Musique, mathématiques et philosophie

(2000-2001)


Discussion collective de la journée (2 décembre 2000) Anatol VIERU

 

François Nicolas
Je voudrais formuler la question suivante : quelles sont les limites musicales de la formalisation mathématique ?
Les apports de cette formalisation sont indéniables et je demande donc de ne pas interpréter ma question comme une méfiance à l'égard des mathématiques. Il s'agit seulement à mes yeux d'établir une évaluation matérialiste de cette formali-sation, ou encore d'identifier son point de réel sous l'hypothèse lacanienne rabâchée que le réel, c'est l'impossible (l'impossible pointe le réel bien mieux que ne le fait le possible).
Il me semble alors qu'un débat latent court dans notre sé-minaire qui peut se décrire ainsi :
- il y a ceux qui pensent que mathématiques et musique cons-tituent un espace de pensée relativement homogène, dans lequel les diagrammes, tel celui présenté par Moreno Andratta, peuvent être commutatifs (et il m'a semblé que le « principe anthropique » avancé par Guerino Mazzola exposait en fait cette conviction fondamentale) ;
- et il y a ceux, comme moi, qui soutiennent que mathémati-ques et musique constituent deux espaces de pensée radicale-ment hétérogènes et disjoints si bien que les diagrammes cir-culant entre musique et mathématiques ne sauraient être com-mutatifs.
Essayons de préciser et d'argumenter cela.

Le possible de la formalisation mathématique - « ce qui marche » - tient à la dimension d'ontologie des mathémati-ques : pensant l'être, ce qu'elle pense vaut ipso facto de tout ce qui est, en particulier dans le domaine sonore : si 7+5 = 12 (exemple élémentaire pris par Kant !), ceci vaut pour les pom-mes de terre comme pour les accords de musique ou pour les planètes. Il y a donc un efficace des mathématiques, en musi-que comme ailleurs, qui à mon sens ne soulève aucune interro-gation particulière (si l'on accepte bien sûr la thèse que les mathématiques sont l'ontologie). Mais à dire vrai, dans ce cas les mathématiques ne sont pas exactement une formalisation. Elles sont plutôt le cadre de pensée ontologique dans lequel sont ressaisies les propriétés de tel ou tel type d'étants particu-liers. Pour penser une dimension supplémentaire de la théorie mathématique sur la musique qu'on nommera alors spécifi-quement formalisation, il faut, me semble-t-il, ajouter autre chose, et spécifiquement en passer par la théorie logique des modèles.
Dans cette théorie, un système formel est un ensemble de signes (de lettres et de symboles), doté d'une grammaire (pour déterminer les expressions « bien formées »), de règles de déduction (le modus ponens, etc.), bref un système syntaxique qui va être accompagné d'une sémantique c'est-à-dire d'une interprétation de ces signes dans un domaine de référence constituant le modèle pour cette formalisation.
Un point essentiel, au coeur de cette « théorie des modè-les », est que s'il y a une interprétation des lettres d'individus, il n'y en a pas des signes logiques tel celui de l'implication. On a donc un schéma qui opère ainsi :

Le point capital est que si de a vers A, ou de b vers B, il y a bien formalisation (et à l'inverse, de A vers a et de B vers b, il y a bien interprétation), par contre il n'y a pas d'interprétation de la flèche qui dans le système formel va de A vers B : on peut évaluer A comme on peut évaluer B, mais on ne saurait évaluer (dans le modèle) la flèche. Comment fait-on alors pour évaluer la proposition (A => B) ? On passe par une table de vérité, examinant si a (qui correspond à A) est vrai ou faux, et de même pour b, et on déclare que (A => B) sera interprétable comme vrai dans le modèle si l'on n'a pas à la fois v(a) et f(b), c'est-à-dire si on n'a pas à la fois « a vaut vrai » et « b vaut faux ». Dans tous les autres cas, ce « sera » vrai (cf. la « table de vérité » ci-dessous).

