COLLECTIF POLITIQUE SIDA EN AFRIQUE / La France doit fournir les traitements :

RAPPORT D’ORIENTATION


Le Collectif Politique Sida en Afrique considère que la question de l’accès aux traitements pour l’ensemble des personnes atteintes par le Sida est une question politique majeure de notre temps, et se fixe pour tâche de travailler à construire et mener la bataille politique qui a pour enjeu : l’accès gratuit aux traitements antiviraux et aux soins pour tous ceux qui en ont besoin (c’est-à-dire qui ont une indication médicale à ce traitement), sans conditions et maintenant.

Nos thèses sont les suivantes :

1°) Il est parfaitement possible de répondre à la situation créée par l’épidémie du Sida : à condition que l’objectif poursuivi soit de traiter cette situation

2°) La décision de partir de la situation et par suite la capacité à la traiter réellement sont corrélées à un choix axiomatique sur la valeur et sur l’égalité des vies. Si on pose que : toute vie compte, il est possible de faire face à la situation dans tous ses lieux, et de traiter les gens avec succès. Ceci s’est déjà vérifié dans des situations variées. La position inverse se fonde sur un axiome d’inégalité des vies : la vie d’un pauvre ne se compte pas comme celle d’un riche, la vie d’un Africain ne se mesure pas à celle d’un Européen, etc.. Si cette position, qui commande pour l’instant la « réponse globale » à l’épidémie du Sida, reste dominante, son axiome de base se verra corroboré par la mort de dizaines de millions de personnes.

3°) Deux principes, deux orientations, deux lignes, deux politiques donc, s’opposent quant à l’abord même du rapport à cette épidémie, aux objectifs et aux actions qui en découlent. Comme il en va pour toute question politique, son cadre de déploiement et de traitement est celui des pays. La première tâche d’un groupe militant constitué sur cette question est de configurer la bataille politique dans son pays : sans collectif organisé en vue de cette tâche, les termes de la question ne sont pas formulés. Il en résulte que la « réponse globale », non constituée politiquement mais relevant d’un implicite consensuel « technico-humanitaire », règne. À l’inverse, il y a des pays où l’accès au traitement est affaire politique nationale. Il y existe des groupes militants qui ont posé les termes du débat, constitué le terrain de la bataille politique, adopté une position indépendante vis-à-vis de leur gouvernement, qui les met en situation de pouvoir prescrire, discuter et mener bataille lorsqu’il y a lieu. Il est impressionnant de noter que la carte mondiale des lieux où l’accès au traitement donc à la vie pour le grand nombre des personnes touchées par le Sida est à l’ordre du jour correspond strictement à la carte des lieux d’engagements politiques sur la question (Brésil, où sont soignées 100 000 personnes sur les 200 000 actuellement traitées dans le monde hors Occident, Thaïlande, Afrique du Sud, Costa Rica, peut-être le Sénégal…)

4°) La tâche que nous nous fixons est de constituer cette bataille politique en France. Il importe à cette fin d’identifier et caractériser les orientations politiques en présence dans notre pays, avec d’autant plus de précision et de vigueur que le discord est essentiel en ce point même, puisque du point de vue de l’adversaire, il s’agit d’une « affaire de cœur » humanitaire et unanime, où distinctions et disjonctions ne sauraient être envisagées.

Nous caractérisons la politique adverse en France (pour laquelle toute la presse fait propagande presque quotidiennement) comme voie humanitaire, dont les thèses essentielles, telles que nous les distinguons au point où nous sommes de travail et d’enquête, sont les suivantes :

• thèse 1 : l’épidémie mondiale du Sida est une affaire démesurée, donc proche de l’impensable.[1]

