 2001 358 : 404-09 (1)

 

Partners in Health and Department of Social Medicine , Harvard (P. Farmer, JS Mukherjee, MC Smith-Fawzi, SP Koenig, A Castro, MC Becerra, J Y Kim)
Centre Thomas J White, Zanmi Lasante, Cange, Haïti (F. Léandre, MS Claude, P. Nevil)
Center for International Development, Harvard University, Boston, MA,USA (J. Sachs, A Attaran)

 

Correspondance à adresser à :
Dr. Paul Farmer Department of Social Medicine, Harvard Medical School 641 Huntington Avenue, Boston, MA 02115, USA
e-mail : paul-farmer@hms.harvard.edu

 

 

Résumé

L'année passée, le VIH est devenu l'agent pathogène responsable du plus grand nombre de décès de personnes adultes dans le monde. Plus de 90% de ces décès surviennent dans les pays pauvres : les nouveaux traitements antiviraux ont pour l'instant permis une chute des décès dus au SIDA dans les pays industrialisés uniquement. Deux objections maîtresses ont été opposées à l'utilisation des médicaments antiviraux dans les pays en voie de développement : le coût élevé de ces médicaments, et le défaut d'infrastructure sanitaire nécessaire à leur utilisation. Nous avons fait la démonstration qu'il est possible de mettre en oeuvre un programme de traitement de l'infection VIH chez les paysans pauvres, et ceci en Haïti, le pays le plus pauvre de l'hémisphère occidental de la planète. Nous appuyant sur une infrastructure déjà mise en place pour la lutte contre la tuberculose, nous avons pu proposer un traitement antiviral actif (2) avec aide quotidienne à la prise du traitement (3) à environ 60 patients atteints d'infection VIH à un stade avancé. Les critères d'inclusion et le suivi clinique ne s'appuyaient que sur des examens de laboratoires de base, disponibles dans la plupart des cliniques rurales. Il y eut peu d'effets secondaires significatifs, qui purent être aisément pris en charge par les agents de santé de la communauté et par l'équipe de la clinique . Les premiers résultats : prise de poids, diminution des décès et des séjours à l'hôpital, sont de nature à réchauffer le coeur et à encourager à aller de l'avant. Nous discutons ci-après les objections qui sont faites à l'usage des antiviraux à grande échelle, nous leur opposons l'expérience acquise dans la lutte contre la tuberculose, qui a montré que, avec la mise en place d'un suivi continu, le traitement de maladies infectieuses chroniques nécessitant des multithérapies complexes peut être tout à fait efficace dans des contextes d'extrême misère, pour autant, et aussi longtemps, que l'engagement à fournir aux patients des soins continus et gratuits est maintenu. Notre conclusion est la suivante : le traitement antiviral suivi quotidiennement est praticable à bien plus large échelle si, face à l'aggravation de la pandémie, le traitement du SIDA en vient à être considéré comme bien public.

 

 

I Pourquoi la prévention seule est insuffisante

La gravité de la crise mondiale engendrée par le VIH est telle que les prédictions déclarées « alarmistes » il y a dix ans se révèlent être bien en-dessous de la réalité. En 2000, l'infection par le VIH a pris le pas sur la tuberculose pour devenir à échelle mondiale la maladie infectieuse responsable du plus grand nombre de décès dans la population adulte. Les ravages de l'infection due au VIH ont dépassé ceux de l'épidémie de grippe espagnole de 1918, faisant de ce virus le porteur de mort le plus redoutable pour l'humanité depuis la peste bubonique du 14é siècle. L'impact social de l'épidémie est particulièrement sévère en Afrique, où l'on estime que 14 millions d'enfants ont été rendus orphelins par le Sida ; si les choses continuent ainsi, 40 millions d'enfants africains seront orphelins à la fin de cette décennie. La pauvreté et les inégalités sociales étant les principaux cofacteurs de transmission du VIH, ce virus promet semblables ravages en Inde et dans d'autres parties du continent asiatique. Dans le même temps, la mortalité due au SIDA a chuté verticalement dans les pays riches, essentiellement grâce à l'accès au traitement antiviral (HAART). La différence d'issue pour les uns et les autres creuse un fossé qui ne fait à l'évidence que s'élargir.

La réponse apportée à cette crise par les pays riches et leurs institutions - depuis les agences dévolues au Sida jusqu'aux Organisations Non Gouvernementales en passant par l'industrie pharmaceutique ­ a été insuffisante (le nombre des décès et l'incidence croissante de l'infection apportent un démenti flagrant à qui prétendrait le contraire). La quasi totalité de l'aide fournie aux pays les plus lourdement touchés par l'épidémie a consisté en promotion de l'éducation et de la distribution de préservatifs pour prévenir la transmission du VIH. Il a fallu deux décennies pour en venir à reconnaître ce qui fait le caractère fondamentalement ironique des programmes de prévention du Sida : « Après bientôt vingt ans de pandémie, l'efficace de la prévention primaire reste encore à montrer ». Beaucoup de ceux qui courent le plus de risques d'être infectés savent que le VIH est un agent pathogène transmis par voie sexuelle et que l'usage des préservatifs pourrait prévenir sa transmission. Le risque vient moins de l'ignorance que des situations précaires dans lesquelles des centaines de millions de personnes vivent ; l'inégalité entre les sexes ajoute un poids supplémentaire, et c'est ce qui explique essentiellement que l'incidence de l'infection soit aujourd'hui, globalement, plus forte parmi les femmes. Il est clair que les stratégies de prévention actuellement en vigueur ne vont pas infléchir l'incidence de l'infection VIH parmi les populations les plus pauvres de la planète, même si certaines d'entre elles se sont avérées efficaces en certains lieux, tels que San Francisco, telle la Thaïlande, et méritent un plus grand soutien. D'autres stratégies, complémentaires, - y compris la mise au point de vaccins protecteurs contre les souches virales prévalentes en Afrique ­ sont nécessaires, si l'objectif est de protéger les plus vulnérables.