Evaluation de A = > B

v (b)

f (b)

v (a)

vrai

faux

f (a)

vrai

vrai


Le point essentiel est donc que l'enchaînement qui existe dans la théorie (ou système formel) n'a aucune équivalence dans le modèle. Par exemple (A => B) sera considéré comme valide si f(a), c'est-à-dire si « a vaut faux » (ex falso sequitur quodlibet : du faux peut suivre ce qu'on veut...). Donc dans le modèle a et b peuvent ne pas être du tout corrélés entre eux alors que A et B le sont dans la théorie.
Le diagramme précédent n'est donc aucunement un dia-gramme commutatif : il n'existe pas de flèche dans le modèle allant de a vers b qui le ferait commuter.
Rappelons que le diagramme commuterait s'il existait une flèche allant directement de a vers b telle que ce soit « pareil » d'aller de a vers b directement par cette flèche ou indirectement en passant par A puis B.
En fait il y a ici une barre horizontale qui sépare le modèle de sa théorie (c'est-à-dire de sa formalisation), barre qui inscrit l'existence de deux ordres de pensée ne se recouvrant pas. D'où tous les théorèmes logiques articulant le vrai (ce qui relève du modèle) et le calculable ou démontrable (ce qui relève de la théorie ou de la formalisation), et l'on sait que l'on ne saurait avoir vrai Ûcalculable (il y a du vrai incalculable, et il y a du calculé qui est « bizarrement » vrai car vrai pour un tout autre modèle dit « pathologique »...).
Dans notre cas, le modèle, c'est la musique et la formalisa-tion, c'est la théorie de la musique.
On peut alors espérer s'en sortir en inscrivant une couche supplémentaire, intermédiaire entre la théorie mathématique de la musique et la musique elle-même, couche constituée de la théorie musicienne de la musique. On aura alors un nouveau schéma ainsi présentable :

On dira alors que, si le diagramme a-A-B-b n'est pas com-mutatif, par contre celui A-a-b-B pourra l'être. On ajoutera également que ce nouveau diagramme étagé dissout les barres horizontales entre domaines puisque
- la frontière entre « musique » et « théorie musicienne de la musique » ne saurait être un abîme,
- et que la frontière entre « théorie mathématique » et « théorie musicienne », étant frontière entre deux champs théori-ques, ne saurait non plus être un gouffre.
On aurait ainsi créé des médiations aptes à transiter sans dis-continuité majeure entre musique et mathématiques !
Je soutiendrai pour ma part que ce diagramme étagé n'est pas plus commutatif que le précédent et qu'il ne résorbe aucu-nement les abysses existant entre ces trois ordres :
- ni le premier étage (a-A-B-b) n'est commutatif (pour les mêmes raisons que précédemment : sans doute une théorie musicienne n'est pas exactement une formalisation mathémati-que mais cependant le principe s'y maintient qu'on ne saurait traduire dans le sensible de la musique ce que la théorie musi-cienne a corrélé),
- ni le second (A-a-b-B) car la théorie musicienne ne saurait être isomorphe à une théorie mathématique : ce n'est pas parce qu'existe désormais une flèche f entre A et B (A => B) qu'on a pour autant f = j o g o i. Le point que je soutiens, c'est donc que f j o g o i

On peut alors se demander : mais à quoi bon théoriser ou formaliser s'il y a un tel abyme infranchissable entre ces diffé-rents ordres de pensée ? La réponse (positive) me paraît sim-ple :
1) la formalisation permet d'abord des généralisations : on a repéré des relations musicales entre a et b et l'on se demande si d'autres entités musicales peuvent être ainsi reliées par cette même relation musicale. La formalisation va pouvoir ici four-nir l'intégralité des solutions !
2) Il y a ensuite des théorèmes d'existence : on se demande s'il existe des entités musicales ayant telle ou telle propriété. Le détour par la formalisation peut alors apporter une réponse positive ou négative.
3) Il y a enfin un troisième cas, plus rare : le détour par la for-malisation peut amener à suggérer l'existence d'un lien « musical » entre a et b puisque A et B sont, dans la théorie, reliés par une déduction. Ce lien peut n'être pas musicalement évident. Il peut même être entièrement nouveau. La formalisa-tion peut ainsi poser des questions à la musique et non plus simplement, comme dans les deux cas précédents, lui fournir des réponses (soit qu'elle lui ait fourni une généralisation, soit qu'elle l'ait convaincu de l'existence ou de l'inexistence d'une solution). Un exemple de ces nouvelles questions découle me semble-t-il de la théorie de Vusa qui nous a été présentée.

