JÕappelle
double criture
lÕassociation, dans une mme partition, dÕune criture traditionnelle (disons,
avec des notes de musique) et dÕune criture informatique.
En quoi cette association peut-elle se donner
comme un problme, a minima pour le compositeur, ce problme que jÕai appel,
en intitul de cette communication, le problme de la double criture ?
Somme toute, on pourrait tenir que lÕexistence
de cette double criture ne soulve pas de difficults particulires qui
nÕenvisage pas dÕhomogniser les inscriptions dÕune partition. Il est vrai
quÕune partition est toujours un amas htroclite de signes de divers
ordres - notes de musique proprement dites, indications dynamiques,
notations de phras, inscriptions des tempiÉ -, amas que lÕon peut
analyser comme coexistence dÕune criture et de diffrentes notations. Je tiens
que cette htrognit des inscriptions est intrinsque la pense musicale
et quÕil ne convient donc nullement de la rduire, dÕhomogniser cette
diversit par un bout (rduire la partition une pure criture) ou par un
autre (dgager la partition de tout souci dÕcriture pour nÕen faire plus
quÕune somme de notations).
En quoi la double criture poserait-elle alors
plus de problmes la pense compositionnelle que nÕen pose la coexistence
traditionnelle dans une mme partition dÕune criture et de notations
diverses ?
Ce qui fait mon sens de cette dualit un
problme singulier et nouveau est prcisment le fait quÕil sÕagisse cette fois
de deux critures, et non plus de la coexistence dÕune criture et de
diffrentes notations.
Pour prciser la distinction en jeu, on dira quÕune
criture musicale est un systme de lettres singulires (qui constituent la
note de musique comme une sorte de mot) l o un
dispositif de notation use de figures ou de la langue usuelle. En ce sens, une
criture tablit une cohrence de nature tout fait singulire, sans
quivalent dans le champ propre des notations, si bien que la coexistence
traditionnelle entre une telle cohrence et la diversit de notations ne pose
pas les mmes problmes que la juxtaposition de deux critures musicales, juxtaposition
qui ouvre une faille structurelle au cĻur de la partition et tend ipso facto scinder non seulement la partition mais directement lÕĻuvre, cette
Ļuvre quÕon a pris dÕailleurs coutume dÕappeler pour cela Ļuvre mixte.
SÕil y a double criture, cÕest bien en effet
quÕil sÕagit dÕune Ļuvre dite mixte. Cette
nomination ouvre immdiatement dÕimportantes questions : quel titre
une Ļuvre mixte est-elle unifie, est-elle
Ē comptable-pour-une Č ?
Je fais ici le postulat implicite
suivant : toute Ļuvre dÕart, pour exister comme telle, doit tre comptable
pour une, dans sa diversit mme. LÕĻuvre doit faire lÕpreuve de lÕUn ;
on doit pouvoir compter lÕĻuvre pour une Ļuvre, et
ce par-del bien des regards ou des coutes possibles.
Je voudrais ouvrir l une petite parenthse.
Je soutiens un autre postulat : toute Ļuvre dÕart est finie, et cÕest en
fin de compte ce qui fait sa singularit par rapport aux autres formes
dÕexistence. A contrario la position dÕun Duchamp, reprise par Cage, consistant
poser que cÕest le regard ou lÕcoute qui fait lÕĻuvre, intgre une vision en
fait romantique de lÕĻuvre dÕart o celle-ci serait le pont jet par nous,
humains, finis, trop finis, vers lÕinfini. En effet, assigner lÕĻuvre dÕart
la particularit du regard ou de lÕcoute qui lÕembrasse conduit infinitiser
lÕĻuvre dÕart en une sorte dÕinfini potentiel (lÕinfinit potentielle des
regards et coutes diffrentes dÕun mme objet), ce qui assigne un caractre
pr-moderne cette position sÕil est vrai quÕune position vritablement
moderne assume depuis Cantor lÕexistence de lÕinfini actuel. Fermons cette
parenthse destine nous rappeler que la tche visant sortir du romantisme
reste dÕactualitÉ
Il y a une manire de rsoudre la difficult
de lÕĻuvre mixte qui consiste tenir que lÕĻuvre elle-mme est double,
cÕest--dire consiste en la disposition dÕun double monde : un monde
instrumental et un monde lectroacoustique. CÕest l ce que jÕappelle la
thorie des deux mondes o lÕĻuvre serait une sorte
dÕunivers englobant deux mondes diffrents. CÕest indiquer au passage que
lÕĻuvre pourrait alors sÕapparenter lÕintellect divin tel que Leibniz pensait
quÕil nous tait pour partie intelligible, intellect o coexistent tous les
mondes possibles mme si Dieu nÕen fulgure quÕun seul.
SÕil y a bien deux mondes qui se rapportent en
une mme Ļuvre, il est alors cohrent que deux critures se rapportent dans une
seule partition. Mais si je tiens quÕil y a un problme de la double
criture, cÕest avant tout parce que je tiens quÕil ne
saurait y avoir coexistence de deux mondes au sein dÕune mme Ļuvre musicale.
Ceci en un sens est pour moi un principe compositionnel qui sÕarticule au
postulat nonc plus haut.
La rflexion que jÕengage devant vous est
adosse mon propre travail compositionnel, plus particulirement pour cette
intervention une de mes dernires Ļuvres intitule Dans la distance, Ļuvre mixte commande par lÕIrcam et cre lÕanne dernire par
lÕE.I.C.
