Les enjeux de la spatialisation pour la musique mixte : état des problématiques

 

Cycle La spatialisation (Ircam, 21 mars 2005)

 

François Nicolas         

(compositeur, professeur associé à l’Ens)

 

Résumé

Comment la composition prend-elle en charge l’espace dans lequel se déploie la musique ?

Cette question acquiert une acuité particulière dans le cadre de la musique mixte : celle qui associe des sons rayonnés par des instruments dans un lieu architectural et des sons projetés par des haut-parleurs dans un volume géométrique.

 

S’agissant de dégager quelques grandes orientations en matière de spatialisation musicale, on commencera par examiner les partis adoptés par certaines œuvres (entre autres de Boulez, Nunes et Nicolas) et leur articulation aux principaux dispositifs technologiques développés en la matière par l’Ircam (entre autres le Spat, la Timée et la Wfs).

On esquissera à partir de là une typologie de la spatialisation musicale. Pour ce faire on soutiendra que la musique relève de l’espace à un triple titre : celui des corps qu’elle met en œuvre, celui de l’écriture qui matérialise sa structure, celui de l’écoute qui l’oriente.

 

[ Présentation PowerPoint ]

 

Plan

Introduction

Spatialisation ?

Précisions sémantiques

Deux voies

Musique mixte…

Quelques premiers exemples

Erkennung

Dans la distance (cadence électroacoustique)

Spat, Wfs…

Duelle (cadence Timée)

Première catégorisation

3 logiques spatiales

2 dispositions d’écoute

2 approches de l’espace

2 conceptions des sonorités

Dualité de la spatialisation

Rapports instruments / haut-parleurs

2 logiques pour articuler instruments et haut-parleurs

Dans la distance : la sonorité du haut-parleur dirige celle de l’instrument

Voie du Spat et de la Wfs…

Duelle : la sonorité de l’instrument retrouve son aspect dirigeant

Voie de la Timée dans Duelle

Lichtung : autre voie pour instrumentaliser le haut-parleur

Autres exemples (de musique non mixte)

Local (cette fois instrumental)

Régional (cette fois électroacoustique)

Global (cette fois instrumental)

Quodlibet

Exemples d’œuvres mixtes

Boulez : Dialogue de l’ombre double

Deux projets

Synthèse additive spatiale

B.IN.AU.R.

Au total

6 problématiques

5 écoutes de la spatialisation

4 manières d’intégrer la spatialisation à la composition

3 manières d’écrire la spatialisation

Conclusion

 


Introduction

Difficultés

·       La présentation des dispositifs techniques de l’Ircam n’a finalement pas été faite.

·       La diversité compositionnelle existante est sans confrontation entre les positions. D’où une dispersion sans mise en rapports…

·       Une partie des nouveaux dispositifs Ircam (Wfs, S.A.S.) sont pour le moment sans œuvres.

Þ Comment faire entendre cette diversité dans cette salle ?

Mon parti pris : éclairer les différentes orientations à partir de quelques œuvres, en offrant ainsi un parcours possible, non entièrement systématique.

Spatialisation ?

Précisions sémantiques

Précisons un peu le sens ici donné au mot « spatialisation ».

Spatialisation vient de spatialiser lequel vient de spatialité qui vient à son tour de spatial lequel remonte ultimement à espace.

Si l’on redescend le parcours signifiant, on a donc cet enchaînement :

·       spatial indexe qu’une chose relève de l’espace ;

·       spatialité désigne la propriété de relever de l’espace ;

·       spatialiser une chose, c’est déployer sa capacité à relever de l’espace ;

·       spatialisation musicale, finalement, désigne l’action de déployer ce qui dans la musique relève de l’espace.

On dira donc : spatialiser une œuvre musicale, c’est déployer sa manière de relever de l’espace.

Deux voies

Cela débouche sur deux voies.

Quand on dit « déployer la manière dont la musique relève de l’espace », s’agit-il de

·       prendre en charge le rapport acoustique de la musique à un espace donné ?

·       constituer un espace sonore conforme à la musique ?

