François Nicolas : Cours de mathématiques modernes 

 

Théâtre La Commune d’Aubervilliers - salle des Quatre Chemins

41, rue Lécuyer — 93300.Aubervilliers (M° Quatre Chemins)

 

www.lacommune-aubervilliers.fr/saison/cours-de-mathematiques-modernes

www.entretemps.asso.fr/Nicolas/mathsmodernes

 

Entrée libre (50 places)

 

Liste de discussion : mathsmodernes@framalistes.org

 

1 - Ouverture (dimanche 11 octobre 2020)

I – Une orientation

Redonner aujourd’hui confiance dans les capacités modernes de l’humanité à s’émanciper d’une animalité naturelle, par l’exercice, collectivement discipliné, d’une pensée rationnelle et imaginative, progressant par vagues, spirales et bonds : celle des mathématiques.

 

S’appuyer sur l’exercice périodisé et scandé de la pensée mathématique depuis vingt-cinq siècles.

Comme le posait Bourbaki au principe de sa vaste entreprise collective (1939) : « nous croyons que la mathématique est destinée à survivre. Voilà vingt-cinq siècles que les mathématiciens ont l’habitude de corriger leurs erreurs et d’en voir leur science enrichie ; cela leur donne le droit d’envisager l’avenir avec sérénité. »

Nous nous appuierons doublement sur les mathématiques.

·      D’abord, comme exemple : les mathématiques attestent que l’esprit humain peut continuer et persévérer, en surmontant les saturations, les échecs, les fourvoiements et les impasses par création d’idées et de théories, par réinvention de pratiques et d’expériences normées par une raison universellement partageable.

·      Ensuite, comme ressource : les mathématiques modernes (celles qui ont émergé à partir de 1830) recèlent des trésors de notions et d’opérations, de décisions et de conséquences, d’abstractions (algébriques) et d’intuitions (géométriques) qui sont à notre libre disposition pour les comprendre, les interpréter et les faire résonner au-delà des sciences de la Nature, dans une intellectualité contemporaine de l’émancipation politique comme dans les différentes pensées artistiques actuelles.

 

Encourager chacun à travailler ces mathématiques modernes, selon ses capacités et ses besoins ; apprendre à phraser intellectuellement, chacun à sa manière, les principaux énoncés des théories concernées ; vivifier le goût des mathématiques en devenant de modestes mathématiciens aux pieds nus, faisant des mathématiques « non pour l’utilité ou l’application aux phénomènes naturels mais par honneur de l’esprit humain » (Jacobi, 1830).

II – Une situation, abordée selon deux histoires (en amont et en aval)

Motif de la première séance : camper le décor des mathématiques modernes qui nous occuperont pendant l’année, en racontant deux histoires qui abordent, l’une par l’antécédent, l’autre par le conséquent, la séquence 1830-1848 où les mathématiques modernes se sont constituées.

A – D’une crise subjective des mathématiciens classiques

D’abord l’histoire qui conduit, à la charnière des XVIII° et XIX° siècles, de très grands mathématiciens à désespérer de mathématiques qu’ils estiment désormais définitivement saturées :

« Je ne réponds pas que je fasse encore de la Géométrie dans dix ans. Il me semble que la mine est presque déjà trop profonde, et qu’à moins qu’on ne découvre de nouveaux filons, il faudra tôt ou tard l’abandonner. » Lagrange (1781)

« L’arithmétique, la géométrie, l’algèbre, les mathématiques transcendantes sont des sciences que l’on peut regarder comme terminées, et dont il ne reste plus à faire que d’utiles applications. » Cauchy (1811)

Où en sont alors les mathématiques pour que de tels mathématiciens puissent perdre confiance en vingt-trois siècles de rationalité imaginative, émancipée des ambiguïtés du langage naturel et des polysémies du récit mythologique ?

Il en va ici d’une histoire des mathématiques (grecques, préclassiques XI°-XVI° et classiques XVII°-XVIII°) que nous brosserons à grands traits, histoire diversifiant les continents mathématiques (arithmétique et géométrie, puis algèbre, enfin analyse) sous la loi unificatrice de la raison démonstrative (« Depuis les Grecs, qui dit mathématique dit démonstration. » Bourbaki) pour buter, à la fin du XVIII°, sur quatre rudes obstacles :

-       celui, algébrique, de la résolution des équations polynomiales de degré supérieur ou égal à 5 : pourquoi n’arrive-t-on toujours pas, après huit siècles d’efforts (XI°-XVIII°), à individualiser les racines de ces polynômes comme on sait pourtant le faire depuis le XVI° pour tous les polynômes de degré moindre ?