Tout en reconnaissant le besoin d'une meilleure prévention, il est grand temps d'accorder notre attention aux trente et quelque millions de personnes qui vivent déjà avec le VIH. Elles ont besoin de plus que de soins palliatifs. Les programmes encensés sous le nom de « soins communautaires » ou « soins à domicile » sont parfaitement insuffisants dès lors que sous ces euphémismes ils ne désignent qu'une mise en hospice, et du pas très fameux encore. : pas de réelle analgésie, pas d'antifongiques, trop peu d'antibiotiques, pas de quoi perfuser pour simplement réhydrater.
Il y a un éléphant abandonné dans l'antichambre des salles de conférences de beaucoup de rencontres scientifiques : la tâche de mettre la thérapeutique antivirale à la disposition de ceux qui vivent avec le VIH et dans la pauvreté. Bien que ceux-ci représentent 90% des bénéficiaires potentiels des récents progrès thérapeutiques, l'utilisation des antiviraux dans les pays pauvres est rarement le premier sujet de discussion des congrès scientifiques. L'accès au traitement est, par contre, le premier sujet de discussion dans les communautés affectées par le VIH, tout comme il est le premier sujet de discussion parmi ceux qui militent contre cette maladie. En Afrique sub-saharienne, certains groupes expriment déjà leur hostilité vis-à-vis des organisations humanitaires et des bailleurs de fonds qui ne s'intéressent qu'à l'éducation et à la promotion des préservatifs. Nous rapportons ci-dessous notre expérience du traitement de la maladie VIH chez des paysans pauvres en Haïti, avant d'examiner les principales objections qui sont faites à la mise à disposition des traitements antiviraux chez les gens pauvres.

 

 

II.NOTRE EXPERIENCE LOCALE : SUIVI QUOTIDIEN DU TRAITEMENT ANTI-VIRAL EN HAITI

 

Selon tous les critères conventionnels, Haïti est le pays le plus pauvre de l'hémisphère , et l'un des plus pauvres du monde. Le PNB par habitant est d'environ 400 $ ; le chômage dépasse les 70% ; moins d'un haïtien sur 50 dispose d'un emploi à revenus fixes. Ce n'est pas par coïncidence que Haïti est aussi le pays de l'hémisphère occidental le plus touché par le Sida. En 1999, l'ONUSida rapportait une prévalence de l'infection de 5% parmi les femmes consultant dans une clinique antenatale : la prévalence était deux fois plus importante en zone urbaine de bidonville. Les plus récentes estimations de l'espérance de vie à la naissance sont de 47,5 ans pour les hommes et 49,2 ans pour les femmes, le VIH étant considéré comme la cause principale de décès prématuré à l'âge adulte

D'abord épidémie urbaine, le VIH a touché plus lentement les campagnes. La prévalence est plus faible en zone rurale, où nous travaillons depuis 15 ans. La plupart des habitants du Plateau Central d'Haïti sont des paysans qui travaillent de petits lopins de terre peu fertile. Beaucoup d'entre eux sont métayers. Les indicateurs de santé locaux sont moins bons qu'à échelon national.

Notre clinique, créée en 1985 au centre d'une zone peuplée de gens déplacés par la construction d'un barrage , connut son premier diagnostic de Sida en 1986. Suivant les recommandations internationales, les efforts de prévention furent centrés sur l'éducation et la promotion de l'usage des préservatifs. La violence politique, les migrations qui en résultent, l'inégalité entre le sexes et la pauvreté, qui font du préservatif masculin un imparfait moyen de prévention, contribuèrent à les ruiner. Aussi, en dépit d'agressives campagnes de prévention, la transmission du VIH se poursuivit.

C'est pour ces raisons que « Partners in Health » (« Partenaires pour la Santé »), une organisation basée à Boston, s' est engagée, avec son organisation soeur haïtienne, dans une campagne intitulée « Initiative pour l'égalité face au VIH » (« HIV Equity Initiative ») . Nos modestes efforts thérapeutiques peuvent être considérés comme agressifs si on les compare à ceux d'autres cliniques de régions rurales pauvres du monde en voie de développement. Peu après la publication de l'essai ACTG-076 (4), nous commençâmes à proposer un traitement par l'AZT aux femmes enceintes, afin de prévenir la transmission materno-foetale. Plus de 9O% des femmes auxquelles fut proposé le dépistage du VIH choisirent de faire le test, , dès lors que l'AZT fut disponible gratuitement ; une formidable diminution de la transmission materno-foetale s'ensuivit. E n 1997, nous commençâmes à proposer une trithérapie prophylactique post-exposition (avec en général AZT, 3TC et un inhibiteur de protease) aux victimes de viols ou dans le cadre d'exposition professionnelle . Enfin vers la fin 1998, on commença à proposer un traitement antiviral à des patients atteints par le VIH chez qui la maladie évoluait malgré le traitement des infections opportunistes.