Dans cette Ļuvre - et je me permets de
citer ici les notes de programme que jÕai rdiges lÕoccasion de sa
cration [1] -, la partie musicale lectronique nÕa pas t conue comme un
monde autonome, fut-il virtuel. Dans lÕĻuvre musicale il nÕy a - il ne
peut y avoir - quÕun monde.
La partie lectronique nÕy est pas pour
autant, comme je lÕavais un temps envisag, une sorte dÕextension du monde
instrumental. Ė strictement parler, le son lectronique ne saurait tre un son
musical puisquÕil nÕest pas comme lui la trace dÕun corps--corps (dÕune
confrontation entre le corps du musicien et le corps de lÕinstrument). Le son
lectronique, qui nÕest pas une trace phmre mais tout au plus une empreinte
fige (de mme que le haut-parleur nÕest pas un corps mais tout au plus une
membrane), est prcisment menac dÕtre pris pour un corps ou, pire encore,
pour une substance.
Mais si le son lectronique nÕest ni un son
musical proprement dit, ni un corps ou une substance, comment le caractriser ?
LÕhypothse apparue lors de cette composition est que le son lectronique
constitue en fait une image, une image qui se
trouve projete via les haut-parleurs. Il ne sÕagit cependant pas l de ces
images extra-musicales (de la nature, de la villeÉ) dont parlent depuis
longtemps les spcialistes de la Ē musique lectroacoustique Č. Il ne
sÕagit pas non plus de lÕimage sonore telle que lÕenvisage Franois Bayle, la
renommant pour ce faire i-son [2], mais plutt dÕimages sonores de sons musicaux. LÕenjeu devient alors
de composer un monde musical qui soit en somme suffisamment vaste pour
incorporer, comme tout monde qui se respecte, des images de ses propres
lments ou parties.
Un monde ? J.-L. Nancy en propose cette
caractrisation : Ē Un monde, cÕest toujours une articulation
diffrentielle de singularits. Č [3] Il est ainsi question dans cette Ļuvre dÕarticuler des sons musicaux
et leurs propres images sonores, dÕarticuler des singularits (les voix, les
instruments, les sons lectroniques, le texte) en sorte de composer un seul et
vaste monde.
Si le souci que je souhaite vous faire
partager est celui de la double criture, pourquoi lÕaborder dans le cadre dÕun
symposium intitul Thories et invention aujourdÕhui ?
La question que je me pose est celle-ci :
y a-t-il encore place aujourdÕhui pour un travail thorique lorsquÕon est
compositeur ? Il y a quelques annes, la rponse allait encore de soi,
mon sens parce quÕon vivait encore dans le sillage du considrable effort de
pense sriel. Sans doute peut-on discuter de la validit thorique des
discours de tel ou tel compositeur : Makis Solomos lÕa fait hier
aprs-midi propos du travail de Xenakis ; on pourrait galement mettre
en doute la nature proprement thorique des crits de Boulez, y compris du clbre
Penser la musique aujourdÕhui pour y reconnatre un
mlange dÕesthtique et de recettes qui lui sont propres plutt quÕune thorie
proprement dite. Mais tout du moins, il y avait alors la conviction largement
partage que la thorie pouvait exister et que son effort nÕtait nullement
incompatible avec un effort de cration ou, pour employer le vocabulaire
propos pour ce symposium, avec un effort dÕinvention.
Cette conviction sÕest progressivement
dissipe. Il serait trop long dÕen tracer ici les raisons. Je les attribuerais,
pour ma part, au basculement idologique de toute une poque, basculement
concomitant (de manire immanente la pense musicale) lÕpuisement
progressif de lÕorientation srielle de la pense.
Pendant un temps, on a cru pouvoir remplacer
le mot de thorie par celui de recherche, et lÕon a vu derechef fleurir les compositeurs-chercheurs la place
des anciens compositeurs-thoriciens. Mais ce nom de recherche, devenu la mode dans toutes les activits de la socit, permettait
bon compte de mettre sur le mme plan tous les aspects du travail dit intellectuel, de relancer ce bon vieux positivisme mettant la pense de type
scientifique comme modle de toute positivit de savoir, de confondre dans le
mme temps ce qui tait science et ce qui tait simple technique ; et
dÕassocier, dans la foule, les entreprises au fonctionnement des universitsÉ
Que les compositeurs doivent participer aux
recherches techniques concernant les nouveaux instruments, ordinateur compris,
cela va de soi, et cela nÕest pas nouveau. Rien l qui mrite quÕon sÕy attarde
plus que de ncessaire. Mais cette recherche sur les nouveaux matriaux
sÕavrant pour ce quÕelle est (une prospection utile mais bien incapable en
elle-mme de fixer les nouvelles orientations de la pense compositionnelle, de
donner quelque raison dÕesprer la pense musicale), voil que le compositeur
tend ne plus assumer dÕintellectualit discursive du tout.
Le rapport la thorie musicale sÕest dissip
sous le poids de cette vidence : penser la musique, cÕest la crer. Ce
qui a dissip dans le mme temps lÕide que lÕactivit consistant
Ē penser la musique Č puisse tre le propre dÕune activit thorique.
