Questions d'un analyste à des musiciens

(en vue d'un séminaire Musique / psychanalyse

à la suite du Samedi d'Entretemps du 21 octobre 2000 sur Max Graf: L'Atelier intérieur du musicien)

 

 

François Dachet

(janvier 2001)

 

Questions orientées par l'expérience de la psychanalyse et la théorie analytique concernant le sonore et le musical rencontrés au concert, dans la vie, dans la parole.

 

0/ M'adressant à des musiciens, quelle est l'adresse ? Sont-ils musiciens, ceux et celles qui écoutent de la musique avec passion ? les instrumentistes qui l'interprètent ? ceux et celles qui composent ? qui pratiquent la critique ou l'analyse musicologique ? Ce n'est pas exclusif. Mais, par exemple, l'enseignement que proposait Max Graf ne peux pas être reçu de la même façon dans ces différents cas. Ces différentes formations musicales placent-elles aussi dans des conditions d'écoute différentes ?

1/ De façon empirique et descriptive, je constate qu'il y a dans des moments différents de la vie des musiques différentes : pour se marier, être enterré, danser, écouter, etc. De quoi s'agit-il musicalement ? De genres secondaires et inessentiels ? Est-ce séparable des oeuvres en question ? Le musicien peut-il en démontrer, et pas seulement en poser, l'essentialité ou l'inessentialité ?

1bis/ il semble bien que chanter et être content, d'un certain contentement, aille ensemble dans beaucoup de cultures. Une telle corrélation relève t-elle du musicien ? de la musique ?

2/ Côté musical ce que rencontre souvent en premier l'analyse, c'est la rengaine. Mettons : une plainte a souvent forme musicale et se présente avec insistance comme une rengaine. Pour la musique, qu'est-ce qu'une rengaine ? Quels rapports aussi entre rengaine et création musicale. Si l'oeuvre peut virer à la rengaine, peut-elle aussi en être issue pour une part? A quelles conditions ?

2bis/ Incidence sur le corps : la musique (militaire, chansonnette amoureuse, hymne patriotique, religieux, ou militant, clip publicitaire, etc.) mène mon corps à mon insu, plus souvent sans doute que je ne m'en aperçois après coup, et dans une direction où je ne le mènerais pas forcément sans elle. Comment la composition se présente-t-elle par rapport à cet effet ? Tentative d'y parer ? Essai de le retenir, voire de le restaurer ? Autre ?

2ter/ Le musicien accepte-t-il de reprendre à son compte l'expression de la langue qui marque une des places de la musique dans le social : aller, faire, entreprendre, quelque chose de concert ? L'incidence sociale, ainsi entendue, de la musique, est-elle partie prenante possible de la création musicale, au sens où la politique est une des composantes traditionnelles du théâtre.

3/ Musique et paroles.

Par le sonore au moins la musique fait objet. Comment le musicien situe-t-il cet objet dans le réseau du/des discours ? On peut refuser que la musique soit langage. Mais on ne peut réfuter qu'elle soit structurée comme un langage. Du coup, quelle portée aurait musicalement l'énoncé selon lequel le musical est l'articulation minimale du signifiant ?

3bis - Lacan tient à l'énoncé Jakobsonien selon lequel il y a sens dès qu'il y a grammaire, mais qu'il n'en est pas de même si la suite des mots perd sa musicalité. (Cas d'amusie)

Puis-je considérer qu'il n'y a pas de parole sans musique pour la porter ? (Les ailes de la mélodies de T.Reik). Et qu'alors la délicate et répétitive question des rapports entre langue, parole, et musique, par exemple dans la cantate, le lied, ou l'oeuvre lyrique, est traitable musicalement comme celle du rapport entre deux voix : disons musique de la partition et musique de la parole.

variante 1 - Y-a-t-il du musical dès qu'il y a une suite sonore articulée selon des règles explicitables ?

Quel statut le musicien donnerait-il au mot phonologique (J.C.Milner/F.Regnault, Dire le vers) soit aux suites lexicales prononcées sans interruption ni silence et constitutives d'une phrase ou d'un vers ?

Ex
au sourire si doux
dans
Mon père, ce héros au sourire si doux...

variante 2 - Si l'on refuse le statut musical à ce qui précède, de quoi s'agit-il ? N'est-ce plus au regard de la musique qu'un objet sonore ? Même pas ça ?

variante 3 - Si on ne le refuse pas, l'analyste entendrait-il autre chose avec l'une des formations musicales envisagées en 0/ que sans cette formation ? (voir p.ex. certains des textes de François Perrier, regroupés dans La chaussée d'Antin).

4/ à partir des années 70 Lacan distingue de la langue, objet des linguistes, lalangue, dont la motérialité est instillée à l'enfant par son entourage langagier, (sur le modèle des lallations des nourrices) dans les conditions de désir qui président à son accueil. Le musicien aurait-il quelque chose à dire dans ce registre, pour autant que le prototype de lalangue serait représentable pour une part par les comptines ou chansons, et les modulations scandées de la parole que les adultes adressent au bébé ?

4 dérivée - Il arrive que la parole laisse apparaître ce qui de nombre contribue à la fois à son dessèchement et à son maintien. A l'image du choix du cadeau réduit au billet de cent francs. Une fois repéré que, si le pythagorisme n'est pas révolu, ce n'est plus (à ma connaissance) dans ses termes que s'enseigne la théorie musicale aujourd'hui, l'expérience du musicien lui ouvre-t-elle une parole particulière sur la constitution numérique (durée, scansion, rythme, etc.) de la langue ? et de lalangue ?

5/ Peinture, poésie, et accessoirement sculpture, entretiennent depuis les temps historiques des relations serrées et rivalitaires. La musique demeure à part de ce point de vue. Ainsi de sa position dans le système de Schopenhauer. Ou bien encore : Lessing, dont les textes constituaient un des repères critiques essentiels de Freud n'a jamais achevé l'ouvrage consacré à la musique qui devait compléter son Laocoon. Comment les musiciens contemporains se retrouvent-ils ou non dans ce statut d'exception dont ils héritent ?

5bis/ On peut suivre chez Max Graf que la question des correspondances entre les arts qui avait animé tout le romantisme, et en particulier dans les pays de langue allemande, avait encore des échos très présents lorsque Freud inventa la psychanalyse. L'audition colorée est un thème que l'on rencontre plusieurs fois dans les textes analytiques à cette époque. (p.ex., outre Max Graf, Hermine Hugh-Hellmuth). C'est une question qui n'a pas quitté la musique contemporaine. On l'entend très présente chez Stockhausen ou Messian. Quelle est son actualité musicale ?