Bio-étapes
Pierre
Lenhardt
(septembre
2012)
Histoire 2
Le Maroc de mon enfance heureuse, la musique et l’arabe 2
Relations amicales avec ‘le petit sultan’, le futur Hassan II 3
L’Alger de mon adolescence banale 4
‘Les humanités’ (année de seconde) chez les Jésuites 4
L’allemand et l’amour des langues 5
Le Paris de ma jeunesse douloureuse 7
Le service militaire 10
La banque, l’industrie, la finance 10
La rencontre avec l’hébreu, l’Écriture, et la Tradition
d’Israël 13
La rencontre avec les religieux de Notre-Dame de Sion 15
Études juives, faites en chrétien 19
La retraite dans ma congrégation 21
Enseignement 23
Ein Karem - Sœurs de Sion ; Rome - Sidic-Grégorienne 23
Jérusalem 23
Abou Gosh - Bénédictins et Bénédictines - Session à Kisantu au
Zaïre (Congo Kinshasa) 25
Jérusalem (suite) 25
France 26
Genève - Faculté de Théologie 28
Italie - Sessions 28
Espagne 29
Brésil 30
Argentine - Buenos Aires 36
Costa Rica - Nicaragua 36
Mexico 37
Rio de Janeiro 37
Retour à Sao Paulo 38
Dans l’avenir 40
L’avenir de l’enseignement 40
Publications 42
Avec Matthieu Collin 42
Repris dans ‘À l’écoute d’Israël, en Église’ 43
Alii… 44
‘Le moi
est haïssable’. Ce n’est pas toujours vrai,
n’en déplaise à Pascal, il suffit de lire Montaigne. Mais je ne suis pas
Montaigne. Je dois donc trouver une bonne raison pour parler de moi. Ma
religion m’en propose une. Elle m’enseigne que ‘mon moi est aimable’, comme l’est celui de mon prochain, parce que nous
somme créés ‘à l’image et à la ressemblance de Dieu’.
Si, pour un
juif et pour le chrétien que je suis, le plus grand commandement est d’aimer
Dieu et d’aimer son prochain comme soi-même, il faut bien que je commence par ‘m’aimer-moi-même’. Hillel, un maître pharisien qui vivait juste avant
le début de l’ère chrétienne, résumait toute la Torah (la loi juive) par la Règle
d’Or : ‘Ne fais pas à autrui ce qui t’est haïssable’. Il considérait par ailleurs que prendre soin de son
corps était accomplir un commandement. Cette cohérence tranquille et ouverte me
donne une possibilité de parler de moi-même, à condition que j’observe cette
sobriété pharisienne, selon laquelle on doit se restreindre même dans ce qui
est permis. Je ne dirai donc rien non seulement de ce qui n’est pas permis mais
même de ce qui, étant permis, n’intéresserait personne. Peu connu en effet,
j’ai connu peu de gens connus. Cela m’impose une première limite. Une deuxième
limite m’est fixée par une mauvaise mémoire, très faiblement soutenue par
quelques notes dans des agendas. Mais ces limites ont leur avantage.
Les
personnes que je mentionnerai ont un rapport significatif avec les quelques
fortes expériences dont je me souviens, qui ont jalonné mon existence et qui peuvent
éclairer mon prochain dans la relation à Dieu qui la constitue. Ces expériences
ont été vécues dans le temps et l’espace de mon enfance, de mon adolescence, de
ma jeunesse, de ma vie professionnelle, de ma vie religieuse, de ma vieillesse.
Ces étapes que je vais présenter sont dès le début en rapport latent ou
explicite avec une relation à Dieu (dont je parlerai dans un autre texte
intitulé Bio-thèmes), relation qui
voudrait être bénédiction, sanctification et unification, activités et
attitudes que j’essaie d’avoir dans une réalité qui pose les questions de la
douleur et de la souffrance, du malheur et du mal, de la Shoah, de la
signification de la permanence d’Israël, du sens et de la valeur de l’État et
de la Terre d’Israël.
J’ai reçu -
sans doute par ma famille, mes parents, mes grands-parents, mes frères et sœurs
- la conviction constante, souvent obsédante, que Dieu existe, que tout vient
de Lui, que tout va, que tout doit aller vers Lui. C’est ce fond qui s’est
développé plus tard, pour m’inviter à faire le saut de l’engagement dans la vie
religieuse. La musique de Bach (la suite en
Si mineur pour flûte, le concerto pour deux violons en Do mineur joué par
Enesco et Menuhin…) a emporté le petit garçon de six ou sept ans que j’étais,
assis sur l’escalier de notre villa de Rabat, quelque part vers le ciel et vers
Dieu. Je dois à mes parents cette expérience. Je leur ai reproché de ne pas
m’avoir fait apprendre l’arabe, mais je les remercie de m’avoir fait entendre
la musique de Bach et aussi de m’avoir permis d’entendre l’arabe, langue
sublime qui a envoûté mon enfance et ma jeunesse, pendant les nuits du Ramadan,
appel à la prière écouté sur la terrasse de notre villa tout près de la mosquée
des Touargas.
Je n’ai pas
appris l’arabe au Maroc mais quand je l’ai étudié plus tard, je ne l’ai jamais
éprouvé comme une langue étrangère. Je dois aussi à mes parents d’être entré
comme enfant dans une religion catholique vécue sans problème, au contact de
bons pères franciscains et d’un évêque franciscain et toulousain, dont l’accent
rayonnait de simplicité et de bonté. Pour la musique et pour la religion, et
pour la vie tout court, comme pour l’arabe, les difficultés qui sont venues
plus tard n’ont pas déraciné le fond de bonheur de mon enfance.
Mon père
était Directeur Général de l’Office Chérifien des Phosphates. Il était croyant,
père de cinq enfants. Le roi du Maroc, qu’on appelait encore Sultan, avait
confié à deux gouvernantes, les demoiselles Meyer, protestantes de Suisse,
amies de mes parents, l’éducation française de son fils Hassan, le futur Hassan
II, Roi du Maroc. Le Sultan souhaitait que son fils rencontre des garçons
français de l’âge de son fils. Ceci a mené Hassan - qu’on appelait le ‘Petit
Sultan’ - à des après-midi costumés dans le jardin de mes parents, rue Revol.
Quant à moi, j’étais devenu un familier du Palais, de la piscine, de la
ménagerie et de ses lions dont le rugissement, le matin, parvenait jusqu’à
notre villa. Celle-ci était très proche de l’entrée du Méchouar, du grand
espace qui atteignait le Palais et qui avait en son centre une mosquée.Tous les
vendredis, le Sultan allait prier dans cette mosquée. Il sortait de son palais,
à cheval, en position hiératique, protégé du soleil par un immense parasol et
des insectes par des hommes armés de chasse-mouche. La foule enthousiaste,
galvanisée par les you-yous des femmes, acclamait le ‘Descendant du Prophète’
qu’était pour les marocains leur Sultan.
Mes
rencontres avec Hassan et quelques autres camarades français me faisaient
connaître quelques personnes de la famille royale. J’ai vu la mère de Hassan et
ses sœurs, et plusieurs fois le Sultan Mohammed, simple et affable. Je me
rappelle aussi une excursion dans la forêt de chênes-lièges, la Mamora, où nous
avons joué aux quatre coins sous la direction du chauffeur français dont j’ai
oublié le nom. Je ne sais plus comment ces relations se sont espacées et ont
finalement cessé. J’aurais pu, bien plus tard, essayer de les renouer par
l’intermédiaire de Monsieur Deville que j’avais eu comme professeur de septième
au Lycée Gouraud de Rabat et qui était devenu précepteur de Hassan. Alors que
j’étais déjà religieux de Sion, j’ai reçu, à Paris, la visite de Monsieur
Deville. Des amis communs lui avaient donné mes coordonnées. Avec beaucoup de
joie et d’émotion, nous avons parlé du bon vieux temps et de Hassan qui était
devenu Hassan II, Roi du Maroc. M. Deville a évoqué la possibilité d’un passage
à Rabat où il allait souvent et où il aurait pu organiser pour moi une
rencontre avec le Roi. Je n’ai pas voulu saisir cette occasion de revoir le
Maroc malgré le grand désir que j’avais de retrouver le pays de mon enfance. Je
ne voulais pas profiter indûment du souvenir amical que Hassan avait gardé de
notre enfance. C’est bien plus tard que j’ai revu le Maroc grâce à la
générosité de mon frère Vincent. J’ai eu le bonheur de prier à la cathédrale
Saint Pierre le dimanche de la Pentecôte. C’est dans cette cathédrale que j’ai
fait ma première communion et que mon frère a été baptisé. Huit jours passés à
Fès, que je n’avais jamais vu, ont couronné mon voyage. Le passage au Maroc
après soixante ans d’absence a calmé ma nostalgie. Je n’ai plus besoin d’y
retourner. C’est mon frère Vincent qui assume la continuité qui m’est chère. Il
travaille avec les dirigeants de l’Office Chérifien des Phosphates. Ceux-ci
sont heureux que mon frère leur permette de dire ce qu’ils doivent à mon père.
Pourquoi
ai-je entendu parler du collège Notre Dame d’Afrique des jésuites à Alger?
Alors que je faisais au lycée Gouraud de Rabat une troisième sans problèmes,
pourquoi le surveillant général du Lycée Gouraud m’a-t-il fait penser que je
pourrais aller en seconde à Alger ? Sans doute, plus que les Jésuites,
c’était ‘Alger la Blanche’, la grande
ville franco-arabe, lointaine, inconnue, qui m’attirait. Mes parents
acceptèrent l’idée et ma mère me mena jusqu’au collège, après un long voyage en
train, une nuit passée au ‘Grand Hôtel Moderne’ (pas si moderne que cela) et un
déjeuner pris dans la rue principale de Bab-el-Oued, avec couscous et vin rosé.
Ma mère avait quarante ans. Je ne savais pas qu’elle était jeune et belle. Je garde
l’heureux souvenir du vin gris qui nous avait surpris et réjouis. Le soir même,
je me retrouvais au collège, pleurant le départ de ma mère.
Malgré le
dévouement et la compétence du P. Poncet, professeur de français, de latin
et de grec, les ‘humanités’ ne m’ont guère apporté. La vie de pensionnaire, au
milieu de fils de colons frustes et brutaux, parfois méchants, ne me laisse
aucun bon souvenir. Mais les dimanches passés chez mes correspondants et
quelques autres amis de mes parents m’ont fait connaître Alger, l’incroyable et
cocasse mélange de Pieds-noirs et d’Arabes, le français et le sabir aux mille
accents. Le dimanche soir, nous nous retrouvions, avec quelques camarades, dans
un petit café de Bab-el-Oued, au pied de la colline de Notre Dame d’Afrique,
avant de prendre le trolleybus pour remonter au collège. Un sandwich aux
anchois et un verre de bière soutenaient notre intérêt pour le football.
L’Algérie et le Maroc se disputant la coupe, j’étais passionnément pour le
Maroc. Passion superficielle puisque je ne me rappelle pas qui a gagné le match
alors que j’ai crié avec les Marocains dans le grand stade. Finalement ces
humanités chez les Jésuites m’ont laissé dans une insuffisance dont j’avais
conscience et que je dépassais d’une certaine manière. Je reviendrai sur la
prise de conscience de mes limites, expérience qui accompagne ma vie,
expérience pénible mais qui en Dieu se retourne positivement et qui ouvre à la
joie. Dans ces premiers temps je savais que j’étais doué, mais seulement assez
doué, en français, en latin et en grec, en musique. Ma pratique religieuse,
sincère sans doute parce que je croyais et savais que Dieu existait et me
fondait, était purement formelle, sans repères, sans aucune idée précise de ce
qu’était la Bible, le christianisme, le judaïsme ou l’islam. Un seul
souvenir : l’entrée du cimetière juif au bas de la colline de Notre Dame
d’Afrique, son portail avec des inscriptions hébraïques qui m’ont fasciné et
tenu à distance. M’ont-elles cependant déjà préparé à me tourner vers
l’intérieur ? Je savais sans doute que la Bible comprenait l’Ancien
Testament et le Nouveau Testament. Je savais aussi que l’hébreu était la langue
de l’Ancien Testament. Notre chère Nany, gouvernante de ma plus jeune sœur
Françoise, luthérienne de Reichenberg, sudète de langue allemande, me parlait
souvent de son père pasteur qui connaissait l’hébreu. Venant de Nany, cet
hébreu ne pouvait être que bon. Pour l’allemand de Nany - je l’entendais parler
avec une amie luthérienne de Suisse -, c’était quelque chose de bon, de
doucement musical. J’ai réalisé bien après, à Vienne, que cet allemand de Nany
était comme celui de Hietzing, le petit Versailles de Schönbrunn, comme celui
des opéras de Mozart. L’allemand, que j’ai appris comme première langue au
lycée Gouraud de Rabat, résonnait avec celui de Nany. J’étais trop paresseux
pour exploiter cette donnée positive mais quand même assez ouvert pour
l’accueillir en moi. L’allemand et l’arabe, entendus dans l’enfance, n’ont
jamais été pour moi des langues étrangères.
Le fait que l’allemand n’ait pas été pour moi une langue
étrangère a facilité l’accès à d’autres langues. J’avais le don des langues
sans le savoir, sans y réfléchir. Ce qui comptait pour moi, c’était l’accès
direct à la beauté d’un texte, d’une histoire, d’une pensée. Je dois à mon père
ma première expérience enthousiaste de la lecture d’un texte littéraire :
la longue nouvelle Michael Kohlhaas de Kleist. Phrases
interminables, enserrées dans des particules, marquant l’intensité d’une
passion vouée à l’échec. Je ne savais pas encore que Kleist s’était suicidé.
Après cela, j’ai été envoûté par les Wilhelm Meisters Lehrjahre de
Goethe avec son rêve de théâtre et l’amour de Mignon. J’ai lu à haute voix à ma
grand-mère, pendant de nombreuses soirées à Neuilly, des pages et des pages de
ce roman. Combien je la remercie de sa bonté et de sa patience ! Après
cela, j’ai été ébloui par le Zarathustra de Nietzsche lu dans
une édition de l’armée allemande trouvée sur les quais de la Seine. Après
Nietzsche, je me suis lancé dans Thomas Mann. J’ai réussi à lire les Buddenbrooks
sans trop de mal et sans grand intérêt. C’est ensuite
Schopenhauer qui m’a enthousiasmé. Sa langue et sa culture m’ont ébloui. Son
pessimisme grandiose et raffiné m’a consolé. Je trouvais en lui un compagnon
d’infortune dans la difficulté à vivre. La langue n’était pas pour moi un
obstacle. Elle me donnait la joie de rencontrer l’auteur et son expérience
vécue. C’est cela qui comptait. Si je me suis mis ensuite à l’anglais et plus
tard remis au grec, ce n’était pas pour la langue en elle-même mais pour mieux
assumer avec Shakespeare le tragique de la vie, de toute vie, de ma vie, pour
mieux suivre Platon et Socrate dans la recherche de la vérité. Curieusement,
par contre, les langues latines, comme l’espagnol, le portugais ou l’italien ne
m’ont pas informé aussi profondément. Peut-être étaient elles trop proches du
français. Ces langues m’ont servi davantage pour l’enseignement que pour la
lecture. Cervantès, Machado de Assis, Dante m’ont cependant fait découvrir la
grandeur de leurs langues. J’en viens aussi au russe et au monde qu’il m’a
ouvert par Tolstoï, Dostoïevski, Tchekhov, Chestov. Pouchkine m’a charmé par sa
poésie et sa transparence insondable. La difficulté spécifiquement russe de
l’accent tonique reste pour moi, sans doute définitivement, insurmontable. Je
lis assez facilement la prose des grands classiques, très facilement les textes
philosophiques et théologiques. Que demander de plus ? L’hébreu, venu plus
tard, occupe une place particulière en raison du message biblique, rabbinique,
cabalistique et hassidique qui passe par lui et que la traduction affaiblit.
Pour moi, c’est le message qui compte et qui me touche en profondeur, de façon
inégalable. Cependant la langue qui le transmet ne m’émeut pas, ni par le son,
ni par le rythme. Comment expliquer que l’arabe, que je connais si peu, me
fascine, au point que j’aie envie et même besoin, malgré mon âge, de
l’apprendre pour le lire et le parler ? Un dernier mot pour le danois, qui
commence à me donner l’accès direct à Kierkegaard, Andersen, Karen Blixen. Ici
encore, ce n’est pas la langue qui m’attire comme telle. Elle aurait plutôt de quoi
me décourager à cause de ma quasi-impossibilité de la prononcer correctement.
C’est pourtant elle qui m’intéresse à cause de ce qu’elle offre, avant tout à
cause de la rencontre personnelle qu’elle me permet d’avoir avec Kierkegaard.
Dans tout cela, je ne fonctionne que comme un amateur qui profite à plein du
contact avec l’auteur. Oserai-je dire que je me considère comme un pur amateur,
comme un amateur pur et désintéressé ? Quant aux langues, je reconnais ma
tendance à l’excès. Elle serait inquiétante si elle allait trop loin. La
rencontre avec des personnes qui connaissent et me parlent avec intérêt, voire
avec passion, du sanskrit, du hindi, du bengali, du persan, du chinois, du
gaëlique, déclenchent en moi des envies et des débuts un peu ridicules. Je me trouve
des excuses, me disant par exemple qu’un acompte pris ici-bas me vaudra là-haut
des échanges plus riches avec ceux qui ont aimé leur langue.
Et le français ? C’est ma langue maternelle et je
l’aime. Je l’aime d’autant plus qu’il est en voie de se réduire à une langue
réservée à quelques individus curieux d’histoire. J’accepte comme un fait la
prédominance de l’anglais et même de l’anglais-américain. Le plus important est
que l’anglais sera toujours la langue de Shakespeare, issue de l’adorable franco-anglais
de Chaucer, maîtrisée par Macaulay dans ses admirables essais historiques et
littéraires.
L’empreinte positive de l’allemand n’a pas été arrachée par
les aboiements et hurlements de Hitler entendus à la radio, chez mes
grands-parents, à Obernai, pendant le congrès de Nuremberg en 1938. Ma
grand-mère entendait le vacarme et disait: ‘O Je! (ô Jésus!) Si les Français
(‘de l’intérieur’, comme on les appelait en Alsace) comprenaient !’
