Séminaire Entretemps "La musique ne pense pas seule"

Musique | Psychanalyse

(2001-2002)


« Qu'elle Vienne ! »

Franck Christoph YEZNIKIAN

(Samedi 1° décembre 2001)

Ne nous reprochez pas le manque de clarté car nous en faisons profession !
Pascal, cité par Celan, Le Méridien.

 

 

I : Musique ! Psychanalyse

 

Je ne peux parler absolument que d'où je suis, c'est-à-dire, quand bien même cela serait possible du côté de la musique et plus précisément du côté de la composition instrumentale. Mais cependant je ne peux en rester là, car ma position en tant que compositeur, demeure celle d'un étranger au milieu des musiciens À savoir que la musique ne me suffit pas, ou plus exactement, que sa seule compagnie me conduirait à ne plus la fréquenter, à ne plus vouloir, pouvoir l'écrire. Oui, la musique ne pense et ne me pense pas seul si j'ose m'approprier au sujet, l'énoncé de François Nicolas. Mais je n'assume pas entièrement, bien qu'elle soit pertinente et nécessaire, cette barre qui sépare la musique et la psychanalyse. Cette espèce de cloison refoulante, cette limite qui témoigne presque d'une barrière qu'il ne faudrait pas franchir je la risque. C'est qu'il y a deux gouffres, deux béances de chaque côté où du vide les centrifuge. D'elles, nous le savons, l'origine est forcément de la pulsion, et c'est sans doute ce qui effrayait si directement Kant dans son rapport et au statut qu'il attribuait au rôle, au risque que pouvait avoir l'effet, l'affect de la musique dans l'étrange corps de son être.

Le premier séminaire aura enfoncé le piquet pour jalon, dans ce plein en vide qu'elles partagent ici toutes deux pour d'emblée relimiter le champ à circonscrire d'une plaine qu'est cette psyché. Cependant il y a ce signe-barre, cette exclamation d'un non pasaram face auquel on serait tenté de lancer un mot, une note de passage afin que s'ouvre l'espace supplémentaire d'un le désir, n'est pas, à ne pas tenter. Mais alors serait-ce vraiment nécessaire ? voire utile ? À quoi bon cet espace, ce vide commun finalement, gagnerait-on quelque chose en plus, un surcroît particulier à vouloir les décloisonner ? La distinction, le partage de ce vide par la limite que figure cette barre, fait cadre pour mieux canaliser sans exclure. C'est évident, la musique se passe très bien de la psychanalyse, mais voilà, depuis Freud et grâce à Lacan, de près ou de loin et parfois en même temps, il s'en passe !

 

C'est la raison pour laquelle, mais parlant toujours d'ici et à partir de l'école de Vienne jusqu'à aujourd'hui dans une filiation présumée, je ne peux résister de vous exposer, le temps d'une passade, ce qui par le signe même de l'exclamation de mon titre - verticalement une ligne, un blanc, un reste de la ligne - montre en quoi, il s'en passe doré avant mais localement, vocalement par l'en dessous !

La science qu'est la Psychanalyse est devenue enfin incontournable. Et même si le milieu de la musique, et plus particulièrement celui des compositeurs, demeure à son endroit relativement sceptique, distancié, imaginez l'expression de quelques traits de frayeurs peu ou prou dissimulées chez certains compositeurs à la proférer, au côté de la musique sa présence, malgré l'interdit tacitement qui se prononce à leur rencontre, ne peut s'y démentir absolument à l'endroit même de sa fabrique, comme à celui de son apprentissage*.

Le fait est, qu'en partie, malgré son statut de science, dont le propre de ses attributs non exactes par définition, ou ailleurement exacte, est une partie intégrante, voire cardinale sa fonction, n'est pas, par conséquent, suffisamment assimilable et donc contrôlable par le sujet musicien. Le trouble qui se dégage de sa cernabilité l'écarte de ce champ de ruines d'où provenaient, jusqu'au Moyen Âge en tous les cas, les arts dits libéraux que constituaient le Trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) et le Quadrivium (arithmétique, géométrie, astronomie et musique), c'est-à-dire ce qui représentait, jadis, un tout, au côté de l'étude de la théologie. La musique n'était là qu'un maillon participant au tout d'une totalité bien réglée.

Depuis au moins la seconde guerre mondiale, mathématique, sciences, philosophie, poésie et littérature, pour aller vite, sont sans doute, les anciennes muses mélancoliquement ailées, issues des ruines laissées par les guerres. Ces déesses sont revenues, semble-t-il encore tisser auprès de Mnémosyne : la muse de la mémoire, l'inspiratrice des musiciens, et donc celle du temps ! Voilà une dimension partagée, et si comme le dit fort sensiblement Georges Didi-Huberman, le temps est un filet psychique, on voit bien que musique et psychanalyse peuvent filer, dans le temps qui leur est propre, une expression issue de la psyché.

La musique serait l'art du temps où la psychanalyse installe également l'espace de sa cure, son champ partagé entre ruine et invention. C'est donc bien à la mémoire qu'on s'adresse, à ce qui se réinvente en elle, et à partir d'elle, à l'intérieur de cet estant, qui peut correspondre à l'image d'un contrepoint de strates entre passage et tissage. Malgré cela, un compositeur se tourne plus directement du côté des autres sciences qui elles, précisément tirent efficacement leur structure d'exactitudes valides.
C'est plutôt de cet exacte là dont raffolent la plupart des compositeurs pour canaliser leur pulsion d'investigation.

La composition met ensemble, elle construit sans arrêt là où la psychanalyse, dénoue, désassemble, démêle ce qui s'embobine. Aussi, la cure analytique serait-elle là pour soigner une souffrance psychique. L'art, si l'on veut bien lui attribuer en partie cette fonction, dans l'une de ses dimensions, peu aussi participer à contribuer à du soin.
N'est-ce pas cela, dans la projection qu'elle provoque toutes deux, qui empêche une proximité si périlleusement avouée ? Y aurait-il un terrain, un bout de terre en commun ou un pli si vous préférez, recouvert, ou indirectement trop à découvert entre elles ?

Ce qui est sûr, c'est qu'un malaise persiste dans cette petite civilisation des artistes face à la fonction trop sensible de cette science ou à l'impudeur instructive de son étrange sonde instrumentale. C'est qu'elle s'infiltre là où il faudrait se garder d'aller, à l'endroit exactement d'une prétendue chasse gardée. N'y aurait-il pas là alors deux pulsions d'investigations ? L'une qui malgré tout, du côté du psychanalyste, veut en savoir, et de l'autre, du côté de l'artiste, a contrario, et par crainte que sa muse s'y taise où le quitte, ne veut surtout rien en savoir.

C'est là une crainte, voire une angoisse qui soulèverait le mythe d'un secret, d'une Pandore secrète ; ce coffret dans lequel l'espérance d'un j'ne sais quoi, ce unheimlich, doit rester dissimulé, protégé surtout dans l'au fond, alors intacte d'une toute scopie, d'une toute infiltration malencontreuse.

D'évidence, d'un côté c'est l'art, et si à l'entendre, la musique peu participer à de la cure par une forme de plaisir, par la rémanence qu'elle engage ou la sublimation et donc par la jouissance qu'elle procure, de l'autre côté, la psychanalyse qui est une singulière cure dans le temps, passe nécessairement par du desplaisir. L'approche ne peut qu'être indirecte. Ce qui les relie, serait peut-être le mode de fragilisation qu'elles induisent et provoquent si sensiblement dans le tissu cognitif du sujet alors surexposé au pouvoir et au contact de ses émotions ! Entre elles et avec elles un corps se souligne, une enveloppe psychique livre une émotion particulière dans la pensée.

