Le fils, toujours, est plus
grand que le père
Père, ne
vois-tu pas que je brûle ?
Père, ne
vois-tu pas que je meurs en silence à tes côtés ?
Père, ne
vois-tu pas ton fils qui s’embrase et qui hurle ?
Père, que
fais-tu donc, que fais-tu endormi quand je souffre ?
Père, pourquoi
dors-tu ainsi quand ton enfant appelle ?
Père, père,
pourquoi m’abandonner ainsi aux flammes sans un regard ?
Je
t’entends mal, mon fils, tu sais, je t’entends mal.
Mon
fils, les pères sont parfois fatigués.
Mon
fils, j’en sais si peu, mes bras sont lourds, ma tête est toute vide.
Fils
chéri, tes paupières sont en feu, ton visage est de braise ?
Mon
fils, pourquoi ne m’as-tu pas éveillé cette nuit ?
Père, cette
nuit est celle de tous les incendies.
Père, père,
je crie de toutes mes forces, mes poumons n’ont plus d’air.
Père, je
pleure toutes mes larmes, je n’ai plus rien déjà pour calmer la fournaise.
Père, j’ai
mal aux yeux, mon ventre se calcine et les croûtes me grillent.
Père,
reconnais-tu ma voix ? Mes sanglots m’affaiblissent et je suis déjà loin.
Mon
fils, fils adoré, je te discerne mal.
Ô
fils, je ne t’abandonne pas ; je marche, tu sais, et je te cherche.
Mon
fils, il est si dur d’entrouvrir les yeux.
Mon
fils, je t’extrairai des flammes, mais où es-tu couché ?
Père,
pourquoi ne viens-tu pas ? Je suis là, je te vois.
Père, il
n’est plus temps d’attendre, je me meurs.
Père,
pourquoi ne me sauves-tu pas ? Pourquoi ainsi me laisser seul ?
Père,
qu’as-tu donc, pourquoi es-tu d’un coup si pâle ?
Père, c’est
moi qui crépite à tes flancs, c’est mon crâne qui éclate, c’est mon dos qu’on
attise.
Père, père,
pourquoi ne me parles-tu pas ?
Mon
fils, ma langue m’étouffe, mes dents se creusent.
Mon
fils, la salive envahit mon palais et mes ongles se rétractent.
Mon
fils, je suis là et j’accours et je ne bouge pas.
Mon
fils, laisse-moi un instant, laisse-moi prendre force.
Mon
fils, fils léger, j’arrive, je prends élan.
Père, ma
chevelure s’embrase.
Père, les
brandons brûlent mes cils, les braises gonflent mes lèvres.
Père,
n’attends pas plus longtemps, les tisons lèchent mes joues, la cendre emplit ma
bouche.
Père, j’ai
mal aux jambes, l’étau me broie et la fumée m’étouffe.
Père, je ne
reproche rien ; je te regarde et tu ne me vois pas.
Père, lève
les yeux un instant et contemple ton fils qui flambe sans un bruit.
Père,
regarde mon lit incendié, mes habits dévastés.
Père,
regarde les jouets de ton fils qui grillent avec lui.
Père, ne t’endors
pas quand je te nomme, quand j’attends la fraîcheur de tes mains.
Mon
fils, encore un peu de temps, je reprends mes esprits, je ne sais où je suis.
Mon
fils bien-aimé, es-tu déjà si loin que je n’entende rien de tes plaintes, de
tes cris ?
Tu
riais autrefois, tu chantais des eaux claires, tu aimais les jeux purs.
Ô père, je
dois te dire adieu. Ma peau n’est plus que plaie et mes genoux grésillent, mes
orbites se dilatent.
Ô père, il
va être trop tard. Ma nuque se brise, ma langue se consume.
Père, vite,
il n’est que temps.
Père, père,
je meurs et tu n’auras rien fait.
Père, il
est trop tard déjà, tu sais.
Père,
gentil père, mon doux père, adieu !
Mon
fils, je suis à tes côtés depuis le commencement.
Mon
fils, je t’accompagne et je ne peux rien faire.
Mon
fils, je te regarde, je te caresse et je te pleure.
Mon
fils, un père n’est qu’un homme misérable, aux bras si courts, aux pensées si
étroites.
Mon
fils, je ne suis pas bourreau. Un père est une maigre chose, un nom porté, un
froncement de sourcils.
Mon
fils, un père est toujours plus petit que son fils.
Mon
fils, ce serait bien à toi de me sauver, de me bercer.
Mon
fils, je tiens ta tête entre mes mains et je baise tes yeux et je noie mon
visage dans tes cheveux dorés.
Mon
fils, la charge était trop lourde.
Mon
fils, nul n’est coupable, vois-tu.
Mon
fils, mon fils, pourquoi m’as-tu abandonné ?