Ils n’ont pas compris, comme on le sait, mais moi j’avais compris et j’ai mieux
encore pressenti la catastrophe quand j’ai entendu, à Obernai même, les
réservistes mobilisés avant la reculade de Munich dire qu’ils ne feraient pas
la guerre. Dans le train qui nous ramenait à Marseille pour le retour au Maroc,
on croisait des trains de réfugiés espagnols qui tendaient le poing pour saluer
les ouvriers français qui eux aussi tendaient le poing au bord de la voie. Dans
le train il y avait des réservistes. J’ai entendu l’un d’entre eux dire que sa
première balle dans la guerre serait pour son officier. J’étais terrifié, ne
sachant pas que ce n’était peut-être pour cet homme qu’une citation libre de
l’avant-dernière strophe de l’Internationale. Derrière cet homme, j’entendais
une France qui refusait de combattre l’Allemagne de Hitler. De cette première
rencontre avec un certain pacifisme, j’ai gardé l’horreur et le dégoût de la
foule et de l’idéologie qui, par fausse générosité, condamnent la légitime
défense et justifient le crime. Cette horreur rejoint celle des Juifs qui ont connu
le mal et qui savent jusqu’où il peut aller quand on ne l’arrête pas à temps.
Hébreu et allemand étaient donc là. Quant au latin et au
grec, que des humanités faites chez les Jésuites avec un maître jésuite
auraient dû vivifier, ils ont continué à sommeiller. Comment se fait-il que le
P. Poncet, si consciencieux, n’ait jamais pensé à nous dire que le Nouveau
Testament était écrit en grec ? Pourquoi n’ai-je eu aucune idée de
l’intérêt que pouvait avoir la lecture des Actes des Apôtres, alors que mon
contact avec l’Évangile se réduisait à l’audition fastidieuse des mêmes
passages sans cesse répétés ? Cette insuffisance intellectuelle et
spirituelle a eu peut-être le mérite de ne pas perturber l’immédiateté de mon
contact avec l’Algérie et l’inévitable comparaison quotidienne avec le Maroc
d’où je venais et avec lequel je m’identifiais à ma manière. J’éprouvais
fortement ce que la situation des arabes en Algérie avait d’intolérable :
infériorité économique et sociale par rapport aux ‘Européens’, tout particulièrement
par rapport au petit peuple des Pieds-noirs originaires d’Espagne, de Malte ou
de Sicile. Des regards de haine ou de mépris d’un côté et de l’autre, ou pire
encore, l’indifférence voulue ou fataliste, me faisaient peur. Je me disais que
tout cela finirait un jour dans la violence et le sang. En effet, j’ai vu de
près cette triste fin de l’Algérie française, bien plus tard, à l’occasion de
passages ou séjours à Alger et à Blida.
J’ai voulu croire que l’Algérie resterait française et j’ai
pour ceux qui y ont cru et qui ont lutté pour elle, en particulier pour les
harkis, une grande reconnaissance et un profond respect. J’ai cependant voté
contre l’Algérie française, la mort dans l’âme, partageant la détresse des
Pieds-noirs et indigné par la manière dont de nombreux français de la
métropole, parmi lesquels certains prêtres ‘engagés’, parlaient du colonialisme
et des ‘colons’ d’Algérie. Le petit peuple des pieds-noirs, les harkis ne sont
plus en Algérie. Ils y ont vécu et laissé des traces que l’œuvre de Camus et le
film de Visconti - ‘L’Etranger’ - permettent
d’aimer.
Les deux
baccalauréats passés à Rabat, dans le bouleversement du débarquement des
Américains, ont mis fin à mes études secondaires. Le premier, avec le latin et
le grec, est obtenu avec mention ‘Bien’. Mention ‘Bien’ seulement et non pas la
mention ‘Très Bien’ qui aurait peut-être permis de remettre en cause l’avenir
que mon père concevait pour moi, à savoir le passage par l’École Polytechnique.
C’est vers cela que j’allais, commençant avec les ‘Mathématiques Élémentaires’
et entamant une longue marche dans le désert d’études subies avec douleur. Les
mathématiques n’étaient pas nettement au dessus de mes moyens et ne me
déplaisaient pas. J’y trouvais un aspect de la vérité, pure et rigoureuse, qui
me séduisait sans me donner toutefois le désir d’approfondir. Après une mention
‘Passable’ au baccalauréat, j’ai souffert en ‘Mathématiques Supérieures’
pendant un an au lycée d’Alger, à son antenne de la Bouzaréa, puis en
‘Mathématiques Spéciales’ pendant un an et demi au Collège Stanislas à Paris.
Le concours d’entrée à Polytechnique à la fin de l’année à Paris a été un
échec, ce qui était normal. Les notes n’étant pas trop mauvaises, mon
professeur m’encourageait à reprendre le collier, ce que j’ai fait pendant
trois mois. Mais je me savais dans une impasse et j’étais seul à m’y débattre.
À l’incertitude de réussir au concours s’ajoutait la certitude ne n’avoir
aucune envie de devenir ingénieur. Il fallait sortir de l’impasse. Seul à
Paris, j’ai profité de l’absence de mon père en mission aux États-Unis pour
passer en préparation au concours de l’École des Hautes Études Commerciales
(HEC). Cela m’a réussi, puisque j’ai été reçu sixième en juin 1947. Je ne m’étendrai
pas sur la solitude dans laquelle je me trouvais pour orienter ma vie. J’ai
choisi HEC, faute de mieux, pour assurer un cadre professionnel et social dans
lequel je pourrais vivre l’incognito auquel j’aspirais. Il s’agissait de
l’incognito dont Kierkegaard me parlait dans ce que je lisais de lui. Je n’ai
gardé aucune trace précise des jours, mois et années pendant lesquelles je me
suis débattu dans les difficultés. Le suicide était impossible, à première vue,
faute de courage, mais aussi parce que je croyais en Dieu et qu’en lui il y
avait un bonheur au delà du malheur. Le contexte familial ne me laissait pas
d’autre issue que de porter en cachette ma souffrance et d’aider mes proches à
moins souffrir. J’avais trouvé mon statut, celui d’un chrétien incognito. Je
n’étais pas seul puisque j’avais Kierkegaard qui m’assurait que Dieu existait
et qu’il était amour. C’est lui, devenu mon ami, qui m’a aidé à vivre, parce
qu’il partageait ma souffrance et me permettait de penser qu’elle avait un
sens. Ce n’est pas uniquement par paresse que je n’ai tenu aucun journal. Il me
suffisait de savoir que tout était noté en Dieu. Personne, à ma connaissance,
n’a percé le secret de ma solitude, si ce n’est une tante, ma tante Germaine,
femme de mon oncle Georges, qui m’aimait bien pour m’avoir charitablement reçu
de nombreux dimanches pendant mes deux années de pensionnat à Stanislas. Elle
m’a demandé un jour, bien après ces années, de quoi je souffrais et si je ne
voulais pas lui confier ma peine. J’ai nié ma souffrance et refusé bêtement une
aide qui aurait pu changer ma vie. Ceci dit, je ne regrette pas mon silence,
dans la mesure où il a pu préparer l’écoute d’une Parole entendue plus tard. Ma
solitude n’était cependant pas totale. L’amitié ne m’a jamais fait défaut. Je garde
pour moi le nom et le petit nombre des amis dont l’existence m’assurait qu’il y
avait un Dieu vivant dans son silence et dans le mien. Je dois précisément à
l’un de ces amis, qui était alors athée, de connaître Kierkegaard, ‘Les miettes
philosophiques’, et de Lubac, ‘Le drame de l’humanisme athée’. Le Zarathustra
de Nietzsche, trouvé sur les quais dans la caisse d’un bouquiniste, a été pour
moi un appel exaltant à la vie et à l’acceptation de mon destin. Le surhomme
n’était pas le nazi mais l’homme qui surmonte son malheur par la recherche du
beau et du vrai. Je savais bien sûr que Nietzsche était allé jusqu’à la folie,
mais cela n’était pour moi que la confirmation de son authenticité.
La
préparation à HEC a eu surtout l’avantage de me faire travailler l’allemand.
Profitant de la sortie des camarades externes, j’échappais au collège et allais
souvent flâner au jardin du Luxembourg. Prenant un jour une limonade au café
proche de la fontaine Médicis, j’y remarquai une jeune femme qui s’y arrêtait
avec un bébé dans une poussette. Cette femme parlait l’allemand avec un homme
et son accent, grâce au souvenir de Nany, me paraissait bon. Il me plaisait en
tout cas et j’ai souhaité l’entendre de plus près. Il m’a fallu beaucoup de
courage pour aborder la jeune femme, un jour qu’elle quittait le café, seule
avec la poussette. Elle accepta en souriant de me rencontrer au café et de me
faire parler l’allemand. Elle s’est amusée de savoir que je sortais du collège
contre le règlement. Elle a vu que j’étais un jeune innocent qui ne pouvait pas
la gêner. De fait, j’ai fait la connaissance de son ami, qui était probablement
son amant. Très simplement, je participais à leur conversation qui tournait
autour d’Israël et de la possibilité d’y aller avec l’aide du ‘Joint’. Les
nouvelles de la guerre entre Juifs et Arabes ne m’intéressaient pas
spécialement si ce n’est qu’elles concernaient la jeune femme parce qu’elle
était juive et qu’elle voulait aller en Israël. Ceci m’étonnait et me
déplaisait un peu car elle était belle et elle n’avait pas l’air juif, ce que
je lui dis sans qu’elle en soit fâchée. Les choses en sont restées là, car je
n’étais pas amoureux d’elle et j’étais trop innocent et timide pour
entreprendre quoi que ce soit. Un beau jour, je ne l’ai plus vue au Luxembourg.
L’ai-je rencontrée un jour en Israël sans la reconnaître ?
Puis-je dire
que ma jeunesse a été (douloureuse) malheureuse ? Oui. Je sentais depuis
Alger une infranchissable limite entre non seulement le ‘Bien’ et le ‘Très
Bien’ du baccalauréat mais entre le ‘Assez Bien ‘ et le ‘Bien’. Avec HEC,
j’étais confirmé dans le ‘Assez Bien’ pour un avenir qui me semblait désormais
décidé. Il n’était plus question de devenir officier, avant tout officier des
‘Affaires Indigènes’, chef de poste dans l’Atlas marocain, au milieu d’un
peuple sain et beau, entre les montagnes ruisselant d’eau pure. Il n’était plus
question de devenir professeur d’allemand. Je n’avais personne pour appuyer ce
genre de projets ni pour me dire que j’étais malgré tout capable de réussir
dans l’une ou l’autre voie. Il s’agissait désormais de trouver comment gagner
ma vie en gardant l’anonymat. J’acceptais d’entrer dans une vie professionnelle
qualifiée par un diplôme de valeur moyenne.
Je
reviens à la question de la limite. J’essaie de dire comment elle me fait
souffrir sans pour autant me faire vouloir qu’elle disparaisse.
J’ai éprouvé
plus ou moins douloureusement, la limite qui me barre le chemin vers le ‘très
bien’ de la réussite scolaire, intellectuelle, professionnelle. L’insuffisance
des résultats ne me blesse pas quand il s’agit d’un domaine qui n’est
évidemment pas fait pour moi, par exemple le dessin et la peinture, la critique
littéraire ou encore d’autres domaines. Pour la musique, c’est autre chose. Je me
sais irrémédiablement limité alors que je voudrais percevoir et exprimer des
choses qui seraient ma musique. Pour le violon, que j’ai commencé à cinq ou six
ans, je n’ai jamais songé à atteindre la virtuosité et je ne souffre pas de
rester à mon niveau. Ce que je n’arrive pas à jouer ne me manque pas vraiment
alors que ce que j’arrive à jouer me plaît et m’invite à mieux jouer :
quelques sonates pour violon et piano de Mozart, de Haendel, de Beethoven, de
Bach. Le retour à une pratique sérieuse de l’instrument, avec l’aide d’un ami,
violoniste dans l’orchestre philharmonique de Jérusalem, me fait reprendre les
sonates et partitas de Bach pour violon seul. Je reviendrai plus loin à cette
musique qui nourrit et enchante ma vieillesse. J’en parle ici parce que cette
expérience me donne la clé de mon acceptation de la limite. Je ne souffre plus
de ne pas faire ce pour quoi je ne suis pas fait. Même le violon tsigane
hongrois ou roumain, même la guitare russe à sept cordes, que j’aurais voulu
bien jouer pour mon plaisir ou pour le plaisir d’amis, ne me donnent plus de
regret quand je les entends bien maniés. Je m’identifie avec celui ou celle qui
joue et chante, me réjouissant de penser que je peux encore, avec mon violon et
ma guitare, donner à quelques-uns, plus doués que moi, le goût d’entrer dans le
rêve de la belle musique populaire. L’accordéon russe, argentin et musette, que
je n’ai jamais joué, entre aussi dans le rêve. Pour la philosophie et la
théologie, la limite n’est pas telle qu’elle me fasse souffrir. Tout d’abord,
j’ai enregistré dans ces domaines quelques bons succès : des dissertations
où j’ai trouvé à dire des choses valables, sur les sceptiques avec
M. Verneaux, dont j’ai parlé par ailleurs, sur Maître Eckhart avec Louis
Cognet. Ceci ressemble aux quelques succès qui ont marqué ma vie
professionnelle. Ils m’ont fait sentir que si je m’engageais à fond dans un
travail, j’y faisais entendre une note qui m’était personnelle et qui me
construisait. C’était là qu’était l’essentiel. J’ai bien mieux compris cela
quand il s’est agi de mon engagement dans les études juives au contact du
Talmud Torah des Juifs. Je reviendrai à cela quand je traiterai de ma vie
religieuse, à Paris et à Jérusalem.
Le service militaire, fait de manière
inattendue dans l’Armée de l’air, a débuté au Bourget ou j’ai été été
immatriculé, dans l’ordre d’arrivée, avec deux Juifs d’origine algérienne qui
ont occupé à ma suite le fond de la chambrée. Plus loin, à l’intérieur il y
avait un Marseillais et un Parisien, et bien d’autres dont je ne me souviens
plus. Les camarades me voyant voisin des Juifs m’ont pris pour un Juif. Je m’en
suis aperçu quand l’un d’eux, voyant quand même que je n’avais pas l’allure
maghrébine, me demanda un jour comment j’avais survécu à la persécution en
France. Rétrospectivement, je me réjouis de cette méprise. Elle confirme le
souvenir d’une relation amicale, fraternelle, avec ces camarades. Je ne
cherchais aucunement à me distinguer d’eux. L’ambiance de la chambrée était
excellente. Les classes assez dures, avec d’interminables manœuvres dans la
cour de la caserne, avec les pénibles corvées de nettoyage et de cuisine,
créaient entre nous une solidarité très forte. Je me rappelle le jour où je me
suis trouvé seul avec une montagne de marmites à laver. Fatigué, presque
désespéré devant la montagne qui diminuait à peine, je vois arriver un soldat
inconnu qui me dit: ‘Laisse-moi t’aider !’. J’accepte, sans dire plus que ‘merci!’ et nous terminons ensemble,
sans parler, l’interminable vaisselle. Mon compagnon disparaît alors. Je n’ai
jamais réussi à la retrouver pour le remercier ; je ne peux me souvenir de
son visage. Je ne peux faire autrement, aujourd’hui encore, qu’interpréter
cette aide comme un signe qui me venait du ciel. Ce temps du Bourget, comme
soldat de deuxième classe, avec plus de servitudes que de grandeurs militaires,
est resté lumineux dans ma mémoire. J’ai fait le mur de la caserne pour aller
dire bonsoir à mes parents jusqu’à Neuilly, prenant un petit risque dont j’ai
été un peu fier, comme il convenait. Ceci me rappelle que j’ai un soir organisé
une escapade de Stanislas, avec un groupe de trois ou quatre pensionnaires. Le
mur qui faisait le coin de la rue Notre-Dame des Champs et de la rue Stanislas
était fait de pierres saillantes qui facilitaient l’escalade. Une deuxième
escalade n’a pas réussi. Nous avons été pincés au retour par un surveillant et
nos noms ont été inscrits à la loge. Heureusement le brave homme les avait
écrits au crayon et j’ai pu les effacer en profitant d’une brève absence que je
guettais sans trop l’espérer. D’autres que nous ont dû profiter des mêmes
pierres du même mur. Quelques années après, elles ont été rabotées. Importunes,
elles gênaient un ordre établi qui préfère la platitude. Par la suite, cette
partie du bâtiment de Stanislas a été cédée à une école d’électronique. Le mur
du Bourget me laisse un très bon souvenir parce qu’il s’accorde avec la
camaraderie de la deuxième classe. Le mur de Stanislas ne répare pas la
tristesse de mes souvenirs de pensionnaire. Les camarades vivaient dans un
conformisme sournois et égoïste. Ceux qui recevaient de leurs familles des
colis d’aliments, en un temps de dures restrictions, ne les partageaient pas.
L’obligation de faire une prière en commun le matin à la chapelle au début
d’une messe pesait lourdement par son absurdité. C’est à partir de cela que
j’ai cessé toute pratique religieuse, sans pourtant perdre une certaine
relation à Dieu et à l’Église Catholique.
La banque m’intéressait. J’y ai fait mon stage de fin
d’études à HEC. Le lieu choisi fut la Banque de Paris et des Pays-Bas. J’ai
circulé dans tous les services pour décrire dans un rapport ce qui me
paraissait intéressant. Le plus fascinant et terrifiant fut le service des
titres, avec l’étage supérieur, celui des chefs et du contact avec les grosses
fortunes, et les étages inférieurs peuplés de petits employés. Dans les
sous-sols, on conservait encore matériellement les titres et on détachait les
coupons à la main. Les bureaux qui entouraient ceux des directeurs étaient
remplis de jeunes gens tirés à quatre épingles, aux dents longues et aiguisées,
qui préparaient leur carrière. Dans un de ces bureaux, je me suis amusé une
fois à faire une lèche indigne à l’un des directeurs qui passait là pour voir
les nouvelles têtes. Mes collègues étaient indignés et furieux. Je faisais
ouvertement d’un seul coup ce qu’ils faisaient à petite dose, à couvert.
Malgré ce mauvais souvenir, j’ai voulu, après mon service
militaire, reprendre contact avec la banque. Un ami de mes parents travaillait
à l’Union Européenne, banque d’affaires
catholique liée à la famille Schneider du Creusot. Recommandé par le chef de
cet ami, qui était un cadre supérieur de la banque mais qui n’était pas de la
classe supérieure des amis de la famille Schneider, -la distinction est
importante et j’y reviendrai-, j’ai été embauché comme stagiaire, à 20.000
francs (anciens) par mois, ce qui était anormalement bas. J’ai accepté ces
conditions qui me maintenaient dans la dépendance de mes parents parce que
l’apprentissage technique de la banque m’attirait. Il m’offrait la possibilité
d’apprendre un métier alors que les études faites à HEC m’avaient laissé
flotter dans l’air par leur généralité. 20.000 francs c’était rien, mais
c’était quand même un premier salaire. Avec cet argent, je me suis précipité
chez Flinker dans l’Île de la cité, pour acheter le gros livre de Jaspers, Philosophie, que j’ai immédiatement commencé à traduire. Ce
premier achat, avec mon argent, me rappelle celui que j’ai fait avec l’argent
de poche donné par mon père : les œuvres de Platon, édition Teubner, en
six volumes d’occasion au prix de 2.000 francs. J’ai remercié mon père d’avoir
autorisé un achat qui pouvait sembler irréaliste et puéril. Je reviendrai à
Jaspers, à Platon et à Kierkegaard quand je parlerai de mon contact avec la
Tradition d’Israël et plus loin encore quand j’aborderai ma vieillesse.