Musique et Psychanalyse témoignent aussi d'un corps dont un éros participe dans l'articulation d'une séduction préliminaire ; en effet, il ne saurait y avoir de musique sans éros comme il ne saurait, ne pas s'en articuler dans un cadre analytique. La pulsion dans le corps faisant signe, signifiant d'un signifié, est à leur origine : un rythme, une scansion, une tension, une détente successive et simultanée, comme un accent, un silence, un chant la prononce dans le mouvement de leurs danses respectives. Le parallèle vaut, certes, ce qu'il vaut, mais j'ose le tenter.

Retracer l'évolution tumultueuse et intestine plus ou moins parallèle qu'auront connue la psychanalyse et la composition instrumentale dans l'expression de leurs chapelles respectives, demanderait un travail bien trop colossal que je ne saurais me permettre ici. Cependant, ce qu'il est possible d'approcher comme synchronie, semble, que presque au même moment, bien que l'effet de désillusion partagé au sortir de la seconde guerre mondiale ne fût pas identique, montrer que l'issue offerte par le structuralisme aura souligné un regain dans l'articulation d'une économie pulsionnelle. Ce mouvement de pensée aura par là redéfinit un champ, une autorité, pour l'emploi et la réception de l'impact de la pulsion. Le corps, sans avoir été oublié, bien qu'au sortir d'un anéantissement réel et symbolique, est réinvesti jusqu'à l'étoffe d'une corporéité.

D'abord, cela s'effectue dès le début par Lacan, dont l'il clinique et l'acuité virtuose, directement héritée de Clérambault, le postent au-devant d'une scène du visible considérant, à la suite de Freud, la primauté offerte du signifiant. Du côté de la composition, il fallut attendre le dépassement de l'époque dite du sérialisme intégral, période où le corps, lequel, trop précisément réduit à son rôle de machine, correspondait davantage à un déclencheur, qu'à un sujet interprète, livré au mouvement de sa subjectivité. C'est ensuite, dans le milieu des années soixante qu'une revanche, un ressac de temps au sens de l'histoire se sera fait sentir dans les veines de la musique (Harnoncourt, Leonhardt amorcent l'exhumation du corpus baroque de l'uvre de J.-S. Bach). Le droit à l'histoire plus légitimement la plus secrète et discrète, dans la suite de l'après après-coup de ses années d'ascèses, redonne au statut du signifiant une épaisseur, cette nouvelle chair. L'érudition sensible d'un Barthes, d'un Deleuze, d'un Derrida, ou d'un Foucault, autorise une ré-appropriation de ce champ d'expression et d'intégration où le visibles-lisible retrouve peu à peu ses parures. Le flux d'une articulation - l'accent, l'intonation, le timbre et le rythme - l'étoffe ruisselante d'un discours sont la signature, le paraphe voire le blason ressurgissant d'un corps, même de leur pensée ; la structure bien que transparente, peut dès lors se réapproprier et s'autoriser le procès de son opacité ; une renaissance hétérotopique est à l'uvre d'une économie de la pensée non sans la complexion des détours et ornementations propres au baroque.

La psychanalyse s'est infiltrée dans la culture. Un corps social partagé entre mondain et révolutionnaire se recompose dans ses tensions. A fortiori la musique aussi réfléchit l'écho sismique de ces flux et dynamiques qu'elle incorpore dans le seuil de ses résonances. D'une manière, certaines musiques auront été de près ou de loin perméables, à ce que la psychanalyse aura ouvert dans l'exercice de ses déchiffrements et ses dénouages. Il y eut un moment assez furtif où la musique n'y fut pas dignement sourde, je pense ici à ce qu'il en fut du numéro 9, chiffre de la fécondité, de l'excellente revue musicale que fut Musique en jeu ; en 1972 le thème choisi fut « psychanalyse musique », un trou, une béance séante, les sépare.
Même si aucun compositeur n'y a signé d'article, cette période aura vu fleurir du savoir non su jusque dans la contexture de plus en plus surdéterminée de quelques uvres charnières ! La valeur de surdétermination, la condensation, l'erreur d'un acte comme devenant souverain, l'insigne frayage de tel moment favori, signalent et soulignent, l'éclair d'un symptôme comme autant de pistes fertiles que se seront octroyées, consciemment ou inconsciemment, et ce, à l'échelle des processus compositionnels, certains compositeurs dans la fabrique rhizomatique de leurs uvres.

Bien sûr, il y a en musique des mouvements dans lesquels prédomine le sujet-corps. Le happening ou des musiques issues du courant Fluxus mettaient en scène des « dispositifs pulsionnels » à dessein de libérer une expression. Mais de ces musiques issues de cette tendance, je n'en retiendrai pas grand-chose, sinon que pour n'en donner qu'une critique, il apparaît avec la distance, que ces musiques réalisaient le négatif du sérialisme intégral, à savoir se targuant, dans leurs gesticulations, de laisser de la pulsion à l'état pur et ce et ça, contre toute forme de structuralisme. Ce n'est certainement pas ces musiques qui à mon avis valorisent ce que de la psychanalyse aura permis au niveau métaphorique, analogique comme organique, au stade des processus psychiques dans le tissu (Stoff : le tissu, le matériau) explorés des uvres. Cela peut s'expliquer par le fait que l'écriture, pour ces musiques semi-écrites, semi-improvisées, n'avait de sens, ou plutôt, que le support de la partition - sa portée précisément - se trouvait glorifié négativement par l'absence de sens ! Ainsi la partition n'était qu'un moyen utilitaire, une sorte d'aide-mémoire, un code de la déroute si vous préférez. À ce titre, il ne semblerait pas inintéressant, a priori, bien que paradoxalement, d'avancer que de l'inconscient serait plus profondément à l'uvre via la tradition de la musique écrite que par le biais de la musique improvisée !

Cela soulève, j'en conviens, bien des abîmes, à commencer peut-être, par le versant de la fonction de l'inconscient, ou ce qui l'en serait, pour voir, chez un compositeur non-voyant ; la dimension de la représentation, de l'image liée au sonore qu'elle sous-tend, s'y trouve alors dépeuplée. Sous quelles articulations l'inconscient se manifeste-t-il alors dans ce cas ? Ne voit-on pas, pour le coup, l'enjeu d'un autre problème, voire d'une autre perspective ?

En ce qui concerne l'improvisation, un rapprochement fut soulevé lors de la première séance, quant au fait qu'une forme d'analogie de l'inconscient à l'uvre, serait plus pertinente, dans le rapprochement temporel d'une séance analytique avec une improvisation musicale, cela me paraît trop facile. Il faut déjà commencer par définir à quel type d'improvisation l'on pense ; il y a dans cette discipline une échelle allant des recours aux Standards jusqu'aux styles Free, j'écarte volontairement ici l'improvisation dans la musique traditionnelle car là, il se pourrait qu'il y ait plus de ressources avec l'hypothèse de cette analogie, mais là c'est à mon endroit trop immédiatement complexe. Si l'on en reste au style free, à ce qui justement peut se l'autoriser, on s'apercevra vite que l'absence de cadre, autre que les attributs temps, quantité, sons, notes, sollicitent bien moins in fine de transgressions ou de surprises par rapport à une musique écrite ! La valeur d'étrangeté et d'inattendu, d'un, il est arrivé quelque chose*, inhérent au travail analytique, se trouve caduc puisque cette dimension est trouvée là, déjà. Cette chose pré-attendue, le poids plus ou moins retenu de sa présence anéantie ce qui peut a contrario se passer.