DÕo cette interrogation : quoi pourrait donc encore bien servir une
thorie si elle nÕest plus conue comme lÕexercice de la pense musicale,
laquelle est investie dans les Ļuvres, et seulement dans les Ļuvres ?
Une rponse (avance par exemple par Carl
Dahlhaus) a t quÕalors la thorie a en charge la pense de cette pense musicale.
On aurait ainsi une rpartition possible (quelque peu hirarchique et
socialement distribue) du travail : le compositeur penserait, et le
thoricien penserait cette pense.
Je tiens, a contrario, que lÕĻuvre dÕart non
seulement pense mais pense en mme temps la pense quÕelle est. JÕai tent de
mÕexpliquer sur ce point dans lÕarticle introductif ce symposium paru dans le
dernier numro de Musurgia [4]. Je nÕy reviendrai donc pas ici.
Ceci renforce mon interrogation : quoi
bon thoriser sÕil est suffisant, du point de la pense, de composer ?
Quelle peut bien tre la place dÕun travail thorique l o lÕĻuvre est le
champ effectif non seulement de la pense mais aussi de la pense de cette
pense ?
On peut encore poser la question ainsi :
tant que thorie tait une catgorie dont le
vis--vis tait la catgorie de pratique, il tait
facile de lgitimer lÕactivit thorique chez le compositeur ; en un sens,
la composition pouvait tre tenue pour le pendant pratique de lÕactivit
thorique, et personne ne pouvait sÕtonner que ces deux activits puissent
cohabiter chez la mme personne. Mais considrer lÕĻuvre comme pense (de la
pense quÕelle est) interdit de la catgoriser sous le schme dÕune pratique.
Le problme, pour la thorie, devient alors celui-ci : comment concevoir
une thorie qui nÕait plus comme vis--vis catgoriel la pratique, qui ne soit
plus entendue comme thorie dÕune pratique, qui nÕait plus voir avec une
dialectique thorie-pratique ? Tel est je crois le problme.
Ceci revient encore dire quÕune thorie nÕa
pas tre applique. Une thorie travaille, opre, transforme, produit, mais
elle nÕest pas pour autant ce qui serait destin une application pratique.
Une thorie musicale a dÕailleurs souvent tendance ŅsuivreÓ les actes de
cration musicale pour dgager, comme on va le voir, ce qui proprement dit y Ļuvre
dj. Il sÕagit alors de thoriser ce qui existe dj
concrtement plutt que dÕlaborer un programme thorique appliquer [5]. Ce qui permet de prciser ce point : le corrlt de
lÕapplication nÕest nullement la catgorie de thorie mais celle de programme
(ce quÕil sÕagit dÕappliquer nÕest pas une thorie mais un programme), et il ne
convient donc nullement de tenir que toute thorie devrait se donner comme
programme thorique.
Ajoutons : les thories musicales nÕont
nullement ncessit de chercher un modle du ct des sciences. LÕide quÕune
thorie musicale ne mriterait ce nom que si elle peut tre dite scientifique
est une ide sous prescription positiviste ; elle ne sÕimpose pas, elle ne
sÕimpose plus, pas plus que ne continue de sÕimposer lÕide quÕune thorie
politique doive tre scientifique pour tre rationnelle.
Pour situer ma conception de ce que doit et
peut tre une thorie musicale, je rsumerai les thses prsentes dans
lÕarticle prcdemment cit [6] : Si la musique comme invention est
une pense qui a pour particularit dÕtre aussi pense de la pense quÕelle
est - cette pense tant en acte, dans les Ļuvres, et non en
discours -, la thorie peut tre tenue pour le
moment rflexif dans cette pense, pour la prise
discursive de cette inflexion quÕest toute Ļuvre dÕart vritable.
Notons le : ceci prsuppose la prise en
compte dÕun double cart : dÕune part entre rflexion et pense (rflchir
et penser diffrent), dÕautre part entre discours et pense (discourir et
penser ne sont pas exactement la mme activit).
Quels sont alors les enjeux dÕune telle
thorie ? Pourquoi rflchir ce qui est dj pens, pourquoi discourir sur
une pense qui est dj pense de la pense quÕelle est ? On avancera que
la thorisation doit favoriser lÕinvention de nouvelles catgories musicales,
lÕmergence des catgories enfouies dans les Ļuvres, lÕpinglage des inflexions
opres par les Ļuvres dans les configurations musicales.
La thse que jÕavance est celle-ci : par
del les Ļuvres, il existe ce que jÕappellerai un entre-Ļuvres, un espace entre les Ļuvres compos des rapports quÕentretiennent les
Ļuvres entre elles, et qui forme une sorte de hors dÕĻuvres dont la thorie doit sÕoccuper. Ė bien y regarder, cet entre-Ļuvres
est le champ propre de dploiement de deux activits musicales :
lÕorganisation de concerts et la thorie.
Le travail direct sur cet entre-Ļuvres se fait
en effet :
- dÕune part par lÕorganisation de
concerts : quÕest-ce qui, mieux quÕun concert, peut rendre sensible
lÕintervalle entre des Ļuvres diffrentes ? CÕest le concert qui
rapproche, confronte, fait dialoguer les expriences sensibles des Ļuvres.
Organiser un concert, cÕest rapporter de manire sensible, dans une unit de
temps et de lieu (si ce nÕest dÕaction), plusieurs Ļuvres entre elles. CÕest
mettre lÕpreuve de lÕaudition lÕexistence ou non dÕun entre-Ļuvres [7].