Les critères d'éligibilité pour le traitement ne sont pas codifiés de manière rigide, mais suivent une logique clinique, en l'absence de compte des cellules CD4 et de mesure de la charge virale. Il s'agit des patients atteints d'enteropathie chronique, ou d'autres formes de cachexie liée au VIH ; des patients souffrant de probables complications neurologiques de l'infection VIH (encephalopathies, neuropathies distales sensitives ou autres polyneuropathies) ; des patients atteints d'infections opportunistes répétées ne répondant pas aux antibiotiques et antifongiques ; et des patients présentant des leucopénies, anémies ou thrombopénies sévères. Examen et décision sont sous la responsabilité de deux médecins, dont l'un est formé en infectiologie. (5)

Notre initiative trouve tout naturellement sa place dans un programme de contrôle de la tuberculose, pour plusieurs raisons. La majorité de nos patients VIH se présente avec une tuberculose (voir note). La plupart des patients haïtiens VIH ont une tuberculose de réactivation plutôt qu'une primo-infection tuberculeuse ; beaucoup d'entre eux , lors du diagnostic de tuberculose, n'ont pas derrière eux une longue évolution de leur maladie VIH. Ces patients répondent à un traitement antituberculeux conventionnel, après quoi leur infection VIH reste souvent peu symptomatique pendant une longue période de temps. (6)
En Haïti comme ailleurs, la plupart des traitements antituberculeux sont administrés en ambulatoire. Les patients ayant un BK positif au direct, qui nécessitent une hospitalisation, sont traités au Centre Thomas J. White plutôt que dans le service de médecine générale. Le lieu est aménagé de façon à prévenir la transmission nosocomiale de la tuberculose. Il est bien ventilé, et des ultraviolets, offerts par la firme productrice, y sont installés. Les patients coinfectés par le VIH et ayant un BK positif sont installés en un autre lieu. (7)

L'expérience positive acquise dans le travail de contrôle de la tuberculose a servi de modèle à la mise en place du suivi continu de la thérapeutique antivirale. Chaque patient VIH a un accompagnateur (il s'agit souvent d'un agent de santé communautaire). Celui-ci contrôle la prise des médicaments ; répond aux soucis du patient (et de sa famille) ; et apporte un soutien moral. Le soutien social ­qui inclut l'aide à la scolarisation des enfants- fait partie des services proposés. Des réunions, au cours desquelles les patients discutent de leur maladie et d'autres problèmes, ont lieu chaque mois : l'assistance y est particulièrement nombreuse. (8)

La réponse au traitement, chez nos 44 premiers patients, a été spectaculaire. Il y a eu peu d'effets secondaires, qu'on a pu aisément prendre en charge : cinq patients seulement ont dû changer de traitement. Comme partout, les patients sous traitement ont beaucoup moins besoin d'être hospitalisés que les patients VIH non traités. Au cas où l'initiation du traitement s'avère trop compliquée en ambulatoire, ou s'il faut prendre en charge une maladie aiguë intercurrente, les patients sont admis dans le service de médecine générale, séparé, comme nous l'avons mentionné, du service dédié à la tuberculose.

Les quelques cas que nous décrivons ci-après sont parfaitement représentatifs de la situation de nos patients et de leur réponse au traitement. Bien que le Sida reste une maladie stigmatisée en Haïti, cette stigmatisation a pour les gens moins de portée que n'en a a contrario la possibilité d'accès à un traitement efficace, et, en outre, l'accès à ce traitement efficace a pu diminuer la stigmatisation liée au Sida. Nos patients ont demandé que leurs noms, photographies, et leurs propos, soient inclus dans cet article ; tous sont des partisans de l'accès au traitement antiviral pour ceux qu'affectent à la fois la maladie et la pauvreté.

Adeline

Adeline, âgée de 34 ans, est née dans le village de Kay Epin. De ses huit frères et soeurs, cinq sont encore en vie. Ses parents sont paysans, mais son père augmente un peu ses revenus en aidant à faire fonctionner une école. Adeline a grandi au village, qu'elle ne quittait que rarement pour accompagner sa mère au marché. A l'âge de 18 ans, elle est partie pour Port-au-Prince, dans le but de poursuivre son éducation primaire. Adeline ne resta pas long temps à l'école ­son niveau d'instruction était faible, le coût de l'instruction était élevé ­ elle se retrouva vite dans une école professionnelle à temps partiel, où elle apprit à coudre et à broder. Elle vivait avec une de ses soeurs à Cité Soleil, un bidonville du nord de la ville. Parvenir à se nourrir exigeait un combat incessant. Peu après son arrivée, Adeline rencontra Joël, un jeune homme originaire du Plateau Central. Joël tomba malade peu après la naissance de leur fils, et il mourut un an plus tard. Adeline ne sait pas ce qui l'a tué, mais elle pense maintenant qu'il s'agissait du VIH. Alors que son fils avait à peu près deux ans, elle rencontra Ronald, le père de son deuxième enfant. Il est encore dans les parages, dit-elle « mais je ne suis plus avec lui. Il ne m'aide pas du tout à nourrir ces enfants. Je ne le vois jamais . »

Adeline avait de peu dépassé la vingtaine quand elle présenta un épisode de pneumonie, qui la fit revenir jusqu'à notre clinique. On diagnostiqua aussi un zona, qui conduisit au diagnostic d'infection VIH. Pendant presque dix ans, le traitement d'Adeline se limita au traitement des infections opportunistes. Début 1999, la diarrhée chronique qu'elle présentait ne répondait plus au traitement symptomatique. En octobre, elle ne pesait plus que 79 livres et ne pouvait plus quitter le « lit »(lorsque sa maladie s'était aggravée, on lui avait donné le seul vrai lit de la maison). En novembre 1999, Adeline entama un traitement par AZT, 3TC et Indinavir. Sa diarrhée disparut en deux semaines ; elle reprit 26 livres au cours des cinq premières semaines de traitement.