En revanche, je pense que l'écriture face à des régimes de contraintes (systèmes à contraintes multiples selon des lois locales) favorise des zones de chocs, de transgressions, de crises où le sujet composant peut littéralement se trouver plongé dans la frayeur d'un inattendu au regard, à la lecture et à l'écoute d'un quelque chose qui se serait frayé et lui faisant signe !

 

 

 

 

Sans doute est-ce prétentieux, mais je n'ai pas l'impression, qu'au sortir d'une improvisation, un sujet soit saisi par le sentiment violent de vouloir s'en arrêter là ! je veux dire, par en cela, d'être conduit jusqu'au mutisme, à la déchirure d'un tel excès ; chose qu'une uvre écrite, dans son épreuve, peut jusqu'à provoquer dans l'atteinte du sujet. L'espace de l'improvisation convoque-t-il alors moins de tragique ? Il y a certes aussi du ludique dans l'art, c'est ce qui le meut dans son accomplissement, mais j'ai cependant l'impression qu'il y a davantage, pour aller vite, de pulsion de vie que de pulsion de mort dans l'improvisation. En tous les cas, l'aspect de l'immédiateté, la rapproche de l'oralité et par conséquent de l'autre, celui qui est là sans être attendu ? L'improvisation semble clairement mieux compatible, dans la rapidité de son mode d'apparition, à une économie inconsciente proche de l'association libre.

L'écriture est davantage, quant à elle, redevable à une forme de construction liée aux opérations, aux tropes qui gouvernent le rêve : condensation, déplacement, retournement, sans contraire, accentuation des détails. Ce qui se passe par l'écrit est d'un autre ordre, et surtout dans un autre temps. La musique écrite s'origine à travers l'inscription d'une disparition comme la marque laissée en sous-main, par exemple d'une autre musique. Elle est comme déjà métonymiquement inclinée vers une postérité qui inscrit et consigne dans son acte, le témoin insigne d'une perte. Écrire, c'est dire que je ne suis plus, c'est commencer par le dire, le montrer, se le montrer ; il a y du testamentaire, de l'insigne encore aujourd'hui dans un manuscrit retrouvé s'effeuillant d'une lettre à un bout de papier où figurent quelques traces. D'où, sans doute, cette prise, cette emprise d'un tragique supplémentaire qui s'y insinue. La perte, dans la musique, serait alors une de ses sources. A sa base uvre une melancholia plus que la mélancolie, entendez par là une dynamique uvrant à partir et grâce, si j'ose dire, à une perte au sens effectif de celle-ci, c'est-à-dire le contraire d'un mécanisme figé ou prostré. Ce qui s'écrit, ce qui peut s'écrire en se déposant à travers l'art, ne sera jamais qu'un reste plus ou moins anobli de ce qui s'est passé, d'un écho, un reste reformulé d'un autre reste si l'on veut bien remonter par là, jusqu'aux articulations de la composition du rêve.

Mais pour revenir à ce rapprochement, si l'on considère le rapport espace-temps de l'improvisation et celui d'une séance, que fait-on alors du transfert ? et s'il y en a, avec qui ou avec quoi ? L'ultime geste de l'analyste qu'est la scansion, pour dire ou re-marquer quelque chose, et sans quoi le cadre ne serait pas ce qu'il est, ne me semble pas non plus très approprié ou détectable, dans une forme d'équivalence, avec les coordonnées de l'improvisation.

Par ce titre de cette intervention, j'entends approcher ce qui pour ma part, relève actuellement d'une impulsion, sinon d'une nécessité, quant à la dimension que peut revêtir et dévoiler comme forme heuristique, le champ de la théorie analytique. L'écriture (compréhension, invention, création), la transmission (niveau de codification, transfert allusif, stratégies implicites) et la réception (analyse musicale, processus et posture d'écoutes) d'une uvre, à la lueur de ce que Freud a théorisé dans sa Métapsychologie, peut éclairer dynamiquement un compositeur dans ce qui contribue, pour lui, à la compréhension créative et à l'invention surtout reconduite de ses multiples procédures. Ce qui est soulevé là, ce savoir à l'uvre, n'a pas à être défini dans le sens d'une nouvelle méthode qu'il faudrait dispenser dans les conservatoires.

Non, c'est au cas par cas, et en ce qui me concerne, l'intérêt que suscite sa lecture, renseigne, provoque et motive des forces au même titre que la poésie, la philosophie et l'histoire de l'art peuvent le faire. Aby Warburg, Walter Benjamin et Georges Didi-Huberman prouvent dans la puissance heuristique de leur travail, le passage et l'efficace anachronique d'une maïeutique qui n'est pas sans l'avoir Vue !

 

 

 

 

II : Advienne qui voudra

« Aller guten Dinge sind drei ! »

 

Nous savons à quel point, la Vienne à l'orée du siècle dernier nous aura légué, dans la fièvre de son mouvement, sa conversion, une figure des paires ! Cette Vienne, laisse aux psychanalystes et aux compositeurs une empreinte, forte et marquante, qu'on le veuille ou non, issue de laquelle deux méthodes, bien qu'à 25 ans d'intervalles, auront vu leur jour : la méthode de l'interprétation des rêves (les signifiants seraient-ils égaux ?) et la méthode dodécaphonique (toutes les notes seraient égales). Cependant et contrairement aux psychanalystes qui y verront là toujours, l'origine de leur monde, pour les compositeurs de ma génération, l'évidence d'une forme de ré-origine n'est plus partagée. L'école de Vienne est un moment dans l'histoire de la musique dont on peut se passer après en avoir éventuellement parcouru les réquisits, comme l'on peut tout aussi bien appliquer les recettes dodéca à la manière de, et cela avec la couronne doctorale des universités américaines.

Aujourd'hui, pour un compositeur, il n'y a plus la filiation d'une quelconque tradition. On fait ses classes et l'on apprend à écrire dans le style de. On choisit alors de se spécialiser selon le profil de telle ou telle obédience ; c'est au sujet, à l'individu de se choisir ses pères, et si c'est le cas c'est déjà bien, car certain préfère se choisirent plutôt des logiciels comme assistanat d'écran. Se revendiquer comme composant à la suite des trois viennois, mais sans exclusion aucune, relève d'un travail d'analyse dans sa musique, c'est-à-dire, d'une part, d'accepter de l'héritage et d'autre part, d'avoir trouvé en quoi, ce qui s'y est révélé, à l'intérieur de nos propres processus, nous regarde. Ce qui demeure fascinant, c'est à quel point Schönberg, Webern et Berg constituent une complémentarité, un trio, un corps pouvant aller jusqu'au titre d'une "trinité".

