François Nicolas : Cours de mathématiques modernes 

 

Théâtre La Commune d’Aubervilliers - salle des Quatre Chemins

41, rue Lécuyer — 93300.Aubervilliers (M° Quatre Chemins)

 

www.lacommune-aubervilliers.fr/saison/cours-de-mathematiques-modernes

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/mathsmodernes

 

Entrée libre (50 places)

 

Liste de discussion : mathsmodernes@framalistes.org

 

Galois (dimanche 17 janvier 2021)

 

reporté au 21 novembre 2021

 

Argumentaire pour tous

Au début du XIX° siècle, la situation de l’algèbre se trouve bloquée : on ne sait toujours pas résoudre algébriquement (par radicaux [1]) l’équation algébrique (polynomiale) du cinquième degré [2], c’est-à-dire identifier algébriquement chacune de ses cinq racines.

En 1824, Abel vient aggraver la situation en la verrouillant : il démontre (par l’absurde) qu’il est impossible, dans le cas général, de la résoudre.

L’impasse de l’algèbre classique, fondée sur la résolution de son objet propre (l’équation algébrique) devient donc totale : à quoi bon désormais une algèbre, travaillant depuis un millénaire (IX°-XVIII°) sur l’objet qu’elle a inventé (l’équation polynomiale) - qui s’est ajouté aux antiques objets arithmétique (le nombre) et géométrique (la figure) - si l’inconnue n’est plus identifiable par les moyens même (algébriques et arithmétiques) qui l’ont déterminée comme inconnue ? À quoi bon une inconnue déterminée s’il est assuré qu’en algèbre, elle restera radicalement inidentifiable, dépourvue de tout nom propre, algébriquement anonyme ?

 

C’est en ce point qu’en 1831 Galois vient révolutionner la problématique de l’algèbre en dégageant la structure secrète qui préside à cette impossibilité : celle de groupe.

Ce faisant, la nouvelle théorie galoisienne inaugure l’algèbre moderne qui va révolutionner l’algèbre classique de trois manières intriquées : 1) en déplaçant l’intérêt algébrique porté à l’équation : il faut abandonner le désir de la résoudre et s’attacher désormais à caractériser son groupe, organisateur secret du collectif des racines ; 2) en étendant l’algèbre à l’étude de structures telles celle de groupe, sans se restreindre à l’étude des équations polynomiales ; 3) en reconstruisant toute la mathématique moderne sur la base de nouvelles structures algébriques (groupes, anneaux, corps, espaces vectoriels, …).

 

Le statut de l’inconnue x au principe de l’algèbre s’en trouve radicalement renversé : avec sa lettre « x », l’algèbre classique avait formalisé l’objet « inconnue » qu’elle avait extrait de son néant arithmétique (l’arithmétique, opérant du connu au connu, ne connaissait pas l’inconnue) aux fins de le résorber, par calculs successifs, jusqu’à connaître in fine la quantité inconnue et lui donner un nom algébrique.

L’algèbre moderne ne va plus saisir cette inconnue x comme quantité à connaître mais comme index générique affirmant l’existence secrète d’une structure constituante (le groupe de Galois de l’équation). Ainsi, tout de même que la conception moderne d’un secret l’arrache à son acception infantile (une dissimulation volontaire) pour y saisir l’affirmation d’un repli intrinsèque autorisant qu’« un secret avoué [3] reste bien un secret » (Lacan), tout de même une longue série de catégories, formulées négativement ou privativement dans l’ère classique, vont être rehaussées, par les pensées modernes, au statut positif de propriétés affirmatives :

-       avec Dedekind, l’irrationnel ne sera plus l’exception numérique (telle √2) qui échappe à la mesure rationnelle commune mais deviendra la norme hégémonique de la nouvelle numéricité ;

-       à partir de Lobatchevski, le non-euclidien ne relèvera plus de la pathologie spatiale mais deviendra la règle, restreignant rétroactivement l’euclidien au stade primitif de géométrie « naturelle » ;

-       avec Cantor et Dedekind, l’infini ne sera plus l’envers négatif et inaccessible du fini mais l’attribut foisonnant de quantités telles qu’une stricte partie peut y équivaloir au tout ;

-       avec Hamilton (algèbre) comme avec Connes (géométrie), le non-commutatif ne se présentera plus comme un défaut mais comme le socle de nouvelles propriétés algébriques ou géométriques ;

-       avec Klein, l’invariant ne sera plus le déchet inerte de vivantes variations mais le point autour duquel se constituent les différentes géométries, chacune se mesurant à ce qu’elle n’affecte pas plutôt qu’à ce qu’elle transforme ;

-       avec Gödel, l’indécidable ne sera plus un reste non-calculable mais délimitera le lieu exact où il devient requis de décider ;