            Dans le premier cas, l’espace est concrètement donné comme lieu architectural. On part ici d’un rapport acoustique naturel (physique) à un lieu donné et on se demande comment musicaliser ce rapport (il ne s’agit pas de musicaliser le lieu). La spatialisation est ici conçue comme une manière musicale de courber l’espace d’un lieu donné (de le courber par l’action de sources musicales qui agissent alors sur cet espace un peu comme le fait la gravitation dans la relativité générale…).

            Dans le second cas, la musique choisit de partir de zéro pour constituer « son » propre espace : elle traite la salle comme un simple volume dont il s’agit de neutraliser les propriétés sensibles (acoustiques) pour mieux déplier déployer les sons selon trois dimensions abstraites : avant-arrière, gauche-droite, haut-bas. La spatialisation est ici conçue comme déploiement d’une spatialité neutre et abstraite.

 

Ces deux voies vont être les voies spontanées

·       d’une part de la musique instrumentale,

·       d’autre part de la musique électroacoustique.

Ces deux types de musique se distinguent essentiellement par le type de sources sonores utilisées (instrument contre haut-parleur) et chaque type de sources va directement agir sur le type de spatialisation ; on peut ainsi soutenir que le rapport musical à l’espace est conditionné par le type de source sonore utilisée.

Musique mixte…

D’où une acuité particulière de la question de la spatialisation pour la musique mixte : articuler musique instrumentale et musique électroacoustique, ce sera articuler non seulement deux types de sources sonores mais aussi deux types de rapport à l’espace, deux types différents de spatialisation.

D’où le schème suivant indiquant que la musique mixte se partage également dans son rapport à l’espace :

Quelques premiers exemples

Erkennung

Trois aspects :

·       Ici le lieu architectural (la cathédrale) préexiste et est offert à la musique.

·       Le Grand Orgue couvre tout le mur du fond. Il est disposé en hauteur en sorte de mieux occuper acoustiquement la nef.

·       Grande réverbération dont l’œuvre tire parti.

Noter que le même instrument occupe l’espace architectural de deux manières :

·       les montres (fonds de flûtes…) fournissent une vaste surface rayonnant dans la nef ;

·       les chamades (trompettes disposées horizontalement) projettent leurs sonorités de manière très directive.

Dans la distance (cadence électroacoustique)

·       Ici six haut-parleurs ceinturent la salle.

·       Le matériau sonore provient d’une synthèse granulaire

·       La projection des haut-parleurs sillonne le volume, tourne, traverse…

L’auditeur n’est plus en face d’une source mais est immergé dans un milieu sonore diffusé par les haut-parleurs.

Spat, Wfs…

Cette manière de faire est systématisée d’abord dans le Spat, puis maintenant dans la Wfs

Je reviendrai sur les caractéristiques générales de cette manière de faire, mais voyons d’abord un troisième exemple.

Duelle (cadence Timée)

Ici la source est localisée en un endroit précis de la salle (plutôt qu’elle n’occupe tout un mur comme le faisait le Grand Orgue de Notre-Dame de Paris).

La source électroacoustique (Timée) rayonne ici comme un instrument sauf que l’instrument-Timée a des possibilités de rayonner qui lui sont propres. Ainsi au début de cet exemple, la Timée ne rayonne pas comme un piano, ni comme 4 pianos (ici superposés) mais compose une polyphonie d’un nouveau type — une Timéephonie — et de nouvelles modalités de rayonner.

Ex. le dipôle latéral (écrit x)

Première catégorisation

3 logiques spatiales

·       locale : Timée

·       régionale : l’orgue

·       globale : ceinture de haut-parleurs

2 dispositions d’écoute

·       La Timée comme l’orgue constituent un face à face pour l’auditeur avec la source.

·       La ceinture de haut-parleurs organise une immersion de l’auditeur dans un milieu sonore.

2 approches de l’espace

·       l’une concrète : l’espace pour l’œuvre se donne comme un lieu architecturalement bâti (la cathédrale pour l’orgue, l’espace de projection pour la Timée dans Duelle),

·       l’autre abstraite : la musique est ici indifférente au lieu, à sa singularité architecturale.

2 conceptions des sonorités

Thèse : Les « choses » [1] sonores que diffuse le haut-parleur sont moins des « choses » musicales que des images (de synthèse ou non) de « choses » musicales.

