LIBÉRATION : SAMEDI 30 NOVEMBRE ET DIMANCHE 1er
DÉCEMBRE (p. 3)
Richard Feecham, directeur
exécutif du Fonds global contre le sida : « C’EST
UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ »
Lancé en juin 2001,
adoubé par le G8 un mois plus tard à Gênes, le Fonds Global
contre le sida, la tuberculose et le paludisme est destiné à
financer des programmes contre ces pandémies qui font six millions de
morts par an. Richard Feecham, son directeur exécutif, répond
à Libération :
Sur 42 millions de malades du sida, peu ont accès à des traitements. N’est ce pas un crime contre l’humanité ?
Oui. Tolérer ce
drame, accepter que la pandémie progresse, baisser les bras alors
qu’on sait pertinemment que le chiffre de 42 millions est
sous-estimé, oui, c’est un crime contre l’humanité.
Dans l’avenir, les historiens s’étonneront de voir que nous
avons fait si peu, si tard…
Où sont les
responsabilités ?
Elles sont
partagées. Certes, les pays les plus riches sont responsables : ils
pourraient faire tellement plus ! Mais les pays pauvres ont aussi leur
part de responsabilité : ils ont souvent nié la
réalité de l’épidémie, ont tardé et
tardent encore à mobiliser leur société. Les dirigeants
religieux sont tout autant responsables : ils n’acceptent toujours
pas la réalité sexuelle de la maladie et préconisent
encore l’abstinence.
Oui, mais les
tiraillements ne viennent pas du Fonds Global ! Le Fonds a
été créé pour lever de l’argent et le rendre
disponible pour les populations les plus touchées par les
pandémies, et rapidement. Bien sûr, il y a eu de la
nervosité au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS) ou de l’Onusida lors de notre création. Mais les
différends s’estompent…
N’oubliez-vous pas les multinationales, notamment
celles de votre conseil d’administration, qui rechignent à verser
de l’argent ?
Leur volonté d’engagement avait
suscité beaucoup d’espoir. Il est vrai que les résultats
sont loin d ‘être à la hauteur des attentes…
Excepté
Anglo-American ou Heineken, aucune ne s’est engagée à
généraliser les traitements pour leurs salariés des pays
du Sud…
Elles font de la politique à court terme. C’est inexcusable. Il faut que la pression sur ces grands groupes redouble. Elle doit venir des ONG, des actionnaires, etc… Ces multinationales n’ont toujours pas compris qu’il y va aussi de leur intérêt ! Avant de fournir une trithérapie à ses salariés , Anglo-American a fait une étude de coûts-bénéfices. Résultat ? Cela lui revient moins cher de fournir des médicaments à ses employés que d’avoir un taux d’absentéisme record ou de voir du personnel qualifié mourir.
Vous venez de fournir vos premiers fonds (6,5 millions de dollars au Ghana), après les avoir refusés à la Tanzanie. Par crainte de corruption ?
On a refusé de signer avec la Tanzanie parce que nous voulions directement passer par le ministère de la Santé et non via celui des Finances et être sûr que l’argent arriverait directement sur le terrain. La question de la corruption est cruciale. On suivra dollar par dollar le cheminement de nos dons. Quitte à nous retirer si l’argent est détourné…
Non. On ne discute pas des programmes ou des politiques publiques. Mais on dit : « utilisez l’argent proprement ». Si c’est çà la conditionnalité, nous l’assumons.
Malgré les promesses, le Fonds global n’a pas en caisse les 10 milliards de dollars annuels escomptés.
Nous avons 2,1 milliards
de promesses pour les cinq prochaines années, 700 millions sont
déjà dans nos caisses. De quoi financer des projets
jusqu’à la mi-2003. Après, c’est la
banqueroute ! Mais cela coïncidera avec la tenue du G8 à
Evian, en France. Les huit pays les plus puissants de la planète devront
redoubler d’efforts s’ils veulent continuer dans la voie
qu’ils ont tracée. La France devra jouer un rôle
crucial……. ».
