Emmanuel Kant : Réflexions sur l’éducation (1776-1787)

 

      L’homme est la seule créature qui doive être éduquée.

      La discipline nous fait passer de l’état d’animal à celui d’homme. Un animal est par son instinct tout ce qu’il peut être. Mais l’homme doit user de sa propre raison. Il faut qu’il se fixe lui-même le plan de sa conduite. Mais comme il n’en est pas immédiatement capable, il a besoin du secours des autres.

      Une génération éduque l’autre.

      La discipline empêche l’homme de se laisser détourner de sa destination : l’humanité. Mais la discipline est purement négative car elle se borne à dépouiller l’homme de son animalité ; l’instruction, au contraire, est la partie positive de l’éducation.

      La sauvagerie est l’indépendance au regard des lois. La discipline soumet l’homme aux lois de l’humanité. Cela doit avoir lieu de bonne heure. Ainsi on envoie les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’habituent à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne.

      L’homme a naturellement un si grand penchant pour la liberté, que quand on lui en laisse prendre d’abord une longue habitude, il lui sacrifie tout. C’est précisément pour cela qu’il faut de très bonne heure avoir recours à la discipline car autrement il serait très difficile ensuite de modifier l’homme.

      L’homme ne peut devenir homme que par l’éducation. Et l’homme n’est éduqué que par des hommes, qui ont également été éduqués.

      Il est possible que l’éducation devienne toujours meilleure. C’est une chose enthousiasmante de penser que la nature humaine sera toujours mieux développée par l’éducation.

      Il ne faut pas regarder l’Idée comme chimérique et la rejeter comme un beau rêve parce que des obstacles en arrêtent la réalisation. Une Idée n’est rien d’autre que la conception d’une perfection qui ne s’est pas encore rencontrée dans l’expérience. Telle est, par exemple, l’Idée d’une république parfaite, gouvernée d’après les règles de la justice. Est-elle pour cela impossible ? Il suffit que notre Idée soit correcte pour qu’ensuite elle ne soit pas du tout impossible, en dépit de tous les obstacles qui s’opposent encore à sa réalisation.

              L’éducation est un art dont la pratique doit être perfectionnée par beaucoup de générations.

      L’éducation est le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l’homme. Aussi l’éducation ne peut-elle progresser que pas à pas.

      Il est deux découvertes humaines que l’on est en droit de considérer comme les plus difficiles : l’art de gouverner les hommes et celui de les éduquer.

      On ne doit pas seulement éduquer les enfants d’après l’état présent de l’espèce humaine, mais d’après son état futur possible et meilleur, c’est-à-dire conformément à l’Idée de l’humanité et à sa destination totale. Ordinairement les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il. Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meilleur état pût en sortir dans l’avenir.

      Ordinairement les parents ne se soucient que d’une chose : que leurs enfants réussissent bien dans le monde et les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins. Les parents songent à la maison, les princes songent à l’État. Les uns et les autres n’ont pas pour but ultime le bien universel et la perfection à laquelle l’humanité est destinée et pour laquelle elle possède aussi des dispositions.

      Il faut qu’éducation et instruction reposent sur des principes. Dans l’éducation tout dépend de ceci : il faut partout établir les bons principes.

      L’un des plus grands problèmes de l’éducation est de savoir comment unir la soumission sous une contrainte légale avec la capacité d’user de sa liberté. Comment puis-je cultiver la liberté sous la contrainte ?

      L’homme est le seul animal qui doit travailler. L’enfant doit être habitué à travailler. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu.

      La volonté des enfants ne doit pas être brisée mais dirigée. Briser la volonté, c’est produire une manière de penser servile.

      Il faut veiller à ce que l’enfant s’habitue à agir d’après des maximes (c’est-à-dire des principes subjectifs), et non poussé par certains mobiles.

     Il faut instruire l’enfant des devoirs, et avant tout des devoirs envers soi-même. Le devoir envers soi consiste pour l’homme à conserver la dignité de l’humanité en sa propre personne. Il faut donc garder l’Idée de l’humanité devant les yeux. Il est ainsi contraire à la dignité de l’humanité qu’un homme rampe devant les autres.