D’où la polarité instrument / haut-parleur :

Musique

instrumentale

électroacoustique

Acteur

Corps physiologique du musicien

Signal linéaire

Source

Corps instrumental

Membrane du haut-parleur

Rapport acteur/source :

Jeu d’un corps à corps

Transduction électrodynamique

Diffusion de la source par

rayonnement

projection

Rapport source/espace

Excitation d’un lieu architectural

Sonorisation d’un volume

Au total on a

de la musique rayonnée dans un lieu

des images sonores (de musique) diffusées dans un volume

·       Pour la musique instrumentale (orchestrale et vocale), « l’espace » est un lieu de rayonnement (sonore) pour des corps à corps (musicaux).

·       Pour la musique électroacoustique, « l’espace » est un volume de projection (sonore) pour des images (musicales).

Soit :

·       La musique instrumentale procède du jeu entre des corps (humains et instrumentaux) en sorte que les corps instrumentaux rayonnent dans un lieu architectural préexistant.

·       La musique électroacoustique, elle, procède de haut-parleurs [2] stimulés par un signal (transduction électro-mécano-acoustique) en sorte de projeter des sons (selon un cône très directif) dans un volume neutre.

Dualité de la spatialisation

On peut thématiser ainsi la polarité proposée :

Localisation concrète

(des instruments dans une salle)

Timée

Spatialité abstraite

(ceinture de transducteurs effaçant les cloisons)

Spat — Wfs

Corps rayonnant

(faisceau de vecteurs)

Champ diffusant

(train d’ondes)

Espace borné (murs, plafond, plancher)

Espace illimité

Son projeté

Son diffusé

Espace orienté

Espace inorienté

Espace séparé

(zones de projection/d’écoute)

Espace d’un seul tenant

On a ainsi deux modes de spatialisation, autant dire deux manières de « relever de l’espace » :

·       La manière « instrumentale » où il s’agit de prendre en charge le rapport acoustique de la musique à l’espace. Ici l’espace est donné à la musique comme lieu architectural concret. La question est : comment musicaliser le rapport acoustique à ce lieu ? D’où la spatialisation comme courbure sonore de ce lieu.

·       La manière « électroacoustique » où il s’agit de constituer une répartition spatiale de la musique. Ici, la musique déplie un volume selon trois dimensions abstraites. La question est alors : comment bâtir musicalement ce volume sonore ? D’où la spatialisation comme constitution d’un volume sonore.

Où le rapport musical à l’espace s’avère donc commandé par le type de source sonore : c’est le type de matière sonore privilégié qui configure le type d’espace retenu (soit à nouveau l’espace-matière de la relativité générale…).

Rapports instruments / haut-parleurs

Autre aspect des œuvres écoutées : il y a des instruments aussi bien dans Duelle (logique locale) que dans Dans la distance (logique globale).

Écoutons deux exemples :

·       Dans la distance

·       Duelle

2 logiques pour articuler instruments et haut-parleurs

On prend ici mesure de deux logiques différentes dans la manière d’articuler la dualité propre à la musique mixte selon que la sonorité du haut-parleur va commander à celle de l’instrument (cas malheureusement le plus fréquent) ou, qu’à l’inverse on va tenter d’instrumentaliser (au sens musical du mot « instrument » c’est-à-dire au sens d’un instrument de musique) le haut-parleur.

Dans la distance : la sonorité du haut-parleur dirige celle de l’instrument

Amplification des instruments pour que les sonorités se mélangent avec celles des haut-parleurs.

Ainsi la sonorité du haut-parleur commande ici puisque la sonorité de l’instrument doit passer par celle du haut-parleur…

D’où un parti usuel consistant à amplifier les instruments de musique en sorte de faciliter le mélange des sonorités instrumentales et électroacoustiques. Le paradoxe est ici que c’est l’instrument de musique qui tend à s’aligner sur la sonorité du haut-parleur, et donc que la chose musicale tend à s’aligner sur le fonctionnement des images sonores [3]. Pourquoi fait-on cela en musique ? Car il est beaucoup plus simple d’amplifier les instruments de musique que de musicaliser les haut-parleurs : par commodité donc, on « haut-parleurise » les instruments plutôt qu’on instrumentalise [4] les haut-parleurs. Dans mon histoire, c’est le parti qu’il m’a fallu adopter pour Dans la distance.