En résumé, les limites musicales de la formalisation ma-thématique tiennent au fait que les diagrammes qu'elle met en jeu ne sont jamais commutatifs : les ordres de pensée convo-qués restent radicalement disjoints, sans suture possible et sans isomorphie concevable.
Ceci ne rature aucunement l'intérêt et la puissance propre d'une théorie mathématique de la musique mais délimite seu-lement son terrain propre d'effectivité.

Emmanuel Amiot
La question soulevée par F. Nicolas est fort intéressante et je crois qu'il est constructif de contester les réponses qu'il y donne !
Il y a un efficace des mathématiques, en musique comme ailleurs, qui à mon sens ne soulève aucune interrogation particulière (si l'on accepte bien sûr la thèse que les mathématiques sont l'ontologie). Mais à dire vrai, dans ce cas les mathématiques ne sont pas exactement une formalisation. Elles sont plutôt le cadre de pensée ontologique dans lequel sont ressaisies les propriétés de tel ou tel type d'étants particuliers
Ceci me paraît contestable : M. Jourdain ne fait pas vrai-ment de la prose tant qu'on ne lui a pas expliqué ce que c'est que la prose (d'où le comique de situation). Vouloir se servir des mathématiques en tant qu'elles sont une lecture efficace d'un réel est un acte fondateur en soi. Cela ne signifie d'ailleurs nullement qu'on accepte qu'elles soient le langage incontournable et préexistant à l'analyse du réel (comme c'est le cas en physique) mais c'est le choix d'un mode de pensée (que l'on peut opposer ou conjoindre à d'autres...).

Je soutiendrai pour ma part que ce diagramme étagé n'est pas plus commutatif que le précédent et qu'il ne résorbe aucunement les abysses existant entre ces trois ordres : ni le premier étage (a-A-B-b) n'est commuta-tif...
Je sens ici comme un paralogisme. On n'a pas encore défini clairement comment se fondait cet étage intermédiaire et déjà on l'accuse de ne pas remplir son rôle !
Je laisse à Guérino Mazzola le soin de citer le théorème de factorisation qui laisse espérer, au contraire, qu'il existe un objet universel remplissant l'étage intermédiaire en rendant le premier étage commutatif (réflexion faite, on doit pouvoir rendre le deuxième commutatif aussi, mais pas les deux simul-tanément).
Je crois que l'opinion de F. Nicolas est fondée si l'on considère que la couche intermédiaire du modèle est une don-née extrinsèque, mais qu'elle ne l'est plus si l'on prend la pré-caution de la limiter à des échanges cohérents avec la mathé-matique au dessus, ce qui doit être le cas si l'on fait, purement et simplement, une modélisation au sens rigoureux du terme.
La réponse à la question reste donc ouverte à interprétation, ce qui est la moindre des choses, vue la musicalité du sujet...

François Nicolas
Ma thèse (non-commutativité des diagrammes entre théo-ries musicienne-mathématique et musique) semblant ne pas emporter une adhésion immédiate, je dois ajouter un argument spécifiquement musical, argument me semble-t-il de fait (mais il est clair qu'on ne peut que se disputer sur l'existence des faits : les faits n'ont nulle évidence intrinsèque ; seule une problématique donnée constitue en faits pertinents telle ou telle catégorie du « ce qui advient ». C'est bien ce que dit Rousseau au début de sa dissertation : « Commençons par éliminer tous les faits » pour nous mettre à penser...).
Cette réserve préalable étant posée, je me lance.