Notre commentaire sur ce texte qui en mérite plus
d’un… Mais oui cher ami c’est un crime contre l’humanité
mais vous savez les responsabilités sont partagées.. Le jugement
« de l’histoire » a-t-il jamais gêné
personne ? C’est là une différence notable entre
histoire et politique :les choses iraient peut-être autrement si
d’aucuns risquaient d’être pendus par une foule en
colère. Mais l’histoire, ou les martiens de Bill Clinton.. Nous
renvoyons sur ce point à nos textes sur l’humanitaire et à
l’annexe de notre petit livre consacrée à ce point ,
en rappelant encore ceci : comme ce fut le cas dans l’exemple princeps,
LA PLUPART DES GENS QUE MR. FEECHAM, ET LE JOURNAL LIBÉRATION , ONT
DÉJÀ PASSES PAR PERTE ET PROFIT DE L’HISTOIRE, NE SONT
PAS ENCORE MORTS. IL Y A DONC LIEU D’AGIR EN POLITIQUE ICI ET MAINTENANT
ET CHACUN PEUT SE DÉCIDER A CET ÉGARD, SANS SE LAISSER ABUSER PAR
LA PROPAGANDE DES VALETS DE PIED ET DES CROQUE MORTS.
« Mais mon très cher vous savez comment sont les misérables. Vous leur jetez un quignon de pain et ils se précipitent dessus comme des sauvages. Il y en a qui donnent des coups de pied, et il se peut que le plus fort emporte le morceau, et imaginez même qu’il y en a qui cherchent à en faire du profit, et il y a du marché noir ! ». Mais heureusement, Mr. Feecham veille : il est un bon élève de son maître allemand, le consciencieux et modeste comptable, dont la postérité n’a malheureusement pas retenu le nom, mais dont Rudolf Vrba (voir dans Rudolf Vrba, « je me suis évadé d’Auschwitz ») a sauvé le discours, prononcé devant le troupeau de détenus parmi lesquels se cachait le voleur de marmelade : « Comment, juifs, êtes-vous tombés assez bas pour voler la nourriture du peuple allemand ! ». Bien sûr, Mr. Feecham n’a pas un gros quignon à jeter aux malades, comme il nous l’explique. Mr. Kazatchkine, président du Conseil Scientifique du Fonds Mondial, a précisé les chiffres, lors d’une soirée débat organisée ce 1er décembre à Beaubourg par Sidaction : actuellement 30 000 personnes environ sont soignées sur le continent africain (à comparer aux 20 000 pour la seule Thaïlande et aux 100 000 du Brésil) ; le Fonds Mondial espère, grâce aux efforts coalisés de tous les puissants de ce monde, multiplier ce chiffre par six d’ici six ans… Mais attention, Mr. Feecham ne tolèrera aucun abus, il surveillera dollar par dollar, et gare aux corrompus et resquilleurs. Il ose le dire, mais oui, nous commettons un crime contre l’humanité, que quelques dizaines de millions d’africains en meurent, mais qu’ils meurent clean !
Nous avons demandé à M. Kazatchkine, lors de cette soirée du premier décembre, s’il comptait réagir à ces propos de son collègue M. Feecham, en publiant par exemple le lendemain la déclaration suivante : « CE N’EST PAS A CEUX QUI ORGANISENT LA FAMINE QU’IL REVIENT DE LUTTER CONTRE LES ACCAPAREURS ». Voici ce qu’il nous a répondu : oui, il a lu cette interview de Mr. Feecham : mais le Fonds Mondial, c’est mieux que rien : et il faut bien surveiller où va l’argent, pour ne pas risquer de perdre la confiance des donateurs. Après quoi, le Pr. Kazatchkine est parti. Il était attendu ailleurs Nous les comprenons…