Ici s'insère la photo d'Adeline avant et après l'instauration du traitement antiviral, avec cette légende :

« Que puis-je dire ? Ces médicaments sont assez éloquents par eux-mêmes. Ce qu'ils ont fait pour moi est stupéfiant. Tout le monde était choqué quand je suis rentrée à la maison pour Noël. J'étais si malade avant de commencer le traitement J'étais si faible que je ne pouvais marcher, et maintenant regardez-moi ».

Enna

A l'âge de vingt-six ans, Enna a déjà mis au monde six enfants. Née à Savanette, dans une famille dont la situation matérielle s'était aggravée, elle fut envoyée à Port-au-Prince comme « restavek » -c'est-à-dire enfant servante- à l'âge de dix ans : « Je devais nettoyer le sol et faire la cuisine. J'avais aussi à garder les enfants ». Enna n'était pas payée, mais « ils me donnaient de quoi manger ». A 14 ans, elle fut violée : « Un homme, qui était un ami de la famille m'a violée. Il a attendu qu'il n'y eut plus personne dans la maison, puis il a sauté sur moi. Je n'étais qu'une enfant ; je ne savais pas ce qui se passait. Il l'a fait quatre fois, après quoi j'étais enceinte. La famille de Port-au-Prince me renvoya » Enna revint à Savanette, où elle faillit mourir en couches. Puis elle se mit à vivre en vendant sur des marchés de la région et à Port-au-Prince. A 18 ans, alors qu'elle dormait dans le dépôt d'un marché communal, elle fut violée par trois hommes. « Je ne les ai pas vus, qu'aurais-je pu dire à la police ? En outre, j'avais peur de la police ». Enna considère « ma vie entière comme un désastre .J'ai eu trois enfants de deux hommes différents, mais aucun d'entre eux n'a voulu m'aider (financièrement) ». En 1997 , alors qu'elle était minée par des accès de fièvre récurrents et une diarrhée chronique, on fit le diagnostic de tuberculose et d'infection VIH. Elle reprit du poids grâce au traitement de la tuberculose, mais développa ensuite une candidose oropharyngée et montra des signes de ralentissement psychomoteur. Elle perdait du poids et présentait des diarrhées intermittentes. Enna reçut de l'AZT pendant sa sixième grossesse, mais perdit son nouveau-né d'un ictère grave. Alors que son poids était tombé à 108 l , elle commença à recevoir une trithérapie avec AZT, 3TC et Efavirenz. Elle reprit 9 l. au cours des six premiers mois de traitement, et est à présent asymptomatique.

Ici s'insère la photo d'Enna, avec cette légende :

« Après le deuxième viol, j'ai pensé que tout était fini pour moi. J'avais à peine envie de vivre. Les choses vont beaucoup mieux maintenant, car je peux travailler ».

St Ker
ST Ker, âgé de 41 ans, est aussi originaire de Savanette .Ses parents n'ont pas eu les moyens de lui faire fréquenter l'école primaire plus de quatre ans. « Je suis parti pour Port-au-Prince afin d'apprendre la soudure. Je travaillais à l'usine ». Il perdit pour la première fois son travail quand l'usine dans laquelle il travaillait fut vendue. Après quoi il n'eut plus que des emplois intermittents. St Ker a eu deux enfants mais son mariage n'a pas tenu : « Nous nous disputions sur les questions d'argent. Ensuite je suis tombé malade et elle m'a quitté ». Il eut ensuite une relation avec une autre femme, qui lui donna un autre enfant, mais à ce moment là, c'était l'été 1998, il était trop malade pour travailler. Il souffrait de diarrhée chronique et avait perdu beaucoup de poids « A Port-au-Prince je suis allé de clinique en clinique, mais personne n'a pu me dire ce que j'avais. Alors je suis revenu ici ». Le diagnostic d'infection VIH fut porté en juin 1999, quand St Ker se présenta à notre clinique dans un tableau de cachexie, enteropathie chronique, anémie et candidose. Il fut traité par antibiotiques à large spectre et loperamide, mais continua à perdre du poids. Il montrait des signes de ralentissement intellectuel et, en mai 2000, il était trop faible pour se lever. Alors qu'il ne pesait plus que 9O livres ­ pour une taille de plus de six pieds - , on commença un traitement par AZT, 3TC et Efavirenz. « Je pense que ces médicaments ont été miraculeux. Ma diarrhée s'est arrêtée et j'ai commencé à prendre du poids ». La candidose a disparu et en décembre 2000, St Ker pesait 140 livres (voir photo). Il et prêt à reprendre son travail de soudeur.

Ici s'insère la photo de ST Ker, avec cette légende :

« Tous ceux qui souffrent du SIDA devraient pouvoir obtenir les traitements, car nous sommes tous les enfants de Dieu. La science est à tout le monde ».

