Sida en Afrique : La France doit fournir les traitements !

 

Échange de lettres avec Jacques Chirac

 

Monsieur le Président,

Vous êtes intervenus à plusieurs reprises à propos de la gravité sans précédent de l'épidémie du Sida qui, sur le continent africain notamment, est déjà responsable de millions de morts, menace de destruction physique des peuples entiers et génère des souffrances d'une ampleur inégalée. Vous avez en particulier singularisé notre pays - et ce lui fut selon nous à honneur - en étant le seul chef d'État qui ait adressé un message aux délégués de la dernière conférence mondiale sur le Sida tenue en juillet 2000 à Durban. Dans ce message, vous déclariez que la France ne saurait accepter que perdure l'inégalité en matière d'accès aux traitements antiviraux.

À notre sens, une telle déclaration honore mais doit aussi engager notre pays. Que vaut-elle si elle n'est pas suivie d'effet, ou si, cela revient au même, la France se voit ravalée au rang d'une association qui pratique le « lobbying » sur la scène internationale ? Un pays tel que le nôtre est en état de donner l'exemple et de renverser les verdicts de mort à grande échelle s'il fait sienne la notion d'urgence sanitaire mondiale, et s'engage en conséquence pour son propre compte à fournir gratuitement et largement les traitements nécessaires (et l'équipement logistique qui doit les accompagner) aux pays d'Afrique longtemps liés à la France et aujourd'hui atteints par l'épidémie.

Nous sommes convaincus que l'opinion publique en France soutiendrait largement et vigoureusement une telle initiative.
Encore faut-il aux gens ici même, leur exposer la gravité de la situation et ses enjeux.
C'est ce que nous avons voulu faire à notre modeste échelle.

Nous vous communiquons notre déclaration qui, en l'absence de toute publicité écrite ou télévisuelle, a recueilli en peu de temps nombre de signatures.

Nous souhaiterions que certains des signataires puissent vous remettre en personne ces documents, afin d'aborder directement cette question qui nous engage si essentiellement tant vis-à-vis du monde d'aujourd'hui que des générations à venir.

Pour le collectif « Campagne Sida en Afrique »

Dr Cécile WINTER



Paris, le 10 mai 2002

Monsieur le Président

 

Je vous remercie vivement d'avoir pris le temps de vous pencher sur notre déclaration : « Sida en Afrique : la France doit fournir les traitements », et d'avoir pris la peine de répondre au courrier qui l'accompagnait. Nous avons bien entendu informé les signataires de votre réponse.

À présent qu'il est assuré que vous allez continuer à présider aux destinées politiques de notre pays, nous aimerions vous préciser notre pensée sur quelques points concernant la grande cause mondiale qui fait l'objet de notre échange.

Pour répondre à la situation créée par l'épidémie du Sida à l'échelle qui est la sienne, l'engagement des pays comme tels est essentiel. Envisager d'y répondre en termes de dons humanitaires ou philanthropiques, quelle que puisse être la générosité de ces dons, et si heureux et bienvenus soient-ils pour ceux qui pourront en bénéficier, n'est pas à la mesure de cette tragédie mondiale.

En s'engageant pour son propre compte dans la production de médicaments génériques, le Brésil a ouvert la voie à la mise à disposition de ces médicaments bien au-delà de ses frontières et à la baisse drastique du prix des traitements qui s'en est suivie ; en outre, en accordant dans le même temps la gratuité des soins et du traitement à tous ses ressortissants victimes du VIH, ce pays a prouvé qu'il était possible, même en situation défavorisée, d'obtenir des résultats équivalents à ceux des pays plus développés ­ avec notamment une baisse de la mortalité due au Sida de plus de 80 %-.
À l'heure actuelle, la moitié des malades des pays en voie de développement qui ont la chance de bénéficier d'un traitement sont des Brésiliens.

L'Office pharmaceutique national de Thaïlande a récemment mis au point la production de médicaments génériques associant plusieurs molécules antivirales, faisant ainsi tomber le prix d'un traitement à 30 euros par mois. La Thaïlande compte ainsi s'engager elle aussi dans le traitement gratuit de tous ses malades. Elle propose en outre la signature d'accords de coopération pour le transfert de cette technologie aux pays africains qui le désirent.

Nul doute, à notre sens, que l'engagement de notre pays aurait des répercussions mondiales plus favorables encore, qui seraient de nature à renverser effectivement le verdict de mort qui pèse aujourd'hui sur des millions d'habitants de l'Afrique. Bien sûr, cela implique que nous considérions que, au-delà de constituer une situation « d'urgence nationale » pour les pays frappés de plein fouet par l'épidémie, cette pandémie constitue une situation d'urgence mondiale, et donc une urgence pour nous-mêmes. Cette situation d'urgence nous autorise à faire pour d'autres ce que le Brésil ou la Thaïlande font pour eux-mêmes.

Envisageant et assumant à cette hauteur sa responsabilité vis-à-vis d'une tragédie humaine sans précédent, la France agirait conformément à sa vocation universelle séculaire. Elle créerait pour d'autres l'obligation de ne pas se montrer en reste. Nous sommes persuadés qu'une telle initiative susciterait dans notre pays enthousiasme et fierté, et nous vaudrait à l'extérieur immense estime.

Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l'assurance de nos sentiments cordiaux et respectueux.

Pour le collectif « Campagne Sida en Afrique »

Dr Cécile WINTER