Le passage à l’Union Européenne m’a donné une bonne
expérience du contact avec la réalité du monde et de l’argent qui ne pardonne
pas. Pendant deux mois passés au service des changes, j’ai vu de près qu’il ne
faut pas se tromper. Chargé de traiter quelques opérations de crédit
documentaire, il m’est arrivé de douter d’un très gros transfert de fonds que
je devais faire. J’étais très inquiet de penser que ce transfert n’était pas
arrivé à temps. Un coup de téléphone donné à la Hambros Bank de Londres m’a
rassuré. Quel soulagement ! Ceci m’a fait acquérir le plus grand respect
pour les chefs de service qui sans cesse mènent à bien de lourdes opérations et
qui ne feront jamais autre chose que leur travail au service de directeurs et
de patrons qui les dominent. Pour moi, j’étouffais dans ce milieu et comme je
n’aspirais aucunement à monter dans l’échelle des dirigeants, montée qui
d’ailleurs était impossible pour qui n’appartient pas à la classe des patrons
et de leurs proches, je terminai sans regret mon année.
Une autre voie s’ouvrit à moi dans le
monde des fonderies, dans le Nord et en Champagne. Je faisais des études et des
projets dans le cadre de la comptabilité industrielle. Il s’agissait
d’améliorer la rentabilité du travail. La vie rude du travail en usine dans le
froid de l’hiver, le contact avec la base, me plaisaient au total. Je
réussissais assez bien malgré la difficulté des relations avec les ouvriers.
Les syndicats, dominés par les Communistes dans certaines usines, nourrissaient
la méfiance des ouvriers à mon égard. Ils me considéraient comme un agent des
patrons. Cependant la rigueur du travail, la beauté des opérations de fonderie,
la proximité des fours Martin pour l’acier, des cubilots pour la fonte, me
plaisaient. Je sentais cependant que je n’étais pas à ma place. Il fallait être
ouvrier fondeur ou ingénieur pour vivre la réalité des usines. Je n’avais par
ailleurs aucune envie d’échapper à cette réalité en cherchant à entrer dans le
monde des patrons. Il me fallait donc quitter ce genre d’activités.
Une nouvelle possibilité s’offrit à
moi dans le monde de l’industrie pharmaceutique. J’y entrai comme adjoint du
directeur financier de la société-mère du groupe. Quelques opérations réussies
m’ont valu l’estime des chefs.
Une de ces opérations portait sur un
conflit dans une concession de brevets. J’ai pu trouver une faille dans
l’argumentation de la partie adverse. Il a suffi d’une lettre pour en montrer
l’évidence.
Une autre affaire a pris des mois. Il
fallait rectifier au profit de ma société une répartition de frais de notre agence
de Cuba trop favorable aux sociétés qui utilisaient les services de l’agence. À
cela se joignait la question de savoir si en raison de la victoire récente de
Fidel Castro il ne fallait pas devancer une nationalisation ou une
confiscation. Il a fallu des mois de travail et de discussions à Paris, un mois
de séjour à Mexico, quinze jours de consultations à La Havane, pour arriver à
des résultats. Le redressement financier a été fait en notre faveur. L’agence
n’a pas été cédée parce que le patron principal, fils du fondateur du groupe,
n’a pas voulu baisser son pavillon. Quelque temps après, Castro confisquait
l’agence comme nous l’avions prévu. Ce voyage m’a beaucoup apporté. Il avait
comporté un passage de quatre jours par San Francisco et Los Angeles à l’aller,
puis dix jours à New York qui m’ont généreusement été offerts par mes patrons.
À l’aller, j’étais avec un représentant des sociétés avec lesquelles nous
étions en conflit. Au retour par New York, j’étais seul. Je parcourais la ville
dans tous les sens pendant le jour et, la nuit, j’allais au théâtre. À
l’arrivée par San Francisco et Los Angeles, les États-Unis m’ont fasciné,
enivré même par l’immensité de leur espace, par l’impression de liberté et de
simplicité qu’ils rayonnaient. À New York, je n’ai pas aimé le climat de
violence de certaines rues et l’écrasante puissance de l’argent dans Wall
Street. Paris me semblera toujours un village comparé à New York mais je
préfèrerai toujours mon petit Liré et ne voudrais jamais vivre aux États-Unis. Pour
la première fois, à Manhattan, j’ai vu des noyaux importants de Juifs orientaux
avec les costumes de leur Pologne ou Ukraine natales et leur langue le Yiddish.
Je venais à peine de commencer l’étude de l’hébreu à Paris et n’avais pas
encore rencontré le judaïsme par les textes, ni encore moins les religieux de
Sion. Ces souvenirs d’Amérique m’ont certainement aidé à profiter par la suite
de l’enseignements de Juifs américains en Israël. J’ai été également
familiarisé avec l’anglais tel que les Américains le parlent. Ils ne m’ont pas
gagné à leur accent, que je déplore quand je le compare à celui de la reine
d’Angleterre ou à celui d’amis irlandais et écossais.
Le passage par la vie professionnelle
m’a beaucoup apporté : il m’a fait rencontrer le monde du travail et
apprécier son exigence de rigueur. Cependant je ne me suis jamais senti à
l’aise dans le monde du commerce et de la finance. Je souffrais d’un manque
d’habileté et sans doute de compétence. Le peu de technique acquise à la banque
ne me donnait aucune sécurité. J’ai cependant, outre les succès mentionnés
ci-dessus, la tranquille certitude d’avoir pris des risques et de les avoir
surmontés dans deux affaires. La première affaire est celle de la comptabilité
de la société qu’on m’a confiée un jour après le départ du directeur qui en
était chargé. J’ai décidé et réussi la transformation du système en adoptant le
Plan Comptable et les comptes réfléchis qui permettaient de traiter
convenablement et clairement la comptabilité industrielle de la société et de
son usine pharmaceutique. Une erreur d’écriture du chef comptable de l’usine
nous a fait trembler pendant quelques semaines. Les comptes ne pardonnent pas.
La deuxième affaire a été la réévaluation du portefeuille titres de la société.
Cette opération semblait avantageuse du point de vue fiscal mais elle était
très compliquée en raison de la diversité de nos participations à l’étranger.
Pour chaque évaluation, il fallait se demander comment le fisc pourrait
admettre les critères adoptés et le résultat obtenu. J’ai été assez fier de
présenter aux patrons un beau dossier entièrement terminé et justifié. Il ne
restait plus qu’à passer les écritures que j’avais préparées quand, au dernier
moment, on a préféré ne pas réévaluer. Je n’avais pas le pouvoir de décider la
réévaluation. Je suis resté avec la satisfaction d’avoir fait un bon travail.
Disons encore que le projet et l’étude des conséquences fiscales possibles a
été vu par un des contrôleurs fiscaux chevronnés qui nous surveillaient de
près. Il m’a valu de lui des compliments dont je n’ai pas la trace écrite, mais
dont je sais qu’ils m’ont aidé à vivre dans ce milieu d’affaires qui me
restaient étrangères.
Cette étrangeté m’a obligé à partir. Cela s’est accompagné
d’une expérience surprenante. Alors que ma décision était prise et communiquée
par écrit à mes patrons directs, le dirigeant principal du groupe, fils du
fondateur, m’a convoqué. Avant que j’ai pu ouvrir la bouche, il m’a raconté en
détail comment s’était faite la succession de son père, toutes les difficultés
qui lui étaient venues de la part des différents groupes d’associés et
d’actionnaires, tout cela pour me proposer de quitter mon poste et de rejoindre
son équipe avec un saut considérable du point de vue financier. L’embarras a
été à son comble quand j’ai pu enfin le remercier de sa confiance et lui dire
que ma décision d’entrer dans la vie religieuse était déjà prise. Il m’a serré
la main sans un mot de plus et je l’ai quitté, désolé de l’avoir blessé sans
l’avoir voulu.
Oui, la rigueur du travail, la camaraderie avec les comptables m’ont plu et m’ont laissé un bon souvenir. Ce positif s’est transformé en malaise quand j’ai arrêté la vie professionnelle et passé ma première année non professionnelle, année de réflexion et d’étude, au contact des religieux de Sion dans leur maison de Chaville. Cette maison venait d’accueillir quelques religieux du Brésil et deux novices français. J’y ai fait ainsi cette première année qu’on peut considérer comme un temps de postulat. J’ai souffert de me trouver avec quelques Pères âgés, quelques jeunes étudiants et les deux novices, qui tous étaient à mille lieues du monde que je venais de quitter. Où était passée la contrainte du monde extérieur et le contrôle des résultats ? Le négatif de la vie professionnelle ne me laissait en revanche aucun regret. Sans savoir où j’allais, je sentais que je devais et que je pouvais enfin essayer de répondre à un appel de Dieu par le contact avec Israël qui me parlait de lui.
Je savais
grâce à Nany et par le cimetière juif de Bab-el-Oued que l’hébreu était la
langue de l’Ancien Testament et des Juifs. La guerre de l’après-guerre, entre
Juifs et Arabes, avec et contre les anglais, ne m’intéressait guère. J’étais
plutôt contre les Anglais et donc pour les Juifs, sans éprouver de sympathie
particulière pour les Arabes du Moyen Orient, peut-être parce qu’ils étaient
pour moi trop différents des Marocains. La sympathie allait donc vers les
Juifs. J’en suis sûr, grâce à la musique israélienne que j’entendais à la radio
entre les annonces sur tel ou tel attentat contre les Anglais. Ces chants
endiablés, sur le rythme de la Horah, me faisaient entendre l’hébreu comme la
langue d’une vie et d’un combat pour la vie. Cela me plaisait sans que je sente
le désir d’en savoir plus et d’en éprouver davantage.
Je gardais
mes distances avec l’Église catholique et avec toute pratique religieuse, à
l’exception de quelques passages par la messe dominicale à Saint Sulpice,
voisine de mon appartement de la rue Jean-Bart.
La
distance de l’Église me libérait pour une recherche de Dieu que je
n’abandonnais pas grâce à Platon, Kierkegaard et de Lubac. Je sentais qu’il
fallait étudier la Bible et surtout l’Ancien Testament que je connaissais trop
mal. Je ne voulais pas me renseigner du côté chrétien. Le plus évident pour moi
était de trouver un enseignement juif. Je suis allé le chercher à la rue des
Rosiers, rue principale du quartier juif à Paris. J’y connaissais un marchand
de disque qui me vendait de la musique tsigane russe et hongroise. Il
connaissait un jeune Juif, étudiant en vue du rabbinat, que je pouvais
contacter par une Madame Trotsky, secrétaire à la synagogue libérale de la rue
Copernic. J’y pris mon premier contact avec une institution juive. J’y ai
attendu mon futur maître en assistant à un mariage qui m’a beaucoup ému. La
mariée était une jeune noire américaine et le marié un jeune blanc, également
américain. Il y avait le rabbin, le chantre, deux témoins, les deux mariés et moi.
Je suis resté pour faire nombre, dans la mesure du possible, mais surtout pour
réjouir la mariée que j’ai vivement félicitée à la sortie. A-t-elle été
heureuse comme je le lui ai souhaité? Je sais aujourd’hui qu’il faut, comme les
maîtres juifs, tout quitter, même le Talmud, pour accompagner et réjouir une
mariée et son mari quand personne ne les entoure parce qu’ils ne sont ni
riches, ni connus. C’est un commandement et le fait que ce soit un commandement
pour les Juifs augmente leur joie de l’accomplir, parce qu’ils réjouissent la
mariée et Dieu lui-même qui s’est réjoui de présenter Ève à Adam.
J’ai donc
rencontré mon premier maître, Nissim Gabbay, de Marrakech, Marocain comme moi,
par Madame Trotsky, dont le nom, assez connu, indique probablement une origine
russe, peut-être révolutionnaire. Mais ce n’était pas la politique qui
m’intéressait. C’était l’hébreu qui me venait par la synagogue de la rue
Copernic, avec son Rabbin, M. Zaoui, son chantre, M. Katzmann, son accueil et
sa prière que j’ai commencé à accompagner le samedi.
Quelques
textes de Josué, du Deutéronome, m’ont montré que Nissim Gabbay connaissait la
Bible et sa langue. Sa familiarité avec les textes bibliques m’a ébloui et m’a
fait entrevoir, pour la première fois, la richesse que donne une éducation
juive. Nous sommes passés, un jour, à l’hébreu rabbinique, pris dans le ‘Sefer
ha-Aggada (Livre de la Aggada)’ de Byalik,
livre que j’ai n’ai jamais plus quitté.
Je ne me
rappelle plus le texte rabbinique qui m’a, pour la première fois, manifesté la
vérité de la Tradition d’Israël, de la Bible hébraïque et de Dieu qui parle en
elles. Je crois que le verset de Gn 8, 21,
invoqué par la formule de citation ‘Car il est dit (she-neemar)’confirmé par Is 54, 8-10, est lié à cette expérience décisive, mais je ne
retrouve pas le texte rabbinique à travers lequel le verset m’a donné sa
lumière.
Je ne veux
pas à tout prix reconstituer ce passé qui m’a échappé. Ce serait enlever sa
valeur à l’instant décisif de l’expérience. Cependant, si le verset est resté
ancré dans ma mémoire, il vaut la peine pour moi de chercher pourquoi il m’a
marqué. Je vais le faire en disant rapidement pourquoi il continue à me
toucher. Je reprendrai d’ailleurs ces raisons dans la partie thématique de ces
notes (Bio-thèmes), à propos de la
bénédiction.
Le verset
(Gn 8, 21) dit ceci : «Il (le Seigneur) se dit en lui-même : Je ne
maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, car ce que forme le cœur de
l’homme est mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai les
vivants comme j’ai fait». Dieu se reconnaît
responsable du mal qui est dans le monde et qui découle de la liberté de
l’homme. Dieu est avec le monde et avec l’homme. Le mal ne peut donc avoir le
dernier mot. Ceci me réconciliait avec Dieu et je ne pouvais plus considérer ma
vie comme sans valeur. Aujourd’hui, je parle du mal et non pas du malheur,
alors qu’à l’époque, c’était davantage le malheur, et mon malheur en
particulier, qui m’oppressait. Ce n’était pas le mal que je faisais, dérisoire,
qui me préoccupait. C’était plutôt le malheur, produit ou admis par une société
qui générait l’injustice et l’anonymat destructeurs des personnes. Sans doute
ce malheur venait-il d’un mal plus profond que le malheur, plus radical que la
souffrance et la douleur. Je le sentais bien, mais je ne me posais pas trop de
questions, me contentant d’entendre l’essentiel : Dieu se rend responsable
du monde et de ce qui s’y trouve ; Il n’abandonne pas l’homme à ce monde.
Le verset que je me rappelle me permet de reconstruire un ‘car il est
dit’ qui appuie le message, mais je ne suis
pas sûr de retrouver aujourd’hui ce que j’ai rencontré autrefois. Voici ce que
je retrouve et que je cite en abrégeant : à Dieu qui reproche à l’homme
d’avoir mal fait fructifier le monde, Israël répond: ‘‘Mon Seigneur le Roi, tu
sais que c’est ton plus mauvais champ (le monde que tu m’as confié)... Maître
du monde, tu sais que le penchant au mal a été répandu en nous, car il est dit
(Gn 8, 21) : ‘‘ce que forme le cœur de l’homme est mauvais dès son
enfance” et il est dit aussi (Ps 103, 14) : ‘il connaît notre formation,
il se souvient nous sommes poussière’ (Cf Abot de-Rabbi Nathan B, Chap. 30). Et
il est dit encore (Ps 37, 33) : ‘À sa main (à la main du méchant, du mal)
le Seigneur ne l’abandonne’ (Cf. bQiddushin 3Ob).” Ce ‘car il est dit’
n’introduit pas une preuve ; il manifeste la cohérence de Dieu et de sa
Parole, il ouvre à la lumière, il révèle la vérité. Percevoir la cohérence,
c’est éprouver la vérité et la joie de la Torah.
Si la
tradition d’Israël me faisait entendre Dieu qui me parlait dans l’Écriture, je
ne pouvais plus me contenter d’étudier l’hébreu. Nissim Gabbay, mon maître
devenu un ami, voyait que mon intérêt était religieux. Sachant que j’étais à la
recherche d’un christianisme perdu, il m’a mis dans les mains un numéro des ‘Cahiers
Sioniens’ édité par les Religieux de
Notre-Dame de Sion, 68 rue Notre-Dame des Champs, Paris 6°. J’ai découvert avec
stupéfaction que des chrétiens, des prêtres, religieux et laïcs catholiques,
parlaient du judaïsme avec respect et des Juifs avec amour. J’avais ainsi, à ma
manière, rencontré une réalité qui n’était ni fausse ni illusoire. Je devais
donc parler aux religieux de Sion et j’ai fini par sonner à leur porte, au 68
rue Notre-Dame des Champs.
Les religieux de Sion m’ont permis de penser qu’une vie
était concevable dans leur congrégation, dans une congrégation dont la raison
d’être était le contact avec Israël et sa Tradition religieuse. Fondés en 1947
par les Religieux de Sion, les ‘Cahiers Sioniens’, malgré leur cessation en 1955, rayonnaient encore en France et à
Rome ; on espérait qu’ils pourraient reprendre. Les Pères Devaux et
Démann, l’Abbé Hruby étaient encore rue Notre-Dame des Champs. Je les voyais et
parlais avec eux, surtout avec le P. Démann, qui comprenait ma démarche et
l’encourageait sans me cacher les faiblesses de la congrégation de Sion. Ces
premiers contacts avec une possibilité de vie religieuse dans l’Église Catholique
renforçaient la conviction que j’avais depuis mon enfance, selon laquelle la
vie n’avait de sens qu’en Dieu avec lui et pour lui. Il ne me venait pas à
l’idée de chercher ma voie ailleurs que dans l’Église Catholique où depuis ma
lecture de ‘Méditation sur l’Église’
du P. de Lubac je ne doutais pas que se trouvait la Vérité. Sans avoir
remis en question ma foi en Jésus-Christ, les questions sont venues plus
tard ; dans le contact avec la Tradition d’Israël, je commençai à chercher
où et comment aller vers une vie religieuse dans le cadre des vœux de religion
que proposait l’Église Catholique. J’avais vu déjà, dans les dernières années
de ma vie professionnelle, ce que pouvait être une vie comme ‘moine de la
misère’, utopie qu’avait conçue l’Abbé Pierre dont j’admirais l’action. Une
quinzaine de jours, la moitié de mes vacances, passée un été dans la communauté
d’Emmaüs dans l’île de Bougival, m’a fait abandonner l’idée d’aller vers
l’œuvre de l’Abbé Pierre. Je garde de ma quinzaine de jours un bon souvenir, dominé
par les souvenirs de tournées en camion avec des compagnons pittoresques. Je
tenais la caisse que m’avait confiée le chef du camp, un ancien truand qui
n’était visiblement pas entièrement repenti et qui connaissait ses compagnons.