I. Il me semble patent que le détour par la théorie
1) n'assure nullement que la musique ainsi « produite » soit « bonne » (même quand cette théorie est pourtant musicienne et non pas mathématique) ;
2) n'assure même nullement que la théorie musicienne ainsi produite soit elle-même bonne (quand le détour se fait par une théorie mathématique) Ceci n'est nullement une attaque en règle contre le principe d'une théorie mathématique (mes actes et mes positions suffisent, je pense, à attester du contraire) mais seulement une entreprise de délimitation. Je rappelle que le principe de notre séminaire est précisément d'interroger les rapports mathématiques-musique (et pas seulement de les faire « fonctionner ») en se demandant (d'où le requisit de la philo-sophie) quand est-ce que ça marche et quand est-ce que cela ne marche pas, et surtout pourquoi l'un et pourquoi l'autre ?
Je reviens à mon constat, avivé par la journée Viéru : la musique engendrée par une stricte formalisation mathématique reste souvent infra-musicale. La question que je pose est alors celle-ci : comment se fait-il que ce type de théorisation pro-duise une musique si « problématique » ?
La réponse, à mon sens, est celle-ci : parce que les dia-grammes ne sont pas commutatifs ! C'est-à-dire parce que les déductions propres à la formalisation ne garantissent en aucun cas l'existence de relations musicales pertinentes !
Si les diagrammes étaient commutatifs, on devrait engen-drer ainsi des relations musicales valides, ce qui n'est guère le cas si bien que ces détours, lorsqu'ils sont considérés comme commutatifs, ne font parfois qu'habiller une impuissance musi-cale.
Dans quelles conditions ces détours peuvent-ils au contraire augmenter la puissance musicale ? C'est ce que pour ma part je cherche sous l'hypothèse précisément que cela ne commute pas et donc que le musicien n'est aucunement dispensé d'évaluer musicalement ce que le diagramme lui offre comme nouvelles relations possibles.
N'ai-je pas ainsi produit une sorte de démonstration par l'absurde de ce que les diagrammes ne commutent pas ? En résumé : s'ils commutaient, ils devraient engendrer de la bonne musique. Ne le faisant pas, c'est en fait parce qu'ils ne com-mutent pas.

II. Au passage, j'ajoute une seconde question qui me sem-ble essentielle en cette affaire de formalisation mathématique : celle de l'articulation de l'algébrique et du topologique.
De quoi s'agit-il ? On ne compose pas de la « bonne » mu-sique simplement par des opérations combinatoires, algébri-ques et sans tenir compte de la topologie sonore. C'est un peu comme si un compositeur tonal composait avec le seul agen-cement de fonctions harmoniques (I, V, II...) sans s'occuper des notes de passage, des retards, des voix, des registres... Le problème est que faire de la musique à partir d'une algèbre, c'est composer une topologie compatible avec cette algèbre, et qui peut alors localement tordre (déformer) cette algèbre.
Je soutiens donc ici la thèse qu'on ne compose pas unique-ment avec une algèbre mais en croisant topologie et algèbre. Cela s'entendait dans le Psaume de Vieru, qui était (malheu-reusement !) composé avec des dynamiques elles-mêmes trai-tées de manière combinatoire mais par contre avec des phrasés (donc une topologie) rajoutés « à la main » pendant que les durées restaient conçues comme un train monotone de noires parsemé de quelques blanches... Ces problèmes touchent à l'algèbre topologique (plutôt qu'à la topologie algébrique). Je suggère que les formalisations proposées tentent plus souvent d'accéder à ce rivage.
Je ne prétends pas qu'une formalisation passant par l'algèbre topologique serait plus commutative (j'en maintiens l'impossibilité, quitte à m'attirer les foudres des autres mem-bres du séminaire) mais seulement qu'elle aurait plus de chance d'intéresser les musiciens en leur proposant de possibles « nouvelles » relations musicales.