S'il y a un constant retour pour les psychanalystes à Freud, il y a encore pour quelques compositeurs un ouvert, le sans fin d'une heuristique à se repencher méticuleusement et aidé de l'imagination, sur le corpus des trois viennois. Impossible dès lors de s'en passer, les phases de la vie font que l'un des trois est plus en mesure de se prononcer dans ma pensée, c'est une combinatoire sans cycle préconçu ; c'est alors à celui-ci qui s'impose à ma proximité que revient le signe distinctif d'une Hauptstimme (H), les deux autres, en contrepoint, accentuent secondairement, les traits du protagoniste principal ! Il y a peu de temps encore, je les assimilais volontiers, et avec naïveté, aux trois niveaux de l'appareil psychique, sorte de projection triviale mais qui m'aura permis, en tous les cas, de m'éclairer sur quelques partages. Ce qui est sûr, c'est que s'opère là, chez nos trois viennois, un dispositif unique dans l'histoire de la musique ; une uvre est certes à l'uvre, mais sa spécificité est qu'elle se travaille de l'intérieur, se configure jusqu'à des processus que je suis tenté abusivement sans doute, de rapprocher du mouvement d'un transfert. Mais attention, il ne s'agit surtout pas de les amalgamer, ou de les co-fondre dans la figure commune d'un médaillon ; il y a bien là, musicalement, la signature, l'empreinte de trois destins, trois corps et trois visages au cur d'une passio dissemblable.

Il faudrait par conséquent, montrer, analyser, dévoiler et surtout inventer les forces directes et indirectes qui peuvent s'y déchiffrer. Comme il vaudrait la peine, d'articuler le contenu de ces uvres, à la typologie par exemple d'une forme d'hystérie, comme valeur symptôme d'une dynamique informelle. À titre d'exemple, j'ai tenté d'esquisser dans Faltenstudie à l'endroit d'une pièce en hommage à Webern, une forme de restitution d'une part que je lui reconnais comme fictionnellement refoulée ; est-ce là, faire travailler l'interprétation d'une uvre dans ses replis ? À l'intérieur des trois minutes qui m'étaient imposées comme la forme d'un cadre webernien, ce qui, comme vous le savez, est à son endroit déjà presque long, je me suis attaché à composer une musique dont les emprunts lyriques, dans la composition des strates qu'elles figurent, seraient comme la condensation d'empreintes musicales remontant dès lors aux Franco-flamands.

À presque la fin de cette miniature pour grand orchestre, apparaît, confié aux cinq cors, un choral dont l'ombre double restitue comme l'empreinte d'une empreinte, à savoir celle d'un Mahler se souvenant d'un Bach, le tout dans le creuset refoulé via le filtre cristallin du géomètre Webern. Il me semblait mieux approprié de réinjecter (une rétroprojection !) de la pulsion lyrique dans son tissu, que de choisir a contrario l'économie estampillée de l'accoutumée raréfaction. Nous savons, au moins depuis l'édition annotée de ses Variations opus 27, quel type de relation Webern entretenait et entendait dans le mouvement interprétatif d'une agogie viennoise. Ses indications ajoutées sur un exemplaire édité, montrent, démontrent le caractère et l'expressivité intime d'un romantique ; dimension ou teneur d'emprise passionnelle de nature, que Webern aura impérativement convertie, distance voire castration oblige, via le carroyage de sa secrète géométrie ; cette cristallophonie, cette arête aux précisions minérales qu'il extrayait si merveilleusement et façonnait alors en proie au jaillissement du flux pulsionnel, et ce, dans l'accomplissement de cette belle austérité qui distingue son uvre de n'importe quelle autre. Avec Schönberg, la situation est foncièrement plus complexe, mais étrangement, on pourrait presque ressentir sa musique comme tempérée dans sa carrure au regard de ses deux élèves. L'uvre Schönberg se trouve tendue entre ces deux abîmes, elle anticipera et se souviendra dans une expression qui lui est propre, de ce qu'il aura appris de ses deux "élèves", la sublime tourmente de leurs si fertiles paysages.

La proximité directe de la psychanalyse avec les membres de l'école de Vienne, s'est faite de manière compliquée et elle repose tenacement dans l'énigme des rencontres et non rencontres que cette capitale provoquait. Hormis l'anecdote qui rapporte en 1908 la consultation de Berg âgé de 23 ans, auprès de Freud pour soigner, une grippe (p. 47. M. Carmer) à moins que ce ne soit plus justement cette crise d'asthme qui lui fut alors diagnostiquée comme allergie aux pollens (E. Barrilier p. 25), celui-ci consulta un temps le psychanalyste Alfred Adler, mais les documents que nous disposons sont encore trop insuffisants pour supposer quoique ce soit. Toutefois, on sait que Webern rencontra un psychanalyste durant l'été 1913 (Carmer p. 47). De Schoenberg, pas de traces directes à ma connaissance.

C'est avec le sujet Berg, je crois qu'il y aurait eu une cure non avouée ; la fascination qu'il avait pour Karl Kraus lui aura valu de rester en retrait de Freud et ce, malgré l'intérêt qu'il y aura senti, mais il semble cependant qu'il fut plus proche des théories de Groddeck. En tous les cas, j'entends sa musique comme la plus immédiatement exposée et travaillée végétalement par une forme d'épaisseur psychosomatique. C'est ce qui la rend souverainement partagée par de la pulsion de vie, via cette dépense effrénée, ce calcul surabondant d'affects partagé entre le message secret, sa micrologie des cryptages, et l'effondrement tragique d'un dévoilement, sa macrophobie.

Malgré l'économie dans sa musique, d'une arsis / thésis ou eros / thanatos, et c'est le fruit, la copule de sa passion, le discours musical sera toujours sous et pré-tendue, comme le confia l'élève Adorno, par une complicité avec la mort ! C'est une musique qui pulsionnellement uvre intrinsèquement dans son désuvrement.

Au contraire, l'univers de la musique de Webern, et grâce ou à cause d'un recours au réglage d'une absolue économie, mais aussi par l'assujettissement des quantités à la sacrofoi d'une symétrie, précisément symétrique, l'uvre de ce haut randonneur, est davantage gouvernée par de la pulsion de mort. L'ascèse qui s'y pratique, la sauve de toute atteinte de tout vertige intérieure, les risques sont indéniablement là, mais les cordes sont solidement accrochées, accordées à cette paroi.

 

 

 

 

 

III. De la psychanalyse dans la contexture de l'oeuvre compositionnelle ?

 

« J'ai plutôt conseillé de se méfier de l'impasse, qui n'est pas faite pour ceux qui aiment à tourner en rond. »
Arnold Schönberg, Le Style et l'Idée.

 

 

 

Lors de cette troisième partie, j'aimerais évoquer quelques modèles et rapports de la théorie psychanalytique à la fois éthiques et poïétiques, entre permission et transgression, dans les trames de l'acte compositionnel.

 

1 - L'oeuvre, son contexte, d'une impasse l'autre.

 

Une oeuvre se devrait d'être aussi la trace d'un parcours, celle d'une épreuve comme peut l'être le vécu. Se devrait, dis-je car le compositeur est devenu, encore plus qu'auparavant, le sujet d'une marchandise. On s'arrache les nouvelles uvres de certains par l'accélération croissante des commandes, saturant ainsi, avec ou sans le secours des machines, la cohésion qualitative ; les uvres se répètent à l'instar de la demande, le temps n'est plus celui de l'invention mais de la surreproduction. En cela, le compositeur restitue et reconditionne, de par une perte de rapport critique à l'endroit de la fabrique de sa musique, le résultat de cette surenchère ; le cercle vicieux du domaine de la productivité boulimique en vient à s'immiscer également dans le tissu le plus intime de sa pratique d'atelier oubliant avec l'efficacité de la reproductibilité, les raisons suffisantes d'un wozu Dichter !