Voie du Spat et de la Wfs…

Le Spat approfondit cette voie.

La Wfs (Wave Field Synthesis) fait un pas de plus ; elle envisage d’abolir le haut-parleur par le haut : grâce à sa prolifération à l’intérieur d’une ceinture dense de transducteurs. Tendanciellement il s’agit ici d’abolir le haut-parleur par une enveloppe de transducteurs, de dissoudre donc les sources « réelles » au profit de surfaces englobantes, enveloppant le lieu. L’espace sonore est conçu comme un champ d’ondes doté de pôles, intérieurs ou extérieurs à l’espace enveloppé, fonctionnant comme sources « virtuelles », comme « images » de sources…

Cette voie est donc celle d’un approfondissement de l’image sonore — d’où qu’on parle à son endroit d’holophonie, par analogie avec les images visuelles des hologrammes —. D’où l’importance, dans son cas, de la catégorie de « virtuel ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Cette voie est donc celle d’un approfondissement de l’image sonore — d’où qu’on parle à son endroit d’holophonie, par analogie avec les images visuelles des hologrammes —. D’où l’importance, dans son cas, de la catégorie de « virtuel ».

D’où une voie où la spatialisation devient conçue comme une virtualisation :

·       Abstraction tendancielle du lieu concret

·       Abolition du haut-parleur (par une ceinture de transducteurs)

·       Logique de champ d’ondes

·       Constitution de pôles fonctionnant comme sources virtuelles

·       Des images sonores conduisant à une holophonie

Duelle : la sonorité de l’instrument retrouve son aspect dirigeant

À l’inverse, ici c’est le haut-parleur qui est instrumentalisé (au sens musical du terme) ou du moins qui a commencé de l’être (il n’y a pas encore ici de jeu en temps réel de la Timée).

Thèse : Il faut remettre la musique mixte sur ses pieds en instrumentalisant (au sens musical du terme) les haut-parleurs.

Voie de la Timée dans Duelle

Construire la Timée c’est-à-dire une source multi-haut-parleurs apte à rayonner (et non plus seulement projeter selon un cône directif) et destiné tendanciellement à être joué en temps direct par un instrumentiste. Ici on agit directement sur le rapport à l’espace :

1. en groupant différents haut-parleurs en une source apte à rayonner,

2. en pilotant cette source de telle manière qu’on puisse contrôler ce rayonnement.

La spatialisation est ici conçue comme manière d’adresser le son à un lieu. La voie privilégiée est celle d’une écoute face à la source et dans la distance (pas d’immersion et séparation d’avec la source).

Le traitement de la spatialisation se fait par contrôle de sa structure en sorte de pouvoir l’écrire à la lettre : K, ∆, W

Lichtung : autre voie pour instrumentaliser le haut-parleur

Lichtung d’E. Nunes (1988-1991) 56’ (pour 9 instrumentistes et dispositif électroacoustique)

Composer des enveloppes précises pour chaque intervention de chaque haut-parleur. Ici on fignole à la main, au cas par cas, un équivalent instrumental pour le haut-parleur : on compose un « profil » instrumental pour chaque intervention de haut-parleurs, on l’enrichit de transitoires (d’attaques et d’entretien surtout). On ne change pas ce faisant le rapport du haut-parleur à l’espace mais seulement sa réactivité.

La spatialisation devient ici conçue comme déploiement d’enveloppes.

Autres exemples (de musique non mixte)

Complétons notre tableau :

 

Musique instrumentale

Musique électroacoustique

Local

Récital…

Duelle (cadence de la Timée)

Régional

Grand Orgue

Grand orchestre sur une scène

GRM

Scène rock

Global

Gruppen (Stockhausen)

Répons (Boulez)

Quodlibet (Nunes)

Dans la distance (cadence électroacoustique)

Local (cette fois instrumental)

Cas de figure ordinaire

Régional (cette fois électroacoustique)

Cf. le GRM, les groupes rock…

Global (cette fois instrumental)

Cf. Stockhausen : Gruppen

Cf. Boulez : Répons

Cf. Nunes : Quodlibet

Quodlibet

(1990-1991) 56’ (28 instrumentistes, 6 percussions et 2 chefs)

Dans ce cas occupation du Colisée de Lisbonne.