- DÕautre part un espace de pense entre
les Ļuvres est rehauss par le travail thorique : une catgorie, somme
toute, est le plus souvent (toujours ?) une ralit qui excde une Ļuvre
donne en ce sens quÕelle a une pertinence qui ne sÕy restreint pas. Soit une
catgorie opre dans plusieurs Ļuvres. Le propre du travail thorique serait
alors de proposer un nĻud de ces catgories, un nĻud qui nÕest pas celui ventuellement
opr dans lÕĻuvre elle-mme, mais un nĻud dÕordre discursif. CÕest en ce sens
que je dirais que la thorie vise configurer les catgories, non seulement donc dgager les catgories lÕĻuvre dans les
crations contemporaines, mais aussi les mettre en rapport au moyen de son
discours propre, les relier en une sorte de rseau catgoriel.
Derrire ma tentative de cerner le propre du
travail thorique - non point tant pour le dfinir que pour en identifier
les enjeux, question particulirement urgente pour qui compose et se demande
sÕil ne devrait pas plutt ne faire que cela - il y a une thse sur notre
aujourdÕhui musical.
Je posais ainsi la question dans le rsum de
mon article : De quelles inventions, de quels Ņpas gagnsÓ sÕagit-il aujourdÕhui de faire thorie ? Quelles sont les catgories de pense aujourdÕhui pertinentes pour la composition ? Face au bilan toujours en cours
du srialisme, confronte au dilemme insurmont entre noclassicisme et
nosrialisme, la thorie devrait tre cette relve de lÕanalyse qui manque
une pense de lÕaprs-srialisme.
AujourdÕhui ?
Mais quel est donc notre aujourdÕhui musical ? Sans trop mÕtendre sur
cette question, je vous indiquerai simplement mes convictions sur ce
point : le meilleur nom pour cet aujourdÕhui musical est mon sens celui
dÕentre-temps, sÕil est vrai que notre temps
prsent est celui dÕun aprs-srialisme sans tre pour autant celui dÕun
post-srialisme proprement dit ; ou encore si notre temps est bien dans la
proccupation dÕune nouvelle modernit qui chappe au dilemme
nosrialisme / noclassicisme. Si notre temps est dlimit dÕun ct par
ce qui est dj hors de lui (le srialisme), il ne lÕest pas de lÕautre par
lÕtablissement dÕune nouvelle configuration ; en ce sens, ce temps ne
dispose pas encore, mon sens, des rponses adquates aux questions qui lui
sont poses, et cÕest ce titre que je crois appropri de le nommer un
entre-temps.
JÕai souvent parl ici de configuration. On
appellera configuration [8] un ensemble potentiellement infini dÕĻuvres qui constitue un espace
possible pour le travail dÕune vrit musicale ; en effet si ce qui
importe est la manire dont une Ļuvre se rapporte une myriade dÕautres
Ļuvres, tentant par l de fixer quelque contenu de vrit [9] son dploiement fini, alors il y aussi
une sorte dÕintervalle entre les Ļuvres qui importe au plus haut point la
cration, ce que jÕai appel un entre-Ļuvres, qui
donne toute sa dimension de pense la cration musicale ( lÕinvention, pour reprendre le terme avanc en intitul de ce symposium).
On peut tenir quÕil y eut tentative de
configuration musicale au XX” sicle autour de lÕentreprise srielle (pour
fixer les ides : entre la premire guerre mondiale et Rpons). On pourrait tenir que le projet spectral a eu pour ambition de se
constituer en configuration alternative ; mais je crois quÕil a, depuis,
abandonn cette ambition (si tant est quÕil lÕait jamais vraiment vise, ce
dont je ne suis pas entirement sr). Peut-tre dÕailleurs que constituer une
configuration musicale nÕest pas lÕordre du jour et ne le sera pas avant longtemps.
Peut-tre convient-il alors dÕavoir des objectifs aujourdÕhui plus
limits - cÕest somme toute lÕhypothse raisonnable si lÕon tient que nous
sommes bien dans un entre-temps -. En tous les cas lÕeffort thorique sera
ncessaire pour dgager et nouer entre elles les nouvelles catgories que met
en Ļuvre aujourdÕhui la pense compositionnelle.
Le problme de la double criture va me servir
dÕexemple pour ces questions dÕordre thorique. Comme indiqu, je partirai de
mes dernires Ļuvres. Conformment ma vision de la rflexion thorique, cette
approche sÕavrera la fois rtrospective (elle vient aprs la composition de Dans la distance et
tente de rflchir ce qui y fut dj trac) et prospective en cela quÕelle
anticipe sur ma prochaine Ļuvre mixte (vaste projet de madrigal dramatique, entrepris en collaboration avec lÕcrivain Natacha Michel, que jÕai
intitul Approche de lÕombre). Je prcise ds
lÕabord que je nÕai pas de rponses dfinitives aux questions que je
pose - que je me pose - ici et quÕil
sÕagit donc l dÕun travail en cours, sans doute dÕailleurs dÕune tche infinie
sÕil est vrai quÕil nÕy a de tche de la pense qui vaille qui ne soit infinieÉ
LorsquÕon se met composer des sons avec
lÕordinateur en vue dÕune Ļuvre mixte (composer est
pris ici en un sens large : proprement parler je ne pense pas, la
diffrence de J.C. Risset, quÕon compose les sons,
au sens du moins o lÕon compose une ĻuvreÉ), on
est confront certains choix.