Je n’ai pas eu de difficulté avec eux, ni dans les tournées, avec
les arrêts pour un coup de rouge de temps en temps, ni au camp avec les
visiteurs qui venaient acheter les meubles ramassés durant les tournées.
L’expérience était intéressante mais ne pouvait aller au delà d’un quotidien
limité à des relations élémentaires et superficielles avec des gens de passage.
Je n’avais personne avec qui envisager un projet dans ce cadre. L’Abbé Pierre,
que j’ai rencontré une fois à Bougival, était aux prises avec de graves
problèmes dont j’entendais parler et qui ne me donnaient pas l’envie d’en
savoir plus. Avant de quitter la vie professionnelle, j’ai été voir les Frères
de Saint Jean de Dieu, qui m’attiraient par leur travail auprès d’enfants
handicapés et de malades mentaux. Je voulais me rapprocher de ceux qui
souffraient de ne pas être comme les autres, de ceux qui étaient comme moi, qui
vivais dans mon anonymat. Quelques après-midi passés auprès d’enfants et
adolescents gravement handicapés m’ont découragé. Je ne me sentais pas capable
de m’occuper d’eux, de jouer avec eux, de les intéresser. En dernier lieu,
quand j’ai quitté la vie professionnelle, je suis allé passer quelques semaines
chez les bénédictins de Wisques auprès de Dom Doyère, prieur de l’Abbaye,
ancien HEC dont m’avait parlé un ami. Cette expérience m’a ramené vers le
contact avec Israël. Un dernier regard vers les Franciscains, en raison des
bons souvenirs de mon enfance, m’a convaincu que là encore je ne pouvais pas
trouver mon chemin. Saint François restait un modèle lumineux mais je ne
pouvais pas aller sur ses traces car je ne sentais pas assez le lien qu’il
avait avec Israël. Il ne me suffisait pas de savoir que les Franciscains
avaient des œuvres et des maisons d’étude en Terre Sainte. Je ne voyais pas
comment leurs implantations, focalisées sur leur centre situé en vieille ville
de Jérusalem, alors sous contrôle jordanien, ménageaient un contact suffisant
avec Israël, avec sa langue et sa culture religieuse.
La conviction que les Juifs recevaient de la Parole de Dieu,
dans leur Tradition et dans la Bible hébraïque, une lumière qui éclairait ma
vie chrétienne m’a fait vouloir entrer et rester dans la congrégation de Sion.
Les difficultés de cette congrégation, rencontrées dès le début et retrouvées
au long du parcours, ne m’ont jamais fait penser à la quitter. Pour rencontrer
l’essentiel, il fallait bien un repère humain, qui se réfère cependant au seul
absolu qui compte. Par rapport à cet absolu, la faiblesse du repère humain ne
m’a pas troublé et chaque fois que l’occasion s’est présentée à moi d’aller
ailleurs, avec d’autre personnes ou dans d’autre cadres apparemment plus sûrs,
plus crédibles, je voyais que rien ne m’assurait de trouver là une meilleure
possibilité de faire des études juives. Il fallait donc rester là où personne,
en raison des constitutions de la congrégation, ne pouvait me dire que j’avais
tort de vouloir faire ces études.
L’invitation à partir a été forte et constante avec de
violentes secousses. Pendant le postulat, je n’avais pas formellement pris ma
décision d’entrer. Ceci tempérait l’envie de partir que j’éprouvais, situé dans
ce cadre irréel de la petite communauté de Chaville, avec quelques pères âgés,
deux jeunes religieux arrivés du Brésil et deux novices français, sous la coupe
d’un religieux brésilien d’origine italienne formé autrefois en France. Que
faisais-je là ? Le seul interlocuteur qui pouvait comprendre pourquoi
j’étais là était le Père qui m’avait accueilli à Paris et que je rencontrais de
temps en temps. Sa lucidité et son honnêteté concernant l’état de la
congrégation et ses perspectives d’avenir me rassuraient. Je n’étais en effet
pas le seul à me poser des questions. En octobre 1962, j’ai demandé à continuer
et suis entré au noviciat. La décision a été difficile. Elle m’a traumatisé
pendant une quinzaine de jours. M’étais-je trompé ? Surmonterais le
traumatisme ? Serais-je amener à reprendre ma décision et à perdre la face
vis-à-vis de tous ? Ma décision d’entrer dans la vie religieuse ne
venait-elle pas d’un profond et irrésistible désir d’échapper au monde réel, à
ses exigences, au mariage et à ses risques ? Le traumatisme ne s’est pas
maintenu, laissant cependant ouverte jusqu’à la fin du noviciat la question de
savoir si mon engagement religieux n’était pas une fuite. Je précise que
j’envisageais un engagement dans la vie religieuse et non une marche vers le
sacerdoce. Il est clair que je n’ai jamais senti un appel vers le sacerdoce. Il
n’y a là chez moi aucun anti-cléricalisme. Il s’agit tout simplement d’un
manque total d’attirance que je n’ai pas cherché à combattre, surtout après que
je me sois convaincu que l’appel au sacerdoce n’est pas conditionné par un
attrait personnel et subjectif mais par un appel objectif de l’Église. Pour le
cas où j’aurais malgré tout envisagé une marche vers le sacerdoce, j’en ai été
nettement et définitivement détourné par une lecture faite d’un livre du
P. Spicq, dominicain. Je ne me rappelle plus de ce livre (Ceslas Spicq, Spiritualité
sacerdotale d'après saint Paul, 1954) que
le passage dans lequel le P. Spicq disait qu’un candidat au sacerdoce
devait avoir toujours vécu de façon irréprochable. Ceci m’excluait évidemment,
alors que Saint Thomas disait que la vie religieuse pouvait convenir à des
criminels repentis, ce qui ne m’excluait pas. Le problème était donc réglé. Il
s’agissait de vie religieuse et non pas de sacerdoce. Il restait une
difficulté, celle de se débattre contre la présentation encore prépondérante à
l’époque d’une vie religieuse comme voie de perfection supérieure à la voie du
mariage. Fort heureusement, mes maîtres des novices, j’en ai eu deux, ne m’ont
pas imposé la doctrine commune, dont je précise qu’elle a cessé de prévaloir.
La première secousse, deux mois après le début de mon
noviciat, m’a été donnée par mon directeur spirituel de Paris, celui qui
m’avait accueilli au début. Convoqué par lui à Paris, je l’entends me dire
qu’il doit quitter la congrégation pour de graves raisons qui l’obligent à
réorienter sa vie, sans abandonner toutefois une activité d’Église au contact
des Juifs. Ma relation à ce prêtre était si bonne, je lui étais si
reconnaissant de m’avoir accueilli et accompagné jusqu’à ce moment, que ma
réaction a été très calme et aussi amicale que possible. Je lui ai souhaité bon
courage et bonne chance, en toute sérénité et sincérité. Rentré à Chaville,
j’ai été mis au courant de détails que je n’ai pas à rapporter ici. J’ai su par
la suite quels remous avait faits, à Paris et ailleurs, le départ du Supérieur
des Pères de Sion en France et du directeur des Cahiers Sioniens. J’ai
également compris la raison de malaises que j’avais perçus çà et là, à Chaville
et à Paris. Cette secousse ne m’a pas vraiment ébranlé, ce qui me confirme
aujourd’hui, si c’était encore nécessaire, que j’étais déjà ‘fermement établi à
Sion’, pour utiliser la devise de ma congrégation : ‘In Sion firmata sum’ (Si 24, 10 : ‘en Sion je me suis fermement
établie’). Je reviendrai plus loin à cette formule qui exprime profondément
l’enracinement de la Sagesse (=Torah) à Sion-Jérusalem. À propos de cette
affaire, je retrouve une attitude invétérée qui me caractérise en partie. Je ne
cherche jamais à savoir ce qui, selon des rumeurs, ne va pas, ou pourrait ne
pas aller, chez quelqu’un ou quelque part. Je suis de ce fait souvent le
dernier à savoir une mauvaise nouvelle. Ceci favorise chez certains l’idée que
je suis un imbécile, voire qu’avec moi on peut tout se permettre. J’accepte
sans trop de mal ces jugements quand je me rends compte qu’ils sont portés sans
intention de nuire. Je sais cependant qu’il faut s’informer dans certains cas,
avant qu’il ne soit trop tard pour agir en vue du bien. Accepter le fait
accompli n’est pas accepter le mal et les agissements de la maffia où qu’elle
se trouve.
Au cours du noviciat, et tous les jours pendant certains
mois, je me suis senti parfois si mal que je me fixais la limite du
lendemain : ‘Si je me sens aussi mal demain, je partirai’. Mais le
lendemain je me disais la même chose et je suis resté. N’étais-je pas fermement
établi à Sion ?
Une deuxième secousse, moins grave, a été celle du départ de
mon maître de novices, brésilien d’origine italienne et de formation française,
découragé et déprimé par le départ du Supérieur de Paris. L’adaptation au
nouveau maître des novices, brésilien, n’a pas été vraiment difficile, si ce
n’est qu’elle m’a fait mieux sentir l’étrangeté du groupe dans lequel je me
préparais à entrer.
Le dernier choc est venu quelques jours avant mes vœux, en
octobre 1963. Mes parents viennent subitement me voir à Chaville et me
communiquent un message de Monsieur Cazelles, éminent Sulpicien, exégète et
professeur d’hébreu, que j’avais rencontré au séminaire des Carmes pendant mon
postulat et qui suivait de loin mon cheminement. Un avis alarmant sur la
congrégation venait de lui parvenir de la part du Cardinal Tisserand. Il en
avait informé mes parents qui venaient donc pour m’alerter et me conseiller de
partir. Monsieur Cazelles, hospitalisé à la suite d’un accident, était prêt à
me recevoir. Je suis allé le voir et il m’a dit en effet que je ne me rendais
pas compte de l’état précaire de la congrégation. Celle-ci n’ayant aucune
chance de survivre, je ferais mieux de me réorienter en cherchant dans le diocèse
de Paris le moyen de combiner théologie et études juives en vue d’un engagement
à préciser ultérieurement, avec son aide, si je la souhaitais. Je l’ai entendu
très calmement et l’ai quitté en le remerciant, lui promettant de réfléchir et
de lui communiquer ma décision. Celle-ci en réalité était déjà prise. En toute
paix je suis allé jusqu’à mes vœux et je l’ai écrit à Monsieur Cazelles. De
cela, comme de beaucoup de choses dans ma vie, je n’ai pas gardé de trace
écrite : ni copie, ni note dans un journal que j’aurais tenu. C’est sans
doute pour une part la paresse qui m’empêche d’écrire ou de noter. Il y a plus.
Il y a une allergie à l’écrit pour ce qui est vécu en profondeur. Ceci explique
la difficulté que j’éprouve à écrire ces lignes. J’avoue qu’il a aussi chez moi
un certain orgueil : si ce que j’ai fait, dit, vécu a une valeur, cela est
inscrit dans le ‘Livre de Vie’ et je suis en bonne compagnie avec ceux qui
n’ont rien écrit, qu’ils aient été petits ou grands, célèbres ou obscurs,
connus ou inconnus.
En résumé, j’avais bien des raisons de quitter la
congrégation et de reprendre mon engagement. Je pouvais le faire sans perdre la
face, au départ de mon supérieur de Paris en janvier 1963, avant mes vœux en
octobre 1963. Je suis resté parce que j’étais dans la paix, certain que mon
engagement n’était pas une fuite.
Études juives,
faites en chrétien, à l’écoute du Talmud Torah des juifs, à l’Université
Hébraïque de Jérusalem
Les études juives entreprises avant de rencontrer les
religieux de Sion, poursuivies pendant les années de postulat et de noviciat,
faiblement entretenues pendant les deux années de la licence de philosophie et
les trois premières années de théologie à l’Institut Catholique de Paris,
demandaient plus que les trois ans d’hébreu biblique, d’araméen, de syriaque et
les deux ans de grec biblique de l’École des Langues Orientales de l’Institut
catholique. Un peu d’arabe fait dans ce cadre et à l’École des Langues
Orientales de la rue de Lille ne nourrissait pas le manque. Je sentais
fortement le besoin de revenir intensément au Talmud inauguré auprès de mon
maître de l’Institut libéral, de la rue Servandoni, le Rabbin David Berdah, de
mémoire bénie !
Mes confrères de Paris et de Jérusalem
ayant admis sans trop de difficultés l’idée d’un an d’études à Jérusalem, je
suis parti pour cette destination sans savoir comment je ferais les études
souhaitées. Je signale, plus qu’entre parenthèses, l’ouverture et la générosité
de mes confrères qui avaient déjà autorisé un séjour de deux mois au Liban, à
Broumanna, dans le couvent des Pères Antonins, pour perfectionner mon syriaque,
en 1967, avant la troisième année qui menait au diplôme. Ce séjour m’a beaucoup
apporté: visite du pays, passage de quatre jours à Damas, amitié avec les Père
Antonins. Ces jalons ont servi par la suite. Ils m’ont permis, quand je suis
devenu responsable de l’Institut Ratisbonne, d’accueillir deux moines Antonins
pour lesquels j’avais obtenu des bourses d’un an auprès des Chevaliers du Saint
Sépulcre.
Revenant à Jérusalem, je suis allé d’abord à Safed pour
remettre au Rav Fitoussi, maître de la communauté cabalistique tunisienne, ami
du Rav Berdah, une lettre de recommandation. Il s’agissait de savoir si un
séjour dans sa communauté était possible et souhaitable pour un chrétien comme
moi. Le cher Rav Berdah ne se doutait pas de la surprise que causait sa
question. Je n’ai pas tardé à évaluer la situation et je n’ai pas été surpris
de la réponse polie mais évasive du Rav Fitoussi. Je l’avais par avance mis à
l’aise en mentionnant mon intention de contacter l’Université Hébraïque de
Jérusalem. Rentrant à Jérusalem, j’ai cherché comment organiser des études de
Talmud à l’Université. Un ami chrétien, élève et ami du Professeur Kutscher,
m’a adressé à ce grand maître de la langue hébraïque. Il m’a reçu à bras
ouverts, me proposant généreusement un échange : des lectures de la
Mishnah pour laquelle il devait revoir le Manuscrit Kaufmann du traité
Sanhédrin contre des leçons de français, conversation avec exercices sur les
verbes. Quelle aubaine ! J’ai également étudié avec ses fils, alors que
madame Kutscher et sa fille interrompaient nos travaux par des tasses de thé et
des gâteaux. Le cher professeur a pris le temps de s’assurer que mon désir de faire
du Talmud était réel, solide et sensé. Il m’a alors mis en contact avec des
amis et collègues et j’ai fini par déposer un dossier de demande avec
curriculum vitæ à l’Université. La catégorie ‘Étudiant spécial’ convenait
évidemment à mon cas. On m’y a placé et une inscription est sortie un jour de
la moulinette administrative. J’étais inscrit pour deux ateliers de Talmud, à
deux niveaux différents, au milieu d’étudiants israéliens pour qui ces épreuves
étaient obligatoires, à raison de quatre heures par semaine pour chaque
atelier. Je ne peux décrire la joie et le mal que m’ont donnés ces mois
intensifs. Je les retrouve vivants dans ma mémoire. Il s’agissait sans doute
d’une joie religieuse, sans que je me pose la question de savoir si elle était
chrétienne. Je savais sans doute qu’elle n’était pas juive parce que je ne
l’étais pas moi-même. Il était clair cependant qu’il s’agissait de la ‘joie de
la Torah (simhah shel Torah)’ dont les Juifs parlent et vivent. De cette
expérience, qui reprenait ce que j’avais déjà éprouvé à Paris auprès du Rav
Berdah, j’ai tiré jusqu’à aujourd’hui la force de maintenir les études juives
et la conviction qu’elles sont vitales pour ma vie chrétienne. J’en reparlerai
en abordant l’étape actuelle de ma vieillesse. J’indique cependant déjà la paix
profonde avec laquelle je vivais immergé dans ce monde de la Torah orale. Je me
demandais sans doute comment je retrouverais à Paris les études de ma quatrième
et dernière année de théologie, avec les travaux et examens exigés pour la licence
canonique (maîtrise). Je me posais la question sans inquiétude, persuadé d’être
sur la bonne route, non seulement comme religieux de Sion, mais comme chrétien
tout court. La suite m’a montré que la paix que j’avais éprouvée ne m’avait pas
trompé.
La première année de Talmud s’est bien
terminée. J’ai réussi aux deux examens, avec mention Bien, selon ce qu’il me
semble. L’important est que ces résultats étaient inscrits dans mon dossier. Je
reviendrai plus loin sur cette année et sur ce qu’elle m’a apporté.
Je dois d’abord parler de ma dernière année de théologie.
Elle a été dominée et illuminée par le cours sur la Trinité donné par le
P. Henry, Jésuite belge, grand connaisseur et éditeur de l’édition
critique de Plotin. J’ai eu la chance d’avoir la dernière du P. Henry
avant sa retraite. J’ai profité de son enseignement oral et de ses notes
polygraphiées sur la Trinité et d’autres cours donnés les années précédentes.
Sans doute ai-je eu aussi le P. Daniélou sur les Pères de l’Église, en
particulier sur Saint Irénée. J’ai eu également la chance d’entendre l’Abbé
Cognet sur Maître Eckhart et sur la spiritualité de l’École Française. Tout
ceci est inoubliable, mais rien n’égale la joie que m’a donné le P. Henry.
Il s’agissait de la Trinité, donc de ce qu’il y a de plus spécifiquement
chrétien et difficile dans la relation avec les Juifs, sans parler des
Musulmans. Je n’ai pas compris le mystère, mais j’ai compris que le mystère de
la Trinité et celui de l’Unité ne faisaient qu’un mystère pour illuminer et
nourrir la vie chrétienne. L’approche des textes que nous proposait le
P. Henry était critique, historique, philologique, philosophique. Pas
question de ‘revenir au judaïsme’ ou de ‘recommencer avant Nicée’, comme le
voudraient certains chrétiens avec une grande et naïve bonne volonté qui ignore
trop la grandeur du christianisme et la profondeur du judaïsme
Revenant à Jérusalem, j’y ai étudié
six ans, partageant mon temps entre des activités de tous genres dans ma
communauté de Jérusalem et le Département du Talmud de l’Université Hébraïque,
dans lequel, grâce à mon dossier antérieur, j’ai été admis comme ‘Étudiant
régulier’ (min ha-minyan = faisant
partie du nombre). Ce statut, ce à quoi il m’a obligé, les travaux et examens
effectués, oraux et écrits de tous genres, les résultats obtenus, tout cela
constitue la seule et grande fierté de ma vie intellectuelle. J’essaierai plus
loin de qualifier cette fierté. Je dis déjà que ce que j’éprouve en elle
dépasse de loin la satisfaction que j’aurais pu obtenir d’un doctorat de
théologie, que j’ai amorcé par une inscription à Paris, pour lequel je n’ai
jamais eu le moindre attrait, ni la moindre motivation et que j’ai annulé par
lettre, dès que l’occasion m’en a été donnée. Il y a peut-être là une rancune
ou une rancœur cachées, à l’égard de certaines personnes ou institutions.
