Nouvelles du mois

 

Novembre a apporté une grande nouvelle. Le gouvernement sud-africain a publié un plan prévoyant l’accès gratuit aux antiviraux pour les malades d’Afrique du Sud. C’est là une magnifique victoire, avant tout celle des militants sud-africains de Treatment Action Campaign. Nous avons d’ailleurs appris la nouvelle par leur voix, celle de Zackie Achmmat déclarant : «  Nous avons dansé toute la matinée.. Nous voulons saluer le courage du cabinet.. La tragédie que connaissent les pauvres de notre continent est telle que le sable de  Sahara ne suffirait à porter leur peine et les eaux du Nil à absorber leurs larmes. Mais il y a maintenant un énorme espoir pour des millions de gens de notre continent… Nous savons que le plus gros du travail est devant nous.. Il va s’agir de la plus grande intervention de santé publique que le monde ait jamais connu… » (voir BBC NEWS sur http://news.bbc.co.uk/l/hi/world/africa/3224366.st).

Cette victoire est aussi saluée par les experts américains qui ont travaillé, pour le compte du gouvernement sud-africain, à l’élaboration du plan, qualifié par exemple, par le « San Francisco Chronicle » de « tournant historique ». Pour le Dr. Goosby, l’un d’entre eux, interviewé par ce journal, « the new plan is just the ticket ».. « Il est un symbole d’espoir pour 5 ,3 millions de citoyens sud-africains seropositifs ». Selon Goosby, « le plan développe dans ses détails un programme de dépistage et de traitement du Sida fondé sur le réseau sanitaire existant… C’est un plan sud-africain, produit par les sud-africains selon une vision sud-africaine.. Nous étions (le groupe d’experts) les seuls étrangers à participer à l’élaboration du  projet ».. « Goosby déclare que le programme sud-africain, qui va être le plus important des programmes nationaux de lutte contre le Sida, peut servir de modèle dans tout le monde en développement. « C’est un moment historique », dit-il.. « Des années de protestation, poursuit le journal, conduites par des organisations comme Treatment Action Campaign, ainsi que la perspective des élections l’année prochaine, ont poussé le gouvernement Mbeki à ce changement de politique… Et Goosby ne voit pas qu’il y ait lieu de s’excuser de la largeur de vue et de l’ambition du plan. « Pour entreprendre cela, vous devez être un optimiste », a-t-il déclaré » (cf. San Francisco Chronicle, 20 novembre, http://www.sfgate.com/cgi-bi)

Autre grande nouvelle du mois, la Chine produit des antiviraux génériques et a semble-t-il commencé des campagnes de traitement.

A l’heure actuelle, la carte des pays déjà victorieux dans la lutte contre l’épidémie ou en passe de l’être (telle que montrée et commentée par un expert de l’Unesco le 1er décembre) est celle-ci : Le Brésil, où l’épidémie recule grâce à la politique de prévention et d’accès gratuit aux traitements engagée par le gouvernement depuis 10 ans ; Cuba, qui produit ses propres antiviraux et traite ses malades (peu nombreux) ; la Thailande, grâce aux efforts nationaux de prévention et à la production locale d’antiviraux ; l’Ouganda a fait reculer l’épidémie grâce à l’importance du travail de masse en faveur de la prévention engagé depuis plus de 10 ans par le gouvernement ; même chose au Sénégal, qui a aussi un plan national pour l’accès aux traitements ; promesses de victoire en Zambie, en Afrique du Sud et en Chine, grâce aux nouvelles sus-mentionnées.

Autre nouvelle du mois, (voir Le Monde du    ) : le président brésilien Lula en  visite  au Mozambique a annoncé la signature d’un accord entre les deux pays pour la production locale d’antiviraux. Interrogé sur le choix du Mozambique, il a répondu que la communauté de langue faciliterait le transfert de technologie ; que la politique du Brésil vis-à-vis du Sida était bonne, qu’elle pouvait s’étendre à d’autres pays : et il faut bien commencer quelque part. Nous-mêmes avons envoyé au Monde, et publié sur un tract bientôt disponible sur le site, une version modifiée de cet article, remplaçant Brésil par France, Mozambique par Congo ex-belge : la politique vis-à-vis du Sida menée par la France dans le cadre de se coopération avec ses anciennes colonies d’Afrique est bonne, elle peut s’étendre à d’autres pays, nous avons commencé par signer un accord avec le Congo étant donné notre communauté linguistique. Nous terminions ainsi notre courrier au Monde : souhaitez-vous pouvoir publier ce deuxième article ? En ce cas vous pourriez y contribuer en publiant notre déclaration initiale ci-jointe.

Autre nouvelle enfin de ce mois riche en bonnes nouvelles, le Canada a autorisé ses industriels à exporter des antiviraux génériques vers les pays dits du sud frappés par l’épidémie.