              

Il s’agit ici de composer non pas exactement un milieu sonore (comme dans le cas électroacoustique) mais plutôt un vaste Timbre généré par un corps collectif vers son intérieur.

L’auditeur se trouve ici à l’intérieur de la formation instrumentale et en écoute non plus de son aspect (comme c’était le cas face à l’orgue, ou face à un orchestre disposé sur un plateau) mais de ce qu’on peut appeler son inspect

Exemple : une manifestation, ressentie tout différemment de l’extérieur (aspect) et de l’intérieur (inspect).

Une différence est que l’espace n’est plus ici donné comme un contenant (sous forme de lieu architectural ou de volume géométrique) mais comme un contenu : le lieu est dans l’œuvre (plutôt que l’œuvre dans le lieu).

Somme toute, on a ici une continuité entre orchestration et spatialisation.

Exemples d’œuvres mixtes

Boulez : Dialogue de l’ombre double

Clarinette et dispositif électroacoustique (1985, 18’))

Logique classique de l’utilisation de l’espace : les figures musicales (motifs, cellules…) qui sont présentes dans l’écriture et présentées par les instruments vont se voir représentées par la spatialisation.

Cf. déjà Penser la musique aujourd’hui : « l’espace [comme] potentiel de distribution polyphonique, indice de répartition de structures » [5].

Il faut je crois parler de « représentation » au sens d’une présentation seconde, répétée, de parties (phrases, motifs, figures, entités telles un trille, accords…) déjà présentes dans l’écriture et instrumentalement présentées.

Deux projets

liés à de nouveaux dispositifs Ircam

Synthèse additive spatiale

Projet de Pascale Criton pour diffuser une écoute au plus près de la source, pour rapprocher en quelque sorte l’auditeur lointain de la position occupée par un instrumentiste.

Exploitation du bord (entre source et espace d’écoute) avec un matériau musical de bord : le frottement.

Écoute prenant modèle sur celle de l’instrumentiste, laquelle se tient sur le bord de deux régions de l’espace

Au total, moins une spatialisation que la composition d’un lieu musical singulier.

B.IN.AU.R.

Cf. Cécile Le Prado : Secret Lisboa

Le projet est ici d’une immersion dans un réseau sonore (l’image est ici celle non pas d’une salle mais d’une ville).

L’espace est alors non scindé. La scène sonore composée est découpée dans un lieu, mais indifférente à ce lieu.

Le point d’écoute se trouve en mouvement (écoute interactive en casque)

L’écoute est essentiellement rétroagissante : cf. cela conduit à concevoir une œuvre ouverte d’un type nouveau (sans doute une œuvre de « l’art des sons fixés » plus encore qu’une œuvre musicale proprement dite).

La préoccupation d’écriture prend alors la forme d’un souci d’outils de script permettant un contrôle à haut niveau des différents logiciels mobilisés : créer une surface de représentation jouant le rôle d’une partition…

Ce travail s’inscrit dans la nouvelle technologie nommée B.IN.AU.R.

 

Au total on a ici une écoute mobile :

·       Espace non scindé (pas de scène sonore réelle)

·       Écoute au casque

·       Écoute en immersion dans un réseau sonore

·       Écoute en mouvement

·       Écoute rétroagissante

·       Écriture de scripts contrôlant, à haut niveau, la disparité des outils informatiques

·       Moins une spatialisation que l’invention d’un lieu imaginaire pour l’oreille

Au total

6 problématiques

·       Pierre Boulez (Dialogue de l’ombre double) :

La spatialisation comme représentation

·       François Nicolas (Duelle)

La spatialisation comme adresse

·       Emmanuel Nunes (Quodlibet)

La spatialisation comme inspect d’un Timbre

·       Synthèse additive spatiale (S.A.S.) [projet de Pascale Criton]

La spatialisation comme création de bords pour un  lieu singulier

·       Wfs [projet de Philippe Schoeller]

La spatialisation comme virtualisation

·       B.IN.AUR. : Cécile Le Prado (Secret Lisboa)

La spatialisation comme immersion dans une topographie imaginaire

5 écoutes de la spatialisation

La question du type d’écoute est bien sûr essentielle : la musique est l’art de l’écoute.