-       avec Hironaka, l’irrégulier ne se réduira plus à l’exception d’une pathologie phénoménale mais deviendra singularité locale concentrant les contradictions globales de la situation ;

-       avec Cohen, l’indiscernable pointera moins un manque de constructibilité qu’une puissance générique de type nouveau ;

-       avec Robinson et Conway, l’infinitésimal ne sera plus cette poussière brownienne que Newton et Leibniz ne savaient canaliser mais deviendra la matière même d’un univers numérique en expansion ;

-       avec Freud, l’inconscient ne sera plus ce qui échappe à la conscience mais ce qui structure, selon ses lois propres, la vie subjective des corps parlants ;

-       avec Marx, les prolétaires sans outils et sans droits ne seront plus des victimes du capitalisme mais les porteurs d’un projet universel d’émancipation politique ;

-       et tout de même avec Galois, l’inconnu ne sera plus ce qu’il s’agit de connaître mais ce qui, à raison même d’exister incognito, indexe une puissance de solidarité résistant au « diviser pour régner ».

Où l’on mesure donc que la modernité tire sa force de retourner sa critique du classicisme en une explosion d’affirmations neuves.

 

*

 

Le propos général de ce cours sera d’introduire à l’algèbre détaillée de cette problématique, en sorte par exemple de comprendre pourquoi les cinq racines réelles {-1.9…, -1.3…, -0.2…, +0.8…, +1.6…} de l’équation x5+x4-4x3-3x2+3x+1=0 resteront à jamais algébriquement clandestines, opposant une pseudonymie résolue à l’injonction de l’algèbre classique : « Racines, vos papiers ! »

 

Un premier enjeu intellectuel sera alors de comprendre pourquoi et comment l’organisation moderne d’un collectif procède moins de la somme classique de diverses compétences individuées (tel le casting d’un spectacle ou la sélection des Sept Samouraï dans le film de Kurosawa) que la constitution, sur la base d’un point de vue d’ensemble partagé, d’un groupe dont la puissance solidaire repose sur la substituabilité d’adhérents essentiellement égaux et anonymes.

Un second enjeu intellectuel sera de comprendre comment l’algèbre moderne, rédupliquant l’algèbre classique (la résolution de l’inconnue énoncée devient assumée comme inconnue d’énonciation), vient sceller l’inconnue sur elle-même et par là lui donner le statut d’une sorte d’inconscient mathématique [4] (en ce point, les analogies du travail algébrique avec celui de l’inconscient psychanalytique pullulent : travail à la lettre, travail aveugle, travail de la conscience réflexive n’épongeant pas le retranchement de l’inconscient…).

 

***

Annexe pour matheux

Le pari mathématique sera de rendre la dynamique de cette théorie intelligible à chacun.

 

Pour ce faire, on montrera comment l’algèbre des polynômes se divise dynamiquement de manière contravariante (c’est-à-dire selon deux ordres inverses) en une arithmétique des nombres et une géométrie des permutations (géométrie formalisée par groupes de Galois), dynamique que l’on peut diagrammatiser ainsi :

 

 

On explorera cette dynamique selon les étapes suivantes.

1)   D’un côté un polynôme peut être vu comme le « polynom » de ses racines : il « polynomme » un paquet de nombres algébriques ; on dira qu’il formalise algébriquement une propriété arithmétique.

Ce faisant, l’algèbre des polynômes va permettre de contrôler une extension arithmétique de l’intérieur même du corps de définition (par quotientage de l’anneau des polynômes).

2)   D’un autre côté, un polynôme configure également un groupe de substitutions entre ses racines (dit groupe de Galois) ; on dira qu’il formalise algébriquement une propriété géométrique ;

Ce faisant, l’algèbre des polynômes va permettre d’associer la décomposition d’un polynôme donné à la réduction de son groupe de Galois.

3)   Au total, la décomposition d’un polynôme va pouvoir se diviser en deux projections contravariantes :

-      une tour d’adjonctions-extensions du corps initial de rationalité K vers le corps ultime de décomposition L ;

-      un puits de sous-groupes du groupe de Galois initial G vers le groupe minimal Id terminal.

Cette double décomposition, discrète (par étapes dénombrables, ou par « crans »), sera pas à pas mesurée (par la dimension des espaces vectoriels générés par l’interprétation des anneaux-quotients en adjonctions-extensions) et bornée (par la butée ultime de la réduction en sous-groupes sur le groupe minimal Id correspondant au parachèvement de la tour d’extensions dans le corps de L de décomposition).