La musique d'aujourd'hui souffre aussi d'une inflation externe et interne liée à une course au succès ; car n'allez pas croire, la musique contemporaine, elle aussi a ses sommets et ses stars. Aussi dispose-t-elle de sa bourse avec ses cours saisonniers, c'est le jeu estival de la tendance ! Ce n'est pas le public qui a son droit de réponse et de jugement sur les uvres choisies. Ce sont davantage les directeurs de festivals mais aussi et de manières plus indirectes et pernicieuses, le monde des critiques. Si nous vivons actuellement une espèce de renaissance à l'endroit des festivals, des ensembles, et du marché du disque nous confondons ou feignons d'oublier, que l'art non seulement, s'est affranchi de sa seule fonction d'objet de divertissement, mais qu'il garde, comme la cicatrice indélébile de l'inoubliable ; cet "après Auschwitz" qui devrait faire de sa fonction à tout jamais, le sens et l'emblème d'une contre marchandise. Mais voudra t-on encore s'en souvenir et s'en soucier ? et ce, même si les représentants d'un modèle critique (Adorno et Dahlhaus par exemple) ont alors disparu du marché des vivants ? L'art, s'il demeure encore fécond, ne peut qu'exister que dans une économie critique à l'endroit même de sa fabrication. La dite musique sérieuse, motive certes le feu d'une techknè ; sa demande stimule l'entropie de sa fabrication et de sa distribution. Elle alimente en parallèle, les rouages de moult processus d'automatisations qui "aident" le sujet-compositeur, à suivre et "rentabiliser" l'offre endémique de cette demande.

 

 

Cette courroie inflationniste vient contredire le mouvement de nos pères. Une bonne partie de ce qu'ils avaient acquis auparavant comme forme d'émancipation à la fois au niveau interne, le métier, sa raison d'être, et externe, sa réception, se retrouve faussement oubliée et en tous les cas, contredite. Il faut maintenant produire plus vite et par exemple avec plus de notes. À cela, la machine y corrobore à bon train et admirablement. Ce progrès, ce rendement dans les calculs, cette petite machinerie, dépeuple l'art de son sens. Ce n'est certes pas l'outil informatique qui est visé là, mais comme d'habitude, l'emploi que l'homme peut en faire, l'accent qu'il entendra lui donner ! L'art se désarticule, pire s'essouffle et s'évide littéralement ; c'est le tournemain machine qui s'entend via les processus d'écoles et malheureusement très rarement le contraire qui serait l'expression d'un sujet avec sa prise de risque et sa syncope allusive.

Les tentatives, les hypothèses sur une forme de dépassement de ses attributs ne sont plus de vigueur, on s'en moque. Ce que l'on demande, ce qui se préfabrique, c'est du même, de l'attendu et du trop connu ; si le soupçon d'un ailleurs vient à s'y faire jour, ce sera alors à l'impératif d'un sans-risque de toute convenance, comme le fruit d'un heureux hasard à moins que cela ne réponde à de la pulsion négociée aux goûts du jour. L'art de la composition, malgré ce qu'elle avait acquis, se banalise à l'échelle de nouvelles donnes de plus en plus rentables : plaire et briller avant tout car l'expérimentation n'est plus de mise et l'erreur encore moins consentie. Il n'y a quasiment plus de résistances internes et externes à l'intégrité de sa raison d'être, et presque plus de soubresauts à l'intérieur comme à l'extérieur de son rayonnement.

Le scandaleux est devenu lettre morte, il semble appartenir au siècle dernier. Plutôt l'acquiescement devant tant de pauvreté d'imagination qui témoigne en négatif d'une impuissance certaine quant à la puissance inactuelle d'une souveraine maïeutique. On apprend et on applique les recettes avec plus ou moins de brio, de savoir faire car le marché a reformaté les uvres qu'elle produit et autorise sous forme de normes. Les répétitions, ce que l'on appelle des services, sont réglées conventionnellement au nombre de trois ; à nous de choisir et de tristement mesurer le jusqu'où de la perte ; cette sape que notre uvre ne peut que subir dans son corps semble devenir une sanction de tradition ! Souvenons-nous de ce souvenir que Luigi Nono confia dans un de ses derniers textes l'anecdote de son beau-père, Arnold Schoenberg, lequel ayant travaillé "intensément" le Pierrot Lunaire en répétition sans avoir cherché à le donner en concert. Ce type de situation qui touche également au religieux, serait aujourd'hui une pure hérésie, une impasse formidable !

L'époque de la remise en cause de l'artiste est dépassée, la figure d'Adorno, son ton, en fera sourire plus d'un ; l'impératif d'un contenu de vérité s'est transformé en l'efficace d'une conformité. De même s'interroger sur la raison de telle ou telle procédure compositionnelle au-delà de la seule légitimité fonctionnelle paraît absurde, et en tous les cas, tellement ou brillamment inactuel !

Mais il me faut pour continuer, revenir sur une distinction essentielle que le poète Paul Celan a justement restituée dans son discours Der Meridian quant à l'opposition qu'il voyait entre la poésie (Die Dichtung) et l'art (Die Kunst). Cette distinction aurait éventuellement, mais à condition de la nuancer, une analogie avec ce qui sépare l'artiste de l'artisan. La différence étant que l'artiste, der Künstler, appartient encore à la sphère de l'art bien qu'étant en prise avec le matériau à l'instar de l'artisan, der Handwerker. Il faut entendre par là, résonner aussi l'étymon du jongleur, l'artiste de cirque qui retombe toujours sur ses pieds et donc per extensio, de la maîtrise et du savoir faire dans leurs pirouettes respectives. Celan dénonce dans ce manifeste l'artefact de l'art ; c'est-à-dire la dimension artificielle, mécanique, d'un savoir-faire inoxydé ; le métier, pour résumer, est ce qui permet à l'artiste d'écrire à partir de tours et de recettes dans un champ délimité, dans cette région précisément où il serait plutôt question éthiquement, du souffle comme métaphore d'un destin assurément non automatisable. Ce texte vertigineux en hommage à Büchner, dénonce l'art pour l'art ; un art à la fois déconnecté du réel comme de celui gouverné via la psyché.

Cette distinction resituée, je peux par conséquent évoquer l'existence d'uvres musicales qui sont le fruit d'une expérience poétique non séparée d'une éthique, si j'ose dire, dans leur f(r)acture et leur destin d'accomplissement. Cette dimension de l'uvre, en amont comme en aval, peut rejoindre certaines questions soulevées aussi par la théorie et la pratique analytique. À savoir, ce qu'un compositeur traverse dans l'écriture d'une uvre pourrait symétriquement correspondre à ce qu'un sujet retire d'une expérience analytique : l'effraie d'un réel. Par là, je veux évoquer l'épreuve de l'étranger, et, si vous le permettez, l'épreuve de l'estrangejeté. Cela, la psychanalyse l'aura dévoilé et le permet dès lors, comme par retour, en direction de l'artiste ; cet espace, ce travail, dans et à partir du symptôme. Cela, nous pouvons et devons également l'entendre pour aller plus loin dans les stratégies latentes de notre travail. L'efficience d'un symptôme ouvre alors à une plongée dans un mode de fragilisation qui peut conduire à un rapport, réel ou fantasmatique, d'un sujet hyper sensibilisé à l'épreuve de ses propres symptômes.