-       celui, analytique, des infinitésimaux : comment poursuivre un calcul différentiel et intégral fondé sur des quantités numériques infiniment petites qu’on ne sait multiplier ni diviser rigoureusement ?

-       celui, géométrique, de l’espace euclidien à trois dimensions : si l’espace physique ambiant constitue le modèle naturel de la géométrie, comment dépasser l’arbitraire de l’axiome euclidien des parallèles pour incorporer d’autres invariants géométriques et par là des espaces mathématiques de type nouveau ?

-       celui, arithmétique, des grandeurs irrationnelles : comment les intégrer rigoureusement aux grandeurs numériques traditionnelles en sorte de ne plus se cantonner à une manipulation formelle de symboles opaques ?

À partir de 1830, Galois (avec sa notion de groupe) pour l’algèbre, Cauchy (avec sa notion de limite et son extension aux complexes) pour l’analyse, Gauss (avec sa notion de courbure intrinsèque) - Riemann (avec sa notion de variété) – Hamilton (avec ses notions de vecteur et de quaternion) pour la géométrie, enfin un peu plus tard Dedekind (avec sa notion de coupure) pour l’arithmétique viendront extraire ces mathématiques de leur embourbement classique.

N’y a-t-il pas là pour nous quelque encouragement à ne pas désespérer en ce début mélancolique de XXI° siècle, quelque raison de ne pas seulement attendre, tel Gurnemanz, les Parsifal à venir des pensées politiques et artistiques mais quelque motivation, matérialistement fondée, à transmettre des pensées qu’on peut continuer de pratiquer avec entrain ?

B – D’une réforme radicale :  l’enseignement des « maths modernes »

Ensuite l’histoire qui, à partir de 1958, conduit les pays européens, sous l’impulsion d’une OCDE soucieuse que l’Occident capitaliste ne soit pas technologiquement dépassé par une URSS socialiste ayant pris la tête de la conquête spatiale avec le lancement de son Spoutnik, à engager une réforme de l’enseignement scolaire des mathématiques pour mettre en avant ces maths modernes qui se déployaient depuis plus d’un siècle sans avoir encore vraiment atteint les rivages des écoles et des lycées.

Cela donnera, dans la France et la Belgique [1] des années 60-70, une réforme qui, malheureusement, sera mise en œuvre de manière trop formaliste, abstraite et structurale : la fondation logique (théorie des ensembles) et la formalisation algébrique tendront à dominer l’interprétation géométrique et par là à écraser la dialectique intra-mathématique entre ses différents continents.

Les conséquences réactives ne tarderont pas : une contre-réforme, prônant le retour aux techniques de calcul, aux exercices d’applications et à la résolution de problèmes, va venir, dans les années 80, la limiter puis la dissoudre.

La synchronisation frappante de cette radicalité réformatrice avec le renouveau de la politique militante révolutionnaire (1958-1976) tout de même que le premier parallèle historique (1830-1848) voyant la constitution simultanée des politiques et des mathématiques modernes suggèrera quelques résonances fécondes entre modernité mathématique et intellectualités militantes pour tous.

III – Une ligne

Il s’agira, cette année, de nous approprier la constitution, à partir de 1830, de cette modernité mathématique en examinant quatre théories initiales (l’algèbre de Galois, l’analyse de Cauchy, la géométrie de Gauss-Riemann-Hamilton et l’arithmétique de Dedekind) qui ont précédé d’un demi-siècle l’invention par Cantor (1880) de la théorie des ensembles.

Nous apporterons ainsi notre petite pierre à une relève affirmative de l’échec réformateur précédent (fin des années 1970) de trois manières :

1)    en explorant les mathématiques modernes par la pluralité articulée de leurs théories initiales plutôt que par la mise en forme ultérieure de leur unité axiomatico-logique sous forme d’ensembles ;

2)    en dialectisant la formalisation algébrique avec une interprétation intra-mathématique (géométrique…) plutôt qu’extra-mathématique (physique…) ;

3)    en corrélant le monde des mathématiques aux autres mondes de pensée par des conceptualisations et des raisonances (résonances entre raisons) plutôt que par des applications ou des modélisations.

À ce dernier titre, on examinera comment ces théories modernes ont révolutionné les mathématiques classiques non tant par destruction-reconstruction (comme, en politique, les révolutions française et bolchévique ont pu opérer) que par abandon-déplacement (algèbre et analyse) et adjonction-extension (géométrie-arithmétique). Ces nouvelles manières de révolutionner un domaine mathématique pourront s’avérer de grande portée intellectuelle hors des mathématiques : en politiques comme en arts.

 

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[1] Dirk de Bock et Geert Vanpaemel : Rods, Sets and Arrows. The Rise and Fall of Modern Mathematics in Belgium. Springer. 2019