Le fils, toujours, est plus grand que le père

 

François Nicolas

 

 

 

 

       Père, ne vois-tu pas que je brûle ?

 

       Père, ne vois-tu pas que je meurs en silence à tes côtés ?

       Père, ne vois-tu pas ton fils qui s’embrase et qui hurle ?

       Père, que fais-tu donc, que fais-tu endormi quand je souffre ?

       Père, pourquoi dors-tu ainsi quand ton enfant appelle ?

       Père, père, pourquoi m’abandonner ainsi aux flammes sans un regard ?

 

Je t’entends mal, mon fils, tu sais, je t’entends mal.

Mon fils, les pères sont parfois fatigués.

Mon fils, j’en sais si peu, mes bras sont lourds, ma tête est toute vide.

Fils chéri, tes paupières sont en feu, ton visage est de braise ?

Mon fils, pourquoi ne m’as-tu pas éveillé cette nuit ?

 

       Père, cette nuit est celle de tous les incendies.

       Père, père, je crie de toutes mes forces, mes poumons n’ont plus d’air.

       Père, je pleure toutes mes larmes, je n’ai plus rien déjà pour calmer la fournaise.

       Père, j’ai mal aux yeux, mon ventre se calcine et les croûtes me grillent.

       Père, reconnais-tu ma voix ? Mes sanglots m’affaiblissent et je suis déjà loin.

 

Mon fils, fils adoré, je te discerne mal.

Ô fils, je ne t’abandonne pas ; je marche, tu sais, et je te cherche.

Mon fils, il est si dur d’entrouvrir les yeux.

Mon fils, je t’extrairai des flammes, mais où es-tu couché ?

 

       Père, pourquoi ne viens-tu pas ? Je suis là, je te vois.

       Père, il n’est plus temps d’attendre, je me meurs.

       Père, pourquoi ne me sauves-tu pas ? Pourquoi ainsi me laisser seul ?

       Père, qu’as-tu donc, pourquoi es-tu d’un coup si pâle ?

       Père, c’est moi qui crépite à tes flancs, c’est mon crâne qui éclate, c’est mon dos qu’on attise.

       Père, père, pourquoi ne me parles-tu pas ?

 

Mon fils, ma langue m’étouffe, mes dents se creusent.

Mon fils, la salive envahit mon palais et mes ongles se rétractent.

Mon fils, je suis là et j’accours et je ne bouge pas.

Mon fils, laisse-moi un instant, laisse-moi prendre force.

Mon fils, fils léger, j’arrive, je prends élan.

 

       Père, ma chevelure s’embrase.

       Père, les brandons brûlent mes cils, les braises gonflent mes lèvres.

       Père, n’attends pas plus longtemps, les tisons lèchent mes joues, la cendre emplit ma bouche.

       Père, j’ai mal aux jambes, l’étau me broie et la fumée m’étouffe.

       Père, je ne reproche rien ; je te regarde et tu ne me vois pas.

       Père, lève les yeux un instant et contemple ton fils qui flambe sans un bruit.

       Père, regarde mon lit incendié, mes habits dévastés.

       Père, regarde les jouets de ton fils qui grillent avec lui.

       Père, ne t’endors pas quand je te nomme, quand j’attends la fraîcheur de tes mains.

 

Mon fils, encore un peu de temps, je reprends mes esprits, je ne sais où je suis.

Mon fils bien-aimé, es-tu déjà si loin que je n’entende rien de tes plaintes, de tes cris ?

Tu riais autrefois, tu chantais des eaux claires, tu aimais les jeux purs.

 

       Ô père, je dois te dire adieu. Ma peau n’est plus que plaie et mes genoux grésillent, mes orbites se dilatent.

       Ô père, il va être trop tard. Ma nuque se brise, ma langue se consume.

       Père, vite, il n’est que temps.

       Père, père, je meurs et tu n’auras rien fait.

       Père, il est trop tard déjà, tu sais.

       Père, gentil père, mon doux père, adieu !

 

Mon fils, je suis à tes côtés depuis le commencement.

Mon fils, je t’accompagne et je ne peux rien faire.

Mon fils, je te regarde, je te caresse et je te pleure.

Mon fils, un père n’est qu’un homme misérable, aux bras si courts, aux pensées si étroites.

Mon fils, je ne suis pas bourreau. Un père est une maigre chose, un nom porté, un froncement de sourcils.

Mon fils, un père est toujours plus petit que son fils.

Mon fils, ce serait bien à toi de me sauver, de me bercer.

Mon fils, je tiens ta tête entre mes mains et je baise tes yeux et je noie mon visage dans tes cheveux dorés.

Mon fils, la charge était trop lourde.

Mon fils, nul n’est coupable, vois-tu.

 

Mon fils, mon fils, pourquoi m’as-tu abandonné ?