• thèse 2 : la division du monde en deux, monde riche et monde pauvre, n’est pas un élément de description de la situation globale (soit une donnée de la réalité qui comme telle peut en un point être battue en brèche, limitée : en l’occurrence, par l’accès gratuit aux traitements pour tous les malades du Sida). C’est une donnée axiomatique, qui fixe a priori le cadre du possible - l’importance qu’il y a à « élever » cette différence au niveau du principe, de l’axiome, explique peut-être la vigilance sémantique qu’on n’appelle pas pour rien politiquement correcte. De même que les premières grandes religions monothéistes interdisaient de galvauder l’image de Dieu, le discours dominant n’autorise pas de nommer riches et pauvres, voire même malades et bien portants. On ne touche pas à ce qui est sacré, on dit « atteints », ou bien, « monde en développement »-. Mais plus que la qualification comme riche ou pauvre importe ici le « deux ». D’une partition descriptive selon un attribut, (par exemple distinguer dans le monde des parties selon un seuil d’appropriation des richesses et des biens, comme un distingue des hémisphères de part et d’autre de l’équateur), la politique humanitaire « passe », comme si de rien n’était, comme s’il y avait équivalence ou transition possible, au principe politique, subjectif, de deux mondes. Or il s’agit d’une décision axiomatique, d’où le différentiel d’échelles, de mesures, de valeurs procède et s’établit comme évidence ou comme « donnée ». [2]

  thèse 3 : corollaire de la thèse précédente, l’axiome constituant des deux mondes, la politique humanitaire ignore la notion de situation, autrement dit le rapport au réel, celui de l’épidémie dans son ensemble (voir thèse de la démesure), mais aussi celui des situations locales. Il ne s’agit jamais pour elle de partir d’une situation et de faire ce qu’il y a à faire pour y répondre ; son point de vue est celui de « l’aide », c’est-à-dire de l’établissement d’une relation entre les deux mondes, telle que la conscience des riches s’en trouvera justifiée, l’axiome des deux mondes validé. Il s’agit donc d’une relation abstraite, immatérielle et univoque, son origine est le monde riche, son aboutissement le monde pauvre, et à partir de là la seule discussion ou revendication possible concerne la grosseur de la flèche, c’est-à-dire le montant de l’aide accordée. La dispute, dévolue aux « activistes », sur la taille d’un irréel - une relation « en soi et pour soi » entre deux abstractions - sera par conséquent considérée comme très convenable.

  thèse 4 : les riches n’ont pas de patrie, thèse particulièrement française. Aussi la France ne saurait être interpellée comme pays, par contre elle est en droit de poser des conditions aux pays pauvres. Du côté riche peuvent être concernées : des instances internationales et les bien nommées organisations non gouvernementales, des agences, des institutions et des personnes privées. Par contre il est essentiel et exigible que les gouvernements des pays pauvres donnent des preuves de leur bonne volonté politique et de leur capacité à structurer sur leurs propres forces des programmes nationaux.

  thèse 5, corollaire des thèses 3 et 4 : les riches ne sont pas responsables. Cela va de soi, puisque la politique humanitaire n’a pas affaire au réel des situations, elle ne saurait donc en répondre. Comme l’univoque relation d’aide est une réalité en soi, l’humanitaire ne rend jamais de comptes et par définition il n’a pas à le faire. L’irresponsabilité gouvernementale, quant à elle, est à la puissance deux, puisqu’en vertu de la thèse 4, le « niveau » de l’éventuel engagement gouvernemental est celui de l’aide à l’aide humanitaire par nos institutions locales (agences, associations etc..) [3].

  thèse 6 : il s’agit d’une affaire humanitaire et pas d’une question politique. Il y a un seul point de vue et non pas deux.

Contre la thèse : un seul point de vue, deux mondes, non avançons : un monde, deux points de vue. Contre l’humanitaire, la politique :[4] contre l’unanimisme, la division, contre la relation, le réel des situations, contre la thèse de l’impensable démesure, la possibilité de mesurer et de penser, contre l’irresponsable internationalité, l’action ici et maintenant. Nous avons mis en avant les mots d’ordre suivants :

• l’épidémie du Sida constituant une situation d’urgence sanitaire mondiale, elle constitue une situation d’urgence sanitaire ici même. La France peut déclarer cette situation d’urgence, elle doit le faire. (la position actuelle exposée par Chirac est : « la France continue à agir au sein de l’OMC afin que soit reconnue dans les pays pauvres la situation « d’urgence nationale » »…).

• Ce que peuvent Brésil ou Thaïlande, la France le peut aussi. Il est possible de fabriquer à faible coût les médicaments antiviraux, afin de les fournir gratuitement aux personnes malades à l’échelle de pays entiers. La France peut le faire, elle doit le faire.