4)   On examinera alors les trois conditions précises pour que « le pignon » polynomial « crante » correctement les deux « crémaillères » contravariantes : extensions de corps et réductions de groupes :

-       quotientage des anneaux par un idéal en sorte que l’anneau-quotient ait une structure de corps [condition de crantage pour le pignon polynomial] ;

-       extension normale en sorte qu’un polynôme irréductible y devienne séparable [condition de crantage pour la crémaillère arithmétique des corps] ;

-       quotientage du groupe par un sous-groupe distingué en sorte que le quotient obtenu ait bien une structure de groupe [condition de crantage pour la crémaillère algébrique des groupes].

[ vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=EjiIcqmtEuo ]

 

5)   Au total, on saisira que, dans la théorie de Galois, le motif objectif de départ (à quelles conditions une équation algébrique est-elle résoluble par radicaux ?) n’est pas rédupliqué par son mobile subjectif d’arrivée (c’est à ce titre que Galois parlait de « sauter à pieds joints par-dessus les calculs »), lequel mobile vise désormais à constituer une théorie algébrique des groupes là où l’algèbre classique avait précédemment constitué une théorie algébrique des équations et des fonctions polynômiales (et ce sans se restreindre elle-même aux seules identifications algébriques des racines) : tout de même que l’algèbre classique était passée du motif grandeur inconnue au mobile équations algébriques, l’algèbre moderne passe du motif résolution inconnue au mobile groupes algébriques.

 

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Documentation pour bûcheurs

Je rappelle l’existence d’une liste électronique de discussion à laquelle chacun est invité à s’inscrire s’il souhaite échanger sur ces différentes études des mathématiques modernes :

mathsmodernes@framalistes.org

https://framalistes.org/sympa/info/mathsmodernes

Séminaire mamuphi (F. Nicolas)

·     D’une longue marche de la modernité musicale, à la lumière de l’algèbre galoisienne (20 janvier 2018) [5]

·     Enquête mamuphique sur la théorie de Galois (7 avril 2018) [6]

·     De la solidarité de groupe dans la théorie galoisienne (13 octobre 2018) [7]

Deux exposés mathématiques

Deux problématiques contrastées :

·     Ian Stewart : Galois Theory (Third Edition)

·     Olivier Debarre et Yves Laszlo : Introduction à la théorie de Galois [8]

Voir aussi d’Olivier Debarre : Algèbre 2 (Ens-Ulm, 2012-2013) [9]

La seconde référence (cours de l’Ens-Ulm) adopte un mode d’exposition bourbakiste, celui-là même dont Stewart, pour sa part, choisit explicitement, dans sa troisième édition, de prendre l’exact contre-pied en partant non plus du cas général pour ensuite le particulariser (d’abord n dimensions, puis « soit n=2 ») mais, à l’inverse, en partant du cas le plus simple pour ensuite le généraliser (d’abord 2 dimensions, puis « soit 2=n »).

 

Une image contenant posant, homme, debout, tenant

Description générée automatiquement

https://www.youtube.com/watch?v=VBauUSg5Hs0

« Les mathématiciens du temps de Galois ont considéré que ses critères de résolubilité des équations de degré premier ne constituaient pas une réponse satisfaisante à la question car ces critères nécessitaient de connaître des informations à priori sur les racines. Ils attendaient plutôt un critère général ne faisant intervenir que les coefficients de l’équation et permettant de savoir, par simple inspection de ces coefficients, si l’équation était ou non résoluble par radicaux. La théorie de Galois, très en avance sur son temps, et montrant que le problème était bien plus subtil, ne correspondait pas à ces attentes. Et ce n’est que beaucoup plus tard que le monde mathématique a commencé à réaliser que la théorie de Galois allait bien au-delà du problème, somme toute très artificiel, de la résolution par radicaux des équations algébriques. Galois avait en fait propulsé tout le domaine de l’algèbre dans un nouveau monde : celui des groupes, des extensions de corps, et de bien d’autres concepts fondamentaux des mathématiques d’aujourd’hui. En particulier, de nos jours on s’est rendu compte qu’il est bien plus important de savoir calculer le groupe de Galois d’un polynôme, plutôt que de savoir s’il est résoluble par radicaux. »

Alain Connes

·     Vidéo : Évariste Galois et la théorie de l'ambiguïté (29 novembre 2011) [10]

·     Brève présentation non technique : Évariste Galois, celui qui sautait à pieds joints sur les calculs (Le Monde, 16 mai 2018) [11]

·     Vidéo : Les Mathématiques et la pensée en mouvement (12 novembre 2015) [12]

Deux références historiques

·       Gustave Verriest : Leçons sur la théorie des équations selon Galois (Gauthier-Villars, 1939 ; réédition Jacques Gabay1997)

·       Emil Artin : Galois Theory (1942 ; réédition Dover, 1998)