Le premier se prsente comme une orientation
de type technique : va-t-on traiter des sons dj existants ou va-t-on
procder par pure synthse ? Cette alternative, dÕapparence technique,
nÕest cependant pas esthtiquement innocente.
* Le choix du traitement plutt que de la
synthse conduit prolonger les sons instrumentaux, les doter dÕune sorte
dÕombre dÕorigine lectronique qui peut tre plus ou moins importante,
agrandir la sonorit instrumentale en lui associant sa propre image dforme.
La ralisation la plus fameuse de cette manire de faire est bien sr Rpons. Le risque immdiatement encouru est alors celui de la redondance
puisquÕil sÕagit dÕune reprise varie dÕun matriau dÕorigine instrumental, le
plus souvent dj expos (en particulier si le traitement se fait en temps
rel). Plus largement, cette voie consonne mon sens avec une orientation thmatique
de la pense compositionnelle.
* La seconde orientation, celle de la
synthse, tend plutt constituer Ņun autre mondeÓ, le monde des sonorits
lectroniques, face au monde des sonorits instrumentales. Cette voie conduit
spontanment privilgier la constitution dÕune forme de transition entre les
deux mondes ainsi prforms, sÕil est vrai que dans une Ļuvre musicale il ne
saurait y avoir de deux sans synthse, de
disjonction pure - vieux dml de la composition musicale avec la
dialectique quÕil faudra bien un jour traiter si lÕon veut pouvoir se dgager
du romantismeÉ -. LÕautre caractristique esthtique dcoulant de ce parti
pris de la pure synthse est une tendance irrpressible lÕinflation sonore,
le propre des sons lectroniques tant dÕtre dpourvus de ces discontinuits
qui font les articulations musicales et de tendre par l la pure et simple
substance sonore. DÕo que la musique fasse alors prvaloir la continuit
sonore, lÕtalement de longues plages, lÕlan de grandes vagues qui tiennent
lieu de nature sonore l o le corps--corps du musicien avec son instrument
nÕa plus lÕoccasion de se dployer.
Le second concerne le choix entre temps rel
et temps diffr. En gnral, le choix du temps rel se fait au nom dÕune captation
de lÕinterprtation, du propre de la sonorit telle quÕelle ressort, unique, de
chaque excution. CÕest pour cela que lÕoption du temps rel concide souvent
avec la priorit donne au traitement sur la synthse et sÕaccorde spontanment
avec ce que jÕai appel lÕorientation thmatique de la pense compositionnelle,
ft-ce sous la forme ultime dÕun thmatisme sans thme.
Il est cependant clair que ces alternatives
techniques nÕimposent nulle exclusive, et que lÕon peut marier dans une mme
Ļuvre le traitement et la synthse de mme quÕon peut y associer temps rel et
temps diffr.
JÕai t amen, pour la composition de Dans
la distance, trancher selon des principes
esthtiques que je vais rapidement rsumer en citant nouveau mes notes de
programme. Les dcisions prises ont t au nombre de trois :
Choix dÕabord dÕune technique de construction
granulaire.
Dans la partie lectronique de cette Ļuvre,
les sonorits sont engendres par empilement de brves sonorits (ŅgrainsÓ)
prleves dans le monde instrumental et classes selon six types de
geste : frapp, frott, souffl, pinc, agit, vocal. Toutes les sonorits
lectroniques de lÕĻuvre, quelques exceptions prs, sont ainsi construites
partir de ces grains. Je prfre parler ici de flux
plutt que de synthse (granulaire) car le parti pris vise garder audible la
prsence du grain comme constituant lmentaire : la sonorit globale,
telle un vent de sable, ne dissimule pas sa multiplicit interne et sa
constitution en ŅbriquesÓ nÕest pas cache derrire un crpis plus lisse. Cette
technique mÕa permis de mieux rythmer et articuler les sons lectroniques tout
en jouant de leurs analogies avec les gestes instrumentaux traditionnels ;
dÕo une proximit dÕavec les sonorits dÕun orchestre et, plus encore, dÕun
grand orgue.
Choix ensuite du temps rel, mais dans un tout
autre esprit que celui du traitement en temps rel de lÕinterprtation.
En effet il ne sÕagit pas l de capter quelque
chose de lÕinterprtation (les instruments sont amplifis sans tre jamais
retraits) mais dÕassurer que les sonorits sont engendres par lÕordinateur au
moment mme o on les peroit ; elles ne prexistent donc pas comme
matire sonore lÕexcution de lÕĻuvre. LÕintrt de ce parti ne tient pas au
caractre plus ŅvivantÓ de lÕexcution ainsi attendue : on aurait pu tout
aussi bien enregistrer au pralable ces sons lectroniques pour les restituer
ensuite lors du concert par une simple lecture au lieu dÕen dclencher, comme
on le fait ici, la production. La diffrence perceptible entre les deux options
aurait t minime, tenant quelques enchanements rendus plus raides. LÕintrt
vritable de cette dcision rside dans la composition. On pourrait dire que
cÕest un intrt de principe : il sÕagit de ne
contrler le son que par sa structure algbrique interne (sa construction en
grains) sans jamais le considrer comme un produit substantiel, comme une pte
sonore quÕon se proposerait de modeler.