  Il est possible de traiter les gens avec succès où que ce soit dans le monde. La France doit se constituer elle-même comme partenaire au service de programmes nationaux de traitement des malades. (actuellement, toujours d’après la lettre de Chirac, « la France a mis a point un programme de coopération hospitalière par lequel des parrainages sont établis entre centres hospitaliers français et centres hospitaliers africains, pour mettre gratuitement à la disposition de ces derniers les savoir-faire des nôtres ». C’est le fameux programme Esther de jumelage inter-hospitalier mis au point par M. Kouchner, qui, pense sans doute à mener sa prochaine « guerre humanitaire » par le jumelage des garnisons de Romorantin et Chatillon avec celles du pays qui fera l’objet de ses soins. L’action de la France se compose actuellement de ce projet de jumelages entre hôpitaux et d’études protocolaires particulières menées par l’ANRS (Agence Nationale de Lutte contre le Sida) en Afrique : il s’agit alors d’un partenariat entre une agence (l’ANRS) et un pays pour un protocole particulier. [5] Le mot d’ordre est que la France signe au niveau national, en tant que pays, des accords de partenariat dans le cadre de programmes nationaux de mise à disposition des traitements à la population.)

J’ai détaillé ce dernier point car nous ne l’avions pas encore clairement formulé. Ceci pour dire que notre pensée se développe et se précise dans le cours du travail d’enquête et de discussion de la campagne. C’est précisément à quoi nous invitons quiconque désire s’y associer. Nous sommes intervenus pour le moment sur un marché, à un coin de rue, dans un lycée et dans une faculté. À partir de septembre, nous nous réunirons dans un lieu public ouvert où seront discutées tant les orientations et les thèses que les actions à entreprendre. Tout un chacun y est cordialement invité.

CPSA

Juillet 2002



[1] Voir document 1 : « Les Echos »  mardi 2 juillet 2002, « L’ampleur du Sida a dépassé les pires scénarios », exemple sobre et banal de propagande sur la thèse 1 : chiffres et « objectivité » sans commentaires . L’autre versant propagandiste plus couramment repéré comme  humanitaire aime au contraire les tristes histoires vécues et les photos : propagande pour la thèse 2, voyez comme ils ne sont pas comme nous (qui nourrit jour après jour l’énoncé partout répandu : « on est quand même bien en France », en vertu de quoi on se DOIT d’être peureux et content de son sort). Les deux versants sont complémentaires et très souvent associés : la page standard d’un quotidien sérieux ou d’une revue comportera en général un grand article sur le versant 1 et un ou deux encadrés sur le versant 2. La propagande a ses lois.

[2] Cet axiome implicite étant posé, le principe d’inégalité se trouve bien abrité et la conscience humanitaire peut aisément se déployer en discours sur la valeur de la Vie humaine etc.. On pourrait aussi s’intéresser ici au faux débat sur la « mondialisation », qui sert aussi même quand il est qualifié de faux débat : ce qui ne dit en rien quel est le vrai.. On retrouvera la même structure de « faux débat qui sert encore une fois usé, même quand on le qualifie de faux », à propos de la discussion sur prévention et traitement en matière de Sida.

[3] Ce qui permet à Jacques Chirac de faire les déclarations qu’il fait : il les fait en quelque sorte à titre privée, il se propose d’user de son influence auprès des internationaux  et d’encourager des initiatives humanitaires  kouchnériennes (voir document         ).

On pourrait étudier la symétrie / dissymétrie avec  l’énoncé ancien, les prolétaires n’ont pas de patrie, qui avait pour corollaire : prendre  le monde entier et tout l’ensemble de ses situations sur ses épaules, et en répondre.

[4] Voir, destinée avant tout à ceux qui s’imaginent dans l’incroyance, aux incroyants imaginaires, l’annexe 1 : l’échec en politique fait la victoire du point de vue humanitaire, et l’humanitaire fait, dans ses pompes et œuvres, le crime contre l’humanité.

[5] Ainsi apprend-on au Congrès de Barcelone que l’ANRS, qui a mené au Burkina Fasso un essai thérapeutique concernant la prévention de la transmission de la mère à l’enfant, ne continuera pas à fournir les antiviraux aux mères après la fin de l’essai, sur le motif que ce pays, le Burkina Fasso, n’est pas prêt à prendre en charge la délivrance des antiviraux. (voir document   )