C'est en quoi la musique et la psychanalyse peuvent aussi toucher à des fibres similaires à travers une écoute de l'être et la pensée de son écoute. Une écoute dans l'entendement d'une interprétation tout comme dans son renversement. Une impasse à l'une et à l'autre leur serait alors commune ? Ce vide dont je parlais, cette accumulation, sa condensation même, ouvre vers une béance comme à un abîme, le temps d'une attention, par cette voie commune qui emprunte le même organe : l'ouïe ! Ce qui peut se passer ici peut certainement passer là. De la psyché, son reflet, son empreinte, son écho, elles partagent l'efficace d'un inefficace, de cet inouï à l'orée précisément de l'écoute ; du ça de l'écoute, à l'écoute du ça. Le cadre, quant à lui, s'informe d'une maîtrise qui saisit le jeu des tropes. Mais si donc maîtrise il y a, alors cette maîtrise serait issue d'une stratégie sans maître (4) dans laquelle nouage et dénouage se trameraient via un opérateur de traces qui n'est, pour le coup, pas sans inventions et interventions obligées. La composition instrumentale, dans se qu'elle peut accepter d'être, et la science psychanalytique uvrent dans une économie à contre courant de l'économie rentabilisable, là où la dépense est de toute démesure, vers la res-secousse d'une éthique réciproque (res si proche !) à l'égard du monde.

 

 

 

2 - L'oeuvre sa fabrique, sa trame en résonance

 

 

« il se trouve à présent du récit
dont nous n'avons vécu que la rétrospective,
ou la parenthèse,

le moment dénie le mythe du fini
redit de celui qui est parvenu
de l'étreinte
agit en lui »

Anne-Marie Albiach, État.

 

L'uvre lue et entendue, fut-elle sans cesse inachevée, est l'aboutissement de multiples processus. Sous cette peau que figurent les rythmes, les notes, les timbres peuvent alors s'être profilées de surprenantes imbrications de strates de processus dont les opérations peuvent êtres disproportionnelles en pertes via des filtres sélectifs vis-à-vis du résultat dégagé. Bien sûr, cette dimension, ce pis-aller à l'uvre, ne fait pas loi.
Il ne s'agit pas non plus de considérer, loin s'en faut, l'importance d'une uvre, en rapport au poids de son arrière fable, fut-elle monstrueuse ! Toutefois, j'en souligne ici l'existence pour mieux restituer une part intrinsèque à l'uvrer, et qui, de par ses caractéristiques, peuvent susciter quelques intérêts à la compréhension de certaines compositions d'aujourd'hui. Comme je l'ai dit plus haut, il n'y a plus de méthodes pour composer, il y a toutes les méthodes. En soit, la méthode pourrait faire uvre. Certaines pièces sont le résultat d'une telle traversée dont on a peine à imaginer les dérives et détours successifs ! La somme d'esquisse, par exemple, d'une uvre comme La chute d'Icare de Brian Ferneyhough, est exemplaire.

L'uvre terminée est l'aboutissement d'une autre uvre si l'on peut dire, sa maïeutique. Celle d'un travail où la psyché aura embrasé le matériau devant le désir d'une pulsion vorace ou d'un inachèvement dynamique dans ses tours, contours et détours. À cela, je pense que certains processus de la musique d'aujourd'hui sont extrêmement proches et perméables des fonctions attribuées à l'inconscient. Qu'est-ce à entendre alors ? Que la musique plonge dans l'irreprésentable, qu'elle plonge le sujet, compositeur, interprète comme auditeur, dans cette région étrangère d'un savoir du non-savoir. Mais à une échelle structurale, je pense cette particularité en rapport avec ce que l'acte compositionnel entretient depuis toujours avec la règle. Qu'elle soit donnée ou construite par le sujet, fait de la composition une discipline artistique dans laquelle la présence de la contrainte est immanente, voire, fait corps avec l'uvre. Quelle autre discipline aura jusqu'alors, entretenue et accumulé durant le cours de son histoire, autant de lois, avec autant de traces ? Ce facteur me laisse penser que par ce fait, la dimension de la transgression est plus à même de se profiler étroitement dans son tissu et donc de faire écho à une forme d'économie pulsionnelle.

Aujourd'hui alors que tout est possible dans le domaine de la méthode et des systèmes, l'ombre de la règle chez certains rôde et persiste dans la mémoire de manière plus ou moins directe ou indirecte. À l'échelle la plus élémentaire, la règle peut agir selon le ton d'un interdit ou d'une permise licence à l'endroit des tours de l'écriture. Un jeune compositeur pourrait encore "trembler" son uvre finie ; car pour arriver à tel ou tel résultat, le corps de l'uvre, sa fabrique, ou son identité et le bienfait de sa méthode pourraient lui être demandé ! il lui faudra alors ouvrir et montrer patte blanche.

Ne l'oublions pas, la musique est surtout et principalement assujettie à elle-même ; on la juge et la reçoit toujours en fonction d'une précédente. Si elle n'est jamais seule, elle demeure toujours dans la résonance, comme dans l'ombre d'une autre. Il faut l'admettre, la composition instrumentale, et je ne vois a priori pas d'autres formes d'écritures redevables à ce niveau, au réel comme au virtuel du régime de la règle, produit, dans sa réalisation, une forme de narcissisme surmoïque, la projection d'un dépassement via une traversée transcendantale.

La notion latente de la transgression - son moment - est constante. La flexibilité ou la fluidité des opérations pour arriver à ses fins, est toujours le fruit d'une négociation plus ou moins brillante avec le secours in fine, du sceau d'une raison secourante. Certains détruisent ce corps de l'uvre, ne laissant aucune trace, pas d'emprunte. D'autres, au contraire, s'appliquent comme des entomologistes à recueillir, à classer, voire à flécher les parcours pour l'éventuelle instruction de l'intrus désiré : le musicologue. Il y a autant de particularité, d'argumentations qu'il y a d'uvres dont chacune peut-être son propre labyrinthe !

 

 

 

 

 

 

 

3 - Trois empreintes comme forme de procédures.

 

 

L'oeuvre inauthentique n'a pas d'inconscient. Elle n'est solution exemplaire d'aucun problème qui lui soit intrinsèque.

Nicolas Abraham, L'écorce et le noyau.

 

C'est donc parce qu'il y a autant de règles, que de la transgression peut s'opérer dans l'oeuvre. Si l'inconscient est structuré comme un langage, cela resouligne à quel point, toute construction humaine, théorique, analytique émane en partie d'une structure empreinte par l'inconscient. Il n'est alors pas surprenant de voire surgir, et davantage on l'aura compris, depuis l'ouverture opérée par les viennois, des processus assez directement façonnés précisément par cette empreinte de l'inconscient.

Voici, à titre d'exemple, trois processus qui peuvent servir d'écho à des opérations de formalisations conscientes d'un système (5) ayant trait à des processus comparables à la théorie de l'appareil psychique.

- a). La forme de la chaconne, celui du ground ou de la passacaille, pour le rappeler brièvement, expose une série de degrés de manière cyclique ou obsédante. Aujourd'hui, cette forme peut non seulement revêtir cette fonction de surface, mais également innerver le tissu processuel, à savoir que l'on peut substituer à chaque point de cette chaîne, une cellule proposant un processus différent (répétitions, arpèges, diminution, renversement) Il y a donc une chaconne de processus dans laquelle s'il y a bien toujours une note de référence à l'origine de chaque cellule de la série, la manière d'en faire proliférer ou d'en réduire la quantité, sera à chaque niveau différente, marquant bel et bien dans la répétition même, du différent.