LÕeffet de ce principe est que les sons
lectroniques restent sous la loi dÕune criture l o les sons mixs, devenus
figs, y chappent ncessairement. Sans doute cette criture informatique
est-elle trs loin de lÕcriture musicale traditionnelle mais, aussi trange
soit-elle pour le musicien, cette criture (que le Ņtemps relÓ prserve
jusquÕau moment ultime du concert) instaure lÕexistence dÕune distance, dÕun
espace possible pour la pense entre musique et sons.
Parlant de posie, Ossip Mandelstam
crivait : ŅCe nÕest pas dÕacoustique quÕil faut se soucier : elle
viendra toujours dÕelle-mme. CÕest de distance.Ó [10] Cette directive me semble valoir pour la musique, et le travail Ņen
temps relÓ me semble ici tre un atout. JÕajouterai que le contrle des sons
lectroniques par leur structure, non par leur enregistrement, garantit pour le
futur leur possible volution, au fil des progrs techniques venir.
Choix enfin, dj explicit prcdemment, dÕun
seul monde qui soit apte inclure les images de ses propres lments ou parties,
le son lectronique y tant conu comme image sonore dÕun son musical.
Au total, le point qui mÕimporte pour ce
symposium est que la composition dÕimages en temps rel a induit une forme
dÕcriture particulire. En apparence, il sÕagit de la mme criture pour les
instruments et pour lÕordinateur.
[Voir
page de partition]
On trouve en effet les mmes notes sur chaque
type de porte. Mais lÕcriture informatique de la partie lectronique se
dploie en fait en deux couches, correspondant grosso modo dÕun ct la note,
de lÕautre aux grains. LÕide est que chaque note est un ensemble de grains, et
que la dcomposition de cette note en diffrents grains est variable et compose
soigneusement, note par note. DÕun ct, la couche crite de manire
traditionnelle fixe la dure et la hauteur de chaque ensemble-note de
grains ; de lÕautre, et inscrite cette fois en un tout autre code (ce
quÕon appelle, dans le langage du logiciel Max
utilis, une Qlist), une srie dÕinstructions prcisment
chronologise spcifie de quels types de grains seront intrieurement composes
les notes prcdentes et fixe galement les contours extrieurs des
ensembles-notes.
[Voir page de Qlist]
Il faut bien voir ici que lÕcriture
informatique est et ne peut tre que purement fonctionnelle : elle est
destine fixer lÕordinateur, et de manire strictement univoque, les tches
quÕil doit accomplir. Si lÕordinateur tait un instrument de musique (ce quÕil
nÕest pas en raison principalement du fait quÕil nÕintervient pas dans le
processus musical comme corps physique mais seulement comme puissance mcanique
et abstraite de calcul), on pourrait alors dire que lÕcriture informatique
serait une parfaite tablature.
La question qui se pose alors est
celle-ci : cette criture musicale informatique est-elle la vrit de
lÕcriture musicale en gnral, est-elle la vrit de toute criture
musicale ? Ceci se dira galement ainsi : la vrit de lÕcriture
musicale serait-elle dÕtre fonctionnelle, ou encore serait-elle dÕtre une
tablature ? Il faut bien voir que la rponse ces questions est
aujourdÕhui majoritairement positive.
Je voudrais mÕinscrire en faux contre ce point
de vue et rpondre par la ngative aux questions prcdentes. Ceci revient
tenir quÕon est en ralit, dans mon exemple, en face de deux critures de
types diffrents. Comme ces deux critures apparaissent cependant oprer avec
le mme systme de signes, il faut alors convenir que la note nÕa pas le mme
sens dans les deux systmes, que la note nÕa pas la mme signification selon
quÕelle intervient dans une porte pour un instrument de musique et dans une
porte pour lÕordinateur.
Sans trop rentrer ici dans des dtails dÕordre
technique, on peut mtaphoriser cette diffrence par le biais dÕune petite
comparaison architecturale.
* Imaginons dÕabord une architecture de
pierres, comme celle par exemple de ces glises de lÕentre-deux guerres
construites en briques apparentes. LÕinscription de cette architecture pourra
se faire par sous-ensembles : on pourra inscrire quÕun mur particulier
aura telle taille et quÕil sera constitu de pierres de tel format. On pourra
inscrire ensuite quÕun crpis de telle ou telle paisseur le recouvrera en
telle ou telle partie. On inscrira ainsi la structure de lÕensemble en sorte
que le plan rsultant soit parfaitement univoque.
Cette modalit mtaphorise ce qui relve, dans
mon exemple, de lÕcriture informatique. La pierre mtaphorise ce quÕil en est
du grain. LÕinscription du format de chaque pierre se fait ici dans le
programme informatique (par ma Qlist) alors que
lÕinscription de la taille et de lÕemplacement de chaque mur ou paroi (ou sous-ensembles
quelconques de pierres) se fait par les notes de la porte pour lÕordinateur.
* Opposons cela la structuration dÕune
architecture de toile, un chapiteau de cirque par exemple. Comment procde-t-on
ici ? On dispose cette fois dÕun double registre : dÕun ct dÕune
toile, aux caractristiques physiques prcises (poids, rsistance au m2É),
de lÕautre dÕun rseau de piquets et de mats, avec les cordes permettant de les
tendre et de les faire tenir. LÕinscription dÕune telle architecture se fait cette
fois par inscription de lÕemplacement et de la taille exacte de chaque mat,
inscription complte par la notation des caractristiques physiques de la
toile quÕon jettera dessus.