Bernard Desroches
Construire un être mathématique et composer de la musi-que, ce n'est évidemment pas la même chose. Si cela était, cela supposerait que la formule mathématique peut en quelque sorte jouer un rôle de grammaire générative (au sens chomskyen) de la musique ou tout au moins d'une partie de ce que nous nom-mons « musique ».
Or, comme pour la langue, ce qui fait que nous pensons « c'est de la musique », c'est le moment où nous saisissons la création singulière d'une forme. Cette forme peut être valable-ment générée selon les règles positives et négatives existantes de la langue, mais ce qui importe surtout, c'est qu'elle surgisse de façon inédite dans sa grammaire, nous surprenant, emportant notre adhésion. Forme confirmant cette langue du fait même qu'elle l'excède ou qu'elle la transforme, même minimalement, mais dans l'inédit, pas dans le « reproduit ». Ainsi toute interprétation est « musicale » si et seulement si elle comporte une création c'est-à-dire si et seulement si l'interprète y applique son art, singulier à chaque moment. L'idée serait donc celle d'un être mathématique capable de confirmer la production d'une forme musicale en dépassant (en permettant de repenser et de recalculer) en quelque sorte l'algorithme de sa génération.
Nous disons : « c'est de la musique » lorsque nous repérons que la création a été à l'oeuvre dans l'oeuvre, et non en tant que forme prévisible ou calculable, lorsque cette forme nouvelle atteste de ce qu'elle-même produit une nouvelle forme où la mathématisation de départ est transcendée (ou niée).
Gérard Assayag
François Nicolas : N'ai-je pas ainsi produit une sorte de démonstration par l'absurde de ce que les diagram-mes ne commutent pas ? En résumé : s'ils commutaient, ils devraient engendrer de la bonne musique. Ne le fai-sant pas, c'est en fait parce qu'ils ne commutent pas.
Sauf que ce ne sont pas les diagrammes qui engendrent la musique. Le dernier niveau de ton second schéma, que tu ap-pelles « musique », n'est pas une théorie reliée au niveau supé-rieur par une relation de modélisation. C'est un parcours parti-culier, par le compositeur, de l'ensemble de relations contenues en puissance dans la modélisation (musicienne-mathématique). Ce parcours est de surcroît projeté dans un univers plus vaste que celui du modèle (la mise en temps, l'orchestration, etc., qui, mal foutus, peuvent détruire sans problème ce qui faisait l'intérêt du formalisme, de même qu'on peut produire des théo-rèmes parfaitement inintéressants dans un cadre théorique riche par ailleurs). Un formalisme très puissant dans les mains d'un compositeur médiocre donnera des objets musicaux médiocres.
On ne pourrait déduire une propriété (méta-) logique du modèle à partir d'un jugement sur la musique résultante que si cette dernière était régie dans tous ses aspects par le modèle, ce qui n'arrive théoriquement que dans la musique algorithmique (la musique intégralement générée par ordinateur).

François Nicolas
On peut produire des théorèmes parfaitement inintéres-sants dans un cadre théorique riche par ailleurs. [...] On ne pourrait déduire une propriété (méta-) logique du modèle à partir d'un jugement sur la musique résultante que si cette dernière était régie dans tous ses aspects par le modèle, ce qui n'arrive théoriquement que dans la musique algorithmique.
D'accord pour cette comparaison et pour cette limitation. Il est clair que mes formulations étaient un peu (trop ?) à l'emporte-pièce, pour relancer la question. Car question il reste bien : tout cela commute-t-il (au sens de la théorie des catégo-ries) ou ne commute-t-il pas ? That is the question...

Guerino Mazzola
Le second diagramme de François Nicolas n'est pas inclus dans une catégorie car jusqu'à ce point je n'ai pas vu / enten-du / compris des morphismes correspondant aux flèches hori-zontales. Moreno Andratta ne l'a pas explicité dans ce langage. Donc : d'abord la précision, après seulement les conclusions !
Secundo : Je proposerais plutôt un diagramme commutatif (si l'on peut y arriver !) ou la flèche verticale de droite serait aussi de haut en bas. Ceci changerait fondamentalement le caractère impératif du diagramme.
Mais encore, il faudrait d'abord définir des flèches de caté-gories ! Ceci est fort important vu que ta conclusion est très forte. Elle dépend donc d'un travail de précision conceptuelle après lequel tout pourrait fort bien s'écrouler en poussière...