Le premier livre a constitué la référence pour bien des philosophes français de l’après-guerre  [13], en particulier pour cette considération : « Le trait de génie de Galois, c’est d’avoir découvert que le nœud du problème réside non pas dans la recherche directe des grandeurs à adjoindre, mais dans l’étude de la nature du groupe de l’équation. Ce groupe exprime le degré d’indiscernabilité des racines ; il caractérise donc non pas ce que nous avons des racines, mais au contraire ce que nous n’en savons pas. […] Ce n’est plus le degré d’une équation qui mesure la difficulté de la résoudre, mais c’est la nature de son groupe. »

Le second est un bijou de concision (moins de 100 pages), emblématique des secondes étapes des différentes modernités, étapes qui se sont s’attachées à formaliser rigoureusement les percées conceptuelles des premières étapes : la concision axiomatique et l’abstraction d’Artin deviennent stérilisateurs tant le formalisme est ici poussé à son extrémité autarcique.

Une référence sur l’histoire de la théorie

J. P. Friedelmeyer : Émergence du concept de groupe (à travers le problème de la résolution des équations algébriques) (Fragments d’histoire des mathématiques III - Brochure APMEP n°83, 1991)

L’auteur présente et commente en détail différents écrits de Lagrange, Vandermonde, Ruffini, Cauchy, Abel et Galois (son mémoire « sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux »).

Alexandre Astruc

·     Une biographie : Évariste Galois (Flammarion, 1994)

Je conseille, en particulier, son excellent résumé de la théorie de Galois pp. 46-51.

 

·     Un film : Évariste Galois ou l’éloge des mathématiques (1965) [14]

 

[ Extraits ]

 

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https://www.youtube.com/watch?v=PJdHlj7sP1Y

« Il n’y a pas en Europe une seule personne pour vous suivre dans vos raisonnements. Que vous soyez un prophète ou un fou, le résultat est le même puisque nous ne trouverez personne pour transmettre votre pensée. Ce qui compte, Galois, dans l’histoire de la science, c’est l’aspect positif de son progrès. Les incompris, les méconnus n’y ont pas de place. Vous n’aurez servi à rien, Galois, vous aurez perdu votre temps ! » « Laissez-moi maintenant. Je me battrai tôt demain matin. Je n’ai plus beaucoup de temps… »

 

Une image contenant horloge, objet, intérieur, pièce

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https://www.youtube.com/watch?v=YSJ7YL7w64w

« Ne t’impatiente pas, Galois : tu as tout ton temps ! Ton ami le polytechnicien avait raison tout à l’heure : il n’y a pas aujourd’hui en Europe une personne capable de comprendre ce que tu écris. Dans cinquante ans peut-être, dans cent ans… Il faut pardonner à Poisson, à Cauchy, à l’Académie des sciences, s’ils ont refusé ton mémoire : ils ne pouvaient pas comprendre, c’est tout. Tu n’es pas le premier, Galois : souviens-toi d’Abel ! Dans cinquante ans peut-être. Tu en as du temps devant toi ! »

 

·     Entretien sur le film [15]

 

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[1] La formulation d’une racine par radicaux (c’est-à-dire par les symboles  ou , tels  ou ) équivaut à sa nomination algébrique. Par exemple, les deux racines de l’équation ax2+bx+c+0 peuvent être formulées par radicaux (c’est-à-dire algébriquement nommées) ainsi : .

[2] de forme générale ax5+bx4+cx3+dx2+ex+f=0 avec {a, b, c, d, e, f} des nombres rationnels.

[3] et ainsi devenu connu comme secret…

[4] J’appelle ici inconscient une non-conscience rédupliquée, c’est-à-dire un traitement non-conscient du non-conscient…

[5] www.entretemps.asso.fr/Nicolas/2018/Galois.htm

[6] notes d’exposé disponibles sur demande

[7] www.entretemps.asso.fr/Nicolas/2018/Galois-13-10-2018.html

[8] www.youtube.com/watch?v=j5J9z_F7pGI

www.coursera.org/learn/theorie-de-galois

[9] www.math.ens.fr/~debarre/Algebre2.pdf

[10] www.dailymotion.com/video/xovjfs

[diapos : www.alainconnes.org/docs/slidesgaloisacadfinal.pdf]

[11] www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/16/evariste-galois-celui-qui-sautait-a-pieds-joints-sur-les-calculs_5299847_1650684.html

[12] www.youtube.com/watch?v=qrpp1Mh8EDo&feature=emb_logo

[13] C’est par exemple l’ouvrage que cite Deleuze dans Différence et répétition (p. 233-234).

[14] www.youtube.com/watch?v=BAmhQle-uvA&pbjreload=101

[15] www.revue-secousse.fr/Secousse-06/Carte-blanche/Sks06-Astruc-Evariste.pdf