Les différentes orientations quant à la spatialisation sont plus ou moins souterrainement commandées par quelques grandes orientations en matière d’écoute. J’en distinguerai ici 5 :

• Écoute à distance et séparée d’un corps musical (Nicolas)

• Écoute intérieure d’un corps musical collectif (Nunes, Boulez)

• Écoute au bord d’un corps rayonnant (Synthèse additive spatiale)

• Écoute en immersion d’un espace musicalisé (Wfs)

• Écoute mobile d’un espace sonorisé (Le Prado)

4 manières d’intégrer la spatialisation à la composition

4 manières de composer musicalement une spatialisation, de prendre en charge musicalement le rapport à l’espace :

• par le timbre (Nunes)

• par le phrasé (Nicolas)

• par le frottement (Criton)

• par la synthèse (Valerio Sannicandro)

Voir Alteræ Naturæ. Il s’agit ici de jouer de la Timée et de ses directivités moins dans une logique de modèle instrumental que pour composer un nouveau type de synthèse sonore. Soit un nouveau lien entre spatialisation et orchestration — rapprochement avec intuition de Schoeller sur une potentialité de la WFS…

3 manières d’écrire la spatialisation

·       Tablatures :

inscription du geste instrumental

ex. lancement d’un patch

·       Notations :

inscription de l’effet sonore

ex. figuration d’une trajectoire spatiale

·       Écriture proprement dite (à la lettre) :

inscription d’une structure musicale

ex. lettres des figures de directivité pour la Timée (K, ∆, Ω…)

Conclusion

En conclusions deux remarques générales.

            1) La question de la « spatialisation » est étroitement intégrée à la problématique de la composition : elle a très peu d’autonomie par rapport à « la musique » non pas au sens où il n’y aurait pas de diversité dans les manières musicales de spatialiser (on a vu que c’était tout le contraire) mais au sens où ces « manières » sont étroitement intégrées à une manière plus globale de concevoir ce que veut dire « composer de la musique ». Comme on l’a vu, cette intégration touche aux trois faces de la musique : les corps qu’elle met en œuvre, l’écriture qui matérialise sa structure, et l’écoute qui l’oriente ultimement (s’il est vrai que la musique est fondamentalement art de l’écoute bien plus que l’art des sons ou l’art du temps).

            2) Pour la musique, l’espace sonore, qu’il soit pour elle un lieu concret donné ou un volume abstrait à déployer, est modelable par le matériau qu’elle y produit et y fait circuler. Je l’ai déjà suggéré : ce travail proprement musical sur l’espace peut être vu comme contemporain non pas tant de la relativité restreinte (continuum espace-temps) que de la relativité générale (continuité espace-matière), mais d’une bien curieuse relativité générale qui aurait court-circuité la relativité restreinte et son équivalence propre du temps et de l’espace : pour la musique, il n’y a en effet pas sens, je crois, à poser qu’espace et temps s’équivalent (je poserai volontiers que pour la musique, l’espace existe quand le temps n’existe pas, n’étant pour elle qu’une opération sur l’existence) mais il y a par contre sens à tenir que pour la musique son matériau sonore courbe l’espace autour de ses instruments comme en relativité générale la matière le fait selon ses champs gravitationnels.

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[1] Je parle à dessein de « choses », non d’« objets », pour ne pas nous encombrer ici de la question de la perception et de la supposée relation sujet/objet…

[2] lesquels ne sont pas des instruments, n’étant pas joués par un corps humain et n’étant pas non plus des corps physiques mais seulement des membranes —, haut-parleurs. C’est précisément pour cela qu’il n’y a pas de Stradivarius des haut-parleurs (Philippe Schoeller) : tout simplement car le haut-parleur n’est pas un instrument de musique !

[3] Où l’on retrouve ce travers de notre époque : normer les existences selon la modalité d’existence des images, prendre la logique des images comme norme de ce qui existe (ainsi n’existerait que ce qui est doté d’une image, si possible quantitativement reproduite).

[4] au sens musical du terme « instrument »

[5] p. 19