 

« Le Brésil est-il plus développé que la France ? » Par cette intentionnellement fausse question se termine une interview donnée ce mois-ci au nom du Collectif au journal local « Montreuil-Dépêche ». « Nous considérons qu’il y a un seul monde », exposions-nous dans cet interview, il faut partir de ce choix, ou postulat politique de base,  qui s’oppose à l’axiome qui régit l’ensemble des commentaires habituels de la presse, jusqu’ (et peut-être surtout) la presse associative, à savoir, il y a deux monde, le nôtre, dit Nord, et l’Autre, dit Sud.

 

Bien sûr qu’il n’est question de « développement » ou de moyens, bien que ces mots puissent tenir une grande place, c’est autre chose, dans le fantasme et le discours. Pourquoi la France ne veut-elle faire ce choix, en termes politiques, et étatiques, complètement raisonnable et utile ? Depuis un bon moment notre enquête, conséquence de notre déclaration, nous conduit sur la piste de ce qu’est aujourd’hui « la France ». Avant d’en venir à ce que ce mois-ci nous a appris à ce sujet, notons qu’à l’occasion de ce premier décembre, le panorama des deux orientations deux voies dans le rapport à cette épidémie mondiale s’est  encore précisé. Programmes  à l’échelle des pays incluant l’accès gratuit aux médicaments d’un côté : de l’autre  « l’action humanitaire » impliquant firmes, instances internationales et ONG. En France, le gouvernement et  les médias, avec une mention spéciale pour le journal « Le Monde » et l’ensemble des journaux associatifs,  sont inscrits dans cet horizon. On remarque ainsi l’absence d’annonce des plans sud-africains ou chinois, ou leur annonce sous le signe de l’échec annoncé et du scepticisme ; la  prestation officielle du 1er décembre à l’UNESCO , en présence du ministre de la santé et d’un haut responsable des affaires étrangères, placée sous la présidence d’une journaliste de Paris-Match, qui faisait sa vedette d’une blonde héroïne du dévouement compassionnel  dans un bidonville d’Abidjan (photos et reportage à voir dans Paris-Match), laquelle tient un « mouroir » (sic : elle l’appelle comme çà). Cette héroïne de « notre monde » selon Paris-Match s’en va  à la pêche aux mourants dans les rues de son bidonville, et les emmène dans son mouroir afin qu’ils meurent serrés contre son cœur. A la question que lui posait à la tribune la dame de Paris-Match : « mais comment faites-vous pour choisir ceux à qui vous allez donner des médicaments, çà doit être terrible ? », la  noble dame répond « bien sûr, seul Dieu peut choisir, mais comme on doit bien le faire aussi, elle le fait » (pour les amateurs de détails, à suivre sûrement dans Paris-Match, la noble dame commence par écarter les hommes, car les hommes « fuient », et fait ensuite son choix parmi « les mamans »..) ;remarquons que cette notion de sélection est désormais au centre du discours humanitaire –ce qui est conforme à  l’origine national-socialiste de ce discours- : ainsi, ce mois-ci, « Ensemble contre le Sida » publie pour son appel à lui verser des fonds une affiche montrant deux enfants d’Afrique, garçon et fille : sur la photo du garçon il est écrit, « votez A. », sur celle de la fille, « votez J. », et en –dessous le commentaire : on ne devrait pas avoir à choisir quelle vie on veut (sic !) sauver. « Poursuivre le « décapage » de ce  discours, proposait ce mois-ci un de nos camarades, en reprenant un mot d’Artaud : ceux qui sont intéressés par ce travail peuvent nous écrire pour s’y inscrire et recevoir textes et correspondances.

 

A échelle des experts mondiaux, la divergence entre les deux orientations s’exprime enfin à propos des programmes de prévention de transmission de la mère à l’enfant par la Névirapine, vantés par la triade fonds internationaux associations et firmes. Il faut savoir que ce médicament, donné une seule fois à la mère et une fois à l’enfant, est susceptible de réduire de façon importante le risque de contamination de celui-ci : mais aussi que, donné dans ces conditions, il induit très souvent (sans doute dans plus de la moitié des cas pour la femme et les trois quart  des cas pour l’enfant s’il est infecté) une mutation qui rendra définitivement inutilisable la classe médicamenteuse à laquelle appartient la Nevirapine ; et par suite, barre les chances de traitement ultérieur pour les femmes et les enfants concernés.  Récemment,  dans le célèbre journal Le Lancet, un groupe d’experts (tous gratifiés par le laboratoire qui fabrique –et fournit gracieusement en Afrique- la Nevirapine, le journal le précise) s’est prononcé en faveur de l’emploi de ce médicament, contre l’AZT, plus coûteux et plus difficile d’emploi (car devant être utilisé plus longtemps chez la mère et l’enfant). Pour la première fois, le Lancet a jugé bon de prendre ses distances (les experts sont allés jusqu’à dire qu’ils « ne savaient pas » ce que serait l’effet d’une mutation de résistance) en faisant précéder l’article d’un commentaire d’un autre expert (il est précisé qu’il n’a rien reçu de personne) qui en prend complètement le contre-pied, et prend le soin  de remarquer que les lois de la biologie  sont les mêmes chez les noirs  et les blancs ou chez les femmes enceintes ou non enceintes. S’appuyant sur le vieil adage médical, « primum non nocere », l’article propose en conclusion d’utiliser une combinaison de médicaments antiviraux, telle qu’en fabriquent déjà les producteurs de médicaments génériques.

