Compte-rendu de la réunion du 7 mai 04 : « Idéal ou valeur »

Une réunion restreinte, propice à la conscience de l'importance conjoncturelle aiguë du dialogue et de la précision.

Approfondir sans cesse notre connaissance du caractère radical de notre proposition : « Sida en Afrique : la France doit fournir les traitements » - une proposition qui paraissait, à nous-mêmes, il y a quatre ans, si bonasse en un sens, si simple. Depuis nous faisons l'expérience, de quoi ? Non pas de ce que « les gens ne se sentent pas concernés » mais au contraire, de combien ils se sentent concernés, spontanément, instinctivement, par l'éviction d'une telle proposition. De combien ils se savent, et sont en toute mauvaise conscience, vigilants (d'autant plus vigilants que leur conscience est mauvaise) à rester « dans l'assiette ». Il y en a d'autres, les « prolétaires nouveaux venus » comme aurait dit un ami, que nous croisons aussi, et qui, eux, connaissent l'assiette par en-dessous ­ de la situation, ils ne connaissent que trop le réel impossible et amer. Devant nous autres, qui proposons de nous placer sur le bord, ils ont peut-être un hochement de tête amicalement dubitatif, cependant que les autres, dans l'assiette, se serrent immédiatement à convenable distance du bord par nous malencontreusement marqué.
Il y a donc pour nous à inventer comment tenir ­ tenir pour maintenir notre proposition, et notre position : nous apprenons que c'est en soi une tâche et un enjeu, sinon quoi ? Sinon on cède, à quoi ? au « entre nous » qui veut faire croire que l'assiette est sans bords, qu'une telle proposition ne peut même pas avoir lieu.

On comprend donc pourquoi l'intense et ressassante propagande des médias arrose si volontiers sa soupe de mauvaise conscience. Cela cimente le consensus, de même que la critique, « du système » bien entendu. D'ailleurs, y-a-t-il quelqu'un qui soit « pour le système » ? Qui donc n'est pas critique du capital ? La propagande englobe jusqu'à celui ­ connu de nous, qui tenait jusque très récemment chronique sur France Culture - qui s'en vient dire que la critique du système ne suffit pas, que ce qu'il faut, c'est tenir quelque chose qui soit localement hétérogène. Et de citer l'exemple du Chiapas. Nous l'approuvons certainement. Mais quel point propose-t-il de tenir « localement » ? C'est ce qu'il ne dit pas. Il n'en citera aucun, pratiquant averti des bonnes limites consensuelles que ce faisant il contribue - pour l'instant en tous cas - à conforter. Citer un point, ici, positivement, c'est ce qu'il ne fait pas, c'est ce que, personnellement, là où il est, il pourrait faire (qu'il s'agisse de ce point : la France peut fournir les traitements, déclaration dont il a connaissance, qu'il pourrait donc citer en exemple, ou d'un autre).

Or c'est bien là, précisément, ce qui nous concerne, ce qui nous intéresse. Ce que nous recherchons. Des individus, des gens « personnellement », qui vont, ou pas, faire cela qu'ils peuvent faire. Comme disait un ami : « nous sommes des chercheurs d'or dans un endroit très vieux et très usé, nous cherchons des pépites, nous savons bien que nous n'allons pas trouver tout un filon ». Ce qui est de l'or, une vraie pépite d'or, ce n'est pas qui se sent « ému » ou « concerné » ( nous savons que ceux-là sont nombreux), non, c'est celui (celle-là et celui-là est rare) qui fait ce qu'il peut faire (depuis citer une déclaration, écrire une lettre, assister à une réunion, à convoquer une réunion, donner un tract, coller une affiche, à, etc.. etc).

Mais justement, ce que nous avons bien appris et compris, cf. supra, c'est que qui va agir ainsi va commencer par prendre une claque. Pourtant nous ne sommes pas masochistes, nous n'avons aucun goût pour les baffes. Cependant, en pratique, nous engageons les gens à venir prendre des claques, et nous n'arrêtons pas d'en prendre nous-mêmes : venir donner un tract sur un marché et prendre en plein visage le refus et l'indifférence, ou contacter un vieil ami, un vieux collègue, un éditeur, qui ne vous répondra pas ou choisira d'un air gêné l'autre trottoir Quoi que ce soit, il va en être ainsi. Cà sera baffe sur baffe. Ce qui explique au demeurant peut expliquer que les candidats ne se pressent pas au portillon.

C'est justement pourquoi moi-même, ajoute l'une d'entre nous , je viens aux réunions mais ne m'expose pas à diffuser des tracts. Pour ne pas être dans cette situation de demandeur, voire même de quémandeur exposé au refus méprisant et hautain des plus médiocres, mis en situation par nous de nous dominer du haut de leur médiocrité ­ je tends mon tract et l'autre se gargarise béatement de répondre j'en veux pas de votre papier, « je sais pas lire », j'ai déjà les mains pleines

Cà nous conduit à réfléchir à cette question de la demande. Il y a risque et même certitude de claques si il y a une demande, et aucun d'entre nous ne se sent amateur. Mais notre position est-elle de demander ? C'est selon. C'est en ce point qu'arrive « idéal ou valeur » : s'adresse-t-on à un idéal - on s'adresse à l'idéal interlocuteur, en ce cas on est dans la demande -, ou bien c'est une valeur, ce qu'on dit, on le dit, c'est là, on l'expose là, en ce cas on ne demande rien. On prend l'exemple d'une uvre d'art, quelqu'un en est l'auteur, elle est exposée, les autres après en feront ce qu'ils en feront. Nous autres sommes du côté des auteurs : ce que l'auteur a fait, il l'a fait, le spectateur ou le critique c'est autre chose, et l'interlocuteur vrai, pas « idéal », c'est le confrère, c'est celui qui discute lui aussi du côté des auteurs.