Je reviendrai à cette question dans
l’étape consacrée à ma vieillesse. Elle doit en effet être reprise quand il
s’agira de jeter un regard sur les études juives et leur rapport à la théologie
chrétienne.
Il n’y a pas de retraite dans ma congrégation et il n’y a
pas eu de retraite pour moi à l’Institut Ratisbonne. J’ai cessé définitivement
d’être le Directeur Académique de l’Institut, ce que j’avais déjà fait, à deux
reprises, dans le passé difficile des études juives à Jérusalem. Je suis devenu
‘professeur émérite’ et l’on m’a même honoré par une journée, le 27 octobre
1999, suivie de la publication du n° 7, Décembre 1999, des Cahiers
Ratisbonne ‘Hommage à Pierre Lenhardt’.
Ce cahier a été publié avec tant de coquilles qu’il ne reste d’exact que la
dernière page de couverture. Cet hommage est venu à temps, avant la suspension
décidée par Rome en juin 2001, des activités de Ratisbonne, suivie du transfert
de l’Institut à Rome, décidé en novembre 2002 et annoncé en janvier 2003. Je
reviendrai sur ces décisions que je regrette pour des raisons qui dépassent de
loin ma personne. Pour moi cependant, ces mesures ont pour effet de me libérer
clairement de toute obligation de lutter désormais pour la cause des études
juives dans le cadre institutionnel de l’Église Catholique.
Cette libération complète celle que
j’ai demandée et que j’ai obtenue à l’intérieur de ma congrégation, de façon
nette, à partir de mon dernier séjour au Brésil en juillet 1995. Pour diverses
raisons, j’ai pris conscience de mon âge et de l’incapacité dans laquelle
j’entrais d’assumer des charges dans une congrégation presqu’exclusivement
brésilienne. Maintenir des positions, les exprimer par écrit comme je l’ai fait
quand c’était nécessaire, prêtaient de plus en plus à un grave
malentendu : celui selon lequel j’en voulais à certains confrères plus
jeunes que moi, à qui je ne voulais pas céder la place. Je reconnais que
j’aurais pu rester plus généreusement à la disposition de la congrégation pour
de petites tâches administratives à Jérusalem et à Paris. Fatigue, paresse, et
aussi quelques allergies, qui ont failli aller trop loin en 1985, comme je l’ai
dit plus haut, ont eu le dessus sur quelques scrupules et habitudes qui se
maintenaient encore. Tout ceci est déjà surmonté, en grande partie grâce à la
générosité de mes jeunes confrères qui me laissent en paix et qui sont pleins
d’égards pour moi. J’ai donc une vieillesse qui s’annonce heureuse et qui
pourrait encore, si Dieu le veut, pendant quelques années de plus, porter des
fruits. De quelle manière et dans quels domaines ? Je vais essayer d’en
donner une idée en parlant de mon enseignement et de mes publications.
L’enseignement à
Ein Karem, Jérusalem, Paris, Lyon, Genève, Italie,-Espagne, Berlin, Angleterre,
Canada, Brésil, Argentine, Costa Rica, Mexico. Rio de Janeiro
Mon premier enseignement a été donné aux Sœurs de Sion à Ein
Karem dans les années 1970 à la demande de Sœur Margaret McDonald, supérieure
de la communauté. Il s’agissait de quelques conférences destinées aux résidents
de la maison. L’écho de ces conférences s’est révélé très positif. Un des
auditeurs a souligné le fait qu’il avait perçu dans ma manière de présenter les
choses une vibration qui dépassait la littéralité des traditions juives que je
présentais en chrétien. Cette première expérience m’a semblé indiquer que mes
études et l’enseignement oral qui en découlait pouvaient être utiles à des
Chrétiens. Une deuxième expérience allait confirmer la valeur de cette
intuition. Les Sœurs de Sion du Sidic de Rome m’avaient invité à donner une
semaine de cours à l’intérieur d’un programme patronné par l’Université
Grégorienne des Jésuites. Pour ce cours, le premier que je donnais
officiellement dans le grand monde, j’ai demandé à mes maîtres juifs de
l’Université Hébraïque de Jérusalem s’ils m’autorisaient à le donner. Le cours
portait en effet sur des textes de la Tradition d’Israël. L’autorisation m’a
été chaleureusement donnée. J’ai ainsi pu clairement fonctionner en disciple de
mes maîtres, dans une relation dont je reparlerai plus loin.
Peu de temps après, le P. Tournay, directeur de l’École
Biblique de Jérusalem, me demanda de prendre la suite du P. Benoît pour le
séminaire d’initiation à la littérature rabbinique qu’il donnait depuis de
nombreuses années. Fort de l’autorisation de mes maîtres juifs, j’ai accepté cette
offre. Chaleureusement accueilli par le P. Benoît, j’ai ainsi enseigné à
l’École Biblique pendant presque vingt-cinq ans. Cette insertion à l’École
Biblique m’a donné une certaine notoriété qui m’a valu d’autres enseignements.
Ce qui m’a enrichi le plus dans ce long passage à l’École Biblique, c’est
l’amitié avec le P. François Dreyfus. Très attaché à son origine juive, le
P. Dreyfus regrettait de ne pas assez connaître la Tradition religieuse
d’Israël. Il m’a fait l’honneur de fréquenter mon séminaire. De mon côté, j’ai
suivi ses cours magistraux sur l’exégèse dans l’Église. Nous avons beaucoup
échangé sur ses grands articles publiés dans la Revue Biblique sous le titre de
‘Exégèse en Sorbonne, Exégèse en Église’. Certaines de mes remarques l’ont
intéressé et on aurait pu songer à une publication complémentaire qui aurait
paru dans la Revue Biblique. Malheureusement le P. Dreyfus a dû quitter
Jérusalem pour des raisons de santé et ses articles n’ont pas pu être révisés.
Ils ont été repris sans modification dans le livre ‘Exégèse en Sorbonne,
Exégèse en Église’, Parole et Silence, Paris 2007, avec une préface du Cardinal
G. Cottier. J’ai mis par écrit une de mes remarques à l’occasion d’une
journée d’étude et de prière consacrée, le 18 décembre 2009, à la mémoire du
Père François Dreyfus, o.p. Mon intervention faisait entendre la résonance du
principe rabbinique ‘Aucune Écriture ne sort de son Sens Simple’ avec le
principe traditionnel de l’Église catholique repris par le concile Vatican II (Dei
Verbum, n.12): ‘La Sainte Écriture doit
être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger’.
L’École Biblique m’a bien accueilli dès le début. Elle m’a
admise aux réunions d’enseignants où j’ai pu, avec le P. Dreyfus, demander
que les études juives reçoivent une place centrale en collaboration avec
l’Université Hébraïque. Le Maître Général n’a pas retenu cette proposition. Il
s’est rangé à l’opinion de la majorité des enseignants, qui n’ont pas voulu remettre
en cause les études bibliques comme recherche scientifique du sens littéral des
Écritures. La possibilité de donner à l’École un second souffle à partir de la
Tradition pharisienne-rabbinique d’Israël a été manquée. Mon enseignement était
maintenu avec respect, à condition qu’il reste marginal ; par ailleurs
l’École me donnait accès à ses locaux pour les sessions que je donnais aux
étudiants allemands. Ces sessions, qui entraient dans un programme articulé sur
les études faites à l’Université Hébraïque, ne pouvaient être données à
Ratisbonne. Nous n’avions pas de salle assez grande. Ceci donne une idée des
difficultés dans lesquelles je me débattais. Je devais aussi recourir à l’École
pour les photocopies de textes par manque d’une machine à Ratisbonne. Il me
semblait parfois que ma petite congrégation croulait sous le poids d’une
immense maison impossible à gérer. J’étais aux abois ce qui provoquait deux
types de réactions. Je me rappelle celle du Supérieur des Jésuites qui me
disait, en américain : ‘Pierre, relax !’. Je préfère me rappeler ce
que m’a dit un jour le P. Marcel Sigrist, dominicain, professeur chevronné
d’accadien : ‘Pierre, sache bien une chose. Si ta congrégation ne peut pas
survivre, tu seras accueilli comme un frère à l’École’. Il y avait dans cette
parole plus que l’expression d’une solidarité alsacienne. Le P. Sigrist
savait que les Dominicains avaient été hébergés à Ratisbonne alors qu’ils
cherchaient à s’établir à Jérusalem. Nos anciens Pères les avaient aidés à
trouver un terrain et à l’acheter. J’ai constaté avec tristesse que ce passé
avait été oublié par les nouveaux responsables de l’École. J’ai dû réagir par
écrit contre l’interprétation qu’ils ont donnée à l’installation des Pères
Salésiens dans le bâtiment principal de Ratisbonne. Ils ont félicité les
Salésiens de venir à la place des religieux de Sion qui ne savaient pas ce
qu’ils voulaient et qui n’avaient pas d’avenir. Ceci a refroidi mes relations
avec l’École. Je maintiens mon amitié avec Marcel Sigrist et Etienne Nodet.
Les dates et les étapes de la fondation du centre, de son
développement, de ses programmes, des démarches faites pour qu’il soit connu et
soutenu, tout cela existe dans des dossiers que j’ai laissés à Jérusalem. Mes
confrères sauront exploiter ces dossiers.
Le centre d’études est parti de zéro, sans aucun statut,
sans programme écrit, sans recherche d’une autorisation officielle. Au début
nous avons articulé notre programme d’études juives à Ratisbonne avec un
programme d’études bibliques basé chez les Sœurs de Saint Joseph de
l’Apparition, dans leur grande maison de la rue des Prophètes, patronné par
l’École biblique. Les acteurs étaient Sœur Zina Shaker des Sœurs de Saint
Joseph, Etienne Nodet, dominicain de l’École biblique et moi, de Ratisbonne. Je
garde un très bon souvenir de ces deux premières années. Nous partagions tout,
la réflexion, les recettes et les dépenses. Malheureusement l’École Biblique
n’a pas maintenu le patronage qu’elle nous accordait par l’intermédiaire
d’E. Nodet. Nous sommes restés seuls à Ratisbonne avec les études juives.
Une sœur du Zaïre, de la congrégation des Sœurs de Notre Dame de Namur, arrivée
après la cessation du jumelage, a accepté de se contenter des études juives.
Sœur Elisabeth, c’est son nom, m’a fait confiance. Elle a cheminé avec
Ratisbonne en attendant de se rattacher à la communauté des Bénédictines d’Abou
Gosh liées aux Bénédictins et Bénédictines du Bec Hellouin. Sœur Elisabeth est
restée une amie qui enrichit ma relation avec les communautés d’Abou Gosh.
Jean Baptiste Gourion, Prieur puis Abbé
du monastère des hommes, m’a demandé, pendant les premières années de leur
installation, de donner aux moines une initiation à l’hébreu et à la tradition
d’Israël. Je l’ai fait avec beaucoup de joie jusqu’au moment où ils ont décidé
de devenir autonomes. Les moines et les moniales, avec en tête Sœur Elisabeth,
ont établi et développé des relations avec le diocèse de Kisantu au Zaïre. Ces
contacts ont mené à des projets de sessions au Zaïre. Avec Sœur Anne-Catherine
de Sion nous avons animé une session de trois semaines à Kisantu. La rencontre
avec la ferveur africaine reste inoubliable.
Les études juives continuaient à se
développer. Je me rappelle avoir fourni au Patriarcat de Jérusalem la liste des
étudiants et auditeurs de nos cours. Leur nombre dépassait la centaine. Au
programme francophone est venu s’adjoindre un programme anglophone lancé par le
P. David Burrell de l’Université Notre Dame d’Indianopolis. Recteur de
l’Institut Œcuménique de Tantur, il avait apprécié nos cours donnés en
français. et voulait nous aider avec un programme anglophone. De cette
collaboration amicale est venue l’idée d’un jumelage de Tantur et de
Ratisbonne. Nous avons essayé de faire adopter l’idée au cours de réunions sur
le fonctionnement de Tantur. On nous a refusé cette orientation avec l’argument
selon lequel l’œcuménisme de Tantur était pour les chrétiens et ne supposait
pas le lien avec Israël. Nous avons regretté que le conseil des experts ne
voient pas que la racine de l’œcuménisme est dans le lien d’origine avec
Israël.
J’ai donné plusieurs fois une semaine
de cours dans le cadre du programme soutenu par le ‘Comité des Catholiques
Allemands’ et hébergé par l’Abbaye de la Dormition. J’ai fonctionné avec l’Abbé
Klein et avec l’Abbé Egender. Ce dernier, alsacien comme moi, a été
particulièrement fraternel. Mon enseignement a porté chaque année sur la Haggadah
de Pâques. Le contact avec la Dormition m’a fait voir de près les difficultés
du monastère qui a dû faire appel à un abbé Français (alsacien) et à un prieur
français (Mora). C’est dans ce cadre que j’ai fait la connaissance de Clemens
Thoma, auteur d’une ‘Théologie chrétienne du judaïsme’ (Parole et Silence, Paris, 2005). Clemens Thoma m’a
invité à le rencontrer dans sa ville de Lucerne. Des projets de collaboration
ont été évoqués. Ils n’ont pas eu de suite. Clemens Thoma - je l’ai su après
coup - a conseillé au ‘Comité des Catholiques Allemands’, que j’avais contacté
à Berlin, de ne pas soutenir Ratisbonne parce que nous étions trop petits et
trop faibles. On ne prête qu’aux riches !
Un autre contact avec la Dormition,
dans le domaine musical, m’a laissé un bon souvenir : organisation d’un
concert d’orgue donné par José Aquino, organiste titulaire de l’Abbaye Sao
Bento de Sao Paulo et ami de mes confrères brésiliens. Beau récital et discours
enflammé de l’Ambassadeur du Brésil. J’avais précédemment accueilli José Aquino
à Paris où nous avions salué Olivier Messiaen à sa descente de l’orgue (à
l’église de la Trinité).
La session annuelle de Bat Kol m’a
donné l’occasion d’enseigner Rashi sur les cinq livres du Pentateuque. Les
dossiers en anglais ont été archivés à Bat Kol et à Ratisbonne.
Mon premier cours a été une
présentation de la Tradition pharisienne-rabbinique. Le P. Charles Perrot me
l’a demandée pour remplacer André Paul qui venait de quitter les Sulpiciens.
Une deuxième série de cours est venue
par la suite, quand l’Abbé Hruby a cessé de présenter le judaïsme à l’Institut
Œcuménique. Il s’agissait de créer dans la faculté de théologie une section
d’études juives que l’on me demandait de diriger. J’ai accepté cette demande à
condition que l’on mentionne l’Abbé Hruby comme fondateur de la nouvelle
section. La surprise a été que pour la première année de la section deux
personnes seulement se sont inscrites ave des motivations discutables, ce qui a
justifié le report des cours à l’année suivante. L’année suivante a été elle
aussi étonnante. Parmi les personnes inscrites ne se trouvait aucun étudiant en
théologie. Ceci s’est confirmé pendant les trois années de cet enseignement.
J’ai signalé par écrit aux autorités de la Faculté que les horaires établis
étaient incompatibles avec ceux des cours de la faculté. Mon rapport est resté
lettre morte. Je n’ai pas regretté le maintien du cours. Il a été apprécié par
les étudiants avec lesquels j’ai échangé en profondeur et que j’ai retrouvé par
la suite dans des cours et sessions donnés dans notre centre d’études
sioniennes, rue Notre-Dame des Champs.
Voyant venir mes soixante-cinq ans, je
n’ai pas tardé à signaler que je cesserais volontiers mes activités
d’enseignant et de responsable de la Section d’Études juives. Mes activités ont
donc pris fin, avec une petite rallonge pour siéger dans le jury de la thèse de
doctorat d’un ami. Détail amusant : le titre de professeur, que je n’avais
jamais ni demandé ni reçu, m’a été appliqué à cette occasion et imprimé sur
l’annonce de la soutenance. L’amitié du Doyen de la faculté et son intérêt pour
le shabbat (dans le cadre de son cours sur le Pentateuque) m’a amené à donner
trois fois six heures à l’intérieur de son cours : sur le Shabbat et la
Création, le Shabbat et la Révélation, le Shabbat et la Rédemption. J’ai été
également invité deux années de suite à diriger des travaux pratiques proposés
à des étudiants de troisième année. J’ai proposé des textes de Rashi au risque
de dépayser les étudiants. De fait, ils ont été dépaysés au point de rendre
difficiles les trois premières rencontres de deux heures. Mais il restait
quatre rencontres au cours desquelles le déclic que j’espérais s’est produit.
Nous avons terminé en beauté. Les étudiants ont dit leur regret que ce contact
avec les sources juives ne leur ait pas été proposé en première année. Je
signale aussi le bon résultat d’un parcours intensif proposé par la faculté de
théologie sur le Shabbat. Sœur Dominique de la Maisonneuve et moi, chargés de
mener à deux ce parcours, avons constaté une fois de plus combien les étudiants
de théologie sont capables de vibrer au contact de la Tradition d’Israël quand
on veut bien le leur ménager. ‘Patience et longueur de temps’ !
Je mentionne encore deux cours donnés
à l’Institut de Liturgie : sur le Baptême des Prosélytes et sur les
Bénédictions Juives. Il me semblait important que les étudiants de l’Institut
voient l’importance de la liturgie synagogale, à la racine de la prière et de
la foi chrétiennes. La rencontre avec les textes, avec la Vérité divine de la
Tradition (Parole orale), nourrit et protège la recherche de la vérité
objective. De bonnes réactions du côté des responsables et des étudiants me
font espérer que le message a passé la rampe.
La faculté de théologie avec son Doyen
et l’Institut Catholique avec son Recteur ont par ailleurs encouragé, aidé et
dirigé le Centre Chrétien d’Études Juives - Saint-Pierre de Sion (Ratisbonne)
avant et après que les autorités romaines aient voulu lui conférer le statut
d’Institut Pontifical. Je reviendrai plus loin à la possibilité de bâtir sur le
socle établi par les religieux de Sion et l’Institut Catholique un
renouvellement des Études Juives à Jérusalem.