Cette modalit mtaphorise lÕcriture
traditionnelle : de mme que lÕeffet vis dans cette architecture de toile
tient la forme rsultant pour le seul tissu, de mme lÕcriture
traditionnelle vise une situation sonore, chaque mat illustrant ici le rle rempli
par les notes lorsquÕelles sÕadressent un instrument de musique et non plus
lÕordinateur.
Cette image prsente, comment pouvons-nous
thoriser plus avant la distinction releve entre les deux types de notes ?
* Dans le premier cas, il sÕagit dÕune
logique de construction partir dÕlments simples : la brique-grain. La
note dsigne un sous-ensemble homogne de tels lments. Le rsultat sonore
obtenu est la faade ainsi construite qui ne sÕcarte sensiblement de
lÕenveloppe des briques-grains que via lÕpaisseur dÕun crpis (lequel est
inscrit par ailleurs, selon une autre logique - purement
informatique - non explicite par le jeu des notes prcdentes).
Disons, pour filer dsormais une mtaphore
mathmatique, quÕon construit ici une structure algbrique par progression vers
le haut dÕensembles de plus en plus vastes tout en contrlant le type de
topologie sonore qui sera ensuite compatible avec cette structure algbrique.
On labore donc une algbre quÕon topologise ensuite (espace dit de lÕalgbre
topologique).
* Dans le second cas, on travaille directement
sur la forme donner au chapiteau et on calcule les mats qui vont permettre de
soutenir cette forme. On vise une topologie et on cherche alors lÕalgbre (les
poteauxÉ) qui la formalisera (espace dit de la topologie algbrique).
LÕalgbre est, dans le premier cas, une construction ; elle est, dans le second cas, une ossaturation. Le problme est, dans le premier cas, de btir une construction quÕil
faut ensuite topologiser (phraser, interprterÉ) ; dans le second cas, le
problme est dÕossaturer une topologie (un mouvement, un dessin, une courbe,
une GestaltÉ).
Les notes nÕont pas la mme fonction dans ces
deux dmarches. Si une note est bien toujours une manire de structurer une
situation sonore en lÕalgbrisant, on voit cependant quÕon est face deux
types diffrents dÕalgbre : une criture-construction (structure
algbrique ŅpureÓ, oprant dans le cadre dÕune pure algbre), une
criture-ossature (structure algbrique oprant dans le cadre dÕune topologie).
Il faut bien voir que cette distinction, qui a
sa pertinence du point de vue de la composition et par l de la pense musicale
en gnral, nÕen a pas forcment du point de la perception.
Il est frappant de constater que la perception
est souvent trs pauvre face des distinctions quÕelle ne sait - ne
peut - saisir. On en a un exemple dans le cadre de notre travail lectroacoustique.
En effet on y crit sparment dÕun ct la structuration de la matire sonore
et de lÕautre sa projection (via un systme donn de haut-parleurs). Or
certaines oprations peuvent tre ralises de deux manires : soit par manipulation
directe de la matire sonore, soit par transformation de sa projection ;
par exemple une sonorit plus liante et moins sablonneuse pourra tre obtenue
soit au moyen de grains de nature plus lisse - chantillons de fltes par
exemple - ou par le biais dÕune plus grande rverbration incorpore lors
de la projection. La perception ne saisira pas (ou trs mal) une telle
distinction qui a cependant toute son importance compositionnelle pour la suite
de lÕĻuvre.
Illustrons ce point dÕun exemple
arithmtique : cÕest comme si lÕon faisait le produit de deux nombres a et b et que la perception ne saisissait
que le rsultat ab, sans tre mme de percevoir
la distinction des constituants et par l sans tre mme de discriminer les
diffrentes dcompositions possibles de cette ŅsynthseÓ numrique. Or
lÕintelligence de la dcomposition prsidant la constitution de la srie
globale (les nombres ab), dÕo dcoule par exemple
la capacit en anticiper et prvoir la suite, dpend troitement de cette
facult analytique.
Le petit exemple numrique suivant montre
quÕune mme succession de nombres - 0, 2, 6, 12 - peut tre analyse
de diffrentes manires [11] et par l prolonge diversement - 20, 30, 42É / 44, 150,
402É - selon que lÕon postule ou non lÕexistence dÕune quantit yn un
temps ŅimperceptibleÓ (car quivalente zro pour les premires valeurs de n)
mais apparaissant ensuite dans toute sa puissance jusque l latente (24,
120, 360É) :
|
n |
n+1 |
xn=n*(n+1) |
xn+yn |
yn |
0 |
0 |
1 |
0 |
0 |
0 |
2 |
1 |
2 |
2 |
2 |
0 |
6 |
2 |
3 |
6 |
6 |
0 |
12 |
3 |
4 |
12 |
12 |
0 |
? |
4 |
5 |
20 |
44 |
24 |
? |
5 |
6 |
30 |
150 |
120 |
? |
6 |
7 |
42 |
402 |
360 |
[avec yn=n*(n-1)*(n-2)*(n-3)]
Ceci illustre, mon sens, le faible pouvoir
analytique de la perception ce qui grve lourdement toute perspective, telle
celle par exemple expose par L. Landy, de ŅfonderÓ une analyse musicale sur la
perceptionÉ
On a donc deux types dÕcriture, lÕune pour les instruments (criture traditionnelle) et
lÕautre pour lÕordinateur (qui associe criture traditionnelle sous forme de
notes et criture dÕun programme informatique). LÕune sert structurer les
sons musicaux produit par le corps--corps entre instrumentiste et instrument,
lÕautre sert structurer des images sonores.