Ce sont des dons privés et des médicaments donnés par des patients et des groupes de soutien qui nous ont aidé à lancer notre initiative. Il est important de souligner qu'aucun poste n'a été créé pour lancer l'initiative de traitement du VIH, laquelle, en l'absence de fonds pour créer un nouveau poste, s'est greffée sur le programme déjà existant de contrôle de la tuberculose. Tous ceux qui travaillent pour ce programme et beaucoup de patients atteints du Sida sont impliqués dans le travail de prévention : tout le personnel payé est haïtien. Plus de 90% des fonds sont utilisés pour l'achat des antiviraux.

(Ici devrait s'insérer l'organigramme de la Clinique du Bon Sauveur).

Nous avons cherché à obtenir des fonds afin d'étendre ce projet pilote auprès de nombre d'agences internationales chargées de la réponse à l'épidémie du Sida ; elles ont toutes refusé de soutenir cette initiative en arguant de ce que le prix des médicaments était trop élevé pour satisfaire aux critères de « possibilité de poursuivre(sustainability) ». Les firmes pharmaceutiques furent sollicitées, pour des contributions ou des réductions de prix, mais elles nous renvoyèrent aux agences internationales qui nous avaient préalablement éconduits. Nous examinons ci-après les objections faites au traitement antiviral des malades des régions pauvres, en s'appuyant sur les leçons qui peuvent être tirées de l'expérience de contrôle de la tuberculose.

 

III. LES OBJECTIONS AU TRAITEMENT ANTIVIRAL EN REGIONS PAUVRES : LE
CONTRE-EXEMPLE DE LA TUBERCULOSE

Les deux principales objections qui ont été faites à l'utilisation des antiviraux chez les pauvres sont d'une part le coût trop élevé des médicaments, d'autre part le manque d'infrastructures nécessaires à leur dispensation effective. Le débat sur les prix est déjà largement développé ailleurs. Comme chacun sait, la science, en matière de fixation des prix est fort peu sûre. Un certain nombre de firmes, dont une indienne, fabriquent pour très peu cher l'AZT , le 3TC, le D4T, la DDI et la Nevirapine. Le prix mensuel d'une trithérapie est déjà tombé à 83$, à comparer aux 768$ par mois pour les médicaments fabriqués aux Etats-Unis.

La seconde objection, touchant le manque d'infrastructures des pays pauvres, s'impose à la mesure de l'enflure du discours sur la « complexité » de la prise en charge de l'infection VIH, qui serait telle , selon la sagesse officielle, qu'elle ne pourrait que mettre en échec le personnel de santé surchargé et sous-entrainé des pays les plus affectés par l'épidémie. Aussi, dans les pays pauvres, le traitement de l'infection VIH ne pourrait-il être que le privilège d'élites locales ( chez qui, presque toujours, le taux d'infection est beaucoup plus bas que chez les pauvres qui sont l'immense majorité), et d'un petit nombre de gens vivant dans des capitales et ayant accès à des cliniques spécialisées jumelées à des centres universitaires du premier monde.

Sans doute il y a lieu de se pencher sur les faiblesses des dispositifs de prise en charge des malades, étant donné le triste état des infrastructures sanitaires dans la plupart des zones de forte endémie VIH .Mais il y a aussi des raisons de penser que des changements mineurs pourraient améliorer notablement les capacités locales à soigner ceux qui souffrent de maladie VIH avancée. Le fait que nous ayons mis en place un projet pilote de suivi quotidien du traitement antiviral dans une des régions les plus pauvres du pays le plus pauvre de l'hémisphère en est une. Le fait que d'autres infections chroniques ont pu être très bien prises en charge dans des régions tout aussi pauvres en est une autre.

La tuberculose apporte d'importantes leçons. Bien que cette maladie demeure une cause majeure de mort prématurée, certains pays très pauvres , lourdement affectés par la tuberculose, ont cependant un faible taux de mortalité par maladie tuberculeuse. Ce sont, en gros, les pays qui ont adopté la stratégie appelée DOTS ­thérapie courte et suivi continu du traitement (directly observed therapy, short course). Puisque diagnostic rapide et traitement efficace signifient moindre transmission, traiter, c'est prévenir.

Le traitement de la tuberculose est tout aussi compliqué que celui de l'infection VIH , puisqu'il s'agit dans les deux cas d'un régime comportant plusieurs médicaments (le traitement initial de la tuberculose est le plus souvent une quadrithérapie). Même si l'utilisation de pilules constituées de l'association d'une dose fixe de plusieurs médicaments permet de diminuer le nombre de comprimés à ingérer, ce n'est pas là la raison principale du succès. Les innovations déterminantes ont été : le suivi quotidien des traitements ; l'accès gratuit au traitement pour le patient ; et une bonne notification des cas. L'aide de services sociaux permet en outre une meilleure adhésion au traitement et améliore en conséquence les résultats, qui peuvent être excellents dans des contextes de terrible misère. Que faut-il pour mettre en oeuvre de telles innovations ? La volonté politique à une échelon gouvernemental élevé.