Chronologiquement, Lyon a précédé
Paris en raison du rôle majeur qu’a joué le P. Jean Dessellier, de mémoire
bénie !, professeur d’hébreu et d’Ancien Testament dans la Faculté de
Théologie. Jean Dessellier venait chaque année passer les mois d’été à Ratisbonne
pour perfectionner son hébreu et préparer ses cours. Liés par une profonde
amitié, nous avons échafaudé des projets de sessions à Lyon. Ces projets ont
abouti d’abord à deux grandes sessions. Une première session proposée aux
exégètes et théologiens de Lyon et d’ailleurs sur la genèse de la littérature
rabbinique . Une deuxième session, pour un public plus large, sur le midrash et
les recueils midrashiques. Le succès de ces sessions a mené à organiser des
cours d’initiation à la littérature rabbinique proposés aux étudiants de la
Faculté de théologie. Une autre avancée m’a été confiée par cette faculté sous
forme de grandes sessions annuelles pendant les fins de semaine. Le public
vaste et varié atteignait ou dépassait la centaine. Les quinze sessions
présentaient des thèmes fondamentaux à partir de textes fournis en traduction
française avec recours aux originaux hébreux. Les dossiers de ces sessions, en
français et en hébreu, magnifiquement établis par Monique Leguillette, sont
archivés et disponibles. Tout ce travail s’appuyait sur une bibliothèque
spécialisée constituée par Jean Dessellier avec achats et envois de Jérusalem
dont je m’occupais avec lui. Je signale aussi l’immense travail de traductions
d’articles et livres dans lesquelles Jean Dessellier s’engageait. Deux de ses
travaux doivent être spécialement mentionnés : ‘La prière Juive’ de Joseph
Heinemann avec préface de Abraham Heschel (Les Cahiers de l’Institut Catholique
de Lyon,N°13, 1984) ; Le monde spirituel des contes aggadiques’ de Jonah
Fraenkel (Cerf, Paris ; 1996). La traduction de ce beau livre n’a pas pu
être menée à bien jusqu’à sa fin par Jean Dessellier. La maladie et la mort
l’en ont empêché. Cécile Le Paire, brillante étudiante de Ratisbonne, a repris
le dossier et assuré sa traduction.
Il ressort de tout cela que j’ai été
un enseignant actif et régulier de la faculté de théologie. Lyon m’a plusieurs
fois envoyé faire des sessions et conférences, à Valence, à Grenoble. L’envoi
le plus significatif a été à Genève. La faculté catholique de Lyon avait un
accord de jumelage avec la faculté protestante de Genève. C’est dans le cadre
de cet accord que j’ai été prêté par Lyon, à l’invitation du Professeur Robert
Martin-Achard, pour donner un cours d’initiation à la littérature rabbinique.
Le Professeur Martin Achard et sa
femme m’ont très amicalement accueilli et reçu dans leur belle villa. Le
Professeur Martin Achard, auteur d’un excellent livre sur les fêtes d’Israël (Essai
biblique sur les fêtes d’Israël, Labor et
Fides, Genève, 1974), m’avait demandé de donner une introduction à la
littérature rabbinique. Le cours, réparti sur une semaine, était proposé aux
étudiants de la Faculté de théologie et ouvert à d’autres auditeurs possibles.
Le public, de vingt personnes au commencement, n’accrochait guère et je sentais
un certain malaise venant d’une question qui n’était pas posée. Le dossier de
textes que j’utilisais n’était-il pas trop lourd et trop volumineux ?
Parviendrais-je à sa fin ? En fait, j’ai vu arriver, séance après séance,
de nouveaux auditeurs dont le nombre a augmenté jusqu’à la fin. Ceci a frappé
monsieur Jean Halpérin, pilier de la communauté juive de Genève et du colloque
des intellectuels juifs de langue française. Il m’a demandé d’où venait cette
capacité de toucher un public de plus en plus nombreux. Je crois lui avoir
répondu que je transmettais ce que j’avais reçu de mes maîtres juifs.
L’année suivante, Monsieur Halpérin,
au nom de la communauté juive de Genève, m’invitait à faire une conférence sur
les bénédictions de la prière synagogale et leur intérêt pour la prière
chrétienne. De nouveau, à partir d’un début assez lourd, un tournant est
intervenu et j’ai terminé en beauté. Le Professeur Martin-Achard, qui était
venu assister au cours, m’a dit son étonnement en me conduisant à la
gare : ‘Que faites-vous pour toucher les auditeurs et les faire vibrer à
partir des textes ?’. J’ai répondu que si j’avais un don, il me venait des
maîtres juifs dont je transmettais l’enseignement.
Mon premier enseignement a été officiel, donné au Sidic
et patronné par la Grégorienne. J’en ai parlé plus haut.
J’ai par la suite donné un grand
nombre de sessions proposées par des laïcs italiens, éditeurs de la revue Qol,
parmi lesquels mon ami Raffaello Zini a une place principale. Ces sessions
étaient données en français avec appui sur des textes traduits en français ou
en italien. Raffaello réussissait à faire passer en italien le message que je
présentais. Les lieux choisis pour les sessions étaient tous très beaux. Le
public très varié réagissait chaleureusement. L’accueil fait à mon enseignement
m’a fait risquer une fois de fonctionner en italien. C’était à Novellara pour
une demi-journée sur la Haggadah de Pâque. Le message a passé, malgré mon
mauvais italien, mais j’ai décidé de ne plus enseigner en italien. Une dernière
intervention, officielle cette fois, m’a été demandée par l’évêque de Reggio.
J’ai fonctionné en français, avec traduction assurée par Raffaello. L’évêque et
le public comprenant tous les amis de Reggio et de la revue Qol ont bien réagi.
Au total j’ai beaucoup reçu de mes
séjours en Italie, à Reggio et dans ses alentours, avec visites de Modène,
Parme, Bologne. J’ai souvent logé dans la communauté des sœurs contemplatives
Capucines de Salvaranno. Sœur Maria Angela, professeur d’italien, me faisait
lire Dante, la Commedia, et Ariosto, l’Orlando
furioso. Elle était poète. Elle m’a donné
un recueil de ses poèmes que je garde précieusement.
Raffaello n’a pas seulement organisé
les sessions mentionnées ci-dessus. Il m’a également fait intervenir dans un
colloque tenu à Syracuse sur le Dieu Un à la racine du dialogue
inter-religieux. Mon intervention, médiocre à cause du français mal traduit en
italien, m’a valu un magnifique passage en Sicile. Syracuse, puissante rivale
d’Athènes, reste magnifique malgré son dépeuplement. Après le colloque,
Raffaello m’a conduit à Agrigente et à Palerme. Merveilleuse Sicile célébrée
par Pirandello, Visconti et les frères Taviani ! Je dois aussi à Raffaello
ma participation aux journées de l’Unité, journées du ‘Parti Démocratique de la
Gauche’, suite de la branche modérée, majoritaire, du Parti communiste. La
branche stalinienne garde le titre de l’ancien Parti communiste. Les nostalgiques
du passé soviétique, nombreux dans la montagne de Reggio, vont encore en
pèlerinage à Cuba !
Raffaello m’a fait profiter des
‘Journées de l’Unité’ (communiste), journées joyeuses et ouvertes, avec de
nombreuses conférences, avec accès à toutes sortes de publications y compris
les bibles et les confessions de Saint Augustin, avec de plantureuses offres
gastronomiques.
J’ai fait deux interventions en
Espagne, l’une à l’initiative de Sœur Ionel de Sion dans une communauté de
sœurs bénédictines, l’autre à l’invitation du P. Gregorio Ruiz, s.j, à la
Faculté jésuite de théologie de Madrid. Profitant du passage, j’ai revu Tolède,
l’Escorial et l’immense tunnel consacré à la mémoire de la guerre civile. Ce
contact avec l’Espagne, avec son passé glorieux et tragique, m’a fait regretter
notre faiblesse, faiblesse des frères et des sœurs de Sion qui n’ont pas réussi
à s’implanter en Espagne. Mes jeunes confrères Elio Passeto et Donizeti Ribeiro
ont réussi ces dernières années à fonder et à patronner une association dont le
but est de favoriser des études juives en Espagne. Ils donnent aussi souvent
que cela est possible des cours et des conférences. Certains de mes articles
sont traduits et publiés dans la revue El Olivo, de l’Amitié Judéo-Chrétienne. La traduction de mon livre ‘L’Unité
de la Trinité’ est projetée.
La Congrégation des Religieux de Notre
Dame de Sion, ma congrégation, fondée à Paris, est devenue franco-brésilienne,
réalité que j’ai connue dès mon entrée dans la vie religieuse et que j’assume
sans aucune réserve. Le portugais, que j’ai appris avec beaucoup de plaisir,
est devenu, après l’allemand et l’anglais, la langue dans laquelle j’ai le plus
enseigné.
Avec mes quatre-vingt-cinq ans je suis
maintenant le plus âgé des religieux encore actifs. Ma participation à de
nombreux chapitres, dont le dernier s’est tenu en juillet 2011, a permis
d’allonger mes séjours au Brésil et a rendu possibles des cours et sessions à
Sao Paulo, Rio de Janeiro, Curitiba, Sao Luis (Maranhao), Belem (Para)
Brasilia, Aracaju (Sergipe), Salvador (Bahia), Feria de Santanna (Maranhao). Je
livre quelques souvenirs.
Cours et conférences à mes confrères
et à différents groupes, en dernier lieu dans le Centre d’Études juives que mes
confrères ont créé récemment. J’y reviendrai en conclusion des souvenirs liés à
Sao Paulo. Je traite d’abord de ce qui est venu à partir de mes séjours à
SaoPaulo.
J’ai donné deux cours aux moines du
monastère de Sao Bento, à leurs étudiants et à des auditeurs. Le cours s’est
fait à l’instigation de Dom José, ancien étudiant de Ratisbonne. L’abbé et les
moines ont été satisfaits. Le message a bien passé la rampe. Parmi les
auditeurs du deuxième cours s’est trouvé un pieux laïc, professeur de portugais,
venu de l’État de Bahia. Touché par la pertinence des textes, il m’a demandé de
prévoir un cours à l’université de sa ville, Feria de Santanna, si l’offre m’en
était faite.
L’université m’a invité et j’ai donné
dans cette ville, au cœur de l’État de Bahia, un cours d’une semaine sur la
Tradition d’Israël. L’expérience a été très variée : rien n’était prêt à
mon arrivée, les étudiants étaient en majorité des chrétiens ‘évangélistes’. Il
y avait aussi quelques catholiques dont mon professeur de portugais. Les
évangélistes, au début, ont mal supporté la présentation des textes. Ils ont
terminé la semaine dans l’enthousiasme et m’ont donné par écrit de très
chaleureux remerciements. J’ai gardé ces témoignages. J’ai eu le tort de les
prêter à une amie brésilienne qui les a perdus. J’ai heureusement retrouvé la
trace d’une dernière rencontre organisée par mon ami le professeur de
portugais : messe dans une chapelle décorée avec les drapeaux français et
brésiliens, la Marseillaise comme chant d’entrée, sermon chaleureux avec éloge
des études juives, prière pour Israël. Autre souvenir de Feria de Santanna,
ville d’un million d’habitants : innombrables pharmacies mais aucune
librairie ! Est-ce à dire que les habitants sont incultes ? Non, car
il y a une Académie de Lettres, soutenue par mon ami professeur de portugais et
composée de quelques notables : juge de paix, avocats, pharmaciens,
médecins. Les académiciens m’ont honoré en me demandant une conférence. J’avais
prévu la chose et préparé un texte sur l’origine de la fameuse ‘Saudade’
brésilienne dont tout le monde sait qu’elle n’est pas la nostalgie connue et
banale. J’ai montré à partir de textes indiscutables (thèse de Helder Macedo)
que la Saudade est d’origine portugaise, omniprésente dans les souvenirs de
tous les étudiants de Coimbra. Ce n’est pas tout. Elle est juive ; elle
est la Saudade de Bernardim Ribeiro, poète juif, converti de force, qui, dans
son roman ‘A Menina e Moça’, pleure
d’avoir été exilé de son pays et séparé de son peuple Israël. Les académiciens
m’ont demandé mon texte. Il devait être publié, je ne rappelle plus où et je ne
sais pas ce qu’il en est advenu.
Autre souvenir : l’étrange
contact avec une université où tout est organisé mais sans bases sérieusement
académiques. Je l’ai constaté avec les professeurs chargés d’enseigner
l’anglais. Quant à l’administration, rien n’était prévu pour mes honoraires que
j’ai dû réclamer à la dernière minute.
Avant-dernier souvenir : dans le
grand hôtel payé par l’Université, où tout était fourni y compris les
préservatifs et le journal au petit déjeuner, j’apprends l’assassinat de
Rabin !
Dernière impression : Feria de
Santanna est une grande ville dans un Brésil qui se développe à toute allure,
qui ne domine pas son développement, qui écrase et déclasse de nombreuses
personnes.
Mon ami professeur de portugais est
heureusement l’exemple de personnes qui réussissent à maintenir leurs racines.
Il est vrai que cet ami est métis et qu’il a réussi, comme beaucoup d’autres
noirs et métis, son adaptation à la société. Les moments passés avec cet ami et
son épouse dans leur vaste maison, les repas composés de spécialités de la
Bahia sont gravés dans ma mémoire.
Capitale de l’État de Bahia, très
grande ville du temps de l’esclavage, presque entièrement noire, avec de belles
marchandes en costume blanc traditionnel qui vendent dans toutes les rues leurs
beignets cuits à l’huile de palme (dendé).
De magnifiques églises, monastères et bâtiments, heureusement en cours de restauration,
splendide vue sur la ‘Baie (bahia)
de Tous les Saints’.
Sœur Celia, étudiante de Ratisbonne, a
établi à Salvador la communauté des Sœurs de Sion. J’ai connu la première
installation de cette communauté dans un minuscule appartement en pleine
banlieue populaire noire de Salvador. De la petite chapelle où je logeais faute
d’un autre endroit pour dormir, j’entendais les enfants parler et jouer dans la
rue. Les sœurs avaient d’excellentes relations de voisinage. Elles n’ont jamais
eu le moindre problème de sécurité, ni de harcèlement. Le P. Albano,
Franciscain du grand couvent de Salvador, soutenait leur catéchèse en milieu
populaire. Il nous a fait visiter une grande propriété de l’époque
coloniale : magnifique maison seigneuriale et immense case des esclaves (cinzala). L’année suivante, je suis retourné à Salvador,
dans une spacieuse maison située au centre de la ville et plus adaptée à leur
travail dans l’ensemble de la capitale. Je partageais leur vie, leur prière,
leurs études bibliques et juives pour lesquelles j’étais venu les aider. Nous
allions une fois par semaine à la messe de l’après-midi dans la magnifique
église des Franciscains, de style baroque, toute flamboyante d’or. La liturgie
était animée par des dames noires portant l’uniforme de leur confrérie. Après
la messe un Franciscain aspergeait le peuple d’eau bénite avec un énorme
goupillon plongé dans le grand seau plein d’eau bénite. Le peuple levait les
mains pour recevoir la bénédiction. Dans le fond, il y avait des hommes qui venaient
recevoir la bénédiction pour la transmettre ensuite dans leur culte
traditionnel africain. Je pensais alors au théologien von Harnack qui
stigmatisait les coutumes populaires qu’il considérait comme idolâtriques. Ne
voyait-il pas la poutre qui était dans son œil et les idoles de sa propre
théologie farcie de concepts abstraits ?
Je suis retourné une dernière fois à
Salvador à l’invitation de sœur Judith qui avait remplacé sœur Celia envoyée en
Roumanie pour diriger le noviciat des Sœurs. Nous étions allé prier à l’Église
de ‘Notre Seigneur de la Bonne Fin’. Au retour, sœur Judith me propose d’entrer
dans l’Église de la Trinité, ancienne, belle mais délabrée. Nous trouvons dans
l’église un jeune laïc belge qui, avec l’accord de son évêque, a fondé une communauté
composée de gens de la rue, de sortis de prison et/ou de drogués. On dort dans
l’église, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Ils prient l’office et
restaurent l’église. Un des leurs, ancien drogué, mort d’épuisement, a composé
des poèmes à la louange de la Trinité. Je suis parti avec le recueil de ses
poèmes, avec la joie au cœur.
Au cours de ce dernier séjour, j’ai
participé à la Semaine de l’Unité. Sœur Celia, qui avait beaucoup travaillé au
rapprochement entre Chrétiens quand elle était supérieure à Salvador, avait été
invitée à cette semaine. Elle a reçu de toutes les églises représentées, en
particulier de l’Église baptiste, un chaleureux hommage. J’ai gardé un profond
souvenir de la célébration chez les Luthériens. Le pasteur et son épouse ont
très bien parlé de l’Unité. Ils l’ont fait en portugais, avec un accent
allemand que je connais bien. J’ai rencontré là un guide français et son
épouse, lui ancien prêtre et elle ancienne religieuse, extrêmement sympathiques
et, autant que j’ai pu le comprendre, profondément chrétiens. Eux, et d’autres
que j’ai rencontrés au Brésil, m’ont fait déplorer que le Pape Jean-Paul II ait
fermé la porte ouverte par Paul VI. Sous Paul VI, ces chrétiens étaient admis à
l’eucharistie. Depuis Jean-Paul II, ils en sont exclus. Quel gâchis ! Le
célibat est strictement imposé, alors que le clergé catholique est gagné par le
concubinat et l’homosexualité !
Sao Luis (= Saint Louis), fondé par
les Français au dix-septième siècle, a gardé
quelques vestiges de ce passé. La ville, nommée l’Athènes du Nord, a la
réputation de cultiver le meilleur de la langue portugaise. Monseigneur Ponte,
qui avait été notre hôte à Paris en mai 1968, m’avait demandé de donner des
cours au Grand Séminaire de Sao Luis, dirigé par le Père Xavier de Maupeou.
J’ai enseigné un premier cours, très apprécié par le P. de Maupeou. Il a voulu
que trois séminaristes étudient à Ratisbonne avec des bourses à obtenir de
l’Église allemande. Chose dite, chose faite. Nous avons eu une première année
deux boursiers et, un an après, un troisième boursier. Les boursiers ont bien
étudié et sont rentrés dans leurs diocèses respectifs, les deux premiers comme
curés de paroisses dans leur diocèses (Imperatrix et Carolina), le troisième
comme vicaire général de son diocèse. Deux années plus tard, le P. de Maupeou
m’a demandé de donner un cours au grand Séminaire et à l’Institut Catéchétique
de Sao Luis. J’accepte de nouveau et j’arrive à Sao Luis, toujours bien
accueilli par l’Archevêque Mgr Ponte, mais déçu de ne pas retrouver le P. de
Maupeou. Il venait d’être nommé évêque d’un diocèse ‘à problèmes’ du Maranhao.
C’est au cours de ce deuxième passage au Maranhao que j’ai fait quelques
expériences valant la peine d’être mentionnées.
Le cours a commencé dans de très
mauvaises conditions : mauvais horaire, mauvaise salle, mauvaise écoute
des étudiants de l’Institut Catéchétique. J’obtiens un meilleur horaire, une
grande et belle salle et les choses s’améliorent. Le public augmente avec de
nouveaux laïcs venus des Communautés de Base. Au total le cours est réussi. On
voit l’intérêt des études juives et on m’associe au grave problème du
moment : le problème des ‘Sans terre’.