Pourquoi ces précisions d’apparence très techniques ? C’est que nous nous demandions, lors de notre dernière réunion mensuelle : mais enfin, quel sens à proposer ces programmes Nevirapine ? Ce mois-ci, le journal de l’association Arcat Sida, nommé « Journal de la démocratie sanitaire » (sic ! on commence à en apprendre aussi sur le vote et la démocratie) donne une explication, dans un article consacré à la rationalité économique des traitements : selon l’expert qu’ils introduisent, le traitement est maintenant rentable dans les pays dits à moyen revenu (tels que justement le Brésil et l’Afrique du Sud) : tandis que dans les pays les plus pauvres, c’est la prévention de la transmission de la mère à l’enfant qui est rentable. Nous comprenons par conséquent que les plus pauvres (dont font partie les anciennes colonies françaises) sont  considérés  comme hors champ des perspectives de traitement et voués aux bienfaits de la triade humanitaire susmentionnée.

 

Mais tout cela ne dit pas pourquoi « la France » adopte ce point de vue. Tout simplement parce que notre industrie (contrairement à celle du Canada) ne produit pas de génériques et que par conséquent nos gouvernants sont les représentants de commerce d’autres firmes ? Sans doute : c’est simple, c’est basique. Politiquement çà ne nous éclaire pas.

Si çà peut s’appeler « éclairer » -car en matière de tir de barrage de pets fumeux, nous n’avions jamais vu pareille maître -, il y a eu ce 1er décembre l’intervention de la haute responsable du ministère des affaires étrangères dévolue pour la circonstance. Avouons-le, elle nous a fait craquer  comme elle est entraînée à faire craquer quiconque aurait la perspective  perdue d’avance dans les brumes du néant d’avoir à négocier quelque chose avec elle. Car on ne sait pas de quoi elle a parlé, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est rien, mais qu’il y a plein de gens à mettre autour de la table, mais que malheureusement plus il y a de gens et plus c’est compliqué, et si on veut en venir au point a), il faut savoir que bien  avant de pouvoir en venir au point b), on aura rencontré un point a’, lequel va s’avérer lui-même très compliqué etc… Voilà le discours de notre ministère ; une leçon de désengagement, un nuage nauséeux de nous en tous cas on n’est pas là on n’est là pour personne.

 

Notre campagne nous a conduit sur les pistes de « la France », « des gens », vous le savez, jusqu’au parvis des cîtés de banlieue où se peut rencontrer qui répondra présent (« j’ai pris le siècle sur mes épaules, j’ai dit : j’en répondrai »). Ce mois-ci nous a aussi appris que là encore, il se rencontre quelque représentant pseudopode de l’Etat. Notre Etat est loin d’être moribond, il a encore ses antennes partout, sous la forme de qui vient enquêter (détenteur éventuel d’une salle), dès qu’il voit un seul jeune entrer avec des militants dans la discussion d’un papier nommé tract. Ce qui nous a beaucoup intéressés, c’est que ce représentant très local de l’Etat, à l’opposé du ministère noyé dans le néant et la fumée, était lui très précis. Notre campagne, oui,  pourquoi, mais il faudrait en enlever trois termes, qui sont : La France, la responsabilité, la politique. Mais juste ces trois-là.

 

Ainsi ces jours derniers nous ont  beaucoup appris quant au dispositif, si ce mot peut convenir ce qui n’est pas sûr, quant au dispositif   d’état : désengagement et surveillance. Rien mais rien d’autre que notre rien.

De notre côté, nous avons eu une idée pour avancer : elle touche à la démocratie. Au point où nous en sommes, il convient de proposer et d’organiser des réunions sur notre déclaration princeps. Le but de ces réunions ? Discuter cette déclaration, l’amender si l’assemblée le juge nécessaire, et l’adopter . Ensuite, faire savoir, horizontalement, en d’autres lieux, verticalement, aux autorités, d’abord locales, que tel jour à telle heure la réunion tenue en tel lieu a adopté cette déclaration –ci.