Certains font valoir que l'expérience de la tuberculose ne vaut pas pour l'infection par le VIH, puisque le traitement de la tuberculose ne dure que six mois, tandis que le traitement de l'infection VIH doit se poursuivre. A ces sceptiques, l'expérience du traitement de la tuberculose multirésistante en milieu déshérité apporte de quoi lever leurs derniers doutes. Le temps de traitement d'une tuberculose multirésistante excède de plus de trois fois celui d'une tuberculose standard. Tous les arguments aujourd'hui avancés dans la discussion sur l'infection VIH ­ le coût élevé des médicaments et la complexité de la prise en charge rendant impraticable sa mise en oeuvre chez les pauvres - ont déjà été mis en avant pour dissuader ceux qui cherchaient à traiter la tuberculose multirésistante dans les pays pauvres. Notre groupe, implanté dans la campagne haïtienne et dans un bidonville de Lima, a été le pionnier d'une stratégie de traitement de la tuberculose multirésistante appuyé sur la collectivité. En observant un strict suivi quotidien du traitement, et usant des standards thérapeutiques en vigueur dans les centres hospitalo-universitaires spécialisés d'Europe ou des Etats-Unis, nous avons obtenu des résultats supérieurs à ceux qu'on observe dans les pays industrialisés. Les patients ont toléré des régimes thérapeutiques nettement plus complexes, et beaucoup plus toxiques, que ceux qu'on utilise dans le traitement de l'infection VIH, avec un faible taux d'abandon. Nous avons nommé cette stratégie « DOTS-Plus », puisqu'elle combine la méthode de suivi quotidien du traitement et l'utilisations de tests de susceptibilité permettant de déterminer le régime de traitement approprié à chaque patient. Cette stratégie est maintenant reproduite en ex Union Soviétique, où la tuberculose multirésistante constitue un problème de santé grandissant.

 

L'OMS, des associations humanitaires telles que Médecins Sans Frontières, et des partenaires de l'industrie pharmaceutique ont maintenant développé une stratégie coordonnée d'achats groupés et de distribution des médicaments antituberculeux de seconde ligne. Des prix réduits sont concédés aux agences capables de démontrer à un comité de pilotage leur capacité à utiliser les médicaments de façon avisée et à travailler sous les auspices d'un programme national de contrôle de la tuberculose. Il est par conséquent possible de promouvoir un usage prudent des antibiotiques tout en abaissant le prix des médicaments de 90% .

Le cas de la tuberculose indique ce qu'il faut faire, dès lors qu'on reconnaît que l'infection par le VIH constitue une urgence de santé publique internationale. Le contrôle de la tuberculose, considéré comme une nécessité publique, est financé publiquement. Les patients n'ont pas à payer pour leur propre traitement, car ceux qui ne pourraient payer resteraient malades et souvent contagieux, perpétuant l'épidémie ; et ceux qui ne peuvent payer régulièrement acquièrent des résistances aux médicaments de première ligne et, par conséquent, transmettent des souches de BK résistantes. Dans le cas de la tuberculose, traiter correctement prévient à la fois la transmission et l'apparition des résistances.

Là encore, on peut mettre l'infection VIH en parallèle. Nous avons maintenant la preuve (certains auraient-ils prédit le contraire ?) qu'une charge virale élevée est un facteur important de transmission. Le traitement rend la charge virale indétectable chez la plupart des patients, et doit donc être considéré comme essentiel dans l'arsenal de prévention.

Pour terminer sur ce chapitre, notons que l'exemple de la tuberculose devrait servir d'avertissement aux adversaires du traitement antiviral pour les patients affectés par le VIH. La littérature spécialisée abonde en assertions péremptoires selon lesquelles le coût trop élevé de la rifampicine la rendrait inutilisable dans les pays en voie de développement ; aujourd'hui pourtant, la rifampicine est une composante de tous les traitements antituberculeux proposés dans des programmes de suivi continu, et l'OMS tout comme la Banque Mondiale considèrent son utilisation comme l'exemple même de l'intervention rentable (« cost-effective »). En fin de compte, la diffusion de la tuberculose multirésistante par delà les frontières nationales a rendu l'existence de différentes modalités de prise en charge ­ pour les riches, traitement, pour les pauvres, pas de traitement ­ inacceptable d'un point de vue épidémiologique. Pour certains elle était, depuis longtemps, moralement inadmissible.

 

IV . DEVELOPPER L'INITIATIVE D' EGALITE DANS LE TRAITEMENT DU VIH : REDEFINIR LE « MINIMUM NECESSAIRE » (« Basic Minimal Package »)

 

Nous considérons que si un suivi continu du traitement antiviral peut être mis en place dans cette région dévastée qu'est le Plateau Central d'Haïti, il peut l'être partout ailleurs. En outre, notre expérience tend à montrer que le traitement de l'infection VIH peut redonner une impulsion à des efforts de prévention défaillants. Durant les trois années à venir, nous espérons étendre l'initiative : « égalité dans le traitement du VIH », afin de mieux répondre aux besoins de la population de la région centrale d'Haïti. A cette fin, nous allons embaucher les premiers salariés plein temps dédiés à cette initiative: il s'agira d'une deuxième infirmière, d'un archiviste et d'un deuxième travailleur social. Un médecin employé à temps partiel pour s'occuper des soins et de la prévention travaillera aussi avec l'équipe haïtienne.

Avec un peu moins de 50 patients inclus initialement dans le programme de suivi continu du traitement antiviral, nous avons pratiquement couvert les besoins de certaines parties du bassin de population desservi par notre clinique : nous avons en effet traité la plupart des patients présentant un tableau de maladie avancée, selon les critères d'inclusion décrits plus haut. Admettons que le bassin de population desservi compte 250 000 habitants, la seroprévalence de l'infection VIH étant d'environ 5% dans la population sexuellement active , la population sexuellement active (entre 15 et 40 ans) représentant 30% de la population, cela donne quelques 3750 personnes seropositives vivant dans le lieu considéré. Si 10% des patients relèvent des critères d'inclusion, cela donne à peu près 375 patients à traiter. Avec du personnel supplémentaire, le traitement de 375 patients est bien dans les capacités de beaucoup d'hôpitaux de district de pays en voie de développement. Avec un soutien national et international, il y a moyen de proposer à encore plus de gens ce traitement qui sauve la vie.