J’accompagne les étudiants dans une
célébration nocturne de protestation et de prière organisée pour accompagner la
veuve d’un ‘sans terre’ assassiné par des tueurs (‘pistoleros’ commandités par
certains grands propriétaires). Une grande foule était amassée devant quatre
évêques assis à une table posée sur une estrade : discours des évêques en
faveur des ‘sans terre’, témoignages, prières. Après cela, un étudiant du
séminaire, avec lequel j’avais sympathisé et dont j’ai retenu le nom (Pimentel),
monte sur l’estrade et appelle à la danse par une sorte de récitatif typique du
Maranhao. La foule se met à chanter et à danser avec frénésie et cela dure des
heures. Incroyable mais vrai, je suis resté debout, sans bouger, d’environ huit
heures du soir jusqu’à l’aube. Le matin nous sommes partis en procession pour
retrouver, après une marche de cinq kilomètres, l’autobus qui devait nous
ramener au séminaire. L’autobus était garé dans une rue bordée de rigoles qui
recueillaient les eaux sales et fréquentée par des cochons en liberté. C’est
dans l’autobus que j’ai enfin pu boire.
Quelques jours avant la fin du cours
je me suis demandé qui devait me payer mes honoraires. Le séminaire ou
l’Institut Catéchétique ? Le directeur du séminaire, très fraternel depuis
mon premier séjour, m’a dit que l’Institut devait payer mes honoraires mais que
son directeur avait mal accepté que le P. de Maupeou lui impose mon cours et
qu’il ne paierait pas volontiers. J’ai alors compris les difficultés du début.
Surmontant l’hostilité, j’ai demandé le paiement. Le directeur, après avoir
joué l’étonnement, a fait un rapide calcul et m’a payé.
Au-delà de ces mesquineries, la beauté
des couchers de soleil, que j’allais contempler tous les soirs au bout de
l’allée historique (française) qui débouchait sur l’océan, sont inoubliables.
J’ai participé avec l’archevêque au
pèlerinage de Sao José de Ribamar, sur la côte, à l’ouest de Sao Luis. Foule
immense, ferveur de la messe et des chants, sermon enflammé de l’archevêque
pour la justice sociale. J’ai visité aussi, sur la côte à l’est de Sao Luis, un
autre lieu de pèlerinage, beau mais délaissé et délabré. L’aller et le retour
se faisaient par bateau. Au retour, le vieux bateau en bois a dû affronter le
mauvais temps. De grandes vagues déferlaient sur le pont. Certains passagers
vomissaient ; tous nous avions peur de l’océan et des requins qui,
paraît-il, y foisonnaient.
Le Maranhao m’a fait voir des réalités
inquiétantes. Tout d’abord le déboisement quasi-total de la grande forêt
équatoriale et de ses multiples espèces d’arbres précieux. La terre déboisée a
été livrée à la monoculture des grands propriétaires. Ils ont expulsé les
cultivateurs de leur terre. Ces anciens travailleurs de leur terre sont devenus
des ‘sans terre’ corvéables à merci. La population est majoritairement noire,
issue de l’esclavage qui n’a été aboli qu’en 1885. Elle ne pratique pas le
mariage autrefois empêché par les propriétaires. Ceux-ci faisaient baptiser
leurs esclaves mais ne les mariaient pas pour garder la libre disposition de la
main d’œuvre.
Du point de vue des études juives, le
Maranhao a été une réussite. Le message est entré au séminaire et chez certains
laïcs des communautés de base. Au cours de mon deuxième séjour, j’ai visité nos
trois boursiers dans leurs diocèses à l’intérieur de l’État. J’ai revu un des
deux premiers boursiers dans son immense paroisse à Imperatrix : grande
célébration dans la paroisse, présidée par l’évêque, sermon de l’évêque avec
éloge de Ratisbonne, message d’amitié pour Israël et les Juifs dans l’esprit de
Vatican II.
J’ai visité le deuxième boursier dans
sa paroisse, l’unique paroisse de l’immense ville de Estreito, au bord du grand
fleuve, le Toquantins qui sépare le Maranhao de l’État voisin (Matto Grosso).
Nous sommes allés rencontrer à
Carolina l’évêque de son diocèse. Accueil chaleureux de cet homme très simple,
auprès de qui j’ai retrouvé l’esprit franciscain que j’ai connu au Maroc dans
mon enfance. L’évêque m’a accueilli deux jours dans sa maison. Il m’a emmené
passer une demi-journée dans la maison diocésaine de Carolina, à quelques
kilomètres de la ville. Jolie maison avec un plantureux jardin bordé d’arbres,
de bananiers et de caju. Il y avait une piscine dans laquelle nous plongions de
temps en temps et de laquelle nous sortions pour cueillir sur l’arbre des
fruits de caju frais, délicieusement juteux et sucrés autour du noyau qui,
séché plus tard, devient la noix de caju. Nous avons parlé de l’Église du
Brésil, des études juives à Ratisbonne, de la visite ad limina des évêques brésiliens à Rome, rencontre avec Rome
et la Curie que la plupart des évêques brésiliens n’aiment pas. J’ai rejoint
ensuite mon boursier à Estreito. J’ai assisté à une énorme célébration avec une
messe se déroulant dans le vacarme d’une immense salle, sur une estrade
lointaine où le prêtre était seul, éloigné et isolé de la foule étrangère à la
cérémonie.
J’ai également accompagné mon ami pour
une célébration dans la ‘Brousse’ (roça)
à trente kilomètres de Estreito. Journée avec une foule de personnes venues de
près et de loin à pied, à cheval, en carrioles, pour la messe, pour des
confessions, des baptêmes et des mariages.
J’ai admiré le courage de mon ami. de
temps pourra-t-il tenir le coup, dans la solitude et le surmenage ?
Le troisième boursier est dans une
meilleure position. Son évêque l’a nommé vicaire général et l’a chargé des
relations œcuméniques dans le diocèse, à développer dans l’esprit de Vatican
II. Au total, nos trois boursiers ont bien profité de leur année passée à
Ratisbonne.
Je me réjouis de ce qui a pu être fait
au Maranhao. Je regrette que le positif n’ait pas été perçu par mes confrères
de Sao Paulo. Rien n’a été fait pour entretenir le contact avec les prêtres,
séminaristes et laïcs que j’ai touché par mon enseignement au Maranhao.
C’est au Maranhao, sur la plus belle
plage de Sao Luis, appelée ‘l’œil de la mer (olho do mar), que j’ai rencontré les responsables de l’Institut
Catéchétique de Belem (Para). Ils m’ont invité à donner un cours en jumelage
avec le séminaire de leur ville dès que ce serait possible. J’ai accepté cette
invitation.
Belem (Bethlehem en portugais) est sur
le bord sud de l’immense estuaire du Para qui est un bras secondaire de
l’Amazone. Comme l’Amazone, le Para reçoit les marées de l’océan mais, même à
marée basse, il reste immensément large.
Première impression sympathique :
le séminariste qui m’a accueilli à l’aéroport s’appelait Jéhova, ce pour quoi
je l’ai félicité. Après mon installation au séminaire, j’ai couru visiter le
marché au bord du fleuve. L’immense marché, au bord du fleuve, regorge de tous
les produits de l’Amazonie : fruits, légumes, montagnes de crevettes
séchées….
Le directeur du séminaire m’a reçu
très aimablement, me disant tout de suite son intérêt pour mon cours sur la
prière juive. Ceci s’est confirmé par la suite par les questions qu’il posait.
Finalement il m’en a dit davantage : il était allemand, d’origine juive,
ignorant du judaïsme mais en quête de ses racines après des années d’isolement
comme prêtre au cœur de l’Amazonie. J’ai été touché par sa recherche qui m’a
montré, une fois de plus, combien un Juif reste marqué par l’élection de son
peuple. Nous sommes devenus des amis. Je lui ai envoyé de Jérusalem un Nouveau
Testament dans la bonne traduction hébraïque de Delitsch. Le cours a été bien
accueilli aussi bien par les séminaristes que par les nombreux et variés
étudiants de l’Institut Catéchétique. Les repas étaient pris à
l’Institut : excellents plats de cuisine locale et délicieux jus de
fruits, différents chaque jour. J’ai perdu la liste de ces fruits dont nous
buvions les jus. C’est bien dommage. On peut heureusement reconstituer la liste
en achetant des sachets de jus en poudre vendus dans tous les magasins du
Brésil. L’Hexagone n’a pas encore pensé à importer ces trésors brésiliens..
J’ai beaucoup sympathisé avec les
séminaristes. Ils m’ont aidé à participer à la célébration annuelle du
Ciro : grande procession où la statue de la Vierge est portée du fleuve,
en aval de Belem, jusqu’au bord de la rive qui fait face à la Basilique. Une
merveilleuse flottille de bateaux entoure la barque qui porte la statue de la
Vierge. Toutes les sirènes sonnent. J’ai suivi cela d’un grand bateau plein de
touristes. Le chariot de la Vierge à l’arrivée au sol est amarré à de grosses
cordes tirées par des hommes qui ont fait le vœu de ramener la Vierge à son
sanctuaire. L’Église soutient cette célébration par des lectures et des
prières.
Après la session, je suis allé loger
au collège des Frères Marianistes, invité par son directeur, le frère Eduardo,
ancien élève de Ratisbonne. À partir du collège j’ai visité Belem et ses
banlieues ; j’ai traversé le fleuve pour avoir, sur l’autre rive, une
certaine expérience de la forêt amazonienne, des maisons sur pilotis... Cela
m’a fait regretter de ne pas pouvoir aller en Amazonie, en particulier dans
l’immense mer intérieure de Santarem dont certains séminaristes et prêtres
étaient originaires.
Pour couronner ce séjour, j’ai assisté
à la Clôture de Kippour (Office de Neilah) à laquelle le Frère Eduardo, ami des
Juifs de Belem, m’a conduit. Grande surprise : l’office était dirigé et
chanté par des Juifs marocains, francophones venus de Manaus pour Kippour. Tous
savaient par cœur la prière. Ils m’ont aidé à suivre le texte (sefarad, un peu
différent du texte ashkenaz que je connais). Ils m’ont offert une kippah de
leur communauté, précieux souvenir d’un grand moment. C’est Belem, plus que Sao
Luis, qui m’a fait sentir le climat de l’équateur. La ville est arrosée tous
les jours par la pluie à trois heures de l’après -midi.
De Sao Paulo, je suis allé passer dix
jours à Buenos Aires, invité par Sœur Adda, brésilienne implantée en Argentine,
devenue le pilier des relations entre Juifs et Chrétiens. Les Juifs sont
nombreux en Argentine et occupent une place très importante dans la vie
politique et culturelle du pays. Avec nos sœurs, j’ai assisté à d’intéressantes
conférences et colloques en milieu synagogal et universitaire. J’ai fait
l’expérience d’un repas argentin avec un énorme morceau de bœuf grillé. Le
repas, calme à l’intérieur, a été interrompu par nos amis juifs quand par la
fenêtre, ils ont vu arriver des policiers qui arrêtaient des personnes dans la
rue. Nous étions donc en Argentine au temps de la dictature militaire. Il
n’était pas question d’intervenir. À part cela, la ville était calme. Je suis
allé à pied de l’appartement des sœurs, à travers le célèbre Rosedal (Jardin de
roses), jusqu’au port. Sur mon trajet, je me suis arrêté dans un centre
culturel qui proposait, c’était un dimanche, un programme de musique argentine.
Le grand orchestre a, entre autres morceaux, joué le ‘Caminito’, merveilleux
tango qui dit tout de Buenos Aires. Je connaissais ce tango pour l’avoir
entendu au restaurant, avec Sœur Adda, qui connaissait les bonnes adresses et
les musiciens : guitare et bandonéon (accordéon argentin). Grâce encore à
Sœur Adda, j’ai assisté à un spectacle au grand opéra de Buenos Aires :
salle et orchestre de grande classe. Comment se fait-il que je ne me rappelle
pas l’œuvre que j’ai entendue ?
Le plus intéressant était pour moi de
saisir l’importance de l’Argentine comme centre majeur de culture hispanique,
judaïque, musicale. Le Brésil, à côté de cela, fait piètre figure. Mes
confrères auraient dû et devraient saisir l’occasion de s’implanter en
Argentine. L’offre leur en a été faite plusieurs fois, notamment au
P. Napoleao Rodrigues dos Anjos. Il était trop seul à s’intéresser à la
chose. Ses essais ont tourné court.
En rentrant au Brésil j’ai senti très
fort que je revenais au pays, dans une langue qui était devenue la mienne.
Comme pour l’Argentine, c’est du
Brésil, après un chapitre général, que je suis passé à Costa Rica, au Nicaragua
et finalement au Mexique.
À Costa Rica j’ai rencontré les Sœurs
de Sion qui tenaient leur chapitre général dans le collège de Moravia, grand
espace entouré de grilles et parcouru par des chiens de garde.
J’ai donné un cours aux Sœurs et à
leurs amis dans la maison provinciale et dans la maison des Sœurs âgées. Public
chaleureux. Promenades dans la ville, vue des volcans toujours menaçants.
Évocation des tremblements de terre à partir de l’expérience vécue d’un petit
et bref séisme au début de mon séjour. Interview à la radio menée d’une façon
inepte par un journaliste superficiel.
Au total, séjour intéressant et utile
pour les études juives, mais qui fait regretter que Costa Rica, base principale
de nos Sœurs en Amérique hispanophone, soit peu de chose par rapport au
Mexique.
Par autobus, aller et retour, je suis
allé passé quelques jours à Managua, dans la maison des Sœurs de Sion, située
tout près de la résidence de Somoza, cruel dictateur de l’époque. Managua, la
capitale, était encore en ruines, depuis un dernier tremblement de terre.
L’ensemble était lourd et inquiétant. Je ne sais plus où, j’ai visité un jardin
public et vu son bassin peuplé de requins.
Les Sœurs avaient accueilli chez elles
une grande célébration avec messe, chants et buffet. De nombreux prêtres et
laïcs étaient venus, tous clairement opposés à Somoza. La célébration m’a
surpris. Le Confiteor au début de la
messe n’a pas été la confession des péchés des participants mais l’accusation
explicite et véhémente des péchés des persécuteurs. J’ai gardé pour moi ma
surprise et mon malaise. Ce genre de dérive explique les difficultés de Rome
avec certaines communautés brésiliennes et leur théologie de la libération.
Ceci dit, j’admire le courage de nos Sœurs qui accueillent ceux qui ont besoins
d’être soutenus et compris.
J’ai été heureux de revoir Mexico où
j’avais autrefois fonctionné comme envoyé de mes patrons de Paris pour une
enquête à mener sur l’avenir de notre laboratoire de La Havane.
Je venais du Brésil et de Costa Rica.
Mon espagnol, encombré de portugais, a gêné mes premières interventions. La
petite communauté des sœurs, bien menée par Sœur Mercedes de Costa Rica, m’a
fait fonctionner avec la dynamique communauté théologique de El Altillo, où
j’ai retrouvé un de mes anciens étudiants de l’École Biblique. Un autre bibliste,
ancien doctorant des Franciscains de la Flagellation à Jérusalem, le
P. Manuel, m’a témoigné beaucoup d’amitié. Grâce à eux, j’ai visité
Cuernavaca, son monastère bénédictin qui a connu de graves problèmes, et
Puebla, son immense séminaire. Mon très grand regret est que les Sœurs, faute
de relève, aient dû se replier sur Costa Rica. J’ai prié la Sainte Vierge à
Notre-Dame de Guadalupe, avec les femmes qui ne sont pas idolâtres, comme von
Harnack pourrait le penser. Je me rappelle avoir vu autrefois Gérard Philippe
arriver souriant à l’aéroport de cette ville énorme, magnifique et terrifiante.
À chacun de mes séjours au Brésil,
excepté les deux derniers, j’ai passé dix ou quinze jours à Rio de Janeiro dans
le grand collège des Sœurs, quartier de Cosme Velho, au pied du Corcovado.
Session pour les Sœurs, interventions dans les réunions de l’Amitié
judéo-chrétienne, cours au grand Séminaire. Accompagné par l’amitié des
anciennes Sœurs, Carmen, Felicidade, Dieudonné, Luisa-Maria, Yolanda, j’ai fait
de très belles promenades dans la ville et sur les merveilleuses plages qui la
bordent vers le sud, de Leblond à Copacabana. Avec Sœur Dieudonné, j’ai appris
du pasteur presbytérien de Copacabana que Joao Calvino (Jean Calvin) avait
fondé à Genève la démocratie. J’ai surtout profité de l’immense beauté des
plages, marchant au long des bords de plage pleins de beaux et belles joueurs
et joueuses de basket-ball ou d’autre chose. Je m’arrêtais plusieurs fois pour
boire le jus glacé d’une noix de coco ouverte à la machette. En arrière des
plages et de la route qui les longeaient se dressaient les énormes immeubles
aux innombrables appartements pour gens riches. Plus loin, au-delà de ces
immeubles, montaient les favelas pour les pauvres, et vers le sud les
impénétrables forêts dans lesquelles il ne faut pas se risquer. Comment assumer
ces contrastes sans juger le Brésil et les brésiliens ? Comment ne pas
voir qu’il est difficile au Brésil de mener sa vie, d’être fidèle à soi-même et
aux autres ?
Comment aller jusqu’au bout d’un
engagement, d’un projet de vie ou d’études ?
Au grand séminaire de Rio j’ai
commencé une première année de cours dans des conditions idéales :
magnifique chambre d’évêque au séminaire, chaleureux accueil du directeur,
dossier de textes bien préparé et distribué. Public nombreux dans le grand
amphithéâtre, applaudissements nourris. L’année suivante, changement de
décor : chambre médiocre, dossiers non préparés, absence du responsable du
cours, remarque du directeur qui s’étonnait de me voir maintenir le cours et me
demandait si je n’avais pas envie de prendre des vacances. Que faire sinon
prendre son mal en patience ? C’est ce que j’ai fait.
La même expérience s’est reproduite
pour le premier cours que j’ai donné à nos séminaristes de Sao Paulo. J’avais
préparé à Paris, avec l’aide du F. Donizeti Ribeiro, un dossier bilingue
que nous avions envoyé par la poste bien avant le cours. Il fallait compléter
quelques textes et imprimer le tout. J’ai trouvé à mon arrivée au Brésil que
rien n’avait été fait, chacun des responsables des étudiants et du cours
pensant que c’était à l’autre de faire le travail. J’ai dû, au dernier moment,
forcer l’achèvement du dossier. Malgré ces ennuis, le message a passé, surtout
auprès d’auditeurs prêtres, religieuses et religieux, amis de la congrégation.
À partir de nos séminaires de Sao
Paulo et de Mogi das Cruzes, j’ai fait de nombreuses conférences chez les Pères
Salésiens, dans les facultés et Instituts de théologie de Sao Paulo.