François Nicolas
L'intérêt du débat sur la commutativité tient, à mon sens, à la possibilité qu'il aide à clarifier les grandes orientations de pensée en matière de rapports entre mathématiques et musique. Il peut indiquer (cerner) ces orientations. Il ne s'agit pas qu'à proprement parler il les « théorise ».

Sous ce rappel méthodologique, je propose de discerner trois positions et non pas deux :
1) La position « spontanée » des mathématiciens (« spontanée » ici au sens où par exemple Althusser pouvait dire que la philosophie spontanée des scientifiques était aristo-télicienne) : les diagrammes commutent, tout particulièrement entre les théories musicienne et mathématique. Plus largement, ça commute un peu partout.
2) Ma position : cela ne commute jamais, non seulement entre musique et théorie musicienne, mais, plus fortement en-core, entre théorie musicienne et théorie mathématique.
Je précise au passage que j'examine ici l'hypothèse d'une théorie mathématique de la musique. Je laisse donc de côté une autre orientation (la mienne, plus profondément) qui est que la mathématique n'a pas nécessairement à constituer une théorie (mathématique) de la musique et qu'on peut se contenter de penser ses rapports à la musique sous le signe des rapports de l'ontologie à une ontique donnée (ces rapports ne sont alors nullement ceux d'une théorie à son modèle).
3) Il y aurait une troisième position, et c'est à celle-là que je veux ici en venir, position qui découle somme toute du théo-rème d'Henkin en théorie des modèles lequel dit (en substance) que si une théorie est cohérente, alors elle admet un modèle (on démontre en effet qu'il est possible de lui construire un modèle à partir de la théorie formelle elle-même).
On peut alors soutenir qu'à partir d'une théorie mathémati-que, formellement constituée, on va lui construire un modèle tel qu'il soit doté, par construction, de relations entre ses ter-mes définis précisément par la commutation du diagramme. L'idée est qu'on construit A à partir de a et de même B à partir de b en sorte qu'on définit la flèche f comme composée j o g o i. Dans ce cas, le diagramme entre théorie et modèle commute bien par construction.
Le point me semble qu'on a ainsi construit ce que la théorie des modèles appelle un modèle « pathologique », qu'on pourrait appeler ici modèle formel ou formaliste, qui n'est pas en tous les cas le modèle musical « originel », c'est-à-dire celui retenu pour guider la construction de la théorie mathématique.
Le problème devient alors : quel rapport y a-t-il entre les deux modèles : entre le modèle musical « originel « et le modèle « pathologique » construit ?

Je soutiendrai volontiers que la commutativité obtenue sur le modèle « pathologique » ne transite nullement vers le mo-dèle « originel ». Qu'est-ce que ce modèle pathologique (pour lequel le passage par la théorie mathématique commute) peut apprendre du modèle originel ? Telle est la question obscure, car ce modèle pathologique apprend moins sur le modèle origi-nel que sur la théorie mathématique en question !
On pourrait thématiser les choses ainsi : les rapports entre les deux modèles d'une même théorie seront dits de type méta-phorique car les deux modèles s'avèrent « isomorphes » (un modèle est « comme » l'autre, en un sens du « comme » préci-sé par la théorie en jeu) alors qu'à l'inverse les rapports entre deux théories différentes pour un même modèle seront dits de type métonymique...

En résumé, ce débat distribuerait trois orientations de pen-sée quant à une éventuelle théorie mathématique (de la musique ou d'une théorie musicienne donnée) :
1) la commutativité généralisée,
2) la non-commutativité (par coupure radicale et change-ment d'ordre entre modèle et théorie),
3) un mixte tordu dont il resterait alors à établir comment sa torsion peut être féconde.