Comment inclure les gens de façon juste et efficace dans un programme de suivi continu du traitement antiviral ? Il faut bien sûr que la personne veuille être traitée : mais celle qui ne le voudrait pas reste encore à rencontrer. Tant qu'on n'a pas à disposition de mesure de la charge virale, des CD4, ni d'autre marqueur de substitution, on peut s'en rapporter aux simples critères cliniques pour déterminer à qui le traitement antiviral va rendre le plus probablement service. Il a été prouvé que les critères plus importants ­ perte de poids, ou diminution de l'indice de masse corporelle- sont prédictifs du temps de survie ou du délai de progression de la maladie dans l'infection VIH. Les autres critères sont : la présence d'une entéropathie avec cachexie ; des complications neurologiques sévères de l'infection ; leucopénie, anémie ou thrombopénie sévères ; ou infections opportunistes récurrentes ne répondant plus au traitement antibiotique ou antifongique. Nous travaillons actuellement, avec des collègues indiens et des collègues de Boston, à définir des critères d'inclusion plus formels : ceux-ci bien entendu ne doivent pas s'appuyer sur des tests ou mesures indisponibles dans les cliniques rurales des pays pauvres.

Beaucoup ont exprimé leur inquiétude devant le caractère complexe de la thérapeutique antivirale, qui la mettrait hors de portée quand il n'y a pas de spécialistes pour la guider. Il est vrai que la rifampicine
fait baisser le taux sanguin des antiprotéases ; cependant, on l 'a vu, la plupart des patients qui se présentent avec une tuberculose n'ont pas besoin dans l'immédiat de traitement antiviral. Par ailleurs, on peut utiliser un traitement ne comportant pas d'antiprotéases. Par exemple, nous prévoyons , sous réserve de financement adéquat, d'utiliser comme régime de traitement initial la combinaison de deux analogues nucléosidiques et d'un inhibiteur de la reverse transcriptase non nucléosidique. Une autre possibilité intéressante est d'utiliser la combinaison en une pilule ­ qui existe déjà aux Etats-Unis et en Europe- de trois analogues nucléosidiques , AZT, 3TC et Abacavir (le médicament le plus puissant de cette classe). Une telle combinaison fixée rend le suivi continu du traitement antiviral beaucoup plus simple que celui de la tuberculose, et permet de réserver les inhibiteurs de protéase et les analogues non-nucléosidiques pour les cas d'échec suspecté ou documenté du traitement.

D'autres s'inquiètent d'une diffusion possible de souches de virus résistants aux antiviraux, si les traitements sont dispensés dans des contrées à faible infrastructure sanitaire. Tout comme on peut exagérer la complexité des thérapeutiques, on peut aussi méconnaître et confondre les causes majeures d'acquisition de résistances virales. Celles-ci sont avant tout à rechercher dans des endroits comme les Etats-Unis, là où les patients infectés par le VIH ont à faire face dans le même temps à de nombreux problèmes, tels que l'absence de logement stable, l'absence de couverture sociale, la toxicomanie sans possibilité d'accès à des programmes de traitement des addictions. En outre, les pays pauvres n'ont pas de passé d'utilisation à large échelle d'analogues nucléosidiques en monothérapie, contrairement aux Etats-Unis et à l'Europe où ce fut un temps la règle, ce qui a largement contribué à la diffusion en ces endroits de souches virales résistantes . Pour reprendre là encore l'exemple de la tuberculose, il y a beaucoup moins de risque de voir émerger des souches virales résistantes là où la méthode de suivi continu des traitements est mise en oeuvre dès le début et quand les traitements sont rendus accessibles à ceux qui en ont le plus besoin.

 

V.REPENSER LA PROBLEMATIQUE COUT BENEFICE : JUSTICE SOCIALE CONTRE INEGALITE

Nous considérons que beaucoup des débats qui ont eu lieu quant à la politique de réponse à l'épidémie du Sida et au rôle des antiviraux dans cette affaire sont bons pour le fossé. La position selon laquelle le traitement peut être réservé aux habitants des pays riches cependant que la prévention serait le lot des pauvres serait peut-être moins répugnante s'il existait effectivement des moyens de prévention efficaces. Mais il n'y en a pas. Nous avons montré qu'il y a besoin de meilleures armes de prévention, y compris des vaccins, et il nous faut aussi une campagne pour rendre les traitements antiviraux disponibles pour ceux qui en ont le plus besoin. Quand le VIH est la première cause de mort chez les adultes ,un « paquet minimum » qui n'inclut pas d'antiviraux est indigne de ce nom. Nous avons délivré un paquet minimum tout à fait différent dans une des régions les plus pauvres du monde, et nous pensons que les « décideurs » politiques seraient bien avisés de prêter attention à ceux qui vivent avec le VIH. Ceux-ci réclament un paquet minimum incluant les antiviraux, et le suivi continu des traitements est une méthode sûre pour les administrer.