Lors de mon dernier séjour en Août
2011, j’ai présenté mon livre sur la Trinité à la faculté de Théologie et à
notre Centre d’Études Juives de Sao Paulo.
J’ai fait trois séjours à Belo Horizonte,
capitale de l’État de Minas Gerais, base historique de la colonisation
portugaise, de son exploitation de l’or et des pierres précieuses. La ville de
Ouro Preto maintient ses vieilles églises, perchées sur leurs collines.
A Belo Horizonte, très grande ville,
magnifiquement située mais mal développée, j’ai fait deux années de suite des
interventions au centre de Pastorale Catéchétique dirigé par les Sœurs Paulines
(Paulinas). Préparées et présentées par Pascal et Jacil (deux anciens
confrères), introduites par un programme musical (Jacil à la guitare et Pascal
à la flûte). Le public, varié et nombreux, a manifesté beaucoup d’intérêt pour
les études juives et de sympathie pour Israël. Les Sœurs Paulinas soutiennent
l’enseignement de Pascal et Jacil : hébreu et judaïsme (Pascal), exégèse
et sagesse populaire (Jacil). Une bonne bibliothèque spécialisée est gérée par
Pascal et Jacil en collaboration avec les Jésuites qui ont à Belo Horizonte une
importante faculté de théologie. Ici donc, comme ailleurs au Brésil, la goutte
d’eau est posée, qui deviendra un océan.
Depuis Jérusalem, je vis une profonde
amitié avec Laurentino Afonso, un ancien confrère, et José Benedito, professeur
de portugais. Ils ont étudié et enseigné à Jérusalem. Ils constituent une base
de référence et d’aide pour ma congrégation au Brésil, si nos jeunes confrères
aujourd’hui responsables trouvent le moyen de les associer à nos projets
d’études juives. Je leur rend visite à chacun de mes passages au Brésil. Je
participe aux activités charitables, bénévoles de Laurentino, autour de son
talent de guérisseur et d’animateur de spiritualité. Grâce à lui, j’ai vu de
près des personnes et des groupes spirites rattachés à Kardec et d’autres
personnes ou groupes qui pratiquent l’Umbanda. Qui suis-je pour penser que de
telles activités ne sont pas bonnes ? Elles sont désintéressées,
généreuses et souvent efficaces.
Le Christ n’a-t-il pas dit (Lc 9,
50-Mc 9, 40-Nb 11, 29): « Qui n’est pas contre vous (nous) est pour vous
(nous) » ? Avec Laurentino et sa femme, nous avons rendu visite à une
dame qu’il a guérie autrefois. Cette dame, noire, est la fille illégitime d’un
propriétaire blanc. Celui-ci a eu l’honnêteté de soutenir la mère et la fille
et de placer la fille dans un pensionnat catholique. Cette fille s’est mariée.
Elle a eu plusieurs filles. Elle a aujourd’hui de nombreux petits-enfants. Elle
a fondé un groupe de prière qu’elle dirige et anime dans une chapelle qu’elle a
aménagée avec l’accord de son évêque. L’eucharistie est célébrée quand un
prêtre est disponible . Un prêtre était de passage, un des fidèles de
cette dame. Nous avons prié ensemble. J’ai écouté les conseils que m’a donnés
la dame. Tout cela avec les allées et venues des petits-enfants qui jouaient
dans la cour le long de la chapelle. J’ai la photo de cette dame avec
Laurentino, sa femme et le prêtre de passage. La dame a pour prénom Cidinha,
(la petite Aparecida = Notre Dame Aparecida = Apparue, très populaire au
Brésil, vénérée dans plusieurs sanctuaires). Peut-on oublier ces moments ?
Je n’arrêterais pas de mentionner tous
les hommes et femmes merveilleux et pittoresques que j’ai rencontrés au Brésil.
Un personnage touchant, auditeur enthousiaste de la conférence que j’avais
donnée à la faculté de théologie de Moji das Cruzes, me dit un dimanche à la
messe qu’il se prépare à devenir diacre, alors que sa femme, en vêtement
liturgique, s’approche de nous et se présente comme ‘Ministre de
l’Eucharistie’. Après avoir parlé de Jérusalem et d’études en vue du diaconat,
je demande au futur diacre son nom. Il profère rapidement un mot
incompréhensible. Je lui demande de me redire son nom. Il reste
incompréhensible. Quelque temps après je demande à un confrère de me révéler le
nom. C’est Donosor. Une idée géniale me vient : c’est la deuxième moitié
de Nabuco-donosor. Au Brésil, tout le monde connaît et aime Verdi et son opéra Nabucco. Tout le monde ne se rappelle pas la fin du nom.
Ma petite congrégation est minuscule
dans l’immense Brésil en voie de développement rapide. Allons-nous disparaître
emportés par le torrent ? La petite goutte que nous apportons à l’océan
va-t-elle rester repérable ? Doit-elle être repérable ? Je mourrai
sans le savoir.
Je maintiens une session, les 28-28
octobre et, en principe, les 2-3 mars 2013.
Je prévois une semaine de cours à la
Grégorienne en octobre 2013.
Peut-être encore une semaine de cours
pour des étudiants allemands en 2013.
La revue ‘Sens’, n°3-2003, dont le titre était ‘Le Talmud
Torah des Juifs’, s’ouvrait par un éditorial de son directeur, Yves Chevalier,
intitulé ‘L’avenir du Centre d’Études Juives de Ratisbonne’. Y. Chevalier
décrivait l’histoire de l’Institut Saint-Pierre de Sion (Ratisbonne), devenu
Institut Pontifical en 1998 et fermé en juin 2001 par décision de la
Congrégation romaine pour l’Éducation Catholique. Le même numéro de Sens a publié mon article intitulé ‘Talmud Torah des
juifs et Études juives des chrétiens’. J’indiquais à la fin de cet article les
mauvaises raisons qui pouvaient expliquer la fermeture de l’Institut
Pontifical. Cette critique des décisions romaines n’a pas empêché la reprise de
mon article au début du recueil ‘A l’écoute d’Israël, en Église’ publié à Paris
par les Éditions Parole et Silence
en janvier 2006. Je suis heureux qu’on ne m’ait pas demandé de supprimer ma
critique, ce qui m’aurait fait renoncer à la publication du recueil. Ma
critique ayant été ainsi respectée, je reste confiant dans la capacité d’écoute
de mon Église. Je profite de la liberté de parole qu’elle admet pour reprendre
ici la question des études juives des chrétiens.
Retirer à L’Institut Saint-Pierre de Sion (Ratisbonne) son
statut pontifical a été une grave erreur. Elle a fait perdre à l’Église le
mérite d’une avancée modeste mais réelle d’études juives faites à Jérusalem par
des Chrétiens. De telles études doivent désormais repartir de zéro et il faudra
vingt ans pour former une équipe d’enseignants chrétiens compétents.
Ce n’est pas ce que peut faire l’Église de France, à partir
de quelques passages d’évêques aux USA, de l’envoi de quelques prêtres
étudiants à Jérusalem et d’un début d’études juives proposées au Collège des
Bernardins, qui constitue un socle crédible pour l’avenir des études juives. La
bonne volonté des évêques de France ne peut être mise en doute mais n’est-il
pas probable que l’importance des études juives, dans l’ordre des priorités
qu’ils considèrent, passera après la nécessité des relations avec les musulmans ?
La valeur des études juives, dans l’esprit de Vatican II, ne s’impose-t-elle
pas cependant comme une exigence de l’identité chrétienne, antérieure à toute
priorité pastorale?
Je pense que l’Église doit maintenir et poursuivre
l’orientation de Vatican II. Elle doit rappeler aux chrétiens la nécessité de
connaître les sources juives qui nourrissent la Tradition vivante d’Israël et
qui éclairent l’humanité juive de Jésus-Christ. L’Église doit comprendre que la
connaissance du judaïsme exige des études à long terme faites par des chrétiens
motivés et soutenus moralement et financièrement par les autorités de l’Église.
Il me paraît que les épiscopats français et francophones
n’ont ni la stature, ni les moyens de soutenir un projet d’envergure. Même si
les épiscopats anglophones des USA et du Canada étaient susceptibles
d’intervenir il faudrait encore qu’il puissent comprendre et adopter un projet
d’études juives à long terme en Israël.
Je crois que le Saint Siège, sur la base de l’accord qu’il a
signé avec l’État d’Israël en décembre 1993, est l’instance qui devrait lancer
le projet, en établir les modalités d’application, conclure avec les instances
juives appropriées en Israël, aux USA et ailleurs, les accords nécessaires.
‘Le Salut vient des juifs’ (Jn 4, 22) : je suis sûr que
cette conviction de Jésus est vérifiable aujourd’hui. Mon expérience après des
années d’études talmudiques en Israël me rend certain que l’Université
Hébraïque de Jérusalem et plusieurs grands maîtres juifs des USA aideraient le
Saint Siège à établir le projet. Quant au financement, il est évident que
l’Église ne peut demander aux Juifs de le prendre en charge. Je suis convaincu
que nos amis juifs aideraient l’Église à trouver les appuis chrétiens d’un
financement à long terme.
Il est peut-être vain d’espérer que le Saint Siège se lance
dans un projet à long terme. Il faut aussi craindre qu’un tel projet ne mène à
se fourvoyer dans l’établissement de structures grandioses. Il faudrait mettre
à la tête du projet une personne jeune, anglophone, des USA ou du Canada
convaincue de la valeur de Vatican II et de l’importance vitale des études
juives à Jérusalem.
Le projet d’envergure que je viens d’esquisser est trop
grand pour que je puisse y contribuer. Il est évident que moi-même et mes
confrères de Notre-Dame de Sion sommes trop faibles, trop peu connus pour
intervenir au niveau voulu ; il est plus raisonnable de penser que les
meilleures réalisations sont celles qui partent de la base. Cette base existe à
partir des avancées faites par l’Institut Saint-Pierre de Sion (Ratisbonne) qui
a existé avant et après sa vie comme Institut Pontifical. Mes confrères
maintiennent leur engagement dans le projet d’études juives en Israël. Nous
sommes reconnaissants à l’Institut Catholique de Paris pour avoir validé les
maîtrises engagées avant la fermeture de l’Institut Pontifical. Les enseignants
formés à Ratisbonne continuent à transmettre leur expérience et leurs
connaissances là où cela est possible, à Jérusalem, à Paris et au Brésil (Sao
Paulo). Ce socle est modeste mais il est réel. Il constitue une base de départ
dont profitent déjà quelques groupes d’étude que nous soutenons à Paris et
ailleurs. Malgré les difficultés et les limites de mon âge, je peux encore agir
si on le souhaite et si on me le demande. Ceci pour ma vie dans ma
congrégation. Pour d’autres activités à l’extérieur, je maintiens les
engagements pris à la grande Trappe de Soligny et, cette année encore, au
Collège des Bernardins.
La liste de mes publications est donnée dans le n° 302
(Novembre 2005).
J’ajoute à cette liste les 3 publications suivantes:
-
À l’écoute d’Israël, en Église,
Parole et Silence, Paris 2006
-
À l’écoute d’Israël, en Église, Tome
II, Parole et Silence, Paris 2009
-
L’Unité de la Trinité, A
l’écoute de la Tradition d’Israël, Parole
et Silence, Paris 2011
Écrit en 1970 comme mémoire pour la licence canonique de
Théologie, ce texte n’ a pas été publié en français. Il a été traduit et publié
en allemand, à Berlin en 1980. Bien reçu à Berlin, il a inauguré une série des
publications de l’Institut Kirche und Judentum, à savoir ‘Studien zu
jüdischem Volk und chrislicher Gemeinde’.
J’apprécie l’honneur qui m’a été fait. Je vois surtout que
ce premier livre annonce et prépare tous mes travaux ultérieurs, comme je l’ai
expliqué dans mon Introduction au tome II de ‘À l’écoute d’Israël, en Église’
(Parole et Silence, Paris, 2009).
Écrit à la demande du P. Monloubou pour ‘Jalons’ et les
Bénédictines de l’Abbaye Sainte Scholastique.
Avec Sœur Anne-Catherine Avril, NdS, j’ai donné pour la
première fois, à l’extérieur, ce qu’était notre lecture chrétienne de l’Écriture
à l’écoute de la Tradition d’Israël.
Très apprécié par le P. Monloubou et les Bénédictines
ainsi que par des amis juifs, cette petite brochure a été traduite en
portugais, en italien et en néerlandais.
‘La Torah orale des Pharisiens’ est uniquement de moi, mais
nous avons tenu à ce que les deux cahiers portent nos deux noms car ils sont le
fruit d’une longue collaboration. Nous pensons qu’ils sont utilement consultés
par le public que nous voulions toucher. Quelques malencontreuses coquilles
devraient être corrigées à l’occasion d’une réimpression qui viendra peut-être.
Cette publication a été faite à l’instigation de Clemens
Thoma qui a sans doute voulu me valoriser et peut-être réparer la mauvaise
opinion qu’il avait de Ratisbonne et qu’il a communiquée au Comité des
Catholiques Allemands (voir plus haut)
Pour les articles qui ont été publiés dans diverses revues
et qui ont été repris dans les deux tomes de ‘À l’écoute d’Israël, en Église’, je
donne quelques précisions.
(repris dans ‘À
l’écoute d’Israël, en Église’, tome I)
Cet article, dans le premier des huit numéros des Cahiers
Ratisbonne, explore à fond les raisons religieuses de l’attachement d’Israël à
sa terre. Il ne méconnaît pas l’immense difficulté qu’il y a du côté
arabe-palestinien à entendre ce message. Si cependant les arabes catholiques
acceptaient l’enseignement de Vatican II, ils pourraient recevoir de la
Tradition d’Israël le fondement de leur amour pour la terre de Palestine.
L’article, remarqué par certains critiques aux USA, m’a valu
d’être taxé de ‘Sioniste chrétien’. Ce n’est pas insultant, c’est inexact.
N’étant pas Juif, je ne suis pas sioniste. Il est vrai qu’il y a des ‘sionistes
chrétiens’ qui, comme chrétiens, se font un devoir religieux d’habiter en Terre
Sainte. Je n’en fais pas partie.
L’article constitue la base de ce que j’ai écrit plus tard ‘La
fin du sionisme ?’ dont je traite ci-dessous.
(repris dans ‘À
l’écoute d’Israël, en Église’, tome II)
Cet article reprend le dossier que j’avais remis en
septembre 1988 à la Commission romaine pour les relations avec le judaïsme. Il
s’agissait de voir comment Jean-Paul II avait pu dire à Mayence en 1982 :
‘l’Ancienne Alliance qui n’a jamais été révoquée’. Mon dossier a été bien
accueilli par la Commission. Je m’étonne qu’il n’ait pas convaincu le
P. Vanhoye sj, inconsciemment néo-sadducéen et fondamentaliste, accroché à
la lecture de quelques versets de l’épître aux Hébreux. Le P. Vanhoye, au
demeurant humble et fraternel, a été bien après nommé cardinal, ce qu’il a
certainement mérité. Je retiens de cela que toutes les opinions sont valables
dans l’Église aussi longtemps qu’on ne prétend pas les imposer.
in ‘Le Judaïsme à
l’aube de l’ère chrétienne’, XVIIIème Congrès de l’ACFEB (Lyon, Septembre
1999), Lectio Divina, 186, Cerf, Paris, 2001 (repris dans ‘À l’écoute
d’Israël, en Église’, tome I)
Cette longue étude (53 pages) a été massacrée de façon
étonnement injurieuse par André Paul dans les ‘Recherches de science
religieuse’. J’ai protesté auprès du P. Gibert, directeur de la revue. Il
n’a pas voulu désavouer A. Paul. Les choses en sont restées là parce que
je sais que mon étude est bonne et que personne n’a autant que moi fouillé
l’enseignement rabbinique sur la Résurrection et montré son lien inséparable
avec la Torah orale des pharisiens. Je ne peux convaincre des personnes qui
n’ont aucune idée de ce qu’est la Tradition d’Israël, ni aucune envie de
connaître les racines juives de la foi chrétienne. On ne peut donner à boire à
des ânes qui n’ont pas soif.
(repris dans ‘À
l’écoute d’Israël, en Église’, tome I)
Je tiens beaucoup à cette étude pour ce qu’elle présente de
positif, mais aussi parce qu’elle m’a permis de protester contre la fermeture
de Ratisbonne comme Institut Pontifical. J’ai dit clairement que la décision
des autorités romaines était erronée et injuste. Je suis heureux que les
autorités de l’Église de France n’aient pas fait obstacle à la publication de
mon étude dans ‘À l’écoute d’Israël…’ aux Éditions ‘Parole et Silence’.
L’article a été bien reçu par des amis juifs, religieux, responsables et
compétents. Ils ont voulu qu’il soit publié en hébreu à Jérusalem, ce qui a été
fait.
Ce long article (40 pages) fait écho, du côté chrétien, à
l’indignation de Mme Néher au moment où Joseph Burg, ancien directeur de
l’Agence Juive, a déclaré qu’il n’était plus sioniste. Je ne pouvais, comme
chrétien, penser que le sionisme n’était plus possible pour les Juifs ni
inacceptable pour un Chrétien. D’où cet article qui complétait mon étude sur
‘La Terre d’Israël…’ mentionné ci-dessus. Les Juifs, de plusieurs manières, ont
approuvé ma position. Une personnalité juive, qui a gardé l’anonymat, a offert
à cent rabbins français un an d’abonnement à la revue ‘Sens’. Quant à l’Amitié
Judéo-chrétienne de France, elle a décidé de me décerner son prix de l’année
2004.
Je ne suis pas devenu sioniste. Je reste amis de Juifs qui
le sont au risque de susciter la haine de certains Palestiniens et de certains
de leurs amis.
J’ai voulu déclarer que, pour un Chrétien, affirmer son
identité est la condition de légitimité de son témoignage, non seulement auprès
des Juifs, mais également auprès de toute personne engagée dans le dialogue
interreligieux. Il ne s’agit pas d’imposer son identité mais de la définir
clairement à partir de ses sources et notamment de ses sources juives. Le
témoignage ne devient pas pour autant crédible mais au moins il peut être
audible ; j’ai voulu aussi, en m’appuyant sur Catherine Chalier, souligner
l’importance de la Fraternité comme fondement d’une réelle et féconde diversité
culturelle.
Ce livre est l’aboutissement de toute ma vie d’étude et
d’enseignement. Il est déjà apprécié par certains bons théologiens. Il est peut
être en voie d’épuisement, ce qui est bon signe, ce qui permettrait d’espérer
sa réimpression et la correction d’inévitables ‘coquilles’.
Le livre reste inachevé, comme je le déclare et le manifeste,
en particulier par les nombreuses références que j’indique en annexes.
Le livre est probablement mon ‘Chant du Cygne’. Je ne peux
penser à le compléter.
*
Je n’exclus pas de reprendre par écrit le dossier que j’ai
présenté dans une session donnée aux Bernardins en janvier 2010 sur ‘La
Recherche de la Vérité’.
***