Pourquoi,
en fin de compte, lÕcriture dÕimages sonores est-elle diffrente de lÕcriture
traditionnelle ? Pour trois raisons lies entre elles : car cette
criture est (ou, plus fortement, doit tre) la fois homogne, intgrale et
fonctionnelle ; et ceci, elle doit lÕtre car elle sÕadresse une
machine, un ordinateur en lÕoccurrence, et que son fonctionnement effectif est
lui-mme soumis ce triple impratif :
- lÕhomognit tient somme toute lÕhomognit de toute instruction adresse une
telle machine (en fin de compte celle des 0 et 1 primordiaux) ;
- lÕintgralit
(que J.-C. Risset a releve hier matin) est requise car sÕil venait manquer
une seule instruction, la machine ne saurait oprer ;
- et la fonctionnalit rsulte de la mme logique : il faut que lÕopration rpte x
fois produise exactement le mme rsultat, la machine tant hors dÕtat de
produire de son propre fait des choix musicalement valides. [12]
Or cette triple caractristique contredit la
logique traditionnelle de la partition et de lÕcriture musicale :
- La partition musicale, comme je lÕai
indiqu au dbut de cette intervention, nÕest pas et ne doit pas tre homogne.
- LÕcriture musicale traditionnelle
nÕest pas non plus intgrale : elle sÕadjoint de nombreuses notations de
diverses natures.
- Enfin cette criture nÕest pas
fonctionnelle : il faut lÕinterprter, ce qui conduit diffrents
rsultats sonores possibles pour un mme texte.
„
Arrtons-nous l. JÕai commenc de nouer trois
catgories : celle de monde, celle dÕimage, et celle dÕcriture. Le nĻud
propos est ici celui dÕun monde incluant ses propres images, lesquelles
prescrivent un dispositif singulier dÕcriture ; soit : on nÕcrit
pas des images sonores (de sons musicaux) comme on crit directement ces sons
musicaux.
Par del
ce nouage singulier, quÕon pourra lgitimement discuter et prciser, ce qui
mÕintressait tait dÕargumenter lÕide quÕil sÕagit dans le travail thorique
de nouer entre elles diffrentes catgories et par l de les configurer. Comme
indiqu, jÕy vois l le propre du travail thorique entreprendre, par qui se
prsente pour le faire, quÕil soit compositeur ou non, cela va sans dire. Dans
lÕexemple retenu, cet effort sert au compositeur que je suis pour rebondir
dÕune Ļuvre dj faite une autre Ļuvre, en projet.
Je crois cependant quÕil peut illustrer ce que
la thorie musicale est en tat aujourdÕhui dÕapporter lÕinvention : aider
configurer notre entre-temps en une nouvelle modernit.
___
[1] Cf. Cycle voix (25 et 26 Fvrier 1994) p. 5-7. Document IRCAM - Centre Georges Pompidou.
[2] Cf. Musique acousmatique (1993) - ditions Buchet/Chastel.
[3] Le sens du monde (p. 126). Galile, 1993
[4] Ē Thories et invention musicales Č : quelques remarques introductives. Vol.II - n”2 (1995)
[5] On trouve de cela un bon exemple dans la catgorie de rubato dont un livre rcent (Stolen time - The History of Tempo Rubato, Richard Hudson - 1994 - Clarendon Press Oxford) rappelle quÕelle fut dgage prs de 4 sicles aprs le dbut de son entre en scne. Il va de soi que son dgagement en affecta ensuite la pratique, permettant sa systmatisation, sa prolifration et sa diffrenciation en occurrences diverses.
[6] Voir Musurgia. p.101
[7] Je crois que cÕest par prise de conscience de cette dimension que beaucoup de compositeurs se lancent, depuis quelques annes, dans la formation de nouveaux ensembles de musique contemporaineÉ
[8] Cf. A. Badiou : ŅArt et philosophieÓ in ŅArtistes et philosophes : ducateurs ?Ó - ditions du Centre Georges Pompidou (1994)
[9] Cf. Adorno
[10] Cf. ŅDe lÕinterlocuteurÓ in ŅDe la posieÓ (p. 67) - Arcades, Gallimard (1990)
[11] xn=n*(n+1) ; ou xn+yn avec yn=n*(n-1)*(n-2)*(n-3)
[12] M. Mesnage relve que de nouveaux dveloppements informatiques tendent contourner les impratifs dÕintgralit (via lÕinstauration de redondances) et la fonctionnalit (via la programmation par contraintes). On pourrait objecter, sous rserve dÕinventaire plus dtaill, que la redondance, comme la pluralit des rsultats dÕune programmation par contraintes, ne peut que rehausser la ncessit dÕune fonction de choix qui soit explicite et mcanise, et qui rintroduise ( un autre niveau) les impratifs dÕintgralit et de fonctionnalit.