Figure 8. « Paquet minimum » proposé pour faire face à l'infection VIH dans les régions d'endémie

. programme de prévention agressif avec mise à disposition des différents préservatifs
. prophylaxie post-exposition
. traitement préventif de la transmission de la mère à l'enfant, incluant la fourniture de lait
. assistance sociale aux familles affectées et aux orphelins
.multithérapie antivirale avec suivi continu du traitement

Nous déclarons en outre qu'il serait avisé d'abandonner les discours sur la « technologie appropriée ».Le Brésil a réussi à mettre en place des techniques sophistiquées de mesure de la charge virale à un coût de beaucoup inférieur au coût des tests américains ; et il fabrique sur place la plupart des antiviraux . La firme indienne Cipla a mis au point la fabrication d'un bon nombre d'antiviraux pour un prix représentant une petite fraction de celui en vigueur en Europe et en Amérique du Nord . Ces développements nous conduisent à quelques remarques sur l'approche économique dans la discussion sur les interventions pour ralentir la diffusion du VIH et diminuer le nombre des décès.

Le pragmatisme économique est une drôle de chose. Chez les riches, aucune dépense ne semble trop importante quand il s'agit de prolonger la vie, fut-elle celle de vieillards ou de gens souffrant d'affections irréversibles. Quand il s'agit de l'Afrique sub-saharienne et d' Haïti, où le VIH a plombé l'espérance de vie et grossit le nombre des orphelins, il est fait obstruction quasi ouvertement à l'utilisation des antiviraux. En laissant de côté toutes considérations morales, on imagine difficilement une logique économique qui trouverait acceptable l'accroissement du nombre des orphelins, car le prix pour la société, même s'il est malaisé à établir, est de toutes façons beaucoup plus élevé que celui du maintien en vie de parents qui peuvent alors élever leurs propres enfants . De plus, le traitement antiviral ne fait pas seulement chuter la mortalité : il diminue aussi le nombre des infections opportunistes et par suite le nombre des hospitalisations. Le traitement antiviral a déjà été déclaré rentable, dans la logique coût-efficacité, en Europe, en Amérique du Nord et même au Brésil, où l'infection VIH est devenue pour beaucoup une maladie chronique suivie et traitée en consultation externe.

Les économistes de la santé considèrent qu'une intervention sauvant des vies qui revient à deux à trois fois le PNB par habitant par année de vie sauvée représente une dépense raisonnable. Même à voir les choses aussi crûment, une trithérapie antivirale utilisée correctement représenterait en Afrique du Sud ou au Botswana un investissement valable. En Haïti aussi, où le PNB par habitant est d'environ 400$ par an, un traitement coûtant 800$ par an ­une fois encore, tout à fait à notre portée aujourd'hui - constitue une dépense raisonnable, sans même prendre en compte l'impact favorable de cette mesure sur le taux de transmission.

 

En guise de conclusion, nous voulons dire que nous savons que le projet de traitement antiviral suivi quotidiennement en Haïti qui a été décrit ici représente une humble expérience. Un petit projet pilote de cette taille ne mériterait pas d'être mentionné dans la littérature internationale si une paralysie généralisée n'avait conduit à une absence quasi universelle de tels projets pilote de traitement antiviral dans des régions telles que la campagne haïtienne, dotées d'une faible infrastructure de santé mais lourdement touchées par le VIH et par la pauvreté. Nous savons, sur la base de notre expérience, que les déclarations répétées d'impraticabilité sont tout simplement fausses. Beaucoup de projet de recherches ont été conduits par le premier monde en Afrique sub-saharienne pour son propre usage, utilisant les tests diagnostiques du premier monde pour mesurer la charge virale ou étudier les genotypes de résistance. Il est temps que les traitements du premier monde suivent.


(1) La traduction est faite d'après le texte original de l'article, elle n'omet pas obligatoirement les phrases ne figurant pas dans l'édition du Lancet (NDT Dr. C. Winter)
(2) appelé en anglais HAART, soit traitement antiviral « hautement » actif, ce qui correspond en français à l'emploi courant de trithérapie, ou multithérapie : nous dirons simplement dans le reste de l'article :traitement antiviral pour désigner cette unique thérapeutique efficace(NDT)
(3) en anglais DOT, soit direct observed therapy, que je traduis selon les cas par suivi quotidien, ou suivi continu du traitement ou encore aide quotidienne à la prise du traitement (NDT)
(4) Ce grand essai clinique, datant du début des années 90, avait montré que l'administration d'AZT au cours de la grossesse, pendant l'accouchement, et en début de vie du nouveau-né permettait de diminuer de 80% le risque de transmission du VIH de la mère à l'enfant (NDT)
(5) figure 1 : critères d'inclusion dans le projet « traitement antiviral en suivi continu » à la Clinique du Bon Sauveur :
. absence de tuberculose active
. infections opportunistes récurrentes difficiles à contrôler avec les antibiotiques et antifongiques
. enteropathie chronique cachectisante
. perte de poids inexpliquée autrement que par l'infection VIH
. complication neurologique sévère attribuable au VIH
- leucopénie, anémie ou thrombopénie sévère
(6) Figure 2 Diagnostics révélateurs de l'infection VIH chez 200 patients à la Clinique du Bon Sauveur (1993-1995)
. tuberculose pulmonaire 46% des cas
. tuberculose extrapulmonaire 8%
. diagnostic à l'occasion d'une grossesse 10%
. diarrhée chronique 8%
. perte de poids inexpliquée (slim disease) 6%
. pneumopathie bactérienne 5%
. Zona 5%
. Partenaire d'un patient VIH ou atteint d'une MST 5%
. Strongyloïdose ou syndrome de Lôffler 4%
. enteropathie fébrile 2%
(7) S'insère ici la photo de Centre Thomas J. White
(8) S'insère ici la photo d'une telle réunion