- b). Le travail avec la combinatoire est déjà un processus classé. Imaginez alors un cycle d'enchaînement de neuf processus combinatoires irrégulièrement organisés. Le premier processus effectuera une combinatoire à partir de cinq notes, le second à partir de sept, etc. À chaque sortie, une règle auto-érigée veut qu'une seule note soit gardée selon telle ou telle loi déterminée ou indéterminée. Il y aura donc au total neuf hauteurs issues d'une suite de neuf types de combinatoires, ce qui revient à neuf types de flux qui se profilent sous ces neuf notes sélectionnées. Ne pourrait-on pas mettre en rapport ce modèle à l'idée du point de capiton : la note comme signifiant, et la trace du processus, la trace du glissement attachée à la note, comme forme de signifié ?

- c). Une variation ou une élaboration processuelle peut aussi s'effectuer sur une polarité absente : une variatio sul nulla. En effet, la matrice ou le socle de telle ou telle élaboration via le recours à la variation peut se développer sans que celle-ci soit dévoilée. Que peut-on alors entendre par là, une présence absente ? Ce jeu de cache-cache opère dans l'économie de la dissimulation. N'est-ce pas là, la possible valeur de la substitution, de son déplacement ?

Ces quelques exemples démontrent quelques possibles développements pouvant aussi s'inscrire dans le sens classique des variations. La puissance du dissemblable et de la perte des éléments séminaux est un facteur non négligeable dans l'uvre. C'est pourquoi ses reflets, ses extensions et contours peuvent parfois nous faire songer à de l'Unheimlich. Alors comment ne pas penser à ce fragment de lettre sur la question de l'uvre que Lou Andreas-Salomé envoya à Freud : pour assurer la réussite de l'uvre, il faut que non seulement la substance de ce qui l'a initiée ait sombré dans l'oubli, mais encore qu'elle ait été épuisée : comme toute matière enterrée, elle doit se décomposer, se transformer en quelque chose d'autre, végétal.
Cette proximité de l'acte compositionnel avec une certaine résonance de la psychanalyse me semble également distinguable à l'échelle de l'orchestration. Pour cela, il me faut rappeler que cette matière n'est plus depuis au moins l'École de Vienne, une tâche finale que le compositeur assignait à son travail dans le sens d'un embellissement. Au contraire, l'orchestration est un facteur depuis décisif et liminaire, qui implique une considération constante de sa texture, le timbre et la morphologie, allant jusqu'au noyau de l'échelle structurale de la composition. Son implication est cardinale dans l'importance qu'elle confère à l'instrument dans sa corporéité même. Il n'est plus question d'intervertir un matériau musical d'un instrument à un autre sans en modifier la charge affective, son articulation, son rythme. S'il y a une volonté fusionnelle d'attribuer à différents instruments un matériau similaire, cette démarche est dorée avant, la résultante d'une fonction située du côté d'une rhétorique, à savoir, dans le sens de la semblance et dissemblance.

L'art de l'orchestration, cette surface-profonde ou cette surface-peau, peut revêtir, à l'échelle contrapuntique, l'ordre d'un travail par strates où, par exemple, certains groupes instrumentaux, malgré l'activité d'une dépense virtuose, peuvent demeurer sotto voce, de manière sous-cutanée, par rapport à un autre groupe jouant des lignes lentes et clairement principales. L'économie des hiérarchies est nouvelle. Ce qui est surdéterminé n'est plus forcément au premier plan. Il faut dès lors franchir, être dans une écoute active, où le trouble est partie prenante du clair. La fonction de l'orchestration peut aussi représenter métaphoriquement, en modulant et déchirant le jeu subtil des dosages de ses timbres, le voile des épaisseurs d'une Psyché allégorique ; comment ne pas songer ici à Farben ou aux uvres pour orchestres des deux autres ! Une orchestration certes fonctionnelle exclut ce type de considération. Le contenu d'une uvre, son programme conscient ou inconscient favorisera une forme de perte ou de déséquilibre, répondant, constitutionnellement, au sens interne et acoustique, pour former par là, une cohérence touchant à une herméneutique de l'uvre.

Le contrepoint des niveaux, comme celui des figures dans leurs économies et conduites paradoxales renvoient à des autorités qui sont les attenants contemporains aussi de la psychanalyse. Jusqu'à un certain point, il y a autant de sens à se perdre et à perdre qu'à se trouver ! L'aspect somme toute ludique, que le signifiant opère sur lui-même comme le montre le mot d'esprit, trouve des formes équivalentes dans des rapports de structures comme événements ou dépassements dans le sens d'une ré-appropriation d'éléments chargés.

Si certains compositeurs travaillent à l'échelle fractale, pourquoi donc d'autres ne pourrait-il pas alors envisager des modèles d'inspirations issus, comme le formule François Nicolas, de modèles pathologiques ou modèles psychiques. La souveraineté d'un symptôme, allant du détail à la grande forme, comme la tension et la détente articulées via le recours à la transgression, peut offrir à l'uvre de nouvelles perspectives stratégiques, un nouveau rythme dépassant de loin les apories des modèles académiques.

Qu'est-ce que nous apprend la psychanalyse, au côté de la philosophie et de la poésie ? Que, éthiquement, il ne faut pas baisser la garde du côté de l'être, dans l'inconnu sidérant ou l'étrangeté qui le constitue. Que rien n'est établi définitivement. Que le symptôme n'est pas là pour être réprimé, mais qu'il fait signe aussi comme métonymie.

Adopter cette perspective revient pour l'artiste à demeurer critique, c'est-à-dire attentif, tout au long de son parcours à ses comportements et surtout à mieux comprendre ce noyau intime d'où il provient et où il entendrait, à mesure, se projeter ! Cela revient un peu à ce que j'entends par la notion de contre-métier qui n'est pas récusation en soit, du savoir-faire, mais qui insiste sur le fait que, ce qui caractérise l'artiste, c'est bien du côté de la prise de risque, du côté de la déchirure, là où ça passe. Et que malheureusement, l'artiste, pour la plupart, collabore avec le milieu du marché en produisant des uvres Prètes-A-Entendre.

Comme je l'ai dit, pour moi le champ de la spéculation musicale est très proche des opérations de l'appareil psychique. La complexité des opérations, la reformalisation, les renversements des polarités tous ces instruments ouvrent au compositeur les arcanes de possibles qui peuvent aussi, dans l'excès de leur dépense, jusqu'à l'inhiber dans sa démarche. C'est aussi le prix à payer ; cette liberté acquise dans la construction implique une autre forme de maîtrise et de réception.

La fantaisie, dont il faut rappeler la proximité avec l'étymologie du phantasma, semble encore demeurer la meilleure alliée au côté de cet abîme soulevé, la fantaisie mêlée à l'invention. Le compositeur doit réinterpréter son matériau, il doit pouvoir y trouver les issues non consciemment déterminées. La psychanalyse peut arriver à faire prendre en considération une complexité plus riche d'une représentation de la réalité psychique que celle que nous avions finie par sertir vis-à-vis de ces deux blocs opposés que formaient le rationnel et l'irrationnel. Il s'agirait de faire confiance à une forme de complexité, à cet insu ou ce non-savoir, comme disait Foucault, qui nous traverse et par lequel, le sujet peut s'entraîner à réagir plus loin dans ses ressources psychiques. C'est-à-dire, au-delà du principe binaire du sens vivant et du principe calculable tel que le définissait Hölderlin dans ses Remarques sur dipe.

La psychanalyse insiste sur ce troisième topos, là où les choses sont encore plus complexes, plus énigmatiques et en même temps plus exposées à cet abîme, vieil abysme qui depuis toujours déjà, s'ouvre à nouveau là. L'acte compositionnel acquis à cette réception, peut mieux assumer sa légitime empreinte psychique dans cette permission offerte que j'évoquais plus haut. Il s'agit dès lors de dépasser le clivage de l'automatisme et de la subjectivité pour réapprendre à considérer ce rapport de manière plus psychique et moins cérébral si je puis dire. De trouver d'autres formes de structuration alors moins cloisonnées ou d'en produire d'autres de manière plus fertiles entre-tissant les tenants et les aboutissants. Peut-on dès lors entendre s'immiscer par ce biais, une heuristique supplémentaire dans le sens dynamique d'une espèce d'« hystérie » psychique ?

La représentation du corps influe sur celle de la psyché comme forme de modèle renversé. Une uvre pourrait s'entendre aussi comme l'empreinte d'une convulsion pulsionnelle. La musique de Klaus K. Hübler (6) à ce niveau-là est fascinante. Ce compositeur est allé jusqu'à dé-paramétriser tous les paramètres possibles du geste instrumental ; manière de faire un contrepoint hypercomplexe de tous les événements sous la forme d'vaste tablature. C'est une anatomie folle et pleine d'énergie dans laquelle l'interprète se doit de tout désapprendre du geste instrumental, de cette synchronicité de mouvements qui donne une action, pour redonner, mais au prix de quelle perte, une merveilleuse gestualité dégagée d'une utopie formalisée !

Cette dimension de l'économie, de son événement dans l'uvre, devrait de plus en plus se présenter dans le cadre de l'enseignement de la composition. Là aussi, il faut rester vigilant et s'opposer à l'intrusion de ce que les programmes d'aide à la composition ou à l'orchestration distribuent et contaminent comme espèce de pré-scléroses aux ressources de l'imagination. Je crois les échos de la théorie psychanalytique dans le cadre de l'enseignement est d'autant plus importants, du fait que le rapport qui se fait jour entre un maître et son élève, au sens symbolique ou réel, n'est pas forcément sans l'établissement d'un transfert et de son contre-transfert. De même les moments de crises, chez l'apprenti sorcier, sont des moments souverains où le sujet touche à certaines problématiques qui le constituent en propre comme faits de structures. C'est à partir de celle-ci qu'une solution, dans sa permission acquise, sera le mieux dégagée et peut-être poétiquement légitimée dans ce qu'elle peut avoir à dire au sujet de l'uvre !

Être compositeur, c'est une manière de s'être trouvé au monde. Ce qui peut se passer durant les années d'études peut être de l'ordre, dans le meilleur des cas, d'une expérience, vous nuancerez, non trop éloignée d'une analytique.
Il n'y a pas de chemin, il faut marcher (7) c'est justement ce que l'on est en droit de répondre aujourd'hui face à l'éclatement du sujet projeté dans un marché sur-étiqueté, dans lequel sont phagocytées, à l'échelle du virtuel, nos Antiquités.

La théorie psychanalytique propose, dans une forme de résistance à travers l'invention et l'événementiel qu'elle suscite et désigne dynamiquement, une réponse possible à certaines situations qui sont liées à l'acte compositionnel. Le musicologue aussi devrait être à même d'y trouver quelques clefs pour approcher et quelque peu démêler l'imprenable, ou l'insaisissable des fils de certaines uvres.

Le texte capital de Theodor Adorno, Vers une musique informelle, publié en 1961 (8), constitue, je le crois, une pierre de touche à mon propos. Ce que l'élève de Berg y formule, et pour le coup de manière justement informelle, relève d'une musique qui dans une forme d'intégration ne serait pas si éloignée de ce dont il est ici question. D'une musique ayant dépassé l'opposition de la subjectivité et de l'objectivité mais non sans tension : Cette tension entre la représentation et l'imprévisible est elle-même un élément vital de la nouvelle musique. Mais justement un élément vital, et non pas une équation qui pourrait être résolue d'un côté ou de l'autre. L'accent est donc posé. Une tension donc un rythme et par extension un corps : La musique informelle pourrait acquérir une flexibilité rythmique dont on n'a, à présent encore, aucune idée. Cette musique, sans avoir à la définir d'informelle, existe depuis et en fait depuis au moins Erwartung. Aucune règle abstraite ne permet de tracer la frontière entre une construction vide que le sujet compositionnel contemple bouche bée et les oreilles bouchées, et une composition qui comble l'imagination en la transcendant ; trancher cette difficulté au sein de chaque composition serait parmi les tâches les plus importantes d'une écriture informelle. La psychanalyse, via Freud et Lacan principalement, aura également posé un accent du côté de la structure de l'inconscient, peut-on entendre par là aussi, de son informel ?

Alors cela revient à être non trop loin d'elle, dans une proximité singulière de son rayonnement. Mais il ne s'agit pas, pour autant, de rentrer en analyse ; il ne faut pas confondre le cadre de la théorie de celui de la cure qui semblent faire assez peu communauté. Mais plutôt de connaître et d'approcher ce non-savoir à l'uvre, cet insu, comme le signe et la tangente végétale, de la constitution aussi d'une expérience du sujet-musicien.

Près de cette étrange étrangeté à la fois lointaine et là, si profondément déjà là. Sa présence, son effiscience, peut répondre intensément à une fonction éthique et au poétique de ce que suscite l'uvre et en bas de laquelle, au même titre que la poésie et la philosophie, leur Muse, la psychanalyse, dans sa magie lente (9), s'informerait dans le bas relief de cette prédelle semi-obscurément dévoilée, dans le pli et l'onde d'une résonance despartagée.

 

« Un projet d'écriture n'est d'abord qu'une façon de ne pas résoudre, mais de participer à une énigme Et ceci met en jeu toujours plus qu'un désir : une anatomie nouvelle et imprévue que peut attacher la signification. Le rapport à tels objets (à la discrétion des espèces ou à la totalité) est intempestif. Engage deux choses : un lent et paradoxal travail sur la matière de la mémoire (si la mémoire du temps pouvait être saisie dans la forme ou l'anatomie folle des objets de la signification - s'il y avait là un espace en plus pour penser un ressac du temps, d'une ségrégation de la matière humaine : dans ces étranges procès obscurs dont le sujet serait toujours à venir). »

Jean Louis Schefer, Disjecta membra in L'espèce de chose mélancolie.


NOTES :

1- On peut trouver pas moins de dix références à Freud à la Bibliothèque du CNSM de Lyon.
2- Marie Moscovici, Il est arrivé quelque chose, Petite bibliothèque Payot. 1991.
3- À ce propos, la seule dimension ou projection que Webern et Berg entendent comme modèle métaphorique de leur conception du monde, démontre directement l'effectivité de leur dissemblance ; exactitude chez l'un, inexactitude chez l'autre, l'un part du divin, si l'on peut dire et l'autre du terrain.
4- Je fais référence à l'ouvrage de Claude Rabant, Inventer le réel. Denoël. 1992.
5- par système, j'entends l'ensemble des structures et calculs qui permettent au compositeur de construire dans sa cohérence, le matériau pour son uvre.
6- Klaus K. Hübler (1956), représente un des compositeurs les plus importants. On peut trouver, mais difficilement en France, un CD de sa musique : Klaus K. Hübler, Edition Zeitgenossiche Musik. Wergo 6524-2. 1994.
7- Aphorisme recueilli par Luigi Nono sur un mur à Tolède, et dont le contenu peut résumer en somme, la position qu'il entendait défendre dans la dernière partie de son existence.
8-Thodor W. Adorno, Vers une musique informelle, in Quasi una fantasia. NRF. 1982.
9- Patrick Lacoste, La magie lente, in L'